21/11/2020
Jude Stéfan, Aux Chiens du soir
Jude Stéfan, 01/07/1930-11/11/2020
les yeux d’Emma
ocre fougère bistre clairière
amande noisette et verdissants
au soir ou tristes éblouis de
liesse absents vacants il y
a tout dans les yeux de ton nom
dans le nom de tes yeux le non
de ta promesse aime et âme et elle
aima souverains offensés bruns
et lus par cœur où sont-ils en-
volés où s’égrène ton rire avec ?
trois fois je suis passé devant
ta maison vide sans leur flamme
Jude Stéfan, Aux Chiens du soir,
‘’Le Chemin’’/Gallimard, 1979, p. 79.
© Photo Tristan Hordé
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jude stéfan, aux chiens du soir | Facebook |
20/11/2020
Jude Stéfan, Que ne suis-je Catulle
Jude Stéfan, 01/07/1930-11/11/2020
thérèse I
premier baiser sous la lune
dans la ruelle au ruisseau
avec perle qui éclaire le
sourire à l’iris brun sou-
dain un rat qui lape l’eau
mollesse des seins
puis flâner, le piano, les pluies,
ta blouse les plantes et le lit
le nu, les bois, les soirs, l’adieu
énorme regret
par ineptie perdue la vie
wie ist es mir geschehn ? comme
à Arnim : que m’est-il arrivé ?
Jude Stéfan, Que ne suis-je Catulle ?
Gallimard, 2010, p. 33.
© Photo Tristan Hordé
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jude stéfan, que ne suis-je catulle ? | Facebook |
19/11/2020
Jude Stéfan, Suites slaves
Jude Stéfan, 01/07/1930-11/11/2020
Suite n°17 : Vers tombeaux.
(...)
il s’écrie / il s’écrit /
la sous la couronne /
St (e) e (nue) fans
qui parle avec énergie
ou
st (r) e (nue) f (ans) anus
qui parle avec énergie aux vieilles /
leur disant leur enjoignant d’encore jouir / fût-ce
de la bouche / c’est pourquoi il fut dit du démon
possédé / dont le nom en hébreu signifie règle aussi
bien / d’encore se défendre contre la mort plus vieille
qu’elles / enjoignant à sa mère à sa sœur aimée aî-
née à sa voisine / avec énergie vaillance guerrière /
strénument / comme mourut son aïeul ivrogne / d’un
net coup de sabot / et lui d’un net coup de pistolet
ou de rasoir (c’était au siècle dernier avant l’expi-
ration de la concession à fausse perpétuité) / avant
l’oubli des herbes et des tombes / un exemple aux autres
de souffrir / régulièrement avec droiture / constamment
agir dans la sincérité de ses faiblesses / la dignité
de son membre et déchets quotidiens / longtemps après
les martyrs / et en bas il lut l’enfant — le nouveau
mourant /
A RAISON L’HERBE
Jude Stéfan Suites slaves, Ryôan-ji, 1983, p. 81.
© Photo Tristan Hordé
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jude stéfan suites slaves | Facebook |
18/11/2020
Jude Stéfan, À la Vieille Parque
Jude Stéfan, 01/07/1920-11/11/2020
à tous morts en 1984
aux chiens du soir répondent les étrons matinaux
quand l’haleine se dit des vents
la bête est sur ses fins
immobile aux coups
un débris des halles
apaisé comme un qui urine entre cerise et rose
sous l’horreur nue de la troisième heure
enlisé George dans tes idylles bergères
les moutons n’ont pas froid à brouter blanc
et chaque année donne leur mort aux noms
Foucault Michaux Cortazar ou Magne
le lexovien
ordure du cœur ordure de l’être
mes doigts crispés aux robes-cuisses mères
Jude Stéfan, À la Vieille Parque, ‘’Le Chemin’’/ Gallimard,
1989, p. 32.
© Photo Tristan Hordé
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jude stéfan, À la vieille parque | Facebook |
17/11/2020
Jude Stéfan, Aux Chiens du soir
Jude Stéfan, 01/07/1930-11/11/2020
sur la grève
a fui l’hiver avec
ses enfants dans les jardins de neige
ici temps et marée n’attendent personne
« en vieil anglais steorfan veut dire
mourir » et si j’en retranche l’or reste
ma vie terne
or voici la sterne la visiteuse d’été
haute là-bas sur la mer
où le cerveau n’est que nuée
à ton interrogation la fleur répond :
efface-toi tout vivant du monde avant
la Mort qui glousse au loin près des épaves
Jude Stéfan, Aux chiens du soir, ‘’Le Chemin’’/
Gallimard, 1979, p. 51.
