11/03/2023
Yves di Manno; Lavis
une vue
cheminant vers
quel paysage effacé
enfermant la vison
dans les plis
du papier
*
une mue ?
s’acheminant
vers un corps sans
passé ni lendemain
une peinture sans paysage
un poème
hors du langage
Yves di Manno, Lavis,
Flammarion, 2023, p. 106-107.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : yves di manna, lavis, paysage, peinture | Facebook |
10/03/2023
Elisabeth Browning, dans Le Chaos dans 14 vers, anthologie bilingue du sonnet anglais
Si tu dois m’aimer, que cela soit pour rien
Que l’amour même. Ne dis pas : « Je l’aime pour
Son regard... son sourire... ou les doux discours
Qu’elle peut formuler ... ou parce qu’elle tient
Le même tour que moi de pensée, qui fut bien
Source d’agréments importants, tel ou tel jour »,
Car ces choses, Aimé, peuvent changer toujours,
En soi, ou bien pour toi — et l’amour, ainsi teint,
Peut être aussi déteint. Ne va non plus m’aimer
Du fait que ta pitié sèche mes joues — car celle
Que tu réconfortais, oubliant de pleurer,
Perdrait aussi ton affection conditionnelle !
Aime-moi pour l’amour de l’amour : qu’à jamais
Tu continues d’aimer dans l’amour éternel.
Elisabeth Browning, dans Le Chaos dans 14 vers,
anthologie bilingue du sonnet anglais composée et
traduite par Pierre Vinclair, lurlure, 2023, p. 197.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : elisabeth browning, dans le chaos dans 14 vers, amour, éternité | Facebook |
09/03/2023
John Donne, Le Chaos dans 14 vers
C’est la scène finale de ma pièce ; ici
Les choix fixent l’ultime borne du chemin ;
Ma course, oisive mais brève, a ses dernier pas,
Dernier pouce à mon empan, dernières secondes ;
La mort gloutonne va tout de suite disjoindre
Mon âme de mon corps, je vais dormir un temps ;
Mais ma part éveillée pourra voir ce visage
Dont la peur déjà secoue toutes mes jointures.
Puis, mon âme au ciel, son premier siège, s’envole,
Et mon corps, né de terre en la terre retourne ;
Que tombent mes péchés, tous obtenant leur dû,
Où ils sont nés et m’auraient pressé : en enfer.
Faisant de moi un juste, ainsi purgé du mal :
Car je quitte ce monde, la chair, le démon.
John Donne, dans Le Chaos dans 14 vers, anthologie bilingue
du sonnet anglais composée et traduite par Pierre Vinclair,
lurlure, 2023, p. 61.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : john donne, dans le chaos dans 14 vers, sonnet anglais, âme, enfer, péché | Facebook |
08/03/2023
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux
Tous les blés flambent
et la brève alouette
est un fragment ascendant de ce feu.
Elle ne gravit tous les paliers de l’air
que parce que le sol est trop brûlant.
Il est une beauté que les yeux et les mains touchent
et qui fait faire au cœur un premier degré dans le chant.
Mais l’autre et dérobe et il faut s’élever plus haut
jusqu’à ce que nous autres ne voyions plus rien,
la belle cible et le chasseur tenace
confondus dans la jubilation de la lumière.
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,
Gallimard, 2021, p. 30.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Jaccottet Philippe | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philippe jaccottet, le dernier livre de madrigaux, alouette, lumière | Facebook |
07/03/2023
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux
En écoutant Claudio Monteverdi
On croirait, quand il chante, qu’il appelle une ombre
qu’il aurait entrevue un jour dans la forêt
et qu’il faudrait, fût-ce au prix de son âme, retenir :
c’est par urgence que sa voix prend feu.
Alors , à sa lumière d’incendie, on aperçoit :
une pré nocturne, humide, et par-delà
où il avait surpris cette ombre tendre,
ou beaucoup mieux et plus tendre qu’une ombre :
Il n’y a plus que chênes et violette maintenant.
La voix qui a illuminé la distance retombe.
Je ne sais pas s’il a franchi le pré.
