04/12/2017
Benjamin Péret, Le grand jeu
Testament de Parmentier
Pomme de terre qu’as-tu fait de ta mère
Ma mère était une putain
qui n’avait pas de robe de chambre
Pomme de terre qu’as-tu fait de ton père
Mon père était un ivrogne
qui m’écrasait sur son nez
Pomme de terre tu vas mourir
et ta peau drapera plus d’un fantôme
égaré dans de noirs escaliers
mais avant regarde-toi dans ton miroir
et dis-moi s’il va pleuvoir
Benjamin Péret, Le grand jeu, Poésie / Gallimard,
1969, p. 187.
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03/12/2017
Carolin Callies, Inventaire (Inventar)
Inventaire
ce que tu as, caillots, goulots, taches de vin,
clous, bouchons, veiné de rouge ;
qu’étaient ces rides, ces coupes blancs-de-marbre,
ces cols immaculés ; ce qui git là, sa fin lui échappe des mains.
Qu’était-ce, peau martelée, pulpe des doigts,
Album des jours, ivre de lin,
& l) l’embouchure
tes lèvres seules cousues à la main
inventar
du hast gerinnsel, hälse, male,
pflöcke, korken, rotgeädert ;
waq warn das falten, marmorschale
kragen da lehnt das lezte aus den händen
was warn das hautbeschläge, fingerkuppen,
tagealben, linnentrunken
& dort am mundstück
nicht mehr als deine handvernähten lippen
Carolin Callies, dans Achtervahn / Le grand 8,
Wallstein Verlag / Le Castor Astral, 2017, p. 37 et 36.
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02/12/2017
Valérie Rouzeau, Va où
Il faut m’arracher allumer d’une autre étoile de chance pas bêcheuse
Quitter ce jardin de palabres où pour un peu me serais crue sans savoir
ni quand ni comment ni bien quoi semer à tout vent
Croquemorte de moi-même quelle idée ici je rends mon tablier mon
houx ma haie ma mauvaise pioche
Je m’en vais trouver de la vie par tous les temps
Cela commence à présent je change lalalère change d’air là
Valérie Rouzeau, Va où, Le temps qu’il fait, 2002, p. 85.
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01/12/2017
Jacques Roubaud, Autobiographie chapitre dix
Évolution
primate de savane sèche, bipède autrefois omnivore, opportuniste, malin et prudent, j’ai été gagné par la crainte en même temps que par la conscience.
Jadis, je m’en souviens, mon cadre naturel était l’herbe plantée de très peu d’arbres cantonnés au bord du lac où se jetait la petite rivière d’Abyssinie. Lucy, jeune australopithèque gracile, m’aidait à chasser l’hipparion, le crabe, le crocodile, l’éléphant même aux défenses alors dirigées vers le bas comme un Vercingétorix.
Lucy est morte, voici trois millions d’années. J’ai conservé près de moi 40% de son squelette, au moment de traverser le boulevard sinistre contre la gueule des camions je recule, et je retourne en arrière jusqu’à ma chambre, pleurer à larmes chaudes sur ses vertèbres.
Jacques Roubaud, Autobiographie chapitre dix, Gallimard, 1977, p. 109-110.
Les amis éditent : Anne-Marie Albiach, inédits et études
La revue Nu(e), dirigée par Béatrice Bonhomme et Hervé Bosio, espace éditorial où s’expérimente la poésie, est également le lieu de l’exercice de l’amitié. Son prochain numéro est consacré à
Anne-Marie AlbIach
Anne-Marie Albiach publie ses premiers poèmes à la fin des années soixante. État paraît en 1971 au Mercure de France. Elle vient de « changer le visage de la poésie ». De son poème, « partition de mots, de phrases, de blocs et d’espaces » monte « une polyphonie d’intonations qui vont de l’austérité à la sensualité même ».
