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06/10/2022

Jean Gente, Le voleur

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                Le voleur

 

Vous êtes hypocrite immortelle écuyère

En robe d’organdi sur un cheval blond !

En pétales perdus vos beaux doigts s’effeuillèrent

Adieu mon grand jardin par le ciel terrassé !

                               ***

Ainsi je reste seul oublié de lui qui dort dans mes

bras. La mer est calme. Je n’ose bouger. Sa pré-

sence serait plus terrible que son voyage hors

de moi. Peut-être viendrait-il sur ma poitrine.

 

Et qu’y pourrais-je faire ? Trier ses vomissures ?

Y chercher parmi le vomi, la viande, la bile, ces

violettes et ces roses qu’y délaient et délient

les filets de  sang ?

(...)

 

Jean Genet, Le pêcheur du Suquet, dans Le condamné à mort, L’arbalète, 1958, p. 104-105.

04/07/2021

Jean Genet, La Galère

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                 La Galère

 

Un forçat délivré dur et féroce lance

Un chiourme dans le pré mais d’une fleur de lance

Le marlou Croix du Sud l’assassin Pôle Nord

Aux oreilles d’un autre ôte ses boucles d’or.

Les plus beaux sont fleuris d’étranges maladies.

Leur croupe de guitare éclate en mélodies.

L’écume de la mer nous mouille de crachats.

 

On parle de me battre et j’écoute vos coups.

Qui me roule Harcamone et dans vos plis me coud ?

 

Harcamone aux bras verts haute reine qui vole

Sur ton odeur nocturne et les bois éveillés

Par l’horreur de son nom ce bagnard endeuillé

Sur ma galère chante et son chant me désole.

 

Jean Genet, La Galère, dans Le condamné à mort, l’Arbalète, 1958, p. 51.

03/07/2021

Jean Genet, Un captif amoureux

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La télévision allemande nous montra cette image de Mitterand aux obsèques de Sadate : ses gardes du corps le protégeaient de si près dans son étui-cotte de mailles, qu’il fut plus porté par ses gardes que protégé si bien qu’il semblait se déplacer sans marcher, soit soutenu par les gardes, soit avançant en glissant les pieds chaussés de deux patins à roulettes ou d’une planche à roues mobiles, un jeu que les enfants ont parfaitement dompté, à quoi jouait peut-être le président de la République des Français, mais d’un jeu supérieur en quelque sorte, la rapidité des gosses, leurs trajectoires soudain différées, leur élégance, car je dois écrire ce mot, avaient été remplacées pour le haut dignitaire de qui je parle par une solennelle et farceuse lenteur.

 

Jean Genet, Un captif amoureux, Gallimard, 1986, p. 343-344.

02/07/2021

Jean Genet, L'Ennemi déclaré

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   Le plus important, ce qui était le plus important pour moi, je l’ai mis dans mes livres. Pas parce que je parle à la première personne ; le ‘’je » » dans ce cas-là n’est pas autre chose qu’un personnage un peu magnifié.

   Je suis plus proche de ce que j’ai écrit parce que vraiment, je l’ai écrit en prison, et j’étais persuadé que je ne sortirai pas de prison.

   Pourquoi j’aimais de retourner en prison, je vais essayer de vous donner une explication, qui vaut ce qu’elle vaut, je ne sais pas. J’ai l’ompression que vers la trentaine, trente trente-cinq ans, j’avais, en quelque sorte, épuisé le charme érotique des prisons, des prisons pour hommes, bien sûr, et si j’ai toujours aimé l’ombre, même gosse, je l’ai aimé peut-être jusqu’à aller en prison. Je ne vais pas dire que j’ai commis les vols pour aller en prison, bien sûr, je les ai commis pour bouffer. Mais enfin, ça me conduisait peut-être intuitivement vers l’ombre, vers la prison.

 

Jean Genet, Entretien avec Antoine Bourseiller, dans L’Ennemi déclaré, Gallimard, 1991, p. 217-218.

