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23/09/2024

Leontia Flynn, Pertes et profits

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       Cinq versions ridicules de Catulle

2

Tu veux savoir combien de tes baisers

seraient assez pour moi — et plus qu’assez ?

Autant que les grains « aux vertus réparatrices »

qui gisent sur les plages de sable lointaines,

entre les lupanars que nous prions la nuit

et les ruines légendaires pour gogos.

Ou autant que les étoiles, les nuits calmes,

ignorent les gestes furtifs des amants.

Voilà le nombre de fois qu’il faut t’embrasser.

Je suis dingue, donc c’est assez, « plus qu’assez »

— et c’est plus que les prudes peuvent compter,

guigner, rabaisser de leurs langues frétillantes.

 

Leontia Flynn, Pertes et profits, traduction de

l’anglais (Irlande du Nord) Théo Bourgeron,

Le Corridor bleu, 2024, p. 109.

20/05/2021

Robert Creeley, Dire cela

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Catulle, tu décoiffes

 

1

Mon amour — mon amour dit

qu'elle m'aime.

Et qu'elle n'aura jamais

un autre homme que moi.

 

Pourtant ce qu'une femme annonce

à un homme qui la jette

doit être écrit sur le vent et sur

l'eau vive.

 

2

Ma vieille dit c'est moi je suis le mieux,

elle dit personne ne le fait mieux que moi.

 

Mais que dit ma vieille quand je la jette, —

Mmmm, plutôt non que le mieux.

 

3

Ma vieille est une cinglée de moi,

elle me dit elle m'aime ne me quitte pas —

 

mais ce qu'une cinglée peut annoncer à un homme

est le mieux écrit sur le vent & l'eau & le sable.

 

4

Amour & argent & pilier de bar

mon homme passe pour un lascar

 

y rentre tard et c'est pas de mon lit

et maintenant qu'est-ce que je lui dis ?

 

5

Nous sommes fous mais nous sommes gais,

la vie est courte & la vie nous trouve, s'il te plaît,

 

c'est le moment ou jamais & c'est la fête,

rate pas le mieux, ou je te savonne la tête.

 

Robert Creeley, Dire cela, choix, présentation et

traduction de l'américain par Jean Daive, NOUS,

2014, p. 53-54.

20/11/2017

Fernando Pessoa, Pour un "Cancioneiro"

 

                                            Fernando Pessoa, Pour un "Cancioneiro", écher, Catulle, résignation

Ma vie aura été, en somme,

   Autant subalterne qu’obscure,

Sans bonne ni mauvaise part,

   Ombres de haillons dans la brume.

 

Comme un caissier je suis resté

   Posté derrière un guichet nul :

Poète ou amant, nul Catulle

   Ne devient conseiller d’État.

 

Et même quand on m’a aimé  

   Il semble que l’on m’offensait.

L’habit humain dont j’ai été lardé

   Ses boutons même ont tous sauté.

 

Me voici calme, un peu plus sûr

   Un tant soit peu moi désormais :

Voyant, après coup, le portail ouvert,

   Mais disant toujours : "Ce n’est pas chez moi".

 

Fernando Pessoa, Pour un « Cancioneiro », dans Œuvres

poétiques, édition Patrick Quillier, Pléiade/Gallimard, 2001.