30/12/2020
Georges Perros, Poèmes bleus
Entre nous
Alors quoi de neuf cher ami ?
Ça va ça va ça va merci.
Et le prochain livre il s’annonce
Bien ? Non ? — Maizoui, maizoui, maizoui.
J’ai relu par temps clair, le tome
Premier de l’œuvre de cet homme,
Ah son nom dites-moi son nom
Ma mémoire est comme un poisson
Elle saute vole et replonge
Allez-y voir. Mais quand j’y songe
Vous écrivez. C’était fort bien
Votre article, oh pas moins que rien.
Vous donnez là votre mesure
On s’entend mieux quand on rassure
L’amour-propre de son prochain
À bientôt cher ami machin
Mais les noms vraiment je m’y perds
Bast rien ne sert à rien. J’espère
Que nous reverrons bientôt
Botzaris 22-cigalo...
La solitude est éphémère
Comme le coq de ce clocher
Elle s’en va s’en vient. Ma mère
Aurait dû me laisser plié
Dans son ventre. J’aurais poussé
Jusqu’à ne plus me reconnaître
Elle non plus. C’en est assez
Pour aujourd’hui. À d’main peut-être.
Gorges Perros, Poèmes bleus, Le Chemin /
Gallimard, 1962, p. 100-101.
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29/12/2020
Serguei Essenine, Journal d'un poète
Caravelles-haridelles
I
Si le loup hurle à l’étoile, c’est
que les mers ont englouti le ciel.
Haridelles éventrées,
noires voilures des corbeaux.
Des hoquets nauséabonds du blizzard
l’azur ne sortira pas ses serres ; il plane
sur un jardin de crânes jonché d’aiguilles d’or,
sous le hennissement des tempêtes.
Entendez-vous ? entendez-vous ce cliquetis ?
Ce sont les râteaux de l’aube dans les bosquets.
Avec des rames de mains coupées
vous souquez vers le futur.
Voguez, voguez vers les hauteurs !
De l’arc-en-ciel craillez corneilles !
L’heure vient où la feuillée jaune de ma tête
va se muer en arbre blanc.
(...)
Serguei Essenine, Journal d’un poète, traduction
Christiane Pighetti, éditions de la Différence,
2014, p. 183.
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28/12/2020
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
À UNE ROSE
Rose, rose-d’amour vannée,
Jamais fanée,
Le rouge-fin est ta couleur,
Ô fausse-fleur !
Feuille où pondent les journalistes
Un fait-divers,
Papier-Joseph, croquis d’artistes :
— Chiffres ou vers —
Cœur de parfum, montant arôme
Qui nous embaume…
Et ferait même avec succès,
Après décès ;
Grise l’amour de ton haleine,
Vapeur malsaine,
Vent de pastille-du-sérail,
Hanté par l’ail !
Ton épingle, épine-postiche,
Chaque nuit fiche
Le hanneton-d’or, ton amant…
Sensitive ouverte, arrosée
De fausses-perles de rosée,
En diamant !
Chaque jour palpite à la colle
De la corolle
Un papillon-coquelicot,
Pur calicot.
Rose-thé !… — Dans le grog, peut-être ! —
Tu dois renaître
Jaune, sous le fard du tampon,
Rose-pompon !
Vénus-Coton, née en pelote,
Un soir-matin,
Parmi l’écume… que culotte
Le clan rapin !
Rose-mousseuse, sur toi pousse
Souvent la mousse
De l’Aï..... Du BOCK plus souvent
— À 30 Cent.
— Un coup-de-soleil de la rampe !
Qui te retrempe ;
Un coup de pouce à ton grand air
Sur fil-de-fer !…
Va, gommeuse et gommée, ô rose
De couperose,
Fleurir les faux-cols et les cœurs,
Gilets vainqueurs !
Tristan Corbière, Les Amours jaunes,
Gladys frères, 1873, p. 47-49.
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27/12/2020
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
À MON CHIEN POPE
— GENTLEMAN-DOG FROM NEW-LAND —
mort d’une balle.
Toi : ne pas suivre en domestique,
Ni lécher en fille publique !
— Maître-philosophe cynique :
N’être pas traité comme un chien,
Chien ! tu le veux — et tu fais bien.
— Toi : rester toi ; ne pas connaître
Ton écuelle ni ton maître.
Ne jamais marcher sur les mains,
Chien ! — c’est bon pour les humains.
… Pour l’amour — qu’à cela ne tienne :
Viole des chiens — Gare la Chienne !
Mords — Chien — et nul ne te mordra.
Emporte le morceau — Hurrah ! —
Mais après, ne fais pas la bête ;
S’il faut payer — paye — Et fais tête
Aux fouets qu’on te montrera.
— Pur ton sang ! pur ton chic sauvage !
— Hurler, nager —
Et, si l’on te fait enrager…
Enrage !
Île de Batz. — Octobre.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, Gladys frères,
1873, p. 147.
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26/12/2020
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
MIRLITON
Dors d’amour, méchant ferreur de cigales !
Dans le chiendent qui te couvrira
La cigale aussi pour toi chantera,
Joyeuse, avec ses petites cymbales.
