Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/03/2017

Paul Claudel, Connaissance de l'Est

 

paul claudel,connaissance de l’est,le pin,arbre,nature,geste

                                           Le pin

   L’arbre seul, dans la nature, pour une raison typifique, est vertical, avec l’homme.

   Mais un homme se tient debout dans son propre équilibre, et les deux bras qui pendent, dociles, au long de son corps, sont extérieurs à son unité. L’arbre s’exhausse par un effort, et cependant qu’il s’attache à la terre par la prise collective de ses racines, les membres multiples et divergents, atténués jusqu’au tissu fragile et sensible des feuilles, par où il va chercher dans l’air même et la lumière son point d’appui, constituent non seulement son geste, mais son acte essentiel et la condition de sa stature.

   La famille des conifères accuse un caractère propre. J’y aperçois non pas une ramification du tronc dans ses branches, mais leur articulation sur une tige qui demeure unique et distincte, et s’exténue en s’effilant. De quoi le sapin s’offre pour un type avec l’intersection symétrique de ses bois, et dont le schéma essentiel serait une droite coupée de perpendiculaires échelonnées.

(…)

 Paul Claudel, Connaissance de l’Est, Poésie / Gallimard, 1974 (Mercure de France, 1900), p. 101-102.

27/12/2016

Eugène Savitzkaya, À la cyprine

                                      Eugène Savitzkaya, à la cyprine, nature, mort, vie, vide, néant

Crosse de la fougère née de la décomposition du monde, volubilis issu des boues, âpre arum urticant, ortie comme bouclier, boucle du liseron se propageant selon le métré précis qu’indique l’amas des racines, et coiffant les buissons de cassis, enroulement et déroulement, vie après mort, mort après vie, semant, perdant, poussant contre les murs du vide et du néant et rompant la pierre comme pain sec

 

Eugène Savitzkaya, À la cyprine, les éditions de Minuit, 2015, p. 60.

12/08/2016

Claude Dourguin, Points de feu

                                                  278b311cfc.jpg

   Bien sûr, le seul « monde meilleur », celui où nous sommes heureux sans limite jamais imposée, noud accomplissons, c’est celui de l’art. Ce qui était pressentiment dans la jeunesse, horizon tentateur sinon promis, devient au fil de la vie, une certitude, la seule consolation, le seul destin qui vaille. À condition, cependant, que le flux des jours ne le déserte pas, qu’il soit irrigué par le monde d’ici, ne se sépare pas du terreau de la vie.

 

   L’inacceptable, ce serait le monde désenchanté – n‘être plus surpris, ému, heureux sans raison face à l’arbre qui s’étire tout seul dans le champ vaste, face au liseré de neige qui hisse les montagnes au ciel, au bruit de la fontaine au seuil de la nuit, quand parvient soudain aux narines l’odeur de feu d’une cheminée, celle des coings mûrs aux abords de la haie ; à seulement marcher et voir se poursuivre le chemin là-bas de l’autre côté de la vallée.

 

Claude Dourguin, Points de feu, Corti, 2016, p. 37, 57.

29/05/2016

Alberto Giacometti, Écrits

                                        2271.jpg

   Enfant, j’avais plutôt l’envie d’illustrer des histoires. Et puis, assez vite, j’ai commencé à dessiner d’après nature, et j’avais l’impression que je dominais tellement mon affaire que je faisais exactement ce que je voulais. J’étais d’une prétention, à dix ans… Je m’admirais, j’avais l’impression de pouvoir tout faire, avec ce moyen formidable : le dessin ; que je pouvais dessiner n’importe quoi, que je voyais clair comme personne. Et j’avais commencé à faire de la sculpture vers 14 ans, un petit buste. Et là aussi cela marchait ! J’avais l’impression qu’entre ma vision et la possibilité de faire, il n’y avait aucune difficulté. Je dominai ma vision, c’était le paradis et cela a duré jusque vers 18-19 ans, où j’ai eu l’impression que je ne savais plus rien faire du tout ! Cela s’est dégradé peu à peu… La réalité me fuyait. Avant je croyais voit très clairement les choses, une espèce d’intimité avec le tout, avec l’univers.. Et puis tout d’un coup, il devient étranger. Vous êtes vous et il y a l’univers dehors, qui devient très exactement obscur… J’essayais de faire mon portrait d’après nature, et j’étais conscient que ce que je voyais, il était totalement impossible de le mettre sur une toile. Laligne — je me rappelle très bien — la ligne qui va de l’oreille au menton, j’ai compris que jamais je ne pourrais copier cela tel que je le vyais, que c’était du domaine pour moi de l’impossibilité absolue. S’acharner dessus, c’ »était absurde, c’en était fini à tout jamais de toute possibilité de copier, même très sommairement, ce que je voyais.