© Photo Tristan Hordé
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jude stéfan, aux chiens du soir | Facebook |
16/11/2020
Jude Stéfan, Cyprés
Jude Stéfan, 01/07/1930-11/11/ 2020
Sauvez-moi de l’ennui forclos gardez-
moi de a lourde luxure aux dents
noires protégez-moi du froid du monde
évitez-moi la haine des odieux
en votre joie dissolvez toute hantise
l’enfance l’infect la sénilité
écartez en fin l’image de la tombe
réelle ô femmes tendres aidez à l’impossible !
(Suprême charité)
Jude Stéfan, Cyprés, ’’Le Chemin’’/Gallimard,
1967, p. 93.
© Photo Tristan Hordé
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jude stéfan, cyprés | Facebook |
14/11/2020
Giorgio Caproni, Le Mur de la terre
Moi aussi
Moi aussi j’ai essayé.
Ce fut toute une guerre
d’ongles. Mais maintenant je le sais.
Nul ne pourra jamais trouer
le mur de la terre.
Anch’io
Ho provato anch’io.
È stata tutta una guerra
d’unghie. Ma ora so. Nessuno
porrà mai perforare
il muro della terra.
Gorgio Caproni, Le Mur de la terre,
traduction Philippe di Meo, Atelier
La Feugraie, 2002, p. 85 et 84.
13/11/2020
Bohdan Chlibec, Le sang de la bourse
Le conciliateur
La vie ne sera pas leur œuvre,
et même s’ils venaient peupler l’abîme
et que leurs descendants s’entassaient jusqu’aux sommets,
ils resteraient des multiplicateurs du vide,
des reproducteurs du désastre.
Divers peuples vivent encore et toujours
innombrables, mais sans un seul homme.
Des portes barricadées, voilà
ce qu’ils poussent devant eux.
Bohdan Chlibec, Le sang de la bourse, traduction du tchèque
Petr Zavadil et Cédric Demangeot, éditions Fissile,
2020, p. 15.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bohdan chlibec, le sang de la bourse, abîme, vide, désastre | Facebook |
12/11/2020
John Clare, Poèmes et proses de la folie de John Clare
Automne
Le duvet de chardon sauvage
Bien que les vents soient tous tranquilles
Tantôt là sur le pâturage
Tantôt gravissant la colline
Le courant qui vient de la source
À présent bout comme un chaudron
Et franchit d’innombrables pierres
En bouillonnant à gros bouillons.
Le sol racorni craquelé
A la mine d’un pain trop cuit
Le gazon vert est saccagé
Ses tiges desséchées sans vie
Les jachères comme de l’eau
Miroitent à perte de vue
Les fils de la vierge tremblotent
D’une herbe à l’autre suspendus.
Les collines tel un fer ardent
Brûlent à leur faîte au soleil
Et les ruisselets dans leur cours
Flambent clair à de l’or pareils
L’air aussi est de l’or liquide
La terre brûle comme un four
Quiconque promène les yeux
Voit l’Éternité alentour.
John Clare, Poèmes et proses de la folie
de John Clare, traduction Pierre Leyris,
Mercure de France, 1969, p. 99 et 101.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
11/11/2020
Dylan Thomas, Et la mort n'aura pas d'empire
Et la mort n’aura pas d’empire
Et la mort n’aura pas d’empire.
Les morts nus ne feront plus qu’un
Avec l’homme dans le vent et la lune d’ouest.
Quand leurs os becquetés seront propres, à leur place
Ils auront des étoiles au coude et au pied.
Même s’ils deviennent fous ils seront guéris,
Même s’ils coulent à pic ils reprendront pied
Même si les amants s’égarent l’amour demeurera
Et la mort n’aura pas d’empire.
Et la mort n’aura pas d’empire.
Gisant de tout leur long dans les dédales
De la mer ils ne mourront pas dans les vents.
Se tordant sur des chevalets quand céderont leurs muscles,
Ligotés sur une roue, ils ne se briseront pas.
La foi dans leurs mains cassera net,
Les démons unicornes les transperceront.
