04/11/2020
Julien Bosc, Le coucou chante contre mon cœur
Ce livre posthume de Julien Bosc, en chantier probablement avant 2016, reprend plusieurs des motifs qui lui étaient chers et l’on y entend pleinement sa voix singulière. Le lien avec les livres précédents est au moins une fois explicite ; ainsi un fragment où il est dit qu’un homme sait lire « le verso des miroirs » a donné le titre Le verso des miroirs (2018). Mais ce ne sont pas seulement des mots semblables qui construisent des voies de passage entre les livres, plus profondément est constante la présence de ce qui le hantait : la mémoire des camps d’extermination, de la violence qui ne cesse. Le rêve mais non l’illusion d’une société harmonieuse, le lien profond avec la nature, l’amour d’une femme n’ont pu, dans une solitude choisie, contrebalancer la certitude d’un désastre général.
Julien Bosc connaissait « les souffrances d’un nom / Élu pour le pire » : juif de naissance, il portait toujours les images des camps ; motif principal d’un autre livre, De la poussière sur vos cils (2015), elles sont encore très présentes ici. La destruction n’est pas seulement celle des corps, c’est aussi celle des noms, de toute identité quand il ne subsiste que des cendres et que tout de ce qui a été vécu disparaît à jamais. Ce qui est insupportable à Julien Bosc, c’est à la fois l’extrême difficulté d’imaginer ce que fut le chemin de ceux qui ne revinrent pas des camps et le fait que la voix des survivants n’a pas été (ne pouvait pas être ?) entendue :
Les silhouettes rescapées s’extirpèrent du brouillard
Parler épousa l’innommable
Tout fut tenté pour dire
Rien ou peu fut entendu
Puis tout fut tu
Une femme morte dans un des camps apparaît dans un rêve, invisible mais active, nue sur un cheval et aux longs cheveux comme lady Godiva. Le narrateur accueille cette figure étrange, « mirage » qui « diffus(e) les songes » et qui lui apprend chaque nuit un dizain, le chargeant avant de rejoindre les morts de « poursuivre son chant ». L’écriture naît donc de la nécessité de conserver la mémoire du vécu, de dénoncer « les démences » des tyrans, de défendre ceux qui fuient « la misère et la guerre ». C’est pourquoi dans les dernières pages du livre le sort des migrants, qui meurent en traversant la Méditerranée, est rapproché de celui des Juifs exterminés par le nazisme : Julien Bosc emploie une comparaison sans ambiguïté : « Ils montent mille à bord / Quand le rafiot n’en supporte pas vingt / tels jadis les wagons / qui roulaient vers l’hourban. » ; "hourban", « ruine » en hébreu, est un terme théologique, relatif à la destruction du premier et du second Temple, abandonné aujourd’hui au profit de "Shoah". Le lien est poursuivi : la destruction des Juifs s’est déroulée sans que personne n’en dise rien et la mort des migrants laisse muet, « Qui peut entendre leurs cris ? Personne ou si peu », d’où le constat qui clôt le livre : tout le monde est coupable de garder le silence devant la tragédie, et notamment l’écrivain « À qui la langue manque : / Pour dénoncer ».
Cette impossibilité d’exprimer à propos du réel ce qui devrait l’être parcourt tout le livre ; dès son début, à côté de la forêt, de la mer, donc de la nature telle qu’elle est imaginée par le narrateur, il n’y a rien, ou plutôt « Ce qui doit être dit mais ne peut ». Face au désastre est construite la fiction d’un monde harmonieux où se réfugie un temps le narrateur ; après qu’il eut été battu et torturé parce que différent, il est exilé sur une île très étroite et s’invente alors une sorte de paradis où il est soigné par une sangsue (elle suce ses nécroses) et une épeire (ses toiles suturent les plaies) ; il apprend les oiseaux et, les jours de mélancolie, « le coucou chante contre (s)on cœur ». Tableau idyllique qui fut celui d’un âge d’or détruit par « l’invention des races », la volonté d’accumuler des biens, les conquêtes. Il y a chez le narrateur une hésitation entre une vision proprement apocalyptique (« Le ciel s’obscurcit / Chargé de cendres et de plaintes [...] ») et le rêve d’un monde réconcilié (« Le ciel s’ouvrit / Les oiseaux s’accouplèrent /[...] », parcours d’un extrême à l’autre qui ne permet pas de vivre aisément dans le monde éloigné de ces deux visions.