Le volume que lui consacre la revue Nu(e), coordonné par Régis Lefort, rassemble « Intermède ou lapsus », un texte publié dans la revue Amastra-N-Gallar en 2006, des brouillons d’Anne-Marie Albiach, des photographies, des hommages, des études critiques :
- Anne-Marie ALBIACH, « Intermède ou lapsus » • Anne-Marie ALBIACH, Brouillons de poèmes • Régis LEFORT, Le désir ou l’attente • Alain CRESSAN, Géométrie – discontinu – point : figure vocative • Florence JOU, Circuler dans l’œuvre d’Anne-Marie Albiach • Francis COHEN, De la pulsion tangente au volume • Éric DAZZAN, Anne-Marie Albiach : l’existence du terrible : la remémoration • Catherine SOULIER, Résonances circulaires, Notes sur L’EXCÈS : cette mesure • Marie-Antoinette BISSAY, Représentations mouvementées des corps dans l’entrelacs sde l’écriture poétique • Sandrine BÉDOURET-LARRABURU, Une poétique du corps dans Mezza Voce • Marie JOQUEVIEL-BOURJEA, A(nne)-M(arie) A(lbiach) : Nu(e) • Rémi BOUTHONNIER, Une étude linéaire de « Distance : “analogie” » • Françoise DELORME, L’abstraction et l’épreuve du feu, État, une traversée • Abigail LANG, État des lieux. Anne-Marie Albiach, “A”-9 et la poésie américaine
Pour ce numéro de caractère exceptionnel, la revue organise une souscription.
Le volume peut être obtenu au prix promotionnel de 17 euros avant le 30 juin 2018, en renvoyant le talon ci-dessous. Après cette date, la revue sera en vente au prix normal de 20 €.
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Mme/M.
Adresse :
Souhaite … exemplaire(s) du numéro spécial de la revue Nu(e) sur Anne-Marie Albiach au prix de 17 € le numéro (+ 3 € de frais de poste) et paie ce jour le montant :
soit au total € à l’ordre de l’Association Nu(e), avec la mention : « Souscription Anne-Marie Albiach »
par chèque, c/o Béatrice Bonhomme, 29 avenue Primerose, 06000 NICE
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30/11/2017
Esther Tellermann, Carnets à bruire
Dans l’épaisseur
qui rejoint
le trait enfoui
longtemps tu fis
surgir un lieu
grand ouvert
espaces entre
les syllabes défont
les brûlures de
la chaux coulées
tout à coup en amont
de l’érosion.
Esther Tellermann, Carnets à bruire,
La lettre volée, 2014, p. 7.
Les livres amis
Laurent Fourcaut
JOYEUSES PARQUES
Collection DOUTE B.A.T.
212 pages
21.5 cm x 14 cm
ISBN : 978-2-84587-376-6
18 €
Je, soussigné(e)………………………………..
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JOYEUSES PARQUES
au prix unitaire de 18 € (+ 2,50 € de frais de port)
Veuillez trouver ci-joint un chèque de…………€
libellé à l’ordre de :
ÉDITIONS TARABUSTE
Rue du Fort
36170 SAINT-BENOÎT-DU-SAULT
(Fax : 02 54 47 67 65 – Mail : laboutiquedetarabuste@orange.fr)
librairie en ligne : www.laboutiquedetarabuste.
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29/11/2017
Dominique Maurizi, Vacarmes (recension)
Vacarmes comprend des poèmes en prose et de courts poèmes en octosyllabes, extraits d’un recueil à paraître. Comme dans les autres recueils de Dominique Maurizi, l’ensemble forme un récit, conduit par un "je" toujours présent. On sait que le mot "vacarme" s’emploie pour un grand bruit, mais il peut aussi désigner une violente protestation ; les deux sens sont mêlés dans l’usage qui en est fait au pluriel. Vacarmes nombreux qui suscitent l’écriture : il y a d’abord des vacarmes dans le corps, venant des airs (« l’oiseau qui claque des ailes dans mon corps ») ou de la mer, mais "mer" appelle "mère" (« Est-ce la mer que tu entends en moi ? »). Tout aussi présent sont les vacarmes de l’enfance (« les bruits fous de l’enfance ») qui font revenir les moments toujours vifs de l’abandon, celui du père qui n’est que dans les mots (« nous ne nous sommes jamais rencontrés que dans mes phrases »). D’autres vacarmes interdisent à toute vie de s’épanouir, parce qu’impossibles à faire disparaître, ceux des morts dont les « bruits trépignent dans mon sommeil ».