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,
Gallimard, 2021, p. 9.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Jaccottet Philippe | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philippe jaccottet, le dernier livre de madrigaux, monteverdi, chant, ombre | Facebook |
05/03/2023
Franco Fortini, Feuille de route
Sagesse
Il n’y a qu’une femme que j’ai aimée
Comme dans les rêves on s’aime soi-même
Et de bien et de mal je l’ai comblée
Comme font les hommes avec eux-mêmes.
C’était elle que j’avais choisie
Pour être appelé par mon nom :
Et elle le disait lorsque je l’ai perdue.
Mais peut-être n’était-ce pas mon nom.
Et je vais par d’autres saisons et pensées
Cherchant autre chose par-delà son visage ;
Mais plus je me fatigue par de nouveaux sentiers
Plus nettement je connais son visage.
Peut-être est-ce vrai, et les plus sages l’ont écrit :
Au-delà de l’amour il y a encore l’amour.
La fleur se perd et puis se voit le fruit :
Nous nous perdons et c’est l’amour qu’on voit.
Franco Fortini, Feuille de route, édition bilingue,
traduction de l’italien Giulia Camin et Benoît Casas,
préface Martin Rueff, NOUS, 2002, p. 53.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : franco fortini, feuille de route, nom, amour, perte | Facebook |
04/03/2023
Bernard Noël, Monlogue du nous
Nous avons perdu nos illusions et chacun de nous se croit fortifié par cette perte. Fortifié dans as relation avec les autres. Nous savons cependant que nous y avons égaré quelque chose car la buée des illusions nous était plus utile que leur décomposition. Nous oublions ce gain de lucidité dans son exercice même. Nous n’en avons pas moins de mal à mettre plus de raison que de sentiment dans notre action. Nous aurions dû depuis longtemps donner toute sa place au durable, mais la séduction s’est toujours révélée plus immédiatement efficace.
Bernad Noël, Monologue du nous, P. O. L, 2015, p. 7-8.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Noël Bernard | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bernard noël, monologue du nous, illusion, oubli, séduction | Facebook |
03/03/2023
Hans Morgenthaler; « Moi-même », suivi de huit poèmes
La taupe II
A travers l’obscurité j’écoute
S’il ne m’arriverait pas un son, quelque écho
De la taupe ma bien aimée
Creusant dans la même nuit
En quête de sa propre lumière.
S’il ne m’arriverait pas un salut, un signe
D’un compagnon qui me ressemble...
Je fouille seul et me hisse en vain
Pour devenir humain...
Pas un mot, pas un son, pas un écho
De sympathie ne frappe mes oreilles.
Seulement au milieu des champs vides
Balancé par la tempête
Dans un crépuscule pâle et oblique
Portant l’habit gris de l’ermite
Forcé de rejoindre la mort
Pendu à une barre ployée en arc,
Le cadavre d’un pauvre frère taupe !
Hans Morgenthaler, « Moi-même », suivi de
huit poèmes, traduction de l’allemand
Renata Weber, La Revue de Belles-Lettres,
2022, II, p.37.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hans morgenthaler, « moi-même », suivi de huit poèmes, humain, taupe | Facebook |
01/03/2023
Pascal Quignard, Les Paradisiaques
La voix paradisiaque
Si la préférence pour la voix féminine maternelle précède en nous le premier jour, cette perte se répète tragiquement à l’adolescence chez les garçons. Ils quittent l’aigu pour le grave. L’activité de la voix maternelle externe chez les mâles à partir de la puberté devient perpétuellement initiale. Cette perte définit le tragique. Les anciens Grecs nommaient tragôdiale dédoublement vocal de la mue masculine, faisant passer le petit humain de la néoténie à la puberté.
La voix de jadis est la voix soprano.
La voix maternelle externe a un impact rythmique dans le comportement de succion du nouveau-né.
Il y a des anorexies natales dues à des défauts de voix.
Anorexies « tragiques »
Faims affamées dues au non-rappel de la voix interne.
Pascal Quignard , Les Paradisiaques, Folio/Gallimard, 2007, p. 273.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal guignard, les paradisiaques, voix, soprano | Facebook |
28/02/2023
Pascal Quignard, Les Paradisiaques
Souffrance indicible qu’on ressent devant les parents très âgés, ou sortant d’une anesthésie générale, ou frappés par la maladie d’Alzheimer, ou revenant d’un coma.
