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13/02/2021

Julien Gracq, Nœuds de vie

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(...)Le sentier herbeux qui se glisse le long de le Loire entre deux jardinets d’un côté, et de l’autre la rangée de frênes et de saules de la berge, ouvre entre fleuve et jardins une promenade couverte, un bout de monde à la fois scintillant et fleuri qui semble fait pour protéger et cacher dans chaque maison autant de bonheurs domestiques tapis entre rosiers et haricots. Dans le plaisir que j’ai éprouvé à me glisser pour la première fois le long de ce sentier humblement enchanté jouait quelque chose du déclic magique que le rêve assez souvent procure, mais aussi quelquefois lorsque, par une porte clandestine, par un passage caché, un lieu attirant et familier débouche soudain pour nous sur un autre, insoupçonné, et plus attirant encore. Comme si dans ce passage, un peu miraculeux à la quintessence, si soudain et si aisé, une capacité de profusion, d’excès dans le don se révélait à nous, qui nous laisse à la fois souriants d’aise et presque incrédules, comme lorsque dans le château enchanté des contes, la salle à manger où le chevaucheur épuisé trouve devant lui la table toute servie, se révèle n’être en fait que l’antichambre de la salle aux trésors.

 

Julien Gracq, Nœuds de vie, Corti, 2021, p. 21.

 

28/04/2018

Gisèle Prassinos, La vie la voix

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Aux abords de la ville    les maisons sont debout

Ici    elles sortent à peine du blanc.

La route sous les pieds    qui descend

le double rayon des roues.

Bâtons sur la page    les jardins morts.

La manche autour de mon cou

pour le bonheur.

Les doigts sans réponse

fleuriront au retour.

 

 

Le pont

le parapet

le précipice.

 

 

La tête bien sculptée sort du magasin

dans ses bras    une jacinthe se compare

sa bouche est le verre où je ne puis boire

pour elle on choisit le carmin

et le sucre des soirs.

 

 

L’idée du précipice

le parapet

le pont courant dans la nuit

le dernier funambule

vers la magie.

 

Gisèle Prassinos, La vie la voix, Flammarion, 1978, p. 55.

 

20/08/2015

Edward Estlin Cummings, Paris

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plus

pâle

          que tous les pourquois

tapis

entre tes omoplates découvertes. — Voici

venir un solide gaillard en sarrau

de l’autre côté de la fenêtre, touchant les becs

de gaz un à un de sa canne

magique (au bout de laquelle une boule

de feu bouillonne enthousiaste)

                                                              vois

 

là et là ça explose

silencieux en crocus d’éclats.     (Cela fait bien assez

de vie pour toi.    Je comprends.    Une fois

encore...) glissant

 

un peu plus bas ; embrasse-moi de ton corps soudain

incurvant de complètes questions chaudes

 

Edward Estlin Cummings, Paris, traduit de l’anglais et présenté par

Jacques Demarcq, Seghers, 2014, p. 33.