Ces vacarmes suscitent le retour de « ça parle », de l’écriture ; ils en sont la matière même, motifs qui nourrissent la vie intérieure, qui emplissent le temps de vivre. En même temps ils mènent à la rupture avec les bruits du monde, du moins avec ce qui risquerait de troubler le monologue intérieur (« Je voyage dedans ») qui passe par l’écriture la nuit. Si, au fil du texte, des figures apparaissent, comme celle du père, il ne s’agit que de mots, des pronoms derrière lesquels aucun sujet n’est visible : vous, toi, elles, les.
Cependant, dans un poème en vers comptés où est dit le retrait du "je" (« chacun seul »), est exprimée une relation privilégiée à Emily Dickinson, ou plutôt à un aspect de sa poésie. Comme pour mimer un dialogue entre elle et la poétesse américaine, Dominique Maurizy cite les deux premiers vers d’un poème célèbre, en en traduisant en français un fragment, : « I’m Nobody ! Qui es-tu ? Are you — Nobody — Too ? ». Citons la première strophe entière :
I’m Nobody ! Who are you ?
Are you — Nobody _ too ?
Then thre’s a pair of us !
Dont tell ! they’d banish us you know !
Je ne suis personne ! Et vous ?
Personne — non plus ?
Alors nous faisons la paire !
Chut ! on nous bannirait — savez-vous ? (1)
Une autre écrivaine apparaît dans Vacarmes, dans le poème de clôture. Le choix est significatif puisqu’il s’agit d’Ingeborg Bachmann qui, d’un point de vue féministe, entreprit de renouveler la langue allemande. C’est aussi dans ce poème de clôture que sont évoqués des éléments de la nature (mer, eau, fleurs, branche d’un arbre) ; ils sont « donnés » à Bachmann par un "je" qui dit être née par la « voix du poème », et à la poétesse est associé le prénom de Celan, avec une allusion à sa volonté de rénovation de l’allemand (« pour Lenz, pour Paul et la montagne »).
Emily Dickinson et Ingeborg Bachmann, deux pôles différents de l’écriture, deux voies/voix dont on lit des échos chez Dominique Maurizy qui, d’un recueil à l’autre, pose la question de la création poétique à partir de la lente construction d’un univers particulier. Lisons maintenant Vacarmes avant de le retrouver intégré dans Plein feu, à paraître.
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- Emily Dickinson, Y aura-t-il pour de vrai un matin, édition bilingue ; traduit et présenté par Claire Malroux, José Corti, 2008, p. 252-253
Dominique Maurizi, Vacarmes, le phare du cousseix, 2017, 16 p., 7 €. Cette note d lecture a été publiée sur Sitaudis le 5 novembre 2017.
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28/11/2017
Cole Swensen, Le Nôtre (traduction Maïtreyi et Nicolas Pesquès)
Parce qu’un jardin doit finir
Le Nôtre mit fin au monde
par un saut-de-loup, qui consiste à mettre une bête sauvage dans l’allée centrale :
un plan de coupe dans un coin du dessin
le montre clairement — il est suspendu dans un arc
sous lequel les enfants courent en riant
s’engouffrant dans les portes fenêtres
où ils disparaissent comme du verre dans de l’eau pour le dire autrement
c’est une douve sèche
qui tient le monde à distance tandis que la vision va tout droit sans encombre,
le temps et le cadre
déployés le long d’une élégance que chevauche un tendre loup juste au-dessus du sol.
Topiaire-moi un ciel ; donne-lui la forme d’un esprit.
Cole Swensen, Le Nôtre, traduction Maïtreyi et Nicolas Pesquès, éditions Corti, 2013, p. 35.
