23/09/2021
Cioran, Aveux et anathèmes
Chaque fois que je vois un clochard ivre, sale, halluciné, puant, affalé avec sa bouteille sur le bord du trottoir, je songe à l’homme de demain s’essayant à sa fin et y parvenant.
C’est sous l’effet d’une humeur suicidaire qu’on s’entiche généralement d’un être ou d’une idée. Quelle lumière sur l’essence de l’amour et du fanatisme !
Ce qui date le plus, c’est la révolte, c’est-à-dire la plus vivante de nos réactions.
J’aimerais mieux offrir ma vie en sacrifice que d’être nécessaire à qui que ce soit.
Les nuits où l’on se persuade que tous ont évacué cet univers, même les morts, et qu’on y est le dernier vivant, le dernier fantôme.
Cioran, Aveux et anathèmes, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2011, p. 1060, 1062, 1063, 1063, 1064.
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22/09/2021
Cioran, Syllogismes de l'amertume
Vitalité de l’amour : on se saurait médire sans injustice d’un sentiment qui a survécu au romantisme et au bidet.
Deux victimes besogneuses, émerveillées de leur supplice, de leur sudation sonore. À quel cérémonial nous astreignent la gravité des sens et le sérieux des corps !
Plus un esprit est revenu de tout, plus il risque, si l’amour le frappe, de réagir en midinette.
Les événements tumeur du Temps.
L’insomnie est la seule forme d’héroïsme compatible avec le lit.
Cioran, Les syllogismes de l’amertume, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, p. 235, 237, 238, 242, 255.
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21/09/2021
Cioran, Syllogismes de l'amertume
Il est aisé d’être « profond » : on n’a qu’à se laisser submerger par ses propres tares.
Modèles de style : le juron, le télégramme et l’épitaphe.
Les « sources » d’un écrivain, ce sont ses hontes, celui qui n’en découvre pas en lui, ou s’y dérobe, est voué au plagiat ou à la critique.
Le public se précipite sur les auteurs dits « humains » ; il sait qu’il n’a rien à en craindre : arrêtés, comme lui, à mi-chemin, ils lui proposeront un arrangement avec l’Impossible, une vision cohérente du Chaos.
La peur de la sénilité conduit l’écrivain à produire au-delà de ses ressources et à ajouter aux mensonges vécus tant d’autres qu’il emprunte ou forge. Sous des « Œuvres complètes » gît un imposteur.
Cioran, Les syllogismes de l’amertume, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2011, p. 173, 173, 174, 175, 176.
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20/09/2021
Cioran, Syllogismes de l'amertume
Tant de pages, tant de livres qui furent aux sources d’émotion et que nous relisons pour y étudier la qualité des adverbes ou la propriété des adjectifs.
Combien j’aime les esprits de second ordre (Joubert, entre tous) qui, par délicatesse, vécurent à l’ombre du génie des autres et, craignant d’en avoir, se refusèrent au leur !
L’histoire des idées est l’histoire de la rancune des solitaires.
Rater sa vie, c’est accéder à la poésie — sans le support du talent.
Ne cultivent l’aphorisme que ceux qui ont connu la peur au milieu des mots, cette peur de crouler avec tous les mots.
Cioran, Syllogismes de l’amertume, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2011, p. 169, 170, 170, 172, 173.
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17/09/2021
Baudelaire, Mon cœur mis à nu
Ne pouvant pas supprimer l’amour, l’Église a voulu au moins le désinfecter, et elle a fait le mariage.
Pourquoi l’homme d’esprit aime les filles plus que les femmes du monde, malgré qu’elles soient également bêtes ? — À trouver.
Ce qu’il y a d’ennuyeux dans l’amour, c’est que c’est un crime où l’on ne peut pas se passer d’un complice.
Défions-nous du peuple, du bon sens, du cœur, de l’inspiration, et de l’évidence.
Le jour où le jeune écrivain corrige sa première épreuve, il est fier comme un écolier qui vient de gagner sa première vérole.
Baudelaire, Mon cœur mis à nu, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1961, p. 1283, 1283, 1284, 1287, 1288.
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16/09/2021
Baudelaire, Fusées, Mon cœur mis à nu
Pour guérir de tout, de la misère, de la maladie et de la mélancolie, il ne manque absolument que le goût du travail.
Sois toujours poète, même en prose. Grand style (rien de plus beau que le lieu commun).
Le premier venu, pourvu qu’il sache amuser, a le droit de parler de lui-même.
Relativement à la Légion d’Honneur : Si un homme a du mérite, à quoi bon le décorer. S’il n’en a pas, on peut le décorer, parce que [cela] lui donnera un lustre.
Être un homme utile m’a paru toujours quelque chose de bien hideux.
Baudelaire, Fusées, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1961, p. 1266, 1267, Mon cœur mis à nu, 1271, 1272-3, 1274.
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15/09/2021
Baudelaire, Fusées
Dieu est un scandale, — un scandale qui rapporte.
Il n’y a que deux endroits où l’on paie pour avoir le droit de dépenser, les latrines publiques et les femmes.
Ce qu’il y a d’enivrant dans le mauvais goût, c’est le plaisir aristocratique de déplaire.
Cet homme est si peu élégiaque, si peu éthéré, qu’il ferait horreur même à un notaire.
Après une débauche, on se sent toujours plus seul, plus abandonné.
Baudelaire, Fusées, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1961, p. 1258, 1258, 1259, 1262, 1265.
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14/09/2021
Baudelaire, Fusées
À chaque lettre de créancier, écrivez cinquante lignes sur un sujet extra-terrestre et vous serez sauvés.
De la langue et de l’écriture, prises comme opérations magiques, sorcellerie évocatoire.