La tentation est toujours de se retirer, de se dépouiller de tout pour recommencer à vivre, être « Nu de peau de tout / Pour l’aventure la dérive l’amour la mort. » ; l’un des rêves du narrateur découvre d’ailleurs la femme aimée morte dans un fossé mais qui s’éveille — donc tout à fait nouvelle —, et la femme désirée, « contre soi », éloigne « les terreurs et la mort » ; mais le narrateur hésite constamment entre cette relation apaisante et le repli, en particulier la solitude devant la mer qui est « la beauté tout ici devant soi ». Le texte regorge de mots relatifs à la mer (tempête, fanal, naufrage, radeau, phare, lames, vague, écume, clapot, etc.) et aux oiseaux de mer, et l’on retrouve la fascination pour la mer à l’origine de La Coupée (2017).
La forme d’écriture privilégiée dans ce livre s’accorde avec le propos, il s’agit de l’énumération, souvent de groupes nominaux, parfois d’infinitifs, qui sortent le procès du temps et de la personne, énumération chaque fois proche de la psalmodie :
L’ivresse du pouvoir
Le dédain de la parole donnée
La compromission des maîtres
Le mépris vis-à-vis des plus pauvres
L’insanité des mieux pourvus
Les noyés dans l’indifférence
La déportation
Les camps
La mer cimetière
Que regretterai-je ?
Il s’agit, par ce procédé, de « tenter de dire ce qui est » (La Coupée, p. 26), la lecture même devrait accepter le prosaïsme des vers et viser ce but, effectuée « Sans effet ni intonation particulière // (...) non une litanie / Un chant ». Rythme d’un chant qui ne cherche pas d’effets, « dans la lignée des épopées sans gloire » comme l’écrit justement dans son témoignage Jean-Claude Leroy, l’ami de longue date.
Julien Bosc, Le coucou chante contre mon cœur, postface de J.-C. Leroy, collection L’Orpiment, La Réalgar, 2020, 84 p., 15 €. Cette note de lecture a été publiée dans Sitaudis le 23 septembre 2020.
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03/11/2020
Max Jacob, Art poétique
Suppression dans toute poésie (même non moderne) du style critique cérébral, philosophique, journalistique.
Penser à la matière de la prose, de la peinture, de la musique, c’est très bien : l’avoir er l’oublier c’est mieux.
On ne donne la vie que par l’émotion.
Vous oubliez que l’émotion est le tout. La distinction de votre tempérament vous empêchera d’être vulgaire.
Les œuvres à thèse meurent quand la thèse n’est plus d’actualité. On ne lit plus le Contrat social si on lit encore Germinal.
Max Jacob, Art poétique, dans Œuvres, Quarto/Gallimard, 2012, p. 1361, 1508, 1577, 1577, 1579.
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02/11/2020
Pierre Reverdy, Le Cadran quadrillé
Derrière le spectacle
La gouttière penche et se détache au bord des tuiles par moments
Des boules vertes et tendres pendant le long du mur
Les hirondelles sortent et entrent par la cheminée
En bas un homme en costume noir regarde la tête en l’air et salue
De la fenêtre on entend sortir une chanson dont les notes se mettent à la portée des
rayons de soleil
Mais il manque cependant quelqu’un et la ruelle ne peut tenir lieu de coulisses
Pierre Reverdy, Le Cadran quadrillé, dans Œuvres complètes, I, Flammarion, 2010, p. 846.