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27/11/2017
Eaux de rivières et d'étangs : reflets
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26/11/2017
Jean-Baptiste Courtois, Théorèmes de la nature
Un monstre urbain à tête de non monstre est né et croît. Pollen urbain et pollen périurbain, polluants urbains périurbains et extra urbains, polluants et polluants fusionnent en une seule molécule d’apparition croissante. Les polluants entraînent les pollens (stables plantes) davantage de polluants liant davantage de pollens (stables arbres). Il y a un et leur mélange est de corrélation stricte donnant (science chimique végétal) la règle des hausses d’introjections parce que hausse de projections. Les villes rénovent en circuit haute définition la haute consommation de leur hypersyntaxe florale.
Jean-Baptiste Courtois, Théorèmes de la nature, NOUS, 2017, p. 71.
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25/11/2017
Esther Salmona, Amenées
Déménagements
28 décembre 2013, 1h27. Les tasses en porcelaine de Limoges, les vertes, les sous-tasses, le maillot de bain motif arlequin doré orange marron bleu, le buffet Henri ii, les patères en plastique blanc, les boîtes en bois à crochet métal, le rond d’usure petit creux plus clair dans les fibres, les valises marron bordeaux sky beige, les cartons vides motif cannelé en relief, l’aquarelle du clocher, les deux chromos retouchés — scène de rivière —, le parquet à chevrons, le bac de douche carré, les cendriers en métal « Canada »,, « Machinery », le coquillage blanc — bords sombres — « Souvenir de Constantinople », la tenture rouge sombre devant la porte d’entrée, le papier cadeau, les Tupperware, le pèse-personne dessus vénilia orange, le petit plateau en bois au dessus en verre, un paon mordoré s’en allant par plaques […]
Esther Salmona, Amenées, Éric Pesty éditeur, 2017, np.
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24/11/2017
Georges Perros, Papiers collés
Papiers collés
En amour tout s’annule au fur et à mesure. Tout est à refaire à chaque instant. Deux amants sont hors du temps. Suspension de l’horaire. La mort ne retrouvera nulle part ces heures qui lui furent signalées. Elle déménagera tout, mais en vain cherchera le temps d’amour, qui est son sosie.
L’impossibilité d’aimer sans avoir envie d’être aimé soi-même retire toute grâce à ce sentiment.
On injurie perpétuellement ceux qu’on aime. Ils font semblant de ne pas s’en apercevoir, tout occupés qu’ils sont à cacher leur injure personnelle. Et ainsi de suite.
Ce qui m’intéresse, c’est ce qui m’échappe. Et ce qui m’échappe me donne la mesure de ce que je suis.
L’amour fait faire des choses qui annulent l’amour.
Georges Perros, Papiers collés, dans Œuvre, édition Thierry Gillybœuf, Quarto/Gallimard, 2017, p. 402, 409, 415, 417, 421.
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23/11/2017
Georges Perros, Poèmes bleus, dans Œuvres (Quarto/Gallimard)
Gaietés lyriques
Si vous cherchez bien
Vous verrez
Des visages
L’enfer s’y promène
Si vous cherchez mal
Vous saurez où surnagent
Nos âmes sereines
Le caméléon de l’amour
Y change ses couleurs fauves
La tristesse de vivre ici
Ferme l’œil bête des alcôves
Nous n’irons plus au bois
L’été
Ressemble trop au carnaval
Squelettes vains
Nous n’irons plus ; le mal lointain
S’est à nouveau pris dans nos pièges
La vie est un bouchon de liège
Elle flotte au gré des humeurs
De l’éternel qui passe vite
À travers nos cœurs désertés.
Georges Perros, Poèmes bleus, dans Œuvres,
édition Thierry Gillybœuf, Quarto/Gallimard,
2017, p. 587-588.
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22/11/2017
Georges Perros, Henri Thomas, Correspondance 1960-1977 : recension
Une bonne partie de la correspondance de Georges Perros (mort en 1978) a été publiée à partir de 1980 et son œuvre est rassemblée en un volume (Quarto / Gallimard, novembre 2017) préparé par Thierry Gillibœuf, à qui l’on doit déjà l’édition de la correspondance avec Jean Paulhan (éditions Claire Paulhan, 2009). Il est bon de lire les lettres de G. P. échangées avec Henri Thomas (1912-1993), dont les poèmes, romans, récits et essais — une quarantaine de volumes —, presque tous chez Gallimard, n’ont pas encore été rassemblés.