La rosée aura des pleurs matinales ;
Et le muguet blanc fait un joli drap…
Dors d’amour, méchant ferreur de cigales.
Pleureuses en troupeau passeront les rafales…
La Muse camarde ici posera,
Sur ta bouche noire encore elle aura
Ces rimes qui vont aux moelles des pâles…
Dors d’amour, méchant ferreur de cigales.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes,
Gladys frères, 1873, p. 336.
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25/12/2020
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
FÉMININ SINGULIER
Éternel Féminin de l’éternel Jocrisse !
Fais-nous sauter, pantins nous payons les décors !
Nous éclairons la rampe… Et toi, dans la coulisse,
Tu peux faire au pompier le pur don de ton corps.
Fais claquer sur nos dos le fouet de ton caprice,
Couronne tes genoux !… et nos têtes dix-cors ;
Ris ! montre tes dents ! mais… nous avons la police,
Et quelque chose en nous d’eunuque et de recors.
… Ah tu ne comprends pas ?… — Moi non plus — Fais la belle
Tourne : nous sommes soûls ! Et plats : Fais la cruelle !
Cravache ton pacha, ton humble serviteur !…
Après, sache tomber ! — mais tomber avec grâce —
Sur notre sable fin ne laisse pas de trace ! …
— C’est le métier de femme et de gladiateur. —
Tristan Corbière, Les Amours jaunes, Gladys frères,
1873, p. 23.
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24/12/2020
Sylvia Majerska, Matin sur le soleil
Écume
Tu veux quitter les hommes pour toujours. La vague aussi fuit sur la mer, mais elle y revient à chaque fois. Puis il est des jours où elle n’essaie même plus.
Et la mer, elle, paraît si seule que tu as envie d’appeler tous ceux que tu connais et rire avec eux ne serait-ce que de tes étranges comparaisons.
Si seulement leurs sourires n’étaient pas blancs comme l’écume comme si la mer montrait les dents à quelqu’un.
Sylvia Majerska, Matin sur le soleil, Le Cadran ligné, 2020, p. 27.
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23/12/2020
Danielle Collobert, Dire II
la seule chose – recommencer encore – si possible – encore une fois des mots – l’quivalent d’une mort – ou le contraire même – ou peut-être rien
être ici – le calme – épuisant de tension – le monde autour qui ne s’arrête pas – mais pourrait s’arrêter – le souffle qui pourrait s’arrêter maintenant – un instant après l’autre – même égalité plane –même dureté froide – même goût fade et doux – supporter encore d’aller vers d’autres moments pareils – continuer seulement le souffle – la respiration – prolonger le regard – simplement
sans doute – une certaine confusion –auparavant – chaque événement détruit par lui-même – passant d’une chose à l’autre – revenant en arrière – avançant – imprévisible – dans un avenir imaginé – s’acccrochant autour de lui à toutes les rugosités – à tous les angles
Danielle Collobert, Dire II, dans Œuvres I, P. O. L., 2004, p. 211.
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22/12/2020
Danielle Collobert, Dire II
Corps là
noué
noué aux mots
l’étranglement du souffle
perte du sol
pendu
balancement à l’intérieur des mots – trouées –
vide
approche de la folie
peur continuelle de la fuite verticale
les mots en spirale fuyante – aspirée
sans prise
sans arrêt
tremblement
un cri
peur continuelle – absence de mots – gouffre
ouvert – descente – descente
mains accrochées au visage
toucher
corps là
résistance –
entendre encore le souffle – quelquepart
à l’instant savoir – souffle là
à l’écoute du bruit
affolement
tendu pour entendre
tendu pour résister
jusqu’à la limite – l’immobilité
sursaut
cassure
encore sombrer – descendre – ou aspiré au loin
– ou fatigue – désespoir
Danielle Collobert, Dire II, dans Œuvres I, P. O. L., 2004, p. 256-257.
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21/12/2020
Virginia Woolf, Journal d'adolescence, 1897-1909
Samedi 13 mai [1905]
Un silence aussi inquiétant signifie— comme je l’ai reconnu précédemment — que ce Journal se dirige vers une mort prématurée. C’est une entreprise impossible : noircir tous les jours une page supplémentaire, alors que j’ai écrit tellement par nécessité, me casse les pieds & ce que je raconte est sans intérêt.
Mercredi 31 mai
Nous allons solennellement renoncer à ce Journal à présent que nous arrivons à la fin du mois & que, par bonheur, ce cahier n’a plus de pages — car elles seraient restées vierges.
Un exercice comme celui-ci n’est concevable que s’il émane d’une volonté & que les mots viennent spontanément. L’écriture directe est un travail — pourquoi, se demande-t-on, s’ infliger pareil châtiment ? Les bienfaits s’annulent. Mais ce genre de réflexion n’a point lieu d’être. Ces quelques 6 mois trouvent ici une espèce de miroir d’eux-mêmes ; de l’image reflétée, on tire un enseignement ou un plaisir.
Virginia Woolf, Journal d’adolescence, 1897-1909, traduction Marie-Ange Dutartre, Stock, 1993, p. 426.
