23/02/2023
Jude Stéfan, Pandectes (ou le neveu de Bayle)
Autocritique
Forme moderne de l’Inquisition (Sciascia). C’est toujours le Père, la peur.
Bavards
Massacreurs du silence et de la parole vraie.
« Loquaces, muti sunt » (Confessions, I, 4) : ils ont beau parler, ils ne disent rien.
Célibat
Honneur de l'individu.
L’art est incompatible avec le mariage. Mozart prouve le malentendu. Gauguin, l’obligation de rompre. Schubert l’heureuse exception. Blake l’humble vérité.
Critique
La moindre œuvre mineure est plus estimable que la meilleure critique usuelle — celle des noteurs parasites.
Jude Stéfan, Pandectes (ou le neveu de Bayle), Gallimard, 2008, p. 35, 40, 53, 76.
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22/02/2023
Jude Stéfan, Povrésies ou 63 poèmes autant d’années
Le dernier numéro de la revue Europe publie un dossier consacré à Jude Stéfan.
Il a été préparé par Gérard Cartier
la mer encore formée
les mérules qui moisissent tes murs
elle vous ouvre son gîte, la femme
au sourire de victoire
(toasts & médailles sous les arbres fleuris)
le père repeignait le mur blanc trente
ans près le fils chiait son sang
né un Mardi pour guerrier
et de la marche du Sel
à cinq heures les oiseaux
en mai Lumière,
tu me suffis
au jardin tapis s’égoutte
chemise s’agite
assez de vos voix, vos abois
peine, ombre
autant de titres, autant de tombes
Jude Stéfan, Povrésies ou 63 poèmes
autant d’années, Gallimard, 1997, p. 29.
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21/02/2023
Jude Stéfan, Laures
et Louise Labé
tant nous aurons nos deux purs corps
médité debout et nous congratulant
pis lascivement aux caresses jou-
ant avant de succomber à la courte
gloire de n’être plus nous-mêmes sur
même couche d’amour et de mort
car hors toi ma passion fut l’ennui
qui mine ma vie comme tu l’illumines
si chaude et blanche et profanable
présence sous chairs ô rite nu
tant nous aurons à deux mimé l’amour
perdu — tels vent caressant fustigeant
la mer nos mains et yeux étrange pays
de lichens et de lianes
Jude Stéfan, Laures, Gallimard, 1984, p. 15.
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19/02/2023
Jude Stéfan, Laures
laure VIII
j’ai embrassé ta voix
ma rose carnée
envoûté par les larges boucles de fleuves
comme les amants dans leur coma et qui rêvent
s’apprendre le gin et le cidre
entrecaressés dans la nuit
les plis de ta pitié les râles de ton merci
et tes larmes d’abîme
d’absence qui tombe en froid en deuil
délivre-moi du vomi
tiens-moi de tes rubans
des oiseaux meurent des oiseaux sont tués
dans le lilas des murailles
Jude Stéfan, Laures, Gallimard, 1984, p. 44.
Photo Chantal Tanet
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18/02/2023
Jude Stéfan, Prosopées
le noir, sa couleur d’élégance
au vert dans le jardin aux merles
le rouge sang des chevillards
à favoris
le rouge beauté
le jaune des urines et saris
le bleu des rixes et des îles
les gares dans les aubes grises
cendres et ardoises
le violet de ton bas, tes perles
le blanc de chair cadavérique
l’orange des soifs et des becs
le rose de la rose et des porcins
Jude Stéfan, Prosopées,
Gallimard, 1995, p. 15.
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17/02/2023
Jude Stéfan, Que ne suis-je Canule
Stéfan est mort
et Jude aussi
pour les Amis épars
avecque lui mourra Emma
sa jeune ou belle égérie
(ne furent qu’
étang gelé
- un datura ouvert –
phare isolé
en fausses métaphores)
pauvres hères dans nos campagnes
qui l’hiver vous pendiez
à raison
Vous nous communiez
vous nous en conjurez
Ne Plus Écrire
Jude Séfan, Que ne suis-je Catulle,
Gallimard, 2010, p. 97.
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15/02/2023
Jude Stéfan, À la Vieille Parque
à h.m. †
dans la nuit, la nuit (qui) remue
les souvenirs les brasse en rêves réveils
les meubles bâillent
déjà ils veillent
massifs, profonds miroirs, avec leurs bras
attendant le gisant
cerné de portraits dans l’ombre qui fixent
ses pieds cirés
qui crient au silence et au meurtre
dans les cloisons dégringolent les rats
un Espoir au passé une morne Consolation
deux bougies vacillent
au-dessus des tapis sanctifiant les pas
perdu le temps du cœur
qu’il repose en chose
les chaises vaquent le livre a oublié
Celui qu’il fallait lire en maître zen
Jude Stéfan, À la Vieille Parque, Gallimard,
1989, p. 30.
Photo T. H., 1991
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14/02/2023
Jude Stéfan, Laures
Jude Stéfan, 01/07/1930-11/11/2020
laure VIII
j’ai embrassé ta voix
ma rose carnée
envoûté par les larges boucles de fleuves
comme les amants dans leur coma et qui rêvent
s’apprendre le gin et le cidre
entrecaressés dans la nuit
les plis de ta pitié les râles de ton merci
et tes larmes d’abîme
d’absence qui tombe en froid en deuil
délivre-moi du vomi
retiens-moi de tes rubans
des oiseaux meurent des oiseaux sont tués
dans le lilas des murailles
Jude Stéfan, Laures, ‘’Le Chemin’’/Gallimard,
1984, p. 44.