Henri Thomas enseignait la littérature française aux États-Unis, à Boston, quand il a reçu Papiers collés à leur parution en 1960, second livre publié par G. P. après Poèmes bleus, tous deux dans la collection "Le Chemin" fondée par Georges Lambrichs chez Gallimard. Cet envoi marque le début de la correspondance entre les deux écrivains. Ils se rencontrèrent peu, quelquefois à Paris, H. T. différant à plusieurs reprises un séjour à Douarnenez où vivait G. P. ; il se demandait en 1964 quand il ferait le voyage et écrivait en août 1967, « Douarnenez me reste inconnu pour un temps encore », et six ans plus tard, « Je fais toujours le songe d’aller vous voir à Douarnenez ».
Il s’y est enfin rendu en 1975, après que G. P. eut appris qu’il était atteint d’un cancer de la gorge. Cette année-là, G. P. avait obtenu une année sabbatique. Il a subi une ablation de cordes vocales à Marseille, où il était soigné ; rééduqué, comme d’autres malades, pour que soit rétablie une forme élémentaire de communication, il racontait les tentatives « pour retrouver une parole œsophagienne », en concluant « On s’est parfois plaint de ma parole. On pourra maintenant s’énerver de mon silence. » H. T. est revenu à Douarnenez en décembre 1977, un mois avant la mort de son ami, le 24 janvier 1978. L’amitié entre eux s’est d’abord fondée sur la reconnaissance réciproque d’une écriture. G. P. se retrouvait dans les études critiques de H. T., celles par exemple de La Chasse aux trésors dont il écrit, « Vous avez la dureté des poètes. Et leur tendresse » ; recevant Le Parjure, il y lit « ce déchirement d’être là plutôt qu’ailleurs » et regrette de si peu connaître son auteur, ajoutant « Je me sens moins seul, à vous imaginer ».
Tous deux avaient également des manières analogues de voir et de penser les choses du monde. Les considérations de G. P. sont d’un homme sans illusions, « La vie, ça tient dans un dé à coudre. Mais, faut se taper tout le reste », et les conclusions de H. T. à propos de son activité ne le sont pas moins quand il confie, « écrire est mon seul mode d’être en vie ». La proximité de vues n’a pourtant conduit que fort tardivement au tutoiement et ce n’est qu’à partir de juillet 1975 qu’il est devenu de mise, G. P. sollicitant alors un article sur Corbière pour une revue amie, Ubacs.
Leur correspondance a été relativement peu importante : 32 lettres de G. P., 26 de H. T., aucune par exemple entre 1964 et 1967, entre 1969 et 1972, peut-être parce qu’aucune n’a été retrouvée pour ces périodes. La maladie de G. P. change la relation épistolaire, puisque 16 lettres ont été écrites par l’un et l’autre de 1976 à décembre 1977. Comme plusieurs de G. P., celles de H. T. ont été alors plus développées ; il rapportait, notamment, les déboires amoureux de sa fille en Grande-Bretagne, donnait des nouvelles de la Nouvelle Revue Française (Lambrichs en a pris la direction en 1977), ou brodait autour des aventures d’un chat qui, recueilli dans son appartement et apporté en banlieue chez Pierre Leyris, avait finalement disparu — anecdote que connaissait G. P. : elle lui avait été relatée par Paul de Roux. L’amitié passait par la correspondance, dont H. T. souligne régulièrement l’importance pour lui ; ainsi : « Je reçois tes deux lettres qui font ma joie. Il me semble que je vis, ça ne m’arrive pas si souvent » (25 février 1977), et un peu plus tard, il s’émeut de « cette flambée d’amitié, qui me vient de toi, et me fait croire à la vie. C’est plus étrange que je ne le dis là » (8 mars 1977). Mais l’amitié se manifestait aussi autrement ; invité à l’émission de Claude Royet-Journoud, "Poésie interrompue »", G. P. lit des poèmes de H. T. et il écrit, en 1977, la 4ème de couverture de La Nuit de Londres repris dans la collection "L’imaginaire".