Il y a dans l’acte de l’amour une grande ressemblance avec la torture ou avec une opération chirurgicale.
Quand j’aurai inspiré le dégoût et l’horreur universels, j’aurai conquis la solitude.
Beaucoup d’amis, beaucoup de gants — de peur d’attraper la gale.
Baudelaire, Fusées, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1961, p. 1250, 1256, 1257, 1258, 1258.
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13/09/2021
Baudelaire, Fusées
L’amour, c’est le goût de la prostitution. Il n’est pas de plaisir noble qui ne puisse être ramené à la prostitution.
Dans un spectacle, dans un bal, chacun jouit de tout.
Les ténèbres vertes dans les soirs humides de la belle saison.
Les peuples adorent l’autorité.
La maigreur est plus nue, plus indé¢e que la graisse.
Baudelaire, Fusées, dans Œuvres complètes, Pléiade/Gallimard, 1961, p.1247, 1247, 1248, 1248, 1251.
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11/09/2021
Gustave Roud, Journal
Ascension [24 mai 1938] – « Sur la Croix » Ferlens
Espèce de saisissement tout à l’heure, en arrivant au carrefour de Ferlens. La couleur des ombres d’arbres sur les quatre routes éveille en moi un appel, un rappel de voyages anciens et c’est un cri confus et caché qui me traverse — une voix qui me dit de ne point attendre, de partir, de partir, où ? Je ne sais à quel moment précis de l’autrefois de ma vie ces valeurs sont liées, mais cela doit être à quelque chose d’essentiel, peut-être autour de ma vingtième année… À travers tout ce printemps, d’ailleurs, j’ai ressenti le même choc indéfinissable et c’était toujours devant les routes de poussière bordées d’herbe sombre — Les valeurs de ce gris-blanc-bleu et du vert bleuâtre des prairies étaient absolument partielles à un accord musical retrouvé, mais qu’on se répète sans trêve avec une très profonde nostalgie — sans pouvoir la situer dans le temps et dans l’espace.
Gustave Roud, Journal Carnets cahiers et feuillets II 1937-1971, éditions Empreintes 2004, p. 36-37.
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10/09/2021
Gustave Roud, Journal
Lundi 11 novembre [1940]
L’oiseau-prophète. L’oreille ouvre parfois sur le cœur — sur une mémoire ancestrale. Le cri nocturne des bêtes de proie atteint en nous quelque chose d’antérieur à toute civilisation. Quel travail d’esprit pour se situer à nouveau, lorsque réveillés en plein sommeil par cette clameur d’un autre âge, qui atteint un autre en nous. — Bouvreuil — l’oreille ouverte sur quelle mystérieuse voie de — communication ?
Gustave Roud, Journal, Carnets cahiers et feuillets II 1937-1971, éditions Empreintes, 2004, p. 86.
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09/09/2021
Vélimir Khlebnikov, Choix de poèmes
Pas-hommes
L’oiseau qui aspire aux sommets
vole au ciel.
La demoiselle qui aspire aux sommets
porte des talons hauts.
Lorsque je n’ai pas de chaussures
je vais au marché et j’en achète.
Lorsque quelqu’un n’a pas de nez
il achète de la cire.
Lorsqu’un peuple n’a pas d’âme
il va chez le voisin
et paie pour en acquérir une,
lui, privé d’âme !
Vélimir Khlebnikov, Choix de poèmes,
traduction Luda Schnitzer, Pierre Jean Oswald,
1967, p. 63.
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07/09/2021
Marina Tsvétaïéva, Le ciel brûle
Les nuits sans celui qu’on aime — et les nuits
Avec c elui qu’on n’aime pas, et les grandes étoiles
Au-dessus de la tête en feu et les mains
Qui se tendent vers Celui —
Qui n’est pas — qui ne sera jamais,
Qui ne peut être — et celui qui le doit...
Et l’enfant qui pleure le héros
Et le héros qui pleure l’enfant,
Et les grandes montagnes de pierre
Sur la poitrine de celui qui doit — en bas...
Je sais tout ce qui fut, tout ce qui sera,
Je connais ce mystère sourd-muet
Que dans la langue menteuse et noir
Des humains — on appelle la vie.
Marina Tsvétaïéva, Le ciel brûle, traduction Pierre Léon et Ève Malleret, Poésie/Gallimatd, 1999, p. 79.
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06/09/2021
Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie
Tu m’aimas dans la fausseté
Du vrai — dans le droit du mensonge
Tu m’aimas — plus loin : c’eût été
Nulle part ! Au-delà ! Hors songe !
Tu m’aimas longtemps et bien plus
Que le temps. — la main haut jetée ! —
Désormais :
-
-
-
-
-
- Tu ne m’aimes plus —
-
-
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-
C’est en cinq mots la vérité.
Marina Tsvétaïéva, Tentative de jalousie,
La Découverte, 1986, p. 90.
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05/09/2021
Aïgui, Douze parallèles à Igor Voulokh
Douze parallèles à Igor Voulokh
1
et les coups d’acier
(de temps en temps)
construisent un champ désert — ensuite on dessine
qui porte ces coups
oiseau invisible au bec d’acier
2
dans le velours des fleurs me tournant et retournant jr m’ndors
me retournant des joues
parmi de gros : comme un rêve venu de cercles malhabiles
pleurs tardifs-inutiles
comme — pour ma mère — et pour qui d’autre encore ?
c’était clair — d’autant plus que dans un pareil méli-mélo — c’est clair
sûrement — pas pour le Seigneur
3
Maladie — de tout petit. Inquiétude — des arbres
(...)
Aïgui, Douze parallèles à Igor Voulokh, dans
Europe, n° 935, mars 2007, p. 284.
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