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20/12/2020
André Frénaud, La Sainte Face
La femme de ma vie
Mon épouse, ma loyale étoffe,
ma salamandre, mon doux pépin,
mon hermine, mon gros gras jardin,
mes fesses, mes vesses, mes paroles,
mon chat où j’enfouis mes besoins,
ma gorge de bergeronnette.
Ma veuve, mon essaim d’helminthes,
mes boules de pain pour mes mains,
pour ma tripe sur tous mes chemins,
mon feu bleu où je cuis ma haine,
ma bouteille, mon cordial de nuit,
le torchon pour essuyer ma vie,
l’eau qui me lave sans me tacher.
Ma brune ou blanche, ma moitié,
nous n’aurions fait qu’une couleur,
un soleil-lune à tout casser,
à tous les deux par tous les temps,
si un jour je t’avais reconnue.
André Frénaud, La Sainte Face, Poésie /
Gallimard, 1985, p. 61.
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19/12/2020
André Frénaud, Haeres
Ce si peu
Ce si peu. La tendresse qui me consolait parfois,
et pour toujours la vie traversière,
les échos précoces et les équipées,
les vains obstacles à la mort et la mort même.
André Frénaud, Haeres, dans Nul ne s’égare,
précédé de H, Poéssie/Gallimard, 2006, p. 177.
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17/12/2020
Léon-Paul Fargue, Espaces
CHANSON DU PLUS LÉGER QUE LA MORT
À toute vitesse par assises chaudes
Qui se cristallisent dans la hauteur
Nous coupons la fête ! Ce n'est pas Montmartre !
Ce n'est pas en bas
Quand le canon tonne !
Ce n'est pas la guerre
Aux parcs mugissants !
Nous sommes les hommes sans murailles !
Nous montons en chœur dans la musique !
Chacun a sa baraque
Les dieux font la parade
Petits dieux qui racolent
Le feu qui dans l'espace
Mêle les vérités !
Par ici la mystique
Ici la vraie la seule
Le sanhédrin spirite
Le polypier des schismes
La scissiparité
Du concile de Trente
Le pet des manitous
Le pas des cannibales
Les massacres d'idoles
La sang de Coligny !
Par ici les beaux-arts
Le basalte de Bach
Le bûcher de Wagner
Rembrandt et Michel-Ange
La foudre faite chair !
Par ici les penseurs
Les bouteilles des doctrines
Les aludels des systèmes
Les flacons des hypothèses
Les spirochètes d'idées
Qui vont à toute vitesse
Sur l'ardente glace, assez !
Léon-Paul Fargue, Espaces,
Gallimard, 1929, p. 199-200.
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16/12/2020
Paul Claudel, Dodoitzu
Le crapaud
Quand j’entends dans l’eau
Chanter le crapaud
Des choses passées
J’ai le cœur mouillé !
Nightingale and toad
When I hear in the cool
Gold of the moonlight pool
The nightingale singing,
It is my heart ringing.
Paul Claudel, Dodoitzu,
Gallimard, 1945, np.
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15/12/2020
Pierre Silvain, Suite allemande
Wannsee
L'été avant de prendre congé mijote de l'orage
Pour la fin de l'après-midi comme il y a longtemps dans la ville thermale
Où tu traînais parmi les curistes une vacance d'âme
Sous l'étagement poum ! poum ! des feuillages énormes
Décrits par Pierre Jean Jouve alors qu'ici au bord du lac
Tu attends l'appareillage du bateau
La grosse femme avec ses trois mouflets derrière
Te poussant jusqu'au pied de la passerelle
Bercée par une corde et toute l'escouade vacancière
Shorts tee-shirts jambes brunes poils blonds
Comme elle poussant pressée d'atteindre la destination
Finale (sans rien de commun avec la solution du même nom
C'est si loin maintenant aussi ténu que la brume de chaleur
Sur le miroitement de strass des vagues)
Qui pour la plupart est la plage et pour les autres
L'île des Paons. Les vers que tu te récitais
Sous les frondaisons Death is so permanent
Drive carefully1 te reviennent tandis que le bateau
Quitte l'appontement avec le léger tangage
Presque berceur
D'un convoi plombé.
Sarrebruck (1958)
Portrait du Hauptsturmfürher de la Waffen SS
Dans son cadre. Installé près du poste monumental
Diffusant du Bach en sourdine sur la commode. La rose
Ne tient pas à cause de la chaleur du poêle
Qui tire à fond. Elle se défeuille sans bruit
Longuement pétale à pétale devant l'absent.
La tasse de vieux saxe que la femme porte à ses lèvres
Est décorée de motifs champêtres
Aux tons passés. Dehors c'est presque la nuit. Neige. Odeur de houille
Dans les rues. Des particules noires sur les congères.
Sait-on à quoi pense la femme. Guten Abend
(Lance le locataire étranger en traversant le couloir)
Auf Vierdersehen
Frau Krabbe.
Pierre Silvain, Allemande (suite), dans Conférence, n° 15, automne 2002, p. 389 et 395.
1 "Death is so permanent. Drive carefully" : signal routier des Forces américaines en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale (note de T. H.)
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