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26/04/2022

Edmond Jabès, Le Livre des Marges

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                              V’herbe

 

   Écrire, pour moi, aura consisté, jour après jour, à sauvagement arracher du sol, herbe et racines intruses ; puis à refuser de fertiliser mes terres en les écobuant.

 

   Aucune survie dans cette mort-là ; mais une sur-mort impitoyable.

 

   Mettre en cause les jardins, c’est mettre en cause ce qui flatte l’odorat et le regard.

   Point de parfum dans le désert ; point d’enchantement ; mais l’âcre odeur de l’éternité spoliée, la désaffection des formes glorieuses ; la mise en accusation de l’œil.

   Tous les moments de la vie ont leur parfum. Sortie du corps, la vie ne sent plus rien.

(...)

 

Edmond Jabès, Le Livre des Marges, Biblio/Essais, 1984, p. 105.

07/07/2021

André Spire, Poèmes juifs

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            Jardins

 

Jardins, jardins, comme j’aimerais

Vos calmes ordonnances,

Si derrière vos arbres taillés je ne sentais

Comme une absence, une éternelle absence.

 

Si, sans cesse, vos fleurs ne me disaient : Va t’en !

Il y a un désert au pied d’une montagne

Cherche, sans l’y trouver, une voix qui te parle,

Au milieu des épines, dans un buisson ardent. »

 

André Spire, Poèmes juifs, Albin Michel, 2020 (1908), p. 73.

 

16/07/2020

Edoardo Sanguineti, Corollaire

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gravez-les en toutes lettres, lecteurs testamentaires (c’est à mes écoliers que je parle,

mes hypocrites enfants, les philoprolétaires qui me ressemblent tant, innombrables,

désormais comme les grains de sable de mon désrt vide), ces paroles miennes, sur ma tombe,

avec la salive, en vous trempant un doigt dans la bouche : (comme je le trempe maintenant,

entre les excessifs abcès de mes gencives glacées) : 

                                                                         j’en ai joui, moi, de ma vie :

 

Edoardo Sanguineti, Corollaire, traduction Patrizia Atzei et Benoît Casas, NOUS, 2013, p. 15.

10/12/2019

Philippe Jaccottet, Le bol du pèlerin (Morandi)

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(Une récente nuit, je me suis rappelé une halte marocaine à Ouarzazare : des sables roses et des sables jaunes, des rafales de vent de sables roses et des drapeaux, et ces espèces de forteresses qui tremblaient dans l’excès de lumière sans être des mirages, mais à peine distinctes du sol où elles avaient été bâties, brève entrevision, un matin, pourquoi si poignante ?Je me trouvais dans un endroit du monde où je n’avais même pas désiré passionnément me rendre, et sans qu’aucune aventure personnelle y fût mêlée (car enfin, bien sûr, s’il y avait eu dans un de ces palais ou forteresses entrevus — comme au cinéma ! — une femme captive, ou pas, que je serais allé rejoindre — délivrer ! —, mon émotion fût allée de soi et personne ne s’en fût étonné — sinon du fait que c’était moi le héros ! mais non). Et ce que j’avais entrevu ainsi à quelque distance n’était même pas un site imprégné par la présence, ou l’absence de dieux, comme l’Égypte ou la Grèce m’en avaient offert en d’autres occasions. Alors un pur mirage, tout de même ? Le « leurre du seuil », plutôt : car là commençait le désert, l’idée de ce qui s’ouvre devant nous sans limites — et moins étranger à mon goût que l’océan —, l’ivresse que cela procure, ce socle pour la lumière, tout empoussiéré de feu, ces sables faits pour les pieds nus des voyants gardant l’entrée (...).

 

Philippe Jaccottet, Le bol du pèlerin (Morandi), La Dogana, 2001, p. 63-64.

13/03/2018

Joseph Joubert, Carnets, I

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On aime qu’une fois, disent les chansons : c’est-à-dire qu’il n’y a qu’un seul âge qui soit véritablement propre à l’amour.

 

Entendez-vous ceux qui se taisent ?

 

Par le souvenir, on remonte le temps, par l’oubli on en suit le cours.

 

Nous sommes, dans le monde, ce que sont les mots dans un livre. Chaque génération en est comme une ligne, une phrase.

 

C’est ici le désert. Dans ce silence, tout me parle : et dans votre bruit tout se tait.

 

Joseph Joubert, Carnets, I, Gallimard, 1994, p. 110, 130, 135, 139, 155.

 

 

                           Le retour

 

Joseph Joubert, Carnets, I, aimer, souvenir, oubli, mot, désert

01/10/2014

Édith Boissonnas, Jean Dubuffet, La vie est libre

 

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   [à El Golea] Les nomades deviennent très riches quand il pleut au printemps dans le désert, ils possèdent des centaines et parfois des milliers de chameaux et des moutons à ne pouvoir les compter. Mais s'il ne pleut pas tout crève, on mange les chameaux et c'est la ruine. Or cette année il n'a pas plu. Il y a des puits artésiens dont le débit est gros comme un saladier on peut les louer (mille cinq cents francs la minute). Pour les mouches (dont il y a énormément) il y a la commissure des yeux, l'orifice du canal lacrymal, fraîche source où boire à qui aime la larme saumâtre, yeux d'homme ou de mouton ou de chameau. La bestiaire comporte encore, outre la mouche et le chameau, le chien (mais pas noir, les Arabes exècrent le chien noir), le bouc, la sauterelle, le termite, la hyène, le petit renard saharien, le chacal, le scorpion et la vipère à cornes. J'oubliais l'âne (il est si chargé qu'on le distingue mal). J'oubliais la gazelle (elle court si vite !).La configuration du pays est changeante à décourager toute mensurations et topographies et il n'est pas besoin de la foi gros comme un petit pois pour faire déplacer les montagnes. Elles courent dans le vent plus vite que les gazelles et campent ici ce soir et demain matin bien loin.

 

Lettre de Jean Dubuffet du 5 mars 1947, dans Édith Boissonnas, Jean Dubuffet, La vie est libre, correspondance et critique 1945-1980, Zoé, Genève, 2014, p. 57-58.