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01/11/2020
Ludovic Degroote, Si décousu
Sans nous
dans cette réduction où chacun se tient
contre le bruit de sa disparition
nous allons seuls
avec notre solitude
je ne sais ce qu’on sauve
sinon la respiration
qui respire malgré nous
on se manque
je ne sais pas non plus ce qui avance
j’étais né avant moi
dans une mémoire qui ne m’attendait pas
je me suis construit par effacement
c’est ainsi que nous vieillissons
en passant d’une absence à l’autre
aucun de nos âges ne meurt
sans nous
Ludovic Degroote, Si décousu, éditions Unes,
2019, p. 71-72.
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31/10/2020
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu'île
Le miroir
Ville aveuglée à moins que ne la montre
À soi une rivière
Elle tire partage de l’eau
Et s’assied chez soi sur les berges
Un côté garde l’autre ils s’opposent et se voient
La rive se reflète en l’autre
Et chacune soi-même en le fleuve
Lui la dédouble et ainsi la redouble
Et permet qu’elle se connaisse.
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu’île,
Gallimard /Le Chemin, 1961, p. 79.
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30/10/2020
Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-sept, dix-huit
07.09.13
Séparé de tout, séparé de tous.
Toute communauté est une réponse à cette scission générale. Elle camoufle la solitude des corps, l’éparpillement des groupes. Elle tente de désigner ce qui les unit quand tout effort descriptif ne peut que creuser davantage distance et attirance. Le langage fait son œuvre. Il accomplit le paradoxe du vivant : il entretient le sentiment d’un gain de proximité et il approfondit l’abîme.
Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-sept, dix-huit, Poésie/Flammarion, 2020, p. 43.
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28/10/2020
Paul-Jean Toulet, Contrerimes
XLIII
Ainsi, ce chemin de nuage,
Vous ne le prendrez point,
D’où j’ai vu mon sourire au loin
Votre brillant mirage ?
Le soir d’or sur les étangs bleus
D’une étrange savane,
Où pleut la fleur de frangipane,
N’éblouira vos yeux ;
Ni les feux de la luciole
Dans cette épaisse nuit
Que tout à coup perce l’ennui
D’un tigre qui miaule.
Paul-Jean Toulet, Contrerimes,
dans Œuvres complètes, Bouquins
/ Robert Laffont, 1986, p. 18.
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27/10/2020
Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia
Qu’Édouard Manet y ait songé ou non, son Olympia est agencée de manière telle que plusieurs tiges du somptueux bouquet de l’amour charnel se trouvent rassemblées dans la pièce exiguë qui constitue le décor :
la cible du désir (Olympia que font plus nue son ruban et autres menus accessoires) ;
l’appel à des ardeurs étrangères au monde journalier (la camériste à chaude couleur de peau et vêture d’un autre climat) ;
l’obscurité d’un mystère qui se laisse toucher mais nulle caresse ne séduire (le chat noir).
Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 70.
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25/10/2020
John Donne, Poésie
L’automnale (élégie IX)
Beautés de printemps et d’été n’ont plus de grâce
Que ne m’en a montrée un visage d’automne.
Les jeunes beautés imposent l’amour : c’est viol ;
Celle-ci le conseille : on ne peut que céder.
Fût-il honteux d’aimer, ici n’est nulle honte,
Car notre affection prend le nom de respect.
En sa jeunesse elle eut son âge d’or ? C’est vrai,
Mais, éprouvé souvent, cet or est toujours neuf.
Elle a connu le temps des torrides ardeurs,
Et voici le climat plus doux de son tropique.
John Donne, Poésie, traduction Robert Ellrodt,
Imprimerie nationale, 1993, p. 215.
L’automnale (élégie IX)
Les couleurs du printemps et de l’été sont pâles
Près de certain visage aux grâces automnales.
