16/10/2020
Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-sept, dix-huit
25.06.13
Nous sommes l’escargot qui traverse la route : incapable d’imaginer la roue qui va l’écraser. Seulement aptes à vivre avec nos sens dans le monde qu’ils nous fabriquent, après son transfert dans les langues qui l’établissent.
Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-sept, dix-huit, Flammarion, 2020, p. 38.
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15/10/2020
Henri Michaux, Déplacements Dégagements
Dictées
Penchées
Têtes appliquées
Aucune ne se relève
La dictée ne le permet pas
Les enseignements s’ajoutent aux ans
Des mouvements sont ressentis
des actes parfois suivent des sortes de certitude
Insistants attraits : réponse à un dictée
inscrire en chacun, en petit, en tout petit
Ça ne les gêne pas, d’obéir à une dictée ?
Autrefois, dans sa grandeur
l’Immense aux noms sacrés...
Restée seule, menue, tenace
traversant les ans, les rides,
la sourde dictée continue, en silence toujours
les infimes dieux, incorporés, commandent sans parler.
Henri Michaux, Déplacements Dégagements, Gallimard,
1985, p. 44-45.
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13/10/2020
Henri Michaux, Donc c'est non
Paris, le 14 février 1977
Monsieur Roger Borderie
Les Pilles
26110 Nyons
Cher Monsieur,
Vos retards à entreprendre le N° H.M. vous font mal, dites-vous. À moi ils font du bien. Ils m’ont permis de revoir tranquillement les publications « OBLIQUES » et de réfléchir.
Au vu de ces N° d’ailleurs remarquables, ma décision est prise. Pas de N° Michaux. Je vous prie de renoncer à votre projet.
Il est clair que même atténuée votre formule va à l’encontre de mes désirs. Je répugne — en ce qui me concerne — à l’étalage.
Si après tant de dizaines d’années j’ai pu rester plus ou moins caché c’est grâce à ma vigilance et au nombre de refus que vous n’imaginez pas, à toutes sortes de propositions.
Réfléchissez vous-même. Comme je ne veux pas de photos, pas de documents personnels, pas d’autographe, pas de tripotage dans ma vie, etc., votre formule ne s’applique pas.
Réduit ainsi, un N° OBLIQUES ne serait plus ce qu’on en attend, n’aurait pas d’intérêt et ressemblerait à ces volumes ou à ces catalogues faits à l’occasion de rétrospectives ou à d’autres volumes avec reproductions de peintures et de dessins... lesquels ne manquent pas.
Vous qui ne suivez que vos idées, comprenez celui qui vous dit : je n’ai pas envie. J’ai envie qu’on [n’en] parle plus, sauf vous pour me donner votre accord là-dessus.
D’avance je vous remercie. Vôtre
Henri Michaux
Henri Michaux, Donc c’est non, Lettres réunies, présentées et annotées par Jean-Luc Outers, Gallimard, 2016, p. 126-127.
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12/10/2020
Ossip Mandelstam, Poèmes
extrait de Tristia
Est-ce l'horloge-grillon qui chante
ou la fièvre qui bat
est-ce le poêle qui crépite ?
C'est la soie rouge qui brûle.
Est-ce la souris qui grignote
la pellicule de la vie ?
C'est l'hirondelle ma fille
qui délie la nacelle.
Est-ce la pluie qui grommelle sur le toit ?
C'est la soie noire qui brûle
même le merisier l'entendra
sur le fond de la mer
pardonne-moi !
Parce que la mort est innocente
mais que peut-on y changer
si dans son délire le rossignol
garde toujours le cœur chaud.
Ossip Mandelstam, Poèmes, traduction
Tatiana Roy, l'Âge d'Homme, 1984.
Merci à Jacques Lèbre de m’avoir signalé cette traduction, différente de celle publiée dans ce blog le 11 octobre 2020
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11/10/2020
Ossip Mandelstam, Tristia
Ce chant de grillon de l’horloge
c’est le murmure de la fièvre,
le râle desséché du poêle
c’est rouge soie qui se consume.
Si ronge la dent des souris
la trame amincie de la vie,
c’est que l’aronde ou dans sa ronde
son enfant détache ma barque.
Ce qu’au toit la pluie balbutie,
c’est noire soie qui se consume,
mais le merisier n’entendra
jusqu’au fond des mers que : « pardonne ».
Parce qu’innocente est la mort
et de rien ne vient le secours
si dans ta fièvre-rossignol
le cœur a gardé sa chaleur.
1917
Ossip Mandelstam, Tristia, traduction Jean-Claude
Schneider, dans Œuvres poétiques, Le bruit du temps /
La Dogana, 2018, p. 177.
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10/10/2020
Ossip Mandelstam, Cahiers de Voronej
C’est la loi d’un bocage de pins :
voix mêlées des violes et des harpes.
Les troncs sinueux et dénudés,
mais chaque feuille, harpe ou viole,
croissant comme si voulait Éole
d’abord fléchir en harpe le tronc,
puis, par pitié du tronc, des racines,
par pitié pour l’effort, le lâcher ;
et réveillant les harpes, les violes,
devenir son dans la brune écorce.
16-18 décembre 1936
Ossip Mandelstam, Cahiers de Voronej, dans
Œuvres poétiques, traduction Jean-Claude
Schneider, Le bruit du temps, 2018, p. 497.
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09/10/2020
Ossip Mandelstam, Le livre de 1928
Le 1er janvier 1924
Celui qui a embrassé le crâne meurtri du temps
— avec une tendresse de fils
se souvient que parmi les congères de blé le temps
pour dormir couchait sous la fenêtre.