On lira la préface de Jean Roudaut *, qui définit finement sa relation aux deux hommes, « nous nous plaisions non par la similitude de ce que nous étions mais de ce qui nous manquait ». Dans la postface il propose un portrait de l’un et l’autre ; ils sont suivis d’une évocation de G. P. par H. T., parue dans la revue Ubacs en 1984, et d’un extrait des Papiers collés, 2 (1973) consacré à H. T. L’établissement d’une telle correspondance est affaire délicate : des lettres ne sont pas datées, les événements passés sont plus ou moins compréhensibles, etc. ; Thierry Bouchard fait revivre ces lettres sans les surcharger d’explications mais, toujours précis, il suggère par ses notes d’autres lectures. Cette édition est une réussite qui complète heureusement les volumes de correspondance déjà parus de Georges Perros — on ne connaît qu’un Choix de lettres de Henri Thomas (Gallimard, 2003).
Georges Perros, Henri Thomas, Correspondance, 1960-1977, collection Thierry Bouchard, Fario, 2017, 166 p., 15 €. Cette note de lecture a été publiée sur Sitaudis le 7 novembre 2017
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21/11/2017
Daniel Biga, Octobre, Journal suivi d'un entretien avec l'auteur
Mardi 29 — Dans une laitue cueillie à Saint-Martin il y a deux ou trois semaines nous avions trouvé un minuscule escargot encore transparent. Couple stérile nous décidâmes de l’élever dans notre foyer… Dans un grand bocal nous essayâmes de lui aménager une domaine confortable et personnalisé : au fond des cailloux et une motte de sa terre natale où nous appliquâmes quelques herbes Voilà pour le logis… Pour la nourriture une ou deux feuilles de salade toujours renouvelées Cependant par esprit de contradiction d’aventure ou pour toute autre raison notre enfant limaçon était souvent en balade hors du bocal Plusieurs fois nous le trouvâmes sur la table dans l’évier ou dans le compotier blotti au creux d’une pomme C’était dangereux : en prenant un fruit il était si facile de l’écraser sans même s’en apercevoir ! Une fois même après avoir vidé les ordures je le retrouvai collé à la paroi du seau Il revenait de loin ! Afin de le préserver de son esprit aventureux (voir La Fontaine) Birgit ferma le bocal d’un couvercle de plastique percé de trous d’aération… cependant j’avais scrupule de le laisser enfermé et j’enlevai souvent ce couvercle Ainsi lentement nous l’avons vu grossir et en me quittant ma femme me le confia mais ce matin il n’est plus ici Finalement après l’avoir longtemps cherché j’en déduis que j’ai dû l’écraser hier soir sous ma semelle : à 20 cm à peine de la poubelle libératrice j’ai en effet repéré sur le carrelage sale entre autres marques une petite tache mouillée gluante au toucher
Daniel Biga, Octobre, Journal suivi d’un entretien avec l’auteur, Unes, 2017, p. 64.
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20/11/2017
Fernando Pessoa, Pour un "Cancioneiro"
Ma vie aura été, en somme,
Autant subalterne qu’obscure,
Sans bonne ni mauvaise part,
Ombres de haillons dans la brume.
Comme un caissier je suis resté
Posté derrière un guichet nul :
Poète ou amant, nul Catulle
Ne devient conseiller d’État.
Et même quand on m’a aimé
Il semble que l’on m’offensait.
L’habit humain dont j’ai été lardé
Ses boutons même ont tous sauté.
Me voici calme, un peu plus sûr
Un tant soit peu moi désormais :
Voyant, après coup, le portail ouvert,
Mais disant toujours : "Ce n’est pas chez moi".
Fernando Pessoa, Pour un « Cancioneiro », dans Œuvres
poétiques, édition Patrick Quillier, Pléiade/Gallimard, 2001.
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