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09/03/2023

John Donne, Le Chaos dans 14 vers

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C’est la scène finale de ma pièce ; ici

Les choix fixent l’ultime borne du chemin ;

Ma course, oisive mais brève, a ses dernier pas,

Dernier pouce à mon empan, dernières secondes ;

La mort gloutonne va tout de suite disjoindre

Mon âme de mon corps, je vais dormir un temps ;

Mais ma part éveillée pourra voir ce visage

Dont la peur déjà secoue toutes mes jointures.

Puis, mon âme au ciel, son premier siège, s’envole,

Et mon corps, né de terre en la terre retourne ;

Que tombent mes péchés, tous obtenant leur dû,

Où ils sont nés et m’auraient pressé : en enfer.

Faisant de moi un juste, ainsi purgé du mal :

Car je quitte ce monde, la chair, le démon.

 

John Donne, dans Le Chaos dans 14 vers, anthologie bilingue

du sonnet anglais composée et traduite par Pierre Vinclair,

lurlure, 2023, p. 61.

01/02/2022

John Donne, Poésie

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            Maléfices par un portrait

 

         Fixant ton œil, je m’apitoie

         Sur mon portrait, qu’y vois brûler ;

         Le vois en un pleur qui se noie,

         Plus bas venant à regarder.

              Ayant l’art maléfique

         De me tuer par ma réplique,

Que de fois pourrai-tu combler tes vœux iniques ?

 

         J’ai bu ta douce-amère larme :

         Si tu pleures encor, je pars ;

         Le portrait n’est plus, ni l’alarme

         Qui me puisse navrer ton art.

              S’il me reste une image

         De moi, elle sera, je gage,

Se trouvant dans ton cœur, sauve de tout dommage.

 

John Donne, Poésie, bilingue, traduction Jean Fuzier,

Poésie/Gallimard, 1991, p. 157.

31/01/2022

John Donne, Poésie

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Adieu : sur mon nom gravé sur un verre

 

I

         Mon nom gravé sur cette vitre

Communique ma fermeté au verre même

         Rendu par ce charme aussi dur

        Que l’instrument qui l’a gravé.

Ton œil lui donnera plus de prix qu’aux diamants

         Extraits de l’une et l’autre roche.

 

II

         Pour le verre, tout confesser

Et être autant que moi transparent, c’est beaucoup ;

         Plus encore, te montrer à toi-même,

         Offrant à l’œil l’image claire ;

Mais la magie d’amour abolit toute règle :

Là tu me vois et je suis toi.

 

III

         De même que nul point, nul trait

(De ce nom pourtant les simples accessoires),

         Averses ou tempêtes n’effacent,

         Tous les temps me verront de même :

Mais tu peux mieux encore intègre demeurer,

         Ayant près de toi ce modèle.

[...]

John Donne, Poésie, traduction Robert Ellrodt,

Imprimerie nationale, 1994, p. 161.

25/10/2020

John Donne, Poésie

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L’automnale (élégie IX)

 

Beautés de printemps et d’été n’ont plus de grâce

Que ne m’en a montrée un visage d’automne.

Les jeunes beautés imposent l’amour : c’est viol ;

Celle-ci le conseille : on ne peut que céder.

Fût-il honteux d’aimer, ici n’est nulle honte,

Car notre affection prend le nom de respect.

En sa jeunesse elle eut son âge d’or ? C’est vrai,

Mais, éprouvé souvent, cet or est toujours neuf.

Elle a connu le temps des torrides ardeurs,

Et voici le climat plus doux de son tropique.

 

John Donne, Poésie, traduction Robert Ellrodt,

Imprimerie nationale, 1993, p. 215.

 

L’automnale (élégie IX)

 

Les couleurs du printemps et de l’été sont pâles

Près de certain visage aux grâces automnales.

Une jeune beauté vous contraint de l’aimer ;

C’est viol. Celle-ci plaît, et vous sait garder.

L’Amour fût-il honteux, il garde ici la face

En prenant du Respect et le nom et la place.

Sa jeunesse, il est vrai, était son Âge d’Or :

Mais, souvent éprouvé, son or est neuf encor.

Jadis fut ssa saison torride et implacable ;

Son climat tropical est ores tolérable.

 

John Donne, Poèmes, traduction de ce poème Jean

Fuzier, Poésie / Gallimard, 1991, p.49.

03/06/2017

John Donne, Poésie : L'infini des amants

                    

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                  L’infini des amants

 

         Si je n’ai pas encore tout ton amour,

         Très chère, jamais je ne l’aurai entier ;

Pour t ‘émouvoir il ne me reste un seul soupir

Et je ne peux verser une larme de plus ;

J’ai dépensé ce qui aurait dû t’acheter,

Tout mon trésor : soupirs, serments, pleurs et lettres.