01/07/2021

Jean Genet, Le secret de Rembrandt

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Sauf Titus — c’est son fils — souriant, pas un visage qui soit serein. Tous semblent contenir un drame extrêmement lourd, épais. Les personnages, presque toujours, par leurs attitudes ramassées, rassemblées, sont comme une tornade pendant une seconde tenue en respect. Ils contiennent un destin très dense, exactement évalué par eux, et que, d’un moment à l’autre, ils vont « agir » jusqu’au bout. Tandis que le drame de Rembrandt semble n’être que son regard sur le monde. Il veut savoir de quoi il retourne, pour s’en délivrer. Ses figures, toutes, connaissent l’existence d’une blessure, et elles s’y réfugient. Rembrandt sait qu’il est blessé, mais il veut guérir. D’où cette impression de vulnérabilité quand nous regardons ses autoportraits et l’impression de force confiante quand nous sommes en face des autres tableaux.

 

Jean Genet, Le secret de Rembrandt, dans Œuvres complètes, V, Gallimard, 1979, p. 33.

30/06/2021

Jean Genet, Ce qui est resté d'un Rembrandt...

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C’est seulement ces sortes de vérités, celles qui ne sont pas démontrables et même qui sont « fausses », celles que l’on ne peut conduire sans absurdité jusqu’à leur extrémité sans aller à la négation d’elles et de soi, c’est celles-là qui doivent être exaltées par l’œuvre d’art. Elles n’auront jamais la chance ni la malchance d’être un jour appliquées. Qu’elles vivent par le chant qu’elles sont devenues et qu’elles suscitent.

 

Jean Genet, Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et jetés aux chiottes, dans Œuvres, IV, Gallimard, 1968, p. 21.

29/06/2021

Jean Genet, L'étrange mot d'...

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   Où aller ? Vers quelle forme ? Le lieu théâtral, contenant l’espace scénique et la salle.

   Le lieu. À un Italien qui voulait construire un théâtre dont les éléments seraient mobiles et l’architecture changeante, selon la pièce qu’on y jouerait, je répondis avant même qu’il eût achevé sa phrase que l’architecture du théâtre est à découvrir, mais elle doit être fixe, immobilisée, afin qu’on la reconnaisse responsable ; elle sera jugée sur sa forme. Il est trop facile de se confier au mouvant. Qu’on aille, si l’on cveut, au périssable, mais après l’acte irréversible sur lequel nous serons jugé, ou, si l’on veut encore, l’acte fixe qui se juge.

 

Jean Genet, L’étrange mot d’..., dans Œuvres complètes, IV, Gallimard, 1968, p. 11.

27/07/2019

Jean Genet, Un chant d'amour

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Un chant d’amour

 

Berger descends du ciel où dorment tes brebis !

(Au duvet d’un berger bel Hiver je te livre)

Sous mon haleine encor si ton sexe est de givre

Aurore le défait de ce fragile habit.

 

Est-il question d’amour au lever du soleil ?

Leurs chants dorment encor dans le gosier des pâtres,

Écartons nos rideaux sur ce décor de marbre ;

Ton visage ahuri saupoudré de sommeil.

 

O ta grâce m’accable et je tourne de l’œil

Beau navire habillé pour la noce des Iles

Et du soir. Haute vague ! Insulte difficile

O mon continent noir ma robe de grand deuil !

(…)

 

Jean Genet, Un chant d’amour, dans Le condamné à mort (…),

L’Arbalète, 1966, p. 81.

25/07/2018

Jean Genet, L'enfant criminel

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L’enfant criminel

 

  Que l’on veuille bien comprendre, et l’excuser, mon émotion, quand je dois exposer une aventure qui fut aussi la mienne. Au mystère que vous êtes il me faut opposer, et le dévoiler, le mystère des bagnes d’enfants. Épars dans la campagne française, souvent dans la plus élégante, il est quelques lieux qui n’ont pas fini de me fasciner. Ce sont les maisons de correction dont le titre officiel et trop poli est maintenant : « Patronage de relèvement moral, Centre de rééducation, Maison de redressement de l’enfance délinquante, etc. » Le changement de titre est déjà un signe. L’expression « Maison de correction » et quelquefois « Pénitencier », devenue une sorte de nom propre, ou, plus exactement encore désignant un endroit idéal et cruel situé très profondément dans le cœur de l’enfant avait une violence que les éducateurs ont essayé d’affaiblir. Toutefois, je l’espère, secrètement les enfants, malgré les termes révélateurs d’une hygiène assez niaise, reconnaissent l’appel du Pénitencier ou du Bagne. Sauf qu’ils les situent maintenant plus dans une région morale qu’en un point précis de l’espace. Il était sot de s’attaquer au nom en croyant que changerait l’idée de la chose nommée (…).

