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07/10/2020

Umberto Saba, Du Canzionere

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               Seul

 

Je suis seul. Nul n’écoute ou

est vain tout appel aux amis

dispersés.

La haine brille come un glaçon, et je pense

que je te verrai ce soir, toi que j’aime.

 

Je pense : dans le jour qui révèle,

dans l’ombre qui dérobe, j’ai tant fait,

tant erré, pour me dire en paix quelques

mots.

 

Umberto Saba, Du Canzoniere, traduction P.

Renard et B. Simeone, Orphée / La Différence,

1992, p. 63.

05/10/2020

Jacques Roubaud, Les animaux de tout le monde

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Le lézard

 

Le lézard est sur son mur

comme sur une grande plaine

il regarde le mur d’azur

où le soleil rouge peine

 

C’est drôle, dit le lézard,

comme le soleil s’obstine

à se chauffer l’hémoglobine

moi je suis froid et j’en suis fier.

 

Lézards gris et lézards verts

n’ayons donc pas d’inquiétude

mais  pour ne pas mourir de faim

 

Guettons la mouche ingénue

de notre œil oblique et malin l

lézards gris et lézards verts !

 

Jacques Roubaud, Les animaux de tout

le monde, Seghers, 1990, p. 13.

04/10/2020

Jacques Roubaud, Les animaux de personne

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Le Coati Sociable

 

Dans la cordillère des Andes

Au fond des grandes forêts

Vont les Coatis en bandes

En grognant dans les fourrés

 

Ils grognent ils grognent ils grognent

Sans jamais se séparer

Ils grognent ils grognent ils grognent

Pleins de sociabilité.

 

On entend jusqu’en Islande

On entend jusqu’en Corée,

Zélande, Nouvelle-Zélande,

Hollande, Courlande, Irlande,

Ostende, Mende, Marmande,

Tende, Villesséquelande,

Samarkand, Chamarande,

Jutland, Betchouanaland,

Jusqu’au département des Landes,

Du fond des grandes forêts

De la cordillère des Andes

Les grands Coatis grogner.

 

Ils grognent ils grognent ils grognent

Sans jamais se séparer

Ils grognent ils grognent ils grognent

Pleins de sociabilité.

 

Jacques Roubaud, Les animaux de

personne, Seghers, 1991, p. 52.

03/10/2020

Jacques Roubaud, C

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1994

 

Il n’y a pas de ciel

pas d’yeux

pas de voix 

rien qu’une lampe

une lampe dont la lumière

s’écoule

et ne reviendra pas

même si elle semble

posée

en permanence

sur la photographie au mur

sur les livres

en l’absence de ciel

d’yeux

et de voix

 

Jacques Roubaud, C, NOUS,

2015, p. 308.

02/10/2020

Jacques Roubaud, Octogone

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                 Les objets

 

Les objets appartiennent à plusieurs espaces

À la géométrie différente

À la métrique différente

Plusieurs espaces qui se chevauchent

S’interpénètrent

Se recouvrent, se contredisent, se combattent

 

D’où cet air provisoire qu’a le monde

Comme s’excusant

 

Jacques Roubaud, Octogone, Gallimard, 2014, p. 283.

01/10/2020

Jacques Roubaud, La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains

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Rue Jonas

 

La rue Jonas

« Personnage biblique »

Croisse la rue Samson

Au sein de laquelle un jardinet cultive

Des dahlias

(d’après Dahl, botaniste danois)

« Dahli-as, dahli-as

Que Dalila li-a »

(Max

Jacob)

Me dis-je

Passant par là

 

(Il y a une rue Max-Jacob près de la Poterne-de-Peupliers

Mais de la rue Dahl nulle

part)

 

Jacques Roubaud, La forme d’une ville change plus vite,

hélas, que le cœur des humains, Poésie/Gallimard,

1999, p. 74.

30/09/2020

Philippe Jaccottet, Cahier de verdure

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Orvet vif comme un filet d’eau,

plus vite dérobé qu’œillade,

 

orvet des lèvres fraîches.

 

 

Toutes ces bêtes

ou esprits invisibles

 

parce qu’on se rapproche de l’obscur.

 

 

Philippe Jaccottet, Cahier de verdure, dans

Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,

2014, p. 764.

29/09/2020

Philippe Jaccottet, Airs

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        Monde

 

Poids des pierres, des pensées.

 

Songes et montagnes

n’ont pas même balance

 

Nous habitons encore un autre monde

Peut-être l’intervalle

 

 

Fleurs couleur bleue

bouches endormies

sommeil des profondeurs

 

Vous pervenches en foule

parlant d’absence au passant

 

 

Sérénité

 

L’ombre qui est dans la lumière

pareille à une fumée bleue

 

Philippe Jaccottet, Airs, dans Œuvres,

Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,

2014, p. 438.

27/09/2020

Julien Bosc, Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa

julien bosc,elle avait sur le sein des fleurs de mimosa,mer,marée

                          La mer

          Immense large d’huile âtre

À l’infini scintillante d’adamantines constellations déchues

 

 

           Ainsi la découvrit-elle au réveil

Ramenant sur elle le plaid sable dont la marée l’avait dévêtue à son insu

                           Mais

            Sans affecter ses fleurs ni leur tige

 

                            (Ainsi

                       Si n’eût été son effroi

             Non le vent mais la  marée bel et bien)

 

Julien Bosc, Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa,

La tête à l’envers, 2018, p. 40.