         Et cependant il ne peut m’être dû

         Plus que prévu dans le marché conclu ;

Si donc de ton amour tu me fis don partiel,

Le partageant entre moi-même et quelques autres,

Très chère, jamais je ne t’aurai entière.

 

         Ou bien si tu me donnes tout alors,

         Tout n’est que tout ce qu’alors tu avais ;

Mais si nouvel amour depuis lors dans ton cœur

Est né, ou bien naissait, créé par d’autres hommes

Dont le trésor intact leur permet d’enchérir

Sur moi en pleurs, soupirs, épîtres et serments,

         Cet amour neuf suscité craintes nouvelles

Car il ne fut compris dans ton serment,

Et pourtant il l’est bien, car tu fis don de tout

Et si le sol, ton cœur, est mien, rien n’y croîtra,

         Très chère, qui ne m’appartienne en entier.

 

John Donne, Poésie, traduction Robert Ellrodt, Imprimerie

Nationale, 1993, p. 147 et 149.

28/03/2016

John Donne (1572-1631), L'expiration

 

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                    L’expiration

 

Achève cet ultime et gémissant baiser

Qui nos âmes aspire et résout en buée.

Partons, spectres tous deux, par chemins opposés

Laissant la nuit couvrit notre heureuse journée.

Nous aimâmes sans tiers ; nul tiers n’aura de part

À cette chiche mort où suffit le mot « Pars ».

 

Pars, donc. Et si ce mot ne t’a pas fait mourir,

Fais-moi, le redisant une mort point cruelle ;

Sinon, que sur moi-même il vienne rebondir

Et frapper justement une âme criminelle !

À moins que pour ainsi périr il soit trop tard,

Mort deux fois, de partir, et de te dire « Pars ».

 

John Donne, Poèmes, traduction J. Fumier et

Y. Denis, Poésie / Gallimard, 1991, p. 197.

 

 

 

02/07/2011

John Donne, Chanson

         Chanson

 

Mon cher amour, je ne m’en vais

   Parce que tu me lasses,

Ou que j’espère ici trouver

   Amour qui te remplace.

     Mais puisqu’il faut

Que je meure à la fin mieux vaut

En jouant me faire à l’idée,

   Par des morts simulées.

 

Le soleil qui s’en fut au soir

   Aujourd’hui se reflète ;

Il n’a ni raison ni vouloir,

   Et sa route est moins brève ;

     Ne crains donc rien :

J’irai plus vite, crois le bien,

Qu’il ne va, car j’emporte en selle

   Plus d’éperons et d’ailes.

 

Faible est de l’homme le pouvoir

   Qui, quand vient la fortune,

Ne peut une autre heure y pourvoir

   Ni, morte, en revivre une.

     Mais le malheur

Aidons, et faisons de bon cœur,

Lui enseignant art et durée

     Sa victoire assurée.

 

Tes soupirs ne sont point du vent :

   Mon âme s’y disperse.

Quand tu pleures, tendre tourment,

   C’est mon sang que tu verses.

     Ne peux ainsi

M'aimer autant que tu le dis

Si je dois en toi disparaître,

   Le meilleur de mon être.

 

Ne permets à ton cœur devin

   De me prévoir misère :

Tu pourrais pousser le destin

   À tes craintes parfaire ;

     Comme en dormant,

Crois-nous détournés seulement :

Une âme gardant l’autre en vie,

   Point ne sont désunies.

 

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 John Donne (1572-1631)


          Song

Sweetest love, I do not go,

For wearinesse of thee,

Nor in hope the world can show

   A fitter Love for mee ;

   But since that I

Must dye at last,’tis best,

To use my self in jest

Thus by fain’d deaths to dye ;

 

Yesternight the Sunne went bence,

   And yet is here to day

He hath no desire nor sense,

   Nor halfe so short a way :

     Then fears not mee,

But beleeve that I shall make

Speedier journeyes, since I take

   More wings and spurres than bee.

 

O how feeble is mans power,

     That if good fortune fall,

Cannot adde another houre,

   Nor a lost houre recall !

     But come had chance,

And wee joyne to’it our strength,

 And wee teach it art and length,

 It selfe o’r us to’advance.

 

When thou sigh’st, thou sigh’st not winde,

   But sigh’st my soule away,

Then thou weep’st, unkindly kinde,

   My lifes blood doth decay.

     It cannot bee

That thou lov’st mee, as thou say’st,

If in thine my life thou waste,

Thou art the best of mee.

 

Let not thy divining heart

   Forethinke me any ill,

Destiny may take thy part,

   And may thy feares fulfill ;

     But thinks that wee

Art but turn’d aside to sleepe ;

They who one another keepe

   Alive, ne’r parted bee.

 

John Donne,  Poèmes, traduction par J. Fuzier et Y. Denis, introduction de J.-R. Poisso, édition bilingue, Poésie : Gallimard, 1962, p. 124-127.