 

Jean Genet, L’enfant criminel, avec Le condamné à mortet Le funambule, L’Arbalète, 1966, p. 111-112.

12/12/2017

Jean Genet, L'Atelier d'Alberto Giacometti

                     Jean Genet, L'Atelier d'Alberto Giacometti, statue, gris

   Il sourit. Et toute la peau plissée de son visage se met à rire. D’une drôle de façon. Les yeux rient, bien sûr, mais le front aussi (toute sa personne a la couleur grise de son atelier). Par sympathie peut-être il a pris la couleur de la poussière. Ses dents rient — écartées et grises aussi — le vent passe à travers.

   Il regarde une de ses statues :

   lui : C’est plutôt biscornu, non ?

   Ce mot il le dit souvent. Lui aussi est assez biscornu. Il gratte sa tête grise, ébouriffée. C’est Annette qui a taillé ses cheveux. Il remonte son pantalon gris qui tombait sur ses souliers. Il riait il y a six secondes, mais il vient de toucher à une statue ébauchée : pendant une demi-minute il sera tout entier dans le passage de ses doigts à sa masse de terre. Je ne l’intéresse pas du tout.

 

Jean Genet, L’Atelier d’Alberto Giacometti, dans Œuvres complètes, v, Gallimard, 1979, p. 45.

07/12/2016

Jean Genet, Un chant d'amour

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                       Un chant d’amour

 

Berger descends du ciel où dorment tes brebis !

(Au chevet d’un berger bel Hiver je te livre)

Sous mon haleine encor si ton sexe est de givre

Aurore le défait de ce fragile habit.

 

Est-il question d’aimer au lever du soleil ?

Leurs chants dorment encor dans le gosier des pâtres.

Écartons nos rideaux sur ce décor de marbre ;

Ton visage ahuri saupoudré de sommeil.

 

Ô ta grâce m’accable et je tourne de l’œil

Beau navire habillé pour la noce des Îles

Et du soir. Haute vergue ! Insulte difficile

Ô mon continent noir ma robe de grand deuil !

 

[…]

 

Jean Genet, Le condamné à mort, l’enfant criminel,

[…], L’Arbalète, 1966, p. 81.

10/06/2016

Jean Genet, La Parade

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La Parade

 

Silence, il faut veiller ce soir

Chacun prendre à ses meutes garde,

Et ne s’allonger ni s’asseoir

De la mort la noire cocarde

 

Piquer son cœur et l'en fleurir

D’un baiser que le sang colore,

Il faut veiller se retenir

Aux cordages clairs de l’aurore.

 

Enfant charmant haut est la tour

Où d’un pied de neige tu montes.

Dans la ronce de tes atours

Penchant les roses de la honte.

 

On chante dans la cour de l’Est

Le silence éveille les hommes.

Silence coupé d’ombre et c’est

De fiers enculés que nous sommes.

 

Silence encor il faut veiller

Le Bourreau ignore la fête

Quand le ciel sur ton oreiller

Par les cheveux prendra ta tête.

 

Jean Genet, La Parade, dans Le condamné

à mort, L’enfant criminel, L’Arbalète,

1966, p. 69-70.

01/05/2016

Jean Genet, Ce qui reste d'un Rembrandt déchiré...

