09/05/2018
Olivier Apert, Si et seulement si
projections de jour
salle de projection privée — le luxe — me-
direz-vous-vous— une simple habitude dont on ne peut se défaire
projection privée à l’écoute de l’aveugle obscène :
des fureurs qu’entend-il : : ?
d’immondes jouissances
*
projection privée — qu’entends-je moi-même si
ce n’est dérision cynisme par l’aube en délabrement :
clichésdouteseaoutsréceptionssynonymesbals : :
enfin une vraie péripatéticienne avec ses dents
d’en avant soufflées par les vents en poupe : : :
ça broute les méninges
*
salle de projection privée : ça vole bas :
voulez-vous des recettes peaufinées par mon cuisinier : :
assurément un disciple de carême : : :
gâte-sauce impuni, une broche à la main : : : :
il paierait cher sa démission, inopinée
*
alors, il faut savoir s’arrêter — juste au bord de l’intelligence
Olivier Apert, Si et seulement si, Lanskine, 2018, p. 30-31.
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20/10/2016
Thomas Bernhard, Mes prix littéraires
Discours de la remise du prix d’État autrichien
Il n’y a rien à célébrer, rien à condamner, rien à dénoncer, mais il y a beaucoup de choses dérisoires, tout est dérisoire quand on songe à la mort.
On traverse l’existence affecté, inaffecté, on entre en scène et on la quitte, tout est interchangeable, plus ou moins bien rodé au grand magasin d’accessoires qu’est l’État : erreur ! ce qu’on voit : un peuple qui ne se doute de rien, un beau pays — des pères morts consciencieusement dénués de con science, des gens dans la simplicité et la bassesse, la pauvreté de leurs besoins… Rien que des antécédents hautement philosophiques, et insupportables. Les époques sont insanes, le démoniaque en nous est un éternel cachot patriotique au fond duquel la bêtise et la brutalité sont devenues les éléments de notre détresse quotidienne. L’État est une structure condamnée à l’échec permanent, le peuple une structure perpétuellement condamnée à l’infamie et à l’indigence d’esprit. La vie est désespérance, à laquelle s’adossent les philosophies, mais qui en fin de compte condamne tout à la folie.
Thomas Bernhard, Mes prix littéraires, 2010, p. 142-143.
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09/06/2014
Samuel Beckett, Lettres, I, 1929-1940
[à propos de son roman Murphy, qui sera publié en anglais en 1938]
[l'éditeur] m'exhorte à faire l'ablation de 33.3 %, fraction éternellement périodique, de mon œuvre. J'ai eu l'idée d'un meilleur plan. Prendre tous les 500es mots, ponctuer soigneusement et publier un poème en prose dans le Paris Daily Mail. Puis publier le reste en édition séparée et privée [...] comme les délires d'un schizoïde, ou en feuilleton, dans le Zeitschrift für Kitsch. Ma prochaine œuvre sera sur du papier de riz enroulé autour d'une bobine, avec une ligne perforée tous les quinze centimètres et en vente chez Boots. La longueur de chaque chapitre sera soigneusement calculée pour laisser libre mouvement à l'utilisateur moyen. Et avec chaque exemplaire un échantillon gratuit de quelque laxatif pour promouvoir les ventes. Les Bouquins Beckett pour vos Boyaux, Jésus in péto. Vendu en papier impérissable. Des rouleaux en duvet de chardon. Tous les bords désinfectés. 1000 occasions de s'essuyer en rigolant un bon coup. Également en braille pour le prurit anal. Tout en Sturm et pas de Drang.
J'ai répondu, chère *agente provocatrice*, que je ne laisserai pas toucher à la section intitulée Amoe Intellectualis, etc., ni àThema Coeli, ni à l'Affense Endon, ni aux dernières volontés et fondement, mais que pour tout ce qui concernait le reste, j'enlèverais volontiers tous les liens et supports, larmiers, clés de voûte, pierres angulaires, arcs-boutants, et, avec un plaisir particulier, l'ensemble des fondations, et accepterais la pleine et entière responsabilité du détritus qui s'ensuivrait. On s'en remettrait aux chouettes, chats, renards et crapauds de la critique universitaire pour compléter le tableau, tableau romantique.
Samuel Beckett, "Lettre à Mary Manning Howe, 14/11/36", dans Lettres, I, 1929-1940, édition établie par G. Craig, M. Dow Fesenfeld, D. Gunn et L. More Overbeck, traduit par André Topia, Gallimard, 2014, p. 444.
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