Une jeune beauté vous contraint de l’aimer ;
C’est viol. Celle-ci plaît, et vous sait garder.
L’Amour fût-il honteux, il garde ici la face
En prenant du Respect et le nom et la place.
Sa jeunesse, il est vrai, était son Âge d’Or :
Mais, souvent éprouvé, son or est neuf encor.
Jadis fut ssa saison torride et implacable ;
Son climat tropical est ores tolérable.
John Donne, Poèmes, traduction de ce poème Jean
Fuzier, Poésie / Gallimard, 1991, p.49.
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24/10/2020
Cioran, Syllogismes de l'amertume
Une poésie digne de ce nom commence par l’expérience de la fatalité. Il n’y a que les mauvais poètes qui soient libres.
Une vogue philosophique s’impose comme une vogue gastronomique : on ne réfute pas plus une idée qu’une sauce.
Au rebours des plaisirs, les douleurs ne conduisent pas à la satiété. Il n’est point de lépreux blasé.
Rien ne nous flatte tant que l’obsession de la mort ; l’obsession, et non la mort.
Cioran, Syllogismes de l’amertume, Idées / Gallimard, 1976, p. 30, 31, 59, 59.
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23/10/2020
Esther Tellermann, Corps rassemblé
Je la vis
suspendue sur
le temps
ou le bord
des orages
parfois le contour
du sein
fut la viole où
s’étire
ce qui
doucement
souligne
la forme
d’un destin
Esther Tellermann, Corps rassemblé,
éditions Unes, 2020, p. 46.
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22/10/2020
Etienne Faure, Cinq traversées à pied
5
Par la fenêtre orientée à l’est le O du soleil
levant rougit le zinc des toits, le jour
est incertain, les nôtres aussi, à regarder
s’en venir l’avenir comme ça, en bras
de chemise accoudés, tête ancienne en forme
de gargouille prête à gerber sur le monde
le jour et les bruits se lèvent en même temps,
non ce n’est pas réel, la ville au réveil ne cesse
de déverser par les ouvertures des clameurs
de gens assassinés, doublées des sirènes
du salut, gyrophare blême, ce n’est pas une vie,
sortir, il faut sortir par les pieds, par les textes, un
début de poème, le voici :
Longtemps j’eus un réveille-matin en plastique
acheté en Allemagne de l’est – RDA, DDR -,
frêle et maigre, inapte au travail je le tapais pour qu’il
arrête de sonner, acerbe ; en rétorsion
le lendemain il était muet, bloqué à la frontière
de rêves trop anciens, ne me réveillant plus,
c’était
au temps où nous vivions de simples pressions à fleur
de peau, partout des boutons réels à enfoncer
premiers contacts tactiles avec le monde
dès le matin plus ou moins réel dans la réelle
société plus décriée qu’un poème ancien, virgule…
Sans un regard pour le miroir il met son chapeau,
hésite à prendre un imper, d’un coup d’œil
à la vitre, la pluie semble assez peu probable
et puis après toute une vie de labeur et d’incon-
fort les dieux sont avec lui, la chance à nouveau sourit
dans la rue, les femmes sur son passage abandonnent
la sente de leur parfum menant à leur secret
souvenir de polichinelle qui les rattrape
place de la République, grosse épingle à nourrice
accrochant les quartiers épars ensemble
comme il en fut de la patrie, la Commune, la nation,
puis emprunte le bras de fer surplombant le canal,
son eau verrouilleuse –c’est le mot tellement
son indéfectible vert est rouille –
il y a près des quais des poulbots avec
cet air victorieux que donne un bonbec dans la bouche
à 7 ans, claquant la langue en signe de
joie, réussite, entière satisfaction
de l’instant et de soi, à la gare
ancienne et contemporaine, l’horloge indique l’heure
en vigueur, fuseau inchangé, corbeaux perchés sur la
corniche, en bas renards qui glapissent,
au croisement – noble étendard du prolétaire–
avec la feue ceinture rouge des boulevards,
revoici l’incarnat des arbres que des feuilles quittent,
mini-christs descendus de croix quand l’heure
n’est plus au prochain, mot usé quoique proche aussitôt
qu’on erre, ras du sol, à pied dans la ville.
