02/11/2020
Pierre Reverdy, Le Cadran quadrillé
Derrière le spectacle
La gouttière penche et se détache au bord des tuiles par moments
Des boules vertes et tendres pendant le long du mur
Les hirondelles sortent et entrent par la cheminée
En bas un homme en costume noir regarde la tête en l’air et salue
De la fenêtre on entend sortir une chanson dont les notes se mettent à la portée des
rayons de soleil
Mais il manque cependant quelqu’un et la ruelle ne peut tenir lieu de coulisses
Pierre Reverdy, Le Cadran quadrillé, dans Œuvres complètes, I, Flammarion, 2010, p. 846.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Reverdy Pierre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre reverdy, le cadran quadrillé, spectacle, hirondelle | Facebook |
01/11/2020
Ludovic Degroote, Si décousu
Sans nous
dans cette réduction où chacun se tient
contre le bruit de sa disparition
nous allons seuls
avec notre solitude
je ne sais ce qu’on sauve
sinon la respiration
qui respire malgré nous
on se manque
je ne sais pas non plus ce qui avance
j’étais né avant moi
dans une mémoire qui ne m’attendait pas
je me suis construit par effacement
c’est ainsi que nous vieillissons
en passant d’une absence à l’autre
aucun de nos âges ne meurt
sans nous
Ludovic Degroote, Si décousu, éditions Unes,
2019, p. 71-72.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ludovic degroote, si décousu, sans nous, vieillir | Facebook |
31/10/2020
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu'île
Le miroir
Ville aveuglée à moins que ne la montre
À soi une rivière
Elle tire partage de l’eau
Et s’assied chez soi sur les berges
Un côté garde l’autre ils s’opposent et se voient
La rive se reflète en l’autre
Et chacune soi-même en le fleuve
Lui la dédouble et ainsi la redouble
Et permet qu’elle se connaisse.
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu’île,
Gallimard /Le Chemin, 1961, p. 79.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Deguy Michel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel deguy, poèmes de la presqu’île, ville, fleuve, miroir | Facebook |
30/10/2020
Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-sept, dix-huit
07.09.13
Séparé de tout, séparé de tous.
Toute communauté est une réponse à cette scission générale. Elle camoufle la solitude des corps, l’éparpillement des groupes. Elle tente de désigner ce qui les unit quand tout effort descriptif ne peut que creuser davantage distance et attirance. Le langage fait son œuvre. Il accomplit le paradoxe du vivant : il entretient le sentiment d’un gain de proximité et il approfondit l’abîme.
Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-sept, dix-huit, Poésie/Flammarion, 2020, p. 43.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nicolas pesquès, la face nord du juliau, dix-sept, dix-huit, communauté, solitude | Facebook |
28/10/2020
Paul-Jean Toulet, Contrerimes
XLIII
Ainsi, ce chemin de nuage,
Vous ne le prendrez point,
D’où j’ai vu mon sourire au loin
Votre brillant mirage ?
Le soir d’or sur les étangs bleus
D’une étrange savane,
Où pleut la fleur de frangipane,
N’éblouira vos yeux ;
Ni les feux de la luciole
Dans cette épaisse nuit
Que tout à coup perce l’ennui
D’un tigre qui miaule.
Paul-Jean Toulet, Contrerimes,
dans Œuvres complètes, Bouquins
/ Robert Laffont, 1986, p. 18.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul-jean toulet, contrerimes, chemin, étang, luciole | Facebook |
27/10/2020
Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia
Qu’Édouard Manet y ait songé ou non, son Olympia est agencée de manière telle que plusieurs tiges du somptueux bouquet de l’amour charnel se trouvent rassemblées dans la pièce exiguë qui constitue le décor :
la cible du désir (Olympia que font plus nue son ruban et autres menus accessoires) ;
l’appel à des ardeurs étrangères au monde journalier (la camériste à chaude couleur de peau et vêture d’un autre climat) ;
l’obscurité d’un mystère qui se laisse toucher mais nulle caresse ne séduire (le chat noir).
Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 70.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Leiris Michel | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel leiris, le ruban au cou d’olympia, édouard manet, désir, mystère | Facebook |
25/10/2020
John Donne, Poésie
L’automnale (élégie IX)
Beautés de printemps et d’été n’ont plus de grâce
Que ne m’en a montrée un visage d’automne.
Les jeunes beautés imposent l’amour : c’est viol ;
Celle-ci le conseille : on ne peut que céder.
Fût-il honteux d’aimer, ici n’est nulle honte,
Car notre affection prend le nom de respect.
En sa jeunesse elle eut son âge d’or ? C’est vrai,
Mais, éprouvé souvent, cet or est toujours neuf.
Elle a connu le temps des torrides ardeurs,
Et voici le climat plus doux de son tropique.
John Donne, Poésie, traduction Robert Ellrodt,
Imprimerie nationale, 1993, p. 215.
L’automnale (élégie IX)
Les couleurs du printemps et de l’été sont pâles
Près de certain visage aux grâces automnales.