 

Alberto Giacometti, Écrits, Hermann, 1990, p. 261.

14/02/2016

Georges Braque, Le jour et la nuit

                                georges-braque.png

Ceux qui viennent par derrière : les purs, les intacts, les aveugles, les eunuques.

 

Il ne faut pas imiter ce que l’on veut créer.

 

Ceux qui vont de l’avant tournent le dos aux suiveurs. C’est tout ce que les suiveurs méritent.

 

L’Art survole, la Science donne des béquilles.

 

J’ai le souci de me mettre à l’unisson de la nature, bien plus que de la copier.

 

Georges Braque, Le jour et la nuit, Gallimard, 1952, p. 10, 11, 12, 13, 14.

 

06/01/2016

Olivier Domerg, Le temps fait rage

olivier-domerg-2.jpg

                               © Brigitte Pallagi

 

 

pour toute poétique & pour toute morale, ce qui est devant

nous. pont de l’Anchois, un matin d’avril. léger voile malgré

grand soleil, soleil et beau temps. léger voile peut-être du fait

de la petite rivière, là, derrière, en contrebas. tout indique

que ce sentier conduit au refuge qui porte son nom. le plein

d’oiseaux dans les vallons boisés, repousses vert tendre,

crissement des chaussures de marche dans le désert du

sentier. pour toute poétique & pour toute morale, ce qui est

devant nous. je n’ai jamais fini, disait-il, jamais, jamais. elle

est nue, presque unicolore. c’est davantage un éclat lumineux

qu’une couleur. ici, et sur une centaine de mètres, le vacarme

de l’eau domine, prend le dessus sur le ronflement des

voitures qui passent de temps à autre sur la départementale.

petite gorge arborée, cascades, eau claire, remontée de son

amplifié par la caisse de résonance du vallon. pied de la

montagne comme pied du mur ; pareil pour l’écriture. on

entend des rossignols, mais pas que des quantités.

 

Olivier Domerg, Le temps fait rage, Le bleu du ciel, 2015, p. 25.

15/09/2015

Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline

                                    PACK971162477.jpg

L’existence tout de même quel problème

 

J’en ai assez de vivre et non moins de mourir

Que puis-je faire alors ? sinon mourir ou vivre

Mais l’un n’est pas assez et l’autre c’est moisir

Aussi me peut-on voir errer plus ou moins ivre

 

C’est un fait je pourrais écrire un bien beau livre

Où je saurais bêler en me voyant périr

Mais cette activité nullement ne délivre

De faire de la mort l’objet de son désir

 

Les arbres qui marchaient n’inclinaient point leur tête

Les collines courant s’apprêtaient à la fête

De son haut le soleil semait dru ses rayons

 

La nature en ses plis absorbait ses victimes

L’absurde coq chantait ses prouesses minimes

Et je cherchais la rime en rongeant des crayons

 

Raymond Queneau, Le Chien à la mandoline, dans Œuvres complètes, I, Pléiade / Gallimard, 1989, p. 322.

 

 

 

 

03/06/2015

Pier Paolo Pasolini, La rage

pasolini.jpg

Série de photographies de femmes parées de bijoux au théâtre

 

La classe propriétaire de la richesse

Parvenue à une telle familiarité avec la richesse,

qu’elle confond la nature et la richesse.

 

Si perdue dans le monde de la richesse

qu’elle confond l’histoire et la richesse.

 

Si touchée par la grâce de la richesse

qu’elle confond les lois et la richesse.

 

Si adoucie par la richesse

qu’elle attribue à Dieu l’idée de la richesse.

 

Pier Paolo Pasolini, La rage, traduit de l’italien par Patrizia

Atzei et Benoît Casas, NOUS, 2014, p. 105.