                              Jean Genet, Ce qui reste d'un Rembrandt déchiré.., corps, portrait, perte

                       Ce qui est resté d’un Rembrandt…

 

Comme une odeur d’étable : quand, des personnages, je ne vois que le buste (Hendrijke à Berlin) ou seulement la tête, je ne peux m’empêcher de les imaginer debout sur du fumier. Les poitrines respirent. Les mains sont chaudes. Osseuses, noueuses, mais chaude. La table du Syndic des Drapiers est posée sur de la paille, les cinq hommes sentent le purin et la bouse. Sous les jupes d’Hendrijke, sous les manteaux bordés de fourrure, sous les lévites, sous l’extravagante robe du peintre les corps remplissent bien leurs fonctions : ils digèrent, ils sont chauds, ils sont lourds, ils sentent, ils chient. — Aussi délicat et grave que soit son regard, la Fiancée juive a un cul. Ça se sent. Elle peut d’un moment à l’autre relever ses jupes. Elle peut s’asseoir, elle a de quoi. Madame Trip aussi. Quant à Rembrandt lui-même, n’en parlons pas : dès son premier portrait sa masse charnelle ne cessera de s’accélérer d’un tableau à l’autre jusqu’au dernier, où il arrive, définitif, mais non vidé de substance. Après qu’il a perdu ce qu’il avait de plus cher — sa mère et sa femme — on dirait que ce costaud va chercher à se perdre, sans politesse envers les gens d’Amsterdam, à disparaître socialement.

 

Vouloir n’être rien, c’est une phrase qu’on entend souvent. Elle est chrétienne : faut-il comprendre que l’homme cherche à perdre, à laisser se dissoudre ce qui, de quelque manière, le singularise banalement, ce qui lui donne son opacité, afin, le jour de sa mort, de présenter à Dieu une pure transparence, même pas irisée ? Je ne sais pas et je m’en fous.

 

Jean Genet, Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes, dans Ouvres complète, IV, Gallimard, 1968, p. 21-23.

 

09/02/2016

Jean Genet, Un chant d'amour

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                           Un chant d’amour

 

Berger descends du ciel où dorment tes brebis !

(Au duvet d’un berger bel Hiver je te livre)

Sous mon haleine encore si ton sexe est de givre

Aurore le défait de ce fragile habit.

 

Est-il possible d’aimer au lever du soleil ?

Leurs chants dorment encore dans le gosier des pâtres,

Écartons nos rideaux sur ce décor de marbre ;

Ton visage ahuri saupoudré de sommeil.

 

Ô ta grâce m’accable et je tourne de l’œil

Beau navire habillé pour la noce des Îles

Et du soir. Haute vergue ! Insulte difficile

Ô mon continent noir ma robe de grand deuil !

 

[...]

Jean Genet, Un chant d’amour, dans Le condamné à mort,

L’Arbalète, 1966, p. 81.

07/12/2014

Jean Genet, L'atelier d'Alberto Giacometti

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   Tout homme aura peut-être éprouvé cette sorte de chagrin, sinon la terreur, de voir comme le monde et son histoire semblent pris dans un inéluctable mouvement, qui s'amplifie toujours plus, et qui ne paraît devoir modifier, pour des fins toujours plus grossières, que les manifestations visibles du monde. Ce monde visible est ce qu'il est, et notre action sur lui ne pourra faire qu'il soit absolument autre. On songe donc avec nostalgie à un univers où l'homme, au lieu d'agir aussi furieusement sur l'apparence visible, se serait employé à s'en défaire, non seulement à refuser toute action sur elle, mais à se dénuder assez pour découvrir ce lieu secret, en nous-même, à partir de quoi eût été possible une aventure humaine toute différente. Plus précisément morale sans doute. Mais, après tout, c'est peut-être à cette inhumaine condition, à cet inéluctable agencement, que nous devons la nostalgie d'une civilisation qui tâcherait de s'aventurer ailleurs que dans le mensurable. C'est l'œuvre de Giacometti qui me rend notre univers encore plus insupportable, tant il semble que cet artiste ait su écarter ce qui gênait son regard pour découvrir ce qui restera de l'homme quand les faux-semblants seront enlevés. Mais à Giacometti aussi peut-être fallait-il cette inhumaine condition qui nous est imposée, pour que sa nostalgie en devienne si grande qu'elle lui donnerait la force de réussir dans sa recherche.

 

Jean Genet, L'atelier d'Alberto Giacometti, dans Œuvres complètes, V, Gallimard, 1979, p. 41.