Une jeune beauté vous contraint de l’aimer ;
C’est viol. Celle-ci plaît, et vous sait garder.
L’Amour fût-il honteux, il garde ici la face
En prenant du Respect et le nom et la place.
Sa jeunesse, il est vrai, était son Âge d’Or :
Mais, souvent éprouvé, son or est neuf encor.
Jadis fut ssa saison torride et implacable ;
Son climat tropical est ores tolérable.
John Donne, Poèmes, traduction de ce poème Jean
Fuzier, Poésie / Gallimard, 1991, p.49.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : john donne, affection, respect, âge d'or | Facebook |
24/10/2020
Cioran, Syllogismes de l'amertume
Une poésie digne de ce nom commence par l’expérience de la fatalité. Il n’y a que les mauvais poètes qui soient libres.
Une vogue philosophique s’impose comme une vogue gastronomique : on ne réfute pas plus une idée qu’une sauce.
Au rebours des plaisirs, les douleurs ne conduisent pas à la satiété. Il n’est point de lépreux blasé.
Rien ne nous flatte tant que l’obsession de la mort ; l’obsession, et non la mort.
Cioran, Syllogismes de l’amertume, Idées / Gallimard, 1976, p. 30, 31, 59, 59.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : une poésie digne de ce nom commence par l’expérience de la fatal, les douleurs ne conduisent pas à la satiété. il n’est point de , et non la mort. cioran, syllogismes de l’amertume, fatalité, obsession, philosophie, douleur | Facebook |
23/10/2020
Esther Tellermann, Corps rassemblé
Je la vis
suspendue sur
le temps
ou le bord
des orages
parfois le contour
du sein
fut la viole où
s’étire
ce qui
doucement
souligne
la forme
d’un destin
Esther Tellermann, Corps rassemblé,
éditions Unes, 2020, p. 46.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : esther tellermann, corps rassemblé, temps, orage, destin | Facebook |
22/10/2020
Etienne Faure, Cinq traversées à pied
5
Par la fenêtre orientée à l’est le O du soleil
levant rougit le zinc des toits, le jour
est incertain, les nôtres aussi, à regarder
s’en venir l’avenir comme ça, en bras
de chemise accoudés, tête ancienne en forme
de gargouille prête à gerber sur le monde
le jour et les bruits se lèvent en même temps,
non ce n’est pas réel, la ville au réveil ne cesse
de déverser par les ouvertures des clameurs
de gens assassinés, doublées des sirènes
du salut, gyrophare blême, ce n’est pas une vie,
sortir, il faut sortir par les pieds, par les textes, un
début de poème, le voici :
Longtemps j’eus un réveille-matin en plastique
acheté en Allemagne de l’est – RDA, DDR -,
frêle et maigre, inapte au travail je le tapais pour qu’il
arrête de sonner, acerbe ; en rétorsion
le lendemain il était muet, bloqué à la frontière
de rêves trop anciens, ne me réveillant plus,
c’était
au temps où nous vivions de simples pressions à fleur
de peau, partout des boutons réels à enfoncer
premiers contacts tactiles avec le monde
dès le matin plus ou moins réel dans la réelle
société plus décriée qu’un poème ancien, virgule…
Sans un regard pour le miroir il met son chapeau,
hésite à prendre un imper, d’un coup d’œil
à la vitre, la pluie semble assez peu probable
et puis après toute une vie de labeur et d’incon-
fort les dieux sont avec lui, la chance à nouveau sourit
dans la rue, les femmes sur son passage abandonnent
la sente de leur parfum menant à leur secret
souvenir de polichinelle qui les rattrape
place de la République, grosse épingle à nourrice
accrochant les quartiers épars ensemble
comme il en fut de la patrie, la Commune, la nation,
puis emprunte le bras de fer surplombant le canal,
son eau verrouilleuse –c’est le mot tellement
son indéfectible vert est rouille –
il y a près des quais des poulbots avec
cet air victorieux que donne un bonbec dans la bouche
à 7 ans, claquant la langue en signe de
joie, réussite, entière satisfaction
de l’instant et de soi, à la gare
ancienne et contemporaine, l’horloge indique l’heure
en vigueur, fuseau inchangé, corbeaux perchés sur la
corniche, en bas renards qui glapissent,
au croisement – noble étendard du prolétaire–
avec la feue ceinture rouge des boulevards,
revoici l’incarnat des arbres que des feuilles quittent,
mini-christs descendus de croix quand l’heure
n’est plus au prochain, mot usé quoique proche aussitôt
qu’on erre, ras du sol, à pied dans la ville.