11/05/2015

Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois

 

 

                        Pendaison de crémaillère

 

 En octobre je m’en allais grappiller aux marais de la rivière, et m’en revenais avec des récoltes plus précieuses en beauté et parfum qu’en nourriture. Là aussi j’adirai, si je ne les cueillis pas, les canneberges, ces petites gemmes de cire, pendant d’oreille de l’herbe des marais, sortes de perles rouges, que d’un vilain râteau le fermier arrache, laissant le marais lisse en un grincement de dents, les mesurant sans plus au boisseau, au dollar, vendant ainsi la dépouille des prés à Boston et New York ; destinées à la confiture, à satisfaire là-bas les gouts des amants de la Nature. Ainsi les bouchers ratissent les langues des bisons à même l’herbe des prairies, insoucieux de la plante déchirée et pantelante. Le fruit brillant de l’épine-vinette était pareillement de la nourriture pour mes yeux seuls ; mais j’amassai une petite provision de pommes sauvages pour en faire des pommes cuites, celles qu’avaient dédaigné le propriétaire e tles touristes. Lorsque les châtaignes furent mûres j’en mis de côté un demi boisseau pour l’hiver. C’était fort amusant, en cette saison, de courir les bois de châtaigniers alors sans limites de Lincoln, — maintenant ils dorment de leur long sommeil sous la voie de fer — un sac sur l’épaule, et dans la main un bâton pour ouvrir les bogues, car je n’attendais pas toujours la gelée, parmi le bruissement des feuilles, les reproches à haute voix des écureuils rouges et des geais, dont il m’arrivait de voler les fruits déjà entamés, attendu que les bogues choisie par eux ne manquaient pas d’en contenir de bons.

 

Henry David Thoreau, Walden ou La vie dans les bois, traduction L. Fabulet, Gallimard, 1967 [1922].

24/04/2015

Philippe Beck, Élégies Hé

 

philippe beck,Élégies hé,forme,peintre,conte,ville,nature

 

74

 

Le talent anxieux d’une forme

crée l’ambiance de l’oubli.

Attention.

Pudeur sur l’horloge haute

peint la pierre de son image.

Silhouette se pose

devant le télescope du peintre du monde.

Le nez de cuivre et d’or

s’imprime par la fraîcheur.

Cendrillon infinie a goûté la pomme.

Ses jambes de danseuse de bronze

vont de l’avant.

Je me souviens du départ dans le printemps :

les briques anglaises

libèrent le ciel

qui respire inconsciemment.

Le fauve respire la fraïcheur

de cimes, et l’ombre de midi.

Il retrouve la tanière verte

dans des cafés

entourés de briques liées

par l’espace ailé.

Béquille demande espace.

Convalescence infinie commence.

Pour les déductions d’un pays.

Convalescent a des raisons

à midi.

 

Philippe Beck, Élégies Hé, Théâtre Typographique,

2005, p. 93.

13/03/2015

Cesare Pavese, Le métier de vivre

                         Cesare-Pavese-Santo-Stefano-Belbo.jpg

   Que dire si, un jour, les choses naturelles — sources, bois, vignes, campagne — sont absorbées par la ville et escamotées et se rencontrent dans des phrases anciennes ? Elles nous feront l’effet des theoi, des nymphes, du naturel sacré qui surgit d’un vers grec. Alors la simple phrase « il y avait une source » sera émouvante.

 

   Le sentiment terrible que tout ce que l’on fait est de travers, et ce qu’on pense, et ce qu’on est. Rien ne peut te sauver, parce que, quelque décision que tu prennes, tu sais que tu es de travers et en conséquence ta décision l’est aussi.

 

   Avec les autres — même avec la seule personne qui émerge — il faut toujours vivre comme si nous commencions alors et devions finir un instant plus tard.

 

Cesare Pavese, Le métier de vivre, traduction  de l’italien par Michel Arnaud, Gallimard, 1958, p. 249, 251, 256.

04/03/2015

Mary Oliver, American Primitive

    MaryOliver(500x426).jpg

Première neige

 

La neige

a commencé ici

ce matin et continué

toute la journée, sa blanche

rhétorique partout

nous renvoyant au pourquoi, comment,

d’où vient une telle beauté

et quel en est le sens : une telle

fièvre oraculaire ! glissant

devant les fenêtres, une énergie qui semblait

ne jamais devoir se retirer, ne jamais s’apaiser

qu'en beauté ! seulement maintenant,

au coeur de la nuit,

elle s’est enfin arrêtée.

Le silence

est immense,

et les cieux retiennent encore

un million de bougies ; nulle part

les choses familières :

les étoiles, la lune,

l'obscurité que nous attendons

et repoussons tous les soirs. Les arbres

scintillent comme des châteaux

de rubans, les vastes champs

se consument à la lumière, le lit

d'un ruisseau amasse au passage

des collines luisantes

et bien que les questions

qui nous ont assaillis tout le jour

demeurent — pas une seule

réponse trouvée ;

sortir maintenant

dans le silence et la lumière

sous les arbres

et à travers champs,

semble en être une.