Photo Tristan Hordé, novembre 2017

26/09/2020

Julien Bosc, Le verso des miroirs

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je sortis à l’heure des  chouettes et cortèges

où une lune orange tout à portée de main

à moi sans lieu un chien mourant ouvrit un chemin vers des rives

et s’étende à mes côtés sur des racines émergées

témoins savants des cécités et des noyades

 

à l’aube

contre la dépouille du chien

un jeune cheval couvert de gui

or sur le tain étoilé deux nénuphars éclos

l’un blanc l’autre diaphane

 

Julien Bosc, Le verso des miroirs, Atelier de

Villemonge, 2018, p. 5.

Photo Chantal Tanet, août 2017

25/09/2020

Julien Bosc, Je n'ai pas le droit d'en parler

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Les mascarets crevèrent les brise-lames et les digues. Le vent laissa les bois chablis jusque par-delà la brande des contreforts.

Mais les champs où faucher le seigle et le blé ? Mais la retraite où fraser le doute et la douleur ?

Des entrelacs de ronces et de genêts ; un amas de lauzes et de pierres.

Et la route ?

Un puits.

Et le chemin ?

Une rigole.

Et la sente qui n’allait nulle part, n’en finissait jamais de revenir au même point ?

Une faille désormais.

 

Julien Bosc, Je n’ai pas le droit d’en parler, Atelier La Feugraie, 2008, p. 31.

Photo Tristan Hordé, août 2017

24/09/2020

Julien Bosc, Le coucou chante contre mon cœur

En hommage à Julien Bosc, disparu le 23 septembre 2018

julien bosc,le coucou chante contre mon cœur,camps de concentration,silence,innommable

Tout fut oublié

Tout fut à réapprendre

S’endormir se réveiller

Se lever marcher

Boire mâcher

Semer récolter engranger

Lutter contre le froid

Inventer l’ombre

Recréer une langue

L’apprendre l’écrire

S’y perdre et en revenir

 

Les silhouettes rescapées s’extirpèrent du brouillard

Parler épousa l’innommable

Tout fut tenté pour dire

Rien ou peu fut entendu

Puis tout fut tu

Tué une seconde fois

Les années passèrent

Des voix se levèrent

Il fallait témoigner

Outre les chiens les mots avaient enfin trouvé leur voie

 

Julien Bosc, Le coucou chante contre mon cœur,

Le Réalgar, 2020, p. 15.

Photo Tristan Hordé, novembre 2017

23/09/2020

Jacques Réda, Retour au calme

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                    La boulangerie

 

Souvent assez tard en hiver cette boulangerie

En face reste ouverte, et l’on peut voir le pain

Nimber d’or les cheveux frisés de la boulangère

Qui, bien qu’à tant d’égards ordinaire, nourrit

Des desseins obliques de femme et s’ennuie. Et parfois

La boutique à cette heure est vide ; elle ne brille

Qu’à la gloire exclusive du pain.

Il suffit bien je crois de sa lumière au coin

De la rue assez tard en hiver pour que l’on remercie.

 

Jacques Réda, Retour au calme, Gallimard, 1989, p. 92.

22/09/2020

Jacques Réda, La course

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                 Gitans à Montreuil

 

Dans les vergers à l’abandon qui dominent Montreuil,

Les filles des Gitans fument près des roulottes.

Sous des cordes à linge où sèchent leurs culottes,

Elles rodent avec la grâce du chevreuil.

 

On n'ose jeter en passant qu’un rapide coup d’œil :

Des vieilles à l’affût suspendent leurs parlottes

(Les hommes sont allés vendre des camelotes

Dans le grand déballage, en bas). Pourquoi ce deuil

 

Au fond de la lumière alors qu’elle irradie,

Et dans l’air vif ce goût fade de maladie ?

Les filles des Gitans ont beau se déhancher,

 

L’espace fourbu gît sous ses propres décombres :

Cabanes à lapins, potagers à concombres

Sous la fumée inerte et sans feu d’un pêcher

Rose.

 

Jacques Réda, La course, Gallimard, 1999, p. 46.

21/09/2020

Jacques Réda, L'incorrigible

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                          Ulysses

 

Des pas sertis dans le bitume ont un éclat de cuivre :

Ce sont les traces du héros de ce fameux roman

Qui circule à travers Dublin, l’agite, et la délivre

De son destin provincial — étrange moment

 

Où tous les récits ont trouvé leur aboutissement

Convulsif dans une Odyssée convulsivement ivre.

Quand on accompagne ces pas, il arrive un moment

Où l’on se demande où l’on va : dans la ville, ou le livre ?

 

On s’y perd à la longue. Mais un circuit personnel

Se dessine, qui vous ramène aux abords d’O’Connell

Bridge ou devant la poste à l’imposante colonnade.

 

On y discerne des éclats de balle ou de grenade,

Et c’est dans l’histoire vraie, et ses héros de sang

Qui mêlés à l’imaginaire arrête le passant.

 

Jacques Réda, L’incorrigible, Gallimard, 1996, p. 66.