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16/09/2022
Jude Stéfan, Libères
ma lente ma digne ma parfaite
toi partie pour guérir de toi
puisque femme de la femme guérit
courons voir au large une voile
rouge sur l’écume brève avec la
nymphe au trop de gestes et demain
la vénitienne aux baisers doulou-
reuse mais aux doigts si blancs sur sa
touffe puis le soir même la vieille
aux dents d’or qui vous abîme en l(oubli ;
où es-tu où je ne suis ici je
crie haï de moi d’aimer reviens
ma chaste unique entre tes mains
calmer ma face de tes feux mon cœur.
(Absence)
Jude Stéfan Libères, Gallimard, 1970, p. 47.
Stéfan, 1991, photo T. H.
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08/07/2021
Jude Stéfan, Faux journal
« Revu à la télévision... », tel est le style insupportable du journal intime, quand le seul intéressé note pour les autres ce qui ne concerne que lui-même (« revu X qui m’a paru bien changé, rencontré Z à la réception, etc.) Comment se croire intéressant à ce point ? Toute la suffisance est dans cet aveu : vu, lu, observé, entendu — participe passé qu’on essaie de rendre présent, durable à la lecture, redoublement narcissique de soi, non content d’avoir vécu la minute, il faut la répéter, la reprendre, l’embellir, en faire du roman sans l’insolence de ce genre avoué, au contraire dissimulé sous des apparences de simples notations. Entrer dans l’intimité de qui que ce soit, quelle turpitude !
Jude Stéfan, Faux journal, le temps qu’il fait, 1986, p. 14. Photo T. Hordé, 2012
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21/11/2020
Jude Stéfan, Aux Chiens du soir
Jude Stéfan, 01/07/1930-11/11/2020
les yeux d’Emma
ocre fougère bistre clairière
amande noisette et verdissants
au soir ou tristes éblouis de
liesse absents vacants il y
a tout dans les yeux de ton nom
dans le nom de tes yeux le non
de ta promesse aime et âme et elle
aima souverains offensés bruns
et lus par cœur où sont-ils en-
volés où s’égrène ton rire avec ?
trois fois je suis passé devant
ta maison vide sans leur flamme
Jude Stéfan, Aux Chiens du soir,
‘’Le Chemin’’/Gallimard, 1979, p. 79.
© Photo Tristan Hordé
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20/11/2020
Jude Stéfan, Que ne suis-je Catulle
Jude Stéfan, 01/07/1930-11/11/2020
thérèse I
premier baiser sous la lune
dans la ruelle au ruisseau
avec perle qui éclaire le
sourire à l’iris brun sou-
dain un rat qui lape l’eau
mollesse des seins
puis flâner, le piano, les pluies,
ta blouse les plantes et le lit
le nu, les bois, les soirs, l’adieu
énorme regret
par ineptie perdue la vie
wie ist es mir geschehn ? comme
à Arnim : que m’est-il arrivé ?
Jude Stéfan, Que ne suis-je Catulle ?
Gallimard, 2010, p. 33.
© Photo Tristan Hordé
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18/11/2020
Jude Stéfan, À la Vieille Parque
Jude Stéfan, 01/07/1920-11/11/2020
à tous morts en 1984
aux chiens du soir répondent les étrons matinaux
quand l’haleine se dit des vents
la bête est sur ses fins
immobile aux coups
un débris des halles
apaisé comme un qui urine entre cerise et rose
sous l’horreur nue de la troisième heure
enlisé George dans tes idylles bergères
les moutons n’ont pas froid à brouter blanc
et chaque année donne leur mort aux noms
Foucault Michaux Cortazar ou Magne
le lexovien
ordure du cœur ordure de l’être
mes doigts crispés aux robes-cuisses mères
Jude Stéfan, À la Vieille Parque, ‘’Le Chemin’’/ Gallimard,
1989, p. 32.
© Photo Tristan Hordé
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17/11/2020
Jude Stéfan, Aux Chiens du soir
Jude Stéfan, 01/07/1930-11/11/2020
sur la grève
a fui l’hiver avec
ses enfants dans les jardins de neige
ici temps et marée n’attendent personne
« en vieil anglais steorfan veut dire
mourir » et si j’en retranche l’or reste
ma vie terne
or voici la sterne la visiteuse d’été
haute là-bas sur la mer
où le cerveau n’est que nuée
à ton interrogation la fleur répond :
efface-toi tout vivant du monde avant
la Mort qui glousse au loin près des épaves
Jude Stéfan, Aux chiens du soir, ‘’Le Chemin’’/
Gallimard, 1979, p. 51.
© Photo Tristan Hordé
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16/11/2020
Jude Stéfan, Cyprés
Jude Stéfan, 01/07/1930-11/11/ 2020
Sauvez-moi de l’ennui forclos gardez-
moi de a lourde luxure aux dents
noires protégez-moi du froid du monde
évitez-moi la haine des odieux
en votre joie dissolvez toute hantise
l’enfance l’infect la sénilité
écartez en fin l’image de la tombe
réelle ô femmes tendres aidez à l’impossible !
(Suprême charité)
Jude Stéfan, Cyprés, ’’Le Chemin’’/Gallimard,
1967, p. 93.
© Photo Tristan Hordé
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