Rien d’authentique, que du toc dans ce quartier,
le monde est notation, sans fin évalue
–j’aime, j’aime pas, j’aime à 3,5 sur 5–
et l’âge est déjà blâme, avertissement, renvoi
aux temps révolus du cent à l’heure où vivre
jusqu’à cent ans était prouesse, narration naïve
– trop tard, revenir sur ses pas ce serait
rebrousser phrase, chemin, récit de la marche ;
au Terminus de sa voix aigre il
acidule un peu l’atmosphère, atmosphère
des pensées au comptoir occupées à
boire lentement, formuler des sentences
alcalines, pH neutre, au calme entre deux godets,
par trop fatigué des pieds, des mots et des
enjambements, beautés distraites, à retrouver plus tard
le rire dans un autre bar où l’on danse
à la télé la jota, ferveur des bras levés
tous en même temps, forêt de castagnettes
et de poings au-dessus du zinc.
ne plus rentrer
Etienne Faure, Cinq traversées à pied, publié par remue.net.
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21/10/2020
T. S. Eliot, Premiers poèmes
Matin à la fenêtre
La vaisselle du breakfast tinte dans les sous-sols
Et le long des trottoirs piétinés de la rue
J’ai conscience que l’âme humide des servantes
Perce languissamment aux entrées de service,
Les vagues rousses du brouillard lancent sur moi
Du fin fond de la rue des visages distors
Tirant d’une passante à la jupe boueuse
Un sourire sans but qui flotte dans les airs
Et s’évanouit le long des toits.
Oxford, 1915
T. S. Eliot, Premiers poèmes, dans Poésie, traduction
Pierre Leyris, Seuil, 1969, p. 19.
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20/10/2020
Lois Wolfson, Le Schizo et les Langues
La mère du schizophrène fréquemment oubliait où elle avait temporairement placé quelque chose. Alors, elle cherchait partout dans l’appartement pour le retrouver, courant de chambre en chambre, regardant au-dessous de ceci et au-dessus de cela, même examinant l’intérieur des placards, aussi déplaçant tous les oreillers du divan tout en fouillant ce meuble, jetant des coups d’œil sur les tables, sur les lits, sur le réservoir de la chaise percée, naturellement fouillant ses poches et ceci plus d’une fois. Toutefois, elle semblait quelque heureuse d’avoir une excuse de moins ou plus déranger les autres avec son affaire, soit son mari, soit son fils, soit tous les deux.
« Où sont mes lunettes ? » hurlerait-elle soudain, par exemple. « Je les avais il y a seulement deux minutes ! Les as-tu vues, mes lunettes ? J’ai déjà le vertige à force de les chercher ... »
Louis Wolfson, Le Schizo et les Langues, préface de Gilles Deleuze, Gallimard, 1970, p. 64.
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19/10/2020
Saint-John Perse, Vents
I
C’était de très grands vents sous toutes faces de ce monde,
De très grands vents en liesse par le monde, qui n’avaient d’aire ni de gîte,
Qi n’avaient gardé ni mesure, et nous laissaient hommes de paille,
En l’an de paille sur leur erre... Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !
Flairant la pourpre, le cilice, flairant l’ivoire et le tesson, flairant le monde entier des choses,
Et qui couraient à leur office sur nos plus grands versets d’athlètes, de poètes,
C’était de très grands vents en quête sur toutes pistes de ce monde,
Sur toutes choses périssables, sur toutes choses saisissables, parmi le monde entier des choses...
[...]
Saint-John Perse, Vents, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard,1971, p.179.
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