Rien d’authentique, que du toc dans ce quartier,
le monde est notation, sans fin évalue
–j’aime, j’aime pas, j’aime à 3,5 sur 5–
et l’âge est déjà blâme, avertissement, renvoi
aux temps révolus du cent à l’heure où vivre
jusqu’à cent ans était prouesse, narration naïve
– trop tard, revenir sur ses pas ce serait
rebrousser phrase, chemin, récit de la marche ;
au Terminus de sa voix aigre il
acidule un peu l’atmosphère, atmosphère
des pensées au comptoir occupées à
boire lentement, formuler des sentences
alcalines, pH neutre, au calme entre deux godets,
par trop fatigué des pieds, des mots et des
enjambements, beautés distraites, à retrouver plus tard
le rire dans un autre bar où l’on danse
à la télé la jota, ferveur des bras levés
tous en même temps, forêt de castagnettes
et de poings au-dessus du zinc.
ne plus rentrer
Etienne Faure, Cinq traversées à pied, publié par remue.net.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Faure Étienne | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : étienne faure, cinq traversées à pied, ne plus rentrer | Facebook |
21/10/2020
T. S. Eliot, Premiers poèmes
Matin à la fenêtre
La vaisselle du breakfast tinte dans les sous-sols
Et le long des trottoirs piétinés de la rue
J’ai conscience que l’âme humide des servantes
Perce languissamment aux entrées de service,
Les vagues rousses du brouillard lancent sur moi
Du fin fond de la rue des visages distors
Tirant d’une passante à la jupe boueuse
Un sourire sans but qui flotte dans les airs
Et s’évanouit le long des toits.
Oxford, 1915
T. S. Eliot, Premiers poèmes, dans Poésie, traduction
Pierre Leyris, Seuil, 1969, p. 19.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : t. s. eliot, premiers poèmes, observation, pierre leyriss | Facebook |
20/10/2020
Lois Wolfson, Le Schizo et les Langues
La mère du schizophrène fréquemment oubliait où elle avait temporairement placé quelque chose. Alors, elle cherchait partout dans l’appartement pour le retrouver, courant de chambre en chambre, regardant au-dessous de ceci et au-dessus de cela, même examinant l’intérieur des placards, aussi déplaçant tous les oreillers du divan tout en fouillant ce meuble, jetant des coups d’œil sur les tables, sur les lits, sur le réservoir de la chaise percée, naturellement fouillant ses poches et ceci plus d’une fois. Toutefois, elle semblait quelque heureuse d’avoir une excuse de moins ou plus déranger les autres avec son affaire, soit son mari, soit son fils, soit tous les deux.
« Où sont mes lunettes ? » hurlerait-elle soudain, par exemple. « Je les avais il y a seulement deux minutes ! Les as-tu vues, mes lunettes ? J’ai déjà le vertige à force de les chercher ... »
Louis Wolfson, Le Schizo et les Langues, préface de Gilles Deleuze, Gallimard, 1970, p. 64.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : louis wolfson, le schizo et les langues, préface de gilles deleuze, perte, luunettes | Facebook |
19/10/2020
Saint-John Perse, Vents
I
C’était de très grands vents sous toutes faces de ce monde,
De très grands vents en liesse par le monde, qui n’avaient d’aire ni de gîte,
Qi n’avaient gardé ni mesure, et nous laissaient hommes de paille,
En l’an de paille sur leur erre... Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !
Flairant la pourpre, le cilice, flairant l’ivoire et le tesson, flairant le monde entier des choses,
Et qui couraient à leur office sur nos plus grands versets d’athlètes, de poètes,
C’était de très grands vents en quête sur toutes pistes de ce monde,
Sur toutes choses périssables, sur toutes choses saisissables, parmi le monde entier des choses...
[...]
Saint-John Perse, Vents, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard,1971, p.179.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : saint-john perse, vents, monde, chose | Facebook |
18/10/2020
André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride
11 septembre 1951 ( ?)
Mon infériorité — c’est que je n’écris que ce que je puis suivre à la main come une rampe.
Quand il n’y a plus de rampe, je me tais. Je suis moins qu’un homme.
L’espace me déconcerte.
18 novembre 1952
Cette idée de « beauté » est le grand écueil de le poésie — où viennent d’ailleurs régulièrement échouer tous les poètes mineurs. Un poète de cet ordre dira, par exemple :
« Les chants les plus désespérés sont toujours les plus beaux »
— qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que beau veut dire, là ? On le voit, mais cela est dit très faiblement, et n’ouvre rien — sinon une satisfaction un peu courte. Vigny, par exemple, aurait dit autre chose —
André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride, Le bruit du temps, 2011, p. 121, 167.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Bouchet André du | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : andré du bouchet, une lampe dans la lumière aride, infériorité, beauté | Facebook |
17/10/2020
Jean-Luc Sarré, Apostumes
L’harmonie n’est pas une chimère, c’est ce que semble vouloir dire les ombres conciliantes de certains matins.
La vieillesse est un naufrage pour Chateaubriand, mais mon bateau à moi n’a jamais pris la mer , c’est à quai qu’il s’engloutit, inexorablement.
Jean-Luc Sarré, Apostumes, Le bruit du temps, 2017, p. 155, 162.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Sarré Jean-Luc | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-luc sarré, apostumes, harmonie, naufrage | Facebook |