 

*

 

 

First snow

 

The snow

began here

this morning and all day

continued, its white

rhetoric everywhere

calling us back to why, how,

whence such beauty and what

the meaning; such

an oracular fever! flowing

past windows, an energy it seemed

would never ebb, never settle

less than lovely! and only now,

deep into night,

it has finally ended.

The silence

is immense,

and the heavens still hold

a million candles; nowhere

the familiar things:

stars, the moon,

the darkness we expect

and nightly turn from. Trees

glitter like castles

of ribbons, the broad fields

smolder with light, a passing

creekbed lies

heaped with shining hills;

and though the questions

that have assailed us all day

remain — not a single

answer has been found —

walking out now

into the silence and the light

under the trees,

and through the fields

feels like one.

 

Mary Oliver, "First snow", extrait de

American Primitive, Back Bay Books,

1983, p. 26-27. Traduction Chantal Tanet

et Melissa Nickerson.

15/02/2015

Emily Dickinson, Le Paradis est au choix, traduction Patrick Reumaux

emily dickinson,le paradis est au choix,patrick reumaux,sielnce,nature,école,mourir,vivre

 

Il n’y a pas de Silence sous terre — aussi silencieux

À endurer

Le formuler découragerait la Nature

Et hanterait le Monde.

 

*

 

Qui était-ce sinon Moi qui gagnait la Hauteur —

Qui étaient-ce sinon Eux, qui échouaient !

Mourir a maints tours dans son sac

S’ils pouvaient vivre, ils le feraient !

 

*

 

Les collines en syllabes Pourpres

Racontent les Aventures du Jour

À de petites bandes de Continents

Qui regagnent leurs Pénates après l’École.

 

*

 

Mourir — sans le Mort 

Vivre — sans la Vie

Telle est la pilule Miracle

Qu’on veut nous faire avaler.

 

Emily Dickinson, Le Paradis est au choix, traduit et

présenté par Patrick Reumaux, Librairie Élisabeth

Brunet, 1998, p. 347.

 

 

11/02/2015

Georges Braque, Le jour et la nuit, carnets 1917-1952

                           6a00d8345167db69e201b7c6eae662970b-800wi.jpg

Nous n’avons jamais de repos : le présent est perpétuel.

 

En art, il n’y a pas d’effet sans entorse à la vérité.

 

Le peintre pense en formes et en couleurs ; l’objet, c’est la poétique.

 

Le peintre ne tâche pas de reconstituer une anecdote, mais de constituer un fait pictural.

 

J’ai le souci de me mettre à l’unisson de la nature, bien plus que de la copier.

 

Écrire n’est pas décrire, peindre n’est pas dépeindre.

 

Georges Braque, Le jour et la nuit, Gallimard, 1952, p. 11, 12, 13, 13, 14, 15.

 

01/01/2015

Guillevic, Coordonnées

 

guillevic,coordonnées,jour,nuit,nature

— À t'entendre on dirait

    Que le jour s'est muré,

    Qu'il ne nous reste sur les yeux

    Que de la nuit martyrisée.

 

— C'est moins que rien, c'est tas d'absence.

    Sommeil et masse.

 

— Le merle veut. Qui dirait mieux ?

    Il parle d'air

    Teinté de sang la nuit dernière.

 

— Sang ou musique,

    On y voit noir.

 

— Peut-être un homme au fond du puits,

    Grimpant encore

    Puisque le noir n'est pas le jour.

 

— Je veux bien, si les roches

    Pratiquent d'autres danses.

 

­— Mais la pervenche a d'autres joies,

    Car elle en dit

    Plus que le pré ne peut en croire.

 

— Le tremblement léger

    Qui n'arrivait à rien

    Qu'à se trouver spirale,

    En voie toujours de se former

    Sans poids ni lieu.

 

— Un champ de seigle, un toit de tuile

    Pour le soleil, et la fillette

    Plus près du seigle que du ciel.

 

— On pourrait faire un jeu

    Où les racines seraient surprises.

    On les verrait qui alimentent.

 

— Presque pareils

    A l'eau du lac avec la terre

    Qui lui fait bol,

    Ainsi nous sommes, quand tu pourras.

 

— Salue, arbre, salue, salue,

    Salue la mer si tu vois loin.

    Vous n'aurez pas

    D'autres amours.

 

Guillevic, Coordonnées, éditions des Trois Collines,

Genève-Paris, 1948, p. 109-111.