Qui, du siècle, a soulevé les paupières malades
(deux pommes pesantes, somnolentes)
entend l’incessante rumeur, lorsque grondent
les fleuves des temps fourbes et lourds.
Il y a deux pommes somnolentes, le souverain siècle,
et une belle bouche argileuse,
mais comme le bras languide du fils vieillissant
il vient, agonisant, se serrer.
Je sais : chaque jour s’affaiblit le souffle de vie,
encore un peu et va s’interrompre
la chanson simple parlant des offenses d’argile
et dans les bouches l’étain couler.
Ossip Mandelstam, Le livre de 1928, dans Œuvres poétiques, traduction Jean-Claude Schneider, le bruit du temps / La Dogana, 2018, p. 253.
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08/10/2020
Jules Laforgue, L'Imitation de Notre-Dame-la-lune
Encore un livre
Encore un livre ; ô nostalgies
Loin de ces très goujates gens,
Loin des saints et des argents,
Loin de nos phraséologies !
Encore un de mes pierrots morts ;
Mort d’une chronique orphelinisme ;
C’était un cœur plein de dandysme
Lunaire, en un drôle de corps.
Les dieux s’en vont ; plus que des hures ;
Ah ! ça devient tous les jours pis ;
J’ai fait mon temps, je déguerpis
Vers l’Inclusive Sinécure.
Jules Laforgue, L’Imitation de Notre-Dame-la-lune,
cité dans Anthologie des poètes français contemporains,
II, Delagrave, 1922, p. 384.
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07/10/2020
Umberto Saba, Du Canzionere
Seul
Je suis seul. Nul n’écoute ou
est vain tout appel aux amis
dispersés.
La haine brille come un glaçon, et je pense
que je te verrai ce soir, toi que j’aime.
Je pense : dans le jour qui révèle,
dans l’ombre qui dérobe, j’ai tant fait,
tant erré, pour me dire en paix quelques
mots.
Umberto Saba, Du Canzoniere, traduction P.
Renard et B. Simeone, Orphée / La Différence,
1992, p. 63.
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05/10/2020
Jacques Roubaud, Les animaux de tout le monde
Le lézard
Le lézard est sur son mur
comme sur une grande plaine
il regarde le mur d’azur
où le soleil rouge peine
C’est drôle, dit le lézard,
comme le soleil s’obstine
à se chauffer l’hémoglobine
moi je suis froid et j’en suis fier.
Lézards gris et lézards verts
n’ayons donc pas d’inquiétude
mais pour ne pas mourir de faim
Guettons la mouche ingénue
de notre œil oblique et malin l
lézards gris et lézards verts !
Jacques Roubaud, Les animaux de tout
le monde, Seghers, 1990, p. 13.
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04/10/2020
Jacques Roubaud, Les animaux de personne
Le Coati Sociable
Dans la cordillère des Andes
Au fond des grandes forêts
Vont les Coatis en bandes
En grognant dans les fourrés
Ils grognent ils grognent ils grognent
Sans jamais se séparer
Ils grognent ils grognent ils grognent
Pleins de sociabilité.
On entend jusqu’en Islande
On entend jusqu’en Corée,
Zélande, Nouvelle-Zélande,
Hollande, Courlande, Irlande,
Ostende, Mende, Marmande,
Tende, Villesséquelande,
Samarkand, Chamarande,
Jutland, Betchouanaland,
Jusqu’au département des Landes,
Du fond des grandes forêts
De la cordillère des Andes
Les grands Coatis grogner.
Ils grognent ils grognent ils grognent
Sans jamais se séparer
Ils grognent ils grognent ils grognent
Pleins de sociabilité.
Jacques Roubaud, Les animaux de
personne, Seghers, 1991, p. 52.
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03/10/2020
Jacques Roubaud, C
1994
Il n’y a pas de ciel
pas d’yeux
pas de voix
rien qu’une lampe
une lampe dont la lumière
s’écoule
et ne reviendra pas
même si elle semble
posée
en permanence
sur la photographie au mur
sur les livres
en l’absence de ciel
d’yeux
et de voix
Jacques Roubaud, C, NOUS,
2015, p. 308.
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02/10/2020
Jacques Roubaud, Octogone
Les objets
Les objets appartiennent à plusieurs espaces
À la géométrie différente
À la métrique différente
Plusieurs espaces qui se chevauchent
S’interpénètrent
Se recouvrent, se contredisent, se combattent
D’où cet air provisoire qu’a le monde
Comme s’excusant
Jacques Roubaud, Octogone, Gallimard, 2014, p. 283.
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01/10/2020
Jacques Roubaud, La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains
Rue Jonas
La rue Jonas
« Personnage biblique »
Croisse la rue Samson
Au sein de laquelle un jardinet cultive
Des dahlias
(d’après Dahl, botaniste danois)
« Dahli-as, dahli-as
Que Dalila li-a »
(Max
Jacob)
Me dis-je
Passant par là
(Il y a une rue Max-Jacob près de la Poterne-de-Peupliers
Mais de la rue Dahl nulle
part)
Jacques Roubaud, La forme d’une ville change plus vite,
hélas, que le cœur des humains, Poésie/Gallimard,
1999, p. 74.
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30/09/2020
Philippe Jaccottet, Cahier de verdure
Orvet vif comme un filet d’eau,
plus vite dérobé qu’œillade,
orvet des lèvres fraîches.
Toutes ces bêtes
ou esprits invisibles
parce qu’on se rapproche de l’obscur.
Philippe Jaccottet, Cahier de verdure, dans
Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,
2014, p. 764.
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