31/10/2022
Dominique Quélen, Une quantité discrète
On n’a rien ces mors seuls en français de langue arrivée là si c’est bien elle. Et se casser la gueule aussi sous la férule un plancher déformé qui traîne. Un étui qui se déverse et n’a pour être séparé de peau ni la surface ou prairie dans laquelle il a plu très violemment.. Pénétrant dans l’habitacle immergé les orties qu’on finit par entrer dans ce vase une cachette ou quoi d’autre laissé par inertie tremblant sous l’aspect de papiers minuscules un endroit jusqu’ici qu’un puisard une autre leçon garde un feu des allumettes.
Dominique Quélen, Une quantité discrète, Rehauts, 2022, p. 31.
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29/07/2022
Dominique Quélen, Une quantité discrète
L’idée du poème traverse le poème en n’y laissant aucune trace. Il s’ouvre de toutes part à l’intérieur d’un espace clos qui est le poème même et le poème encore à venir dont il contient déjà la trace. Nulle part à l’intérieur de l’espace du poème n’est visible une trace identique à la trace laissée par l’idée du poème à travers la représentation figurée du poème à venir. Tout l’espace du poème est laissé vacant pour être occupé par la trace encore invisible qu’il ne cesse de contenir.
Dominique Quélen, Une quantité discrète, Rehauts, 2022, p. 69.
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26/10/2019
Dominique Quélen, Avec et sans oiseaux
Avec et sans oiseaux
Qu’on apprivoise un chardonneret et un dé à coudre lui est un petit seau avec lequel il va puiser de l’eau dans un verre. Si ce dé, au lieu d’un verre ou d’un ase, est àmoitié vide ou plein, une goutte d’eau suffit presque à le faire déborder. Ce presque suggère un changement d’angle, d’autres propositions, le fait de laisser remonter à la surface un peu de sable qu’on a déposé au fond et qui est composé de galets minuscules. Dans un temps défini, les densités sont inversées. Un objet contient à son tour celui qui le contient.
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Dominique Quélen, "Avec et sans oiseaux", dans Rehauts, n°44, octobre 2019, p. 9. Photo Laurence-Quélen.
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02/05/2018
La tête et les cornes, n° 5, printemps 2018 : recension
La dernière livraison de La tête et les cornes a sa forme habituelle, soit des pages agrafées (36), sur papier bleu ciel, et une couverture à déplier pour, à l’intérieur, retrouver une vue de la bibliothèque de Claude Royet-Journoud, préparée par Yohanna My Nguyen ; contre les étagères où sont rangés les livres, tous de langue anglaise, est posé un portrait du poète anglais Tom Raworth. Un sort particulier est réservé au texte de Michèle Métail, "Cent vues du Japon" ; il fait l’objet d’un tiré-à-part sur une page bleu Rembrandt, format 21x27, pliée. On compte bien cent "vues", texte continu en capitales, avec caractères en romain et en italique mêlés, le passage d’une vue à l’autre marqué par une esperluète (&) en gras. Les notations portent toutes sur des éléments de la vie quotidienne, aussi bien sur les toilettes publiques maintenant avec tableau connecté (« DÉSORMAISON PISSEHIGHTECH ») que sur la nourriture :
&LEsNOUILLESUDOAUXLÉGUMESDAUTOMNEÇAGLISSEENTRELESBAGUETTESSEDÉROBETOMBEDANSLEBOUILLONASPERGELATABLE
Il s’agit d’un texte ouvert : la dernière vue ouvre sur une suite possible :
&LESTECHNOSTIRENTLESCÂBLE/SCONSOLEÀTRÉTEAUXHAUTSPARLEURSSURPIEDPROJOSDAMBIANCE/ÇACOMMENCEDANS
DEUXHEURES
Cette manipulation de la langue, attentive le plus souvent à ce qui est le plus éphémère dans la vie, perturbe complètement les habitudes de lecture. D’une autre manière le long poème de Dominique Quélen, "La gestion des espaces communs", constitué de strophes en prose de longueur inégale, est tout autant dérangeant. Il commence par une question, à laquelle aucune réponse n’est donnée : « Combien sommes-nous au juste ? On ne sait pas, ni comment opérer » ; ou plutôt à « combien » ne peut répondre que « l’idée de nombre, de quantité, d’absence, de hiérarchie ». Donc, est donné un exemple : « Nous avons quitté la forêt depuis un certain nombre de jours. » Le "nous" est présent tout au long du poème, sans contenu précis, sinon qu’il est constitué d’un certain nombre de « chacun » ; les mots, ou du moins quelques-uns, valent comme choses : « Ce mot, couteau, pour ouvrir le corps en deux », et « choses » s’entend comme « shoes » (=chaussures). Il y a dans ces deux exemples comme un jeu de miroir, une symétrie qui semble être un des principes de construction du texte ; on relève en effet tout au long des "paires" telles que « les mots employés / qui seront employés », « les distances disparaissent / d’autres les remplacent », « rare / fréquent », « avant / après », « un instant / toute la durée », « bonne / mauvaise », etc., et, dans le miroir, A = A avec « « une chose / la même ». La clé de cette construction est d’ailleurs signalée avec « Le goût de la symétrie : un de chaque côté, un de chaque sorte, etc. ».
Les douze poèmes en prose de Ben Lerner, titrés "Angle de lacet" et traduits par Virginie Poitrasson, sont dans la tradition d’une partie de la poésie américaine : sans être du tout des récits, ce sont des variations à propos du monde contemporain. C’est le monde du semblant, des jeux vidéos qui se substituent à la réalité et gouvernent les comportements, « inspirant une éruption de massacres dans les lycées », de la difficulté d’être avec autrui, de vivre le désir, de la solitude : « sans enthousiasme, nous avons préféré l’enthousiasme à la vérité ». Cette sombre vision est assez proche de celle du norvégien Paal Bjelke Andersen, dont les poèmes n’ont un semblant de lyrisme que dans le titre qui les rassemble, "Deux images d’une rose dans l’obscurité". Si le premier poème paraît d’abord mettre en avant le sentiment d’un sujet avec l’anaphore « je ressens », il s’éloigne ensuite de ce qui n’appartient qu’à l’individu : le "je" est avant tout un être social, d’où : « je ressens que la guerre d’Afghanistan est une guerre », « je ressens que je suis une partie d’un système » et le renvoi à une analyse de Jacques Rancière. Le poème développe un va-et-vient entre le "je / tu" (l’harmonie) et le "je" dans la société, qui ne peut être que dans la déception ; le capitalisme donne l’illusion que chacun doit « se sentir chez soi partout », alors qu’en aucun lieu on ne peut se sentir « complètement chez [soi] ». Le dernier vers du poème exprime cette difficulté à être dans le monde d’aujourd’hui, en abandonnant le "je" : « Entrer dans une pièce et nous cogner dans des choses ».
On lira encore d’autres traductions, du suédois avec un poème de Marie Silkeberg, et du norvégien avec des poèmes de Jørn H. Sværen et Silje Vethal. Les choix des responsables (Marie de Quatrebarbes, Maël Guesdon et Benoît Berthelier) sont maintenus d’une livraison à l’autre : ouvrir la revue à toutes les langues et, ajoutons-le, à des poètes pas encore (ou très peu) traduits qui appartiennent aux nouvelles générations. On peut acheter ce numéro 5 (8 €) ou s’abonner.
La tête et les cornes, n° 5, printemps 2018, 36 p + 8 p, 8 €
Cette note a été publiée sur Sitaudis le 30 mars 2018.
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