Fendus de toutes part ils ne craqueront pas
Et la mort n’aura pas d’empire.
Et la mort n’aura pas d’empire.
Ils n’entendront peut-être plus les cris des mouettes
Ni le déferlement des vagues sur les rives.
Là où s’ouvrait une fleur, peut-être qu’aucune fleur
Ne montrera sa tête aux rafales de la pluie.
Même s’ils sont fous et morts, tout à fait morts
Leurs têtes comme des marteaux enfonceront les marguerites,
S’ouvriront au soleil jusqu’au dernier jour du soleil
Et la mort n’aura pas d’empire.
Dylan Thomas, Poèmes, traduction Patrick Reumaux, dans
Œuvres I, Seuil, 1970, p. 413.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : dylan thomas, et la mort n'aura pas d'empire, mouette | Facebook |
10/11/2020
Gottfried Benn, Poèmes
Un mot
Un mot, une phrase — ; des lettres montent
vie reconnue et sens qui fulgurent,
le soleil s’arrête, les sphères se taisent,
tout se concentre vers ce mot.
Un mot — un éclat, un vol, un feu,
un jet de flammes, un passage d’étoiles —
puis à nouveau le sombre le terrible
dans l’espace vide autour du moi et du monde.
Gottfried Benn, Poèmes, traduction Pierre Garnier,
Gallimard, 1972, p. 249.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gottfried benn, poèmes, pierre garnier, mot, phrase | Facebook |
08/11/2020
Jean-Baptiste Para, Une semaine dans la vie de Mona Grembo
Septième jour
À quel point jamais on ne dira
à quel point de silence et de nord
l’hiver ému m’a restaurée de gelée blanche
N’ayant plus de peau je choisissais la pierre
et la vérité qui fait de nous
des plongeurs essoufflés
une bouchée d’aurore
Mais un mot à la fin celui qu’on voit s’affaisser
et l’autre qui se redresse et crie
ont grignoté les mêmes baies de chaque côté du ciel
entrevu le mystère qui est comme les orvets
sur les roches, par toute approche empêché
de prendre racine
Mais le soleil, pour eux, ne revient plus
Le monde est dur comme des crics d’étal
épais comme des saules au bord de leur naissance
Il donne à note chant
sa profondeur de granges
Jean-Baptiste Para, Une semaine dans la vie de Mona Grembo,
Arcane 17, 1985, p. 21.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-baptiste para, une semaine dans la vie de mona grembo, le septième jour, mystère | Facebook |
07/11/2020
Bartolo Cattafi, Mars et ses idées
En silence
Un quelque chose qui donne de l’ombre
surgit et pique
une plante à épines
une encre livide
avec de nombreux bras
ici et maintenant avec nos bras
en silence
tête baissée
Bartolo Cattafi, Mars et ses ides, traduction
Philippe Di Meo, Héros-Limite, 2014, p. 95.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bartolo cattafi, mars et ses ides, silence, ombre | Facebook |
06/11/2020
Pierre Chappuis, Battre le briquet
Ressassement
Que le monde — partie vaut pour le tout — ailleurs sans autre à notre conscience, que, par la grâce du poème, nulle distance (pourtant non abolie) n’intervienne entre les mots et les choses en vertu d’une adhésion unissant de même le poème à son lecteur, cela peut-il n'être qu’un vœu ? Toujours la même ombre au tableau attire le regard au point de l’engloutir. Par-delà, en fin de compte, le poème trouve à vibrer, et le monde, les choses avec lui.
Expérience première, vitale, renouvelée à chaque fois ; éblouissante ? Peut-être simple ressassement d’une idée reçue — c’est dans l’air ! — des plus banales aujourd’hui.
Pierre Chappuis, Battre le briquet, éditions corti, 2018, p. 56.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre chappuis, battre le briquet, ressassement, expérience, poème, lecteur | Facebook |
05/11/2020
Tristan Tzara, Phases
ce fut un jour sans peur ni haine
ma vie
le cœur ailé
vivant de restes de semaines
au ciel mêlé
vivant — vivions-nous sans nul doute
ni peine —
au gré du vent
c’était le temps où l’on redoute
le mal présent
pourquoi au cours de ces tortures
errantes
lier tes pas
alors que tombe l’ombre mûre
autour de toi
Tristan Tzara, Phases, Poésie 49/Seghers,
1949, p.19.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tristan tzara, phases, haine, torture | Facebook |