Soit ils ne nous reconnaissent plus du tout. Soit ils se méprennent en voyant en nous d’autres vivants. Soit ils nous confondent avec des morts que nous avons peu ou pas connus parce qu’ils sont décédés depuis tant de temps.
Alors nous éprouvons la certitude, plus encore qu’à d’autres moments de notre vie, que nous avons tous déjà vécu une existence antérieure.
Pour les humains le désir de rentrer se confond au désir de mourir.
Il est difficile de distinguer entre espoir de reconnaître , désir de rentrer à la maison, envie empressée de n’être plus.
Pascal Quignard, Les Paradisiaques, Folio/Gallimard, 2007, p. 80.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal quignard, les paradisiaques, existence | Facebook |
27/02/2023
Pascal Quignard, Abîmes
Curieusement je n’avais jamais regretté un monde. Je n’ai jamais ressenti le désir de vivre dans une époque qui fût ancienne. Je ne puis me désancrer des possibilités actuelles d’inventaire, de disponibilité livresque, d’idéal fracassé, de la sédimentation de l’horreur, de cruauté érudite, de recherche, de science, de lucidité, de clarté.
Jamais le spectacle de la nature sur la terre, étant devenu rare, n’a été si poignant.
Jamais les langues naturelles ne furent à ce point dévoilées à elles-mêmes, dans leur substance involontaire.
Jamais le passé n’a été auss grand et la lumière plus profonde, plus glaçante. Jamais le relief ne fut plus accusé.
Pascal Quignard, Abîmes Folio/Gallimard, 2004, p. 115.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal guignard, abîmes, spectacle, langue naturelle | Facebook |
26/02/2023
Pascal Quignard, La barque silencieuse
La parenté est linguistique en ce sens qu’elle n’est que rétroactive. Chaque généalogie est le fruit du récit qui la fonde plutôt qu’il l’explique. Le nom que l’on porte narre une histoire que des êtres plus anciens ont rapportée en l’arrangeant. C’est une légende qui se pose sur un petit animal a-parlant et vivant.
Les ascendants nomment tout naissant par un mort et ils le baptisent dans une vieille histoire mensongère ou du moins profondément améliorée.
Ne pas nommer, c’est ne pas faire naître, c’est rompre la chaîne, c’est interdire l’accès au statut d’ancêtre dans le rapport du nom comme c’est interdire l’accès au revenant dans le baptême où son nom entendait revenir.
Pascal Quignard, La barque silencieuse, Folio/Gallimard, 2009, p. 175.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal guignard, la barque silencieuse, parenté, récit, nommer | Facebook |
25/02/2023
Pascal Quignard, Sordidissimes
L’art n’est pas grand-chose. Dans ce monde ce n’est vraiment pas grand-chose pour peu qu’on compare tous les arts à la nature sur la terre.
L’art est un pas grand-chose qui hérite du Vieux Sac .
L’art est l’arrivée trop tardive.
Créer c’est chercher son hôte. Pour les animaux il s’agit de trouver un lieu pour le succès de la ponte. Pour les oiseaux il s’agit de le construire. Pour les fleurs et les arbres obtenir une terre où fleurir. Un site. Un bout de muraille rongée. La corniche d’une falaise. Un intervalle dans le temps. Un lapsus du temps ou plutôt un fragment d’Eden du temps, une petite branche ou une feuille — un petit folio de l’arbre prélapsaire.
Pascal Quignard, Sordidissimes, Folio/Gallimard, 2005, p. 168.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal quignard, sordidissimes, art, lieu | Facebook |
24/02/2023
Pascal Quignard, La barque silencieuse
Nul ne peut se plaindre de vie : elle ne retient personne. Cet argument se trouve répété dans les œuvres des deux Sénèque, père et fils, sous Tibère et sous Néon. L’argument prend aussi cette autre forme à Rome : la seule raison de louer la vie est qu’elle nous offre avec elle la possibilité de nous en extraire. On ne peut pas parler de servitude quand l’émancipation est donnée avec elle. L’insoumission et la soumission sont offertes d’un même mouvement. Les vieillards se pendant au bras de leur fauteuil dans les hôpitaux à l’aide de la ceinture de leur robe de chambre.
Pascal Quignard, La barque silencieuse, Folio/Gallimard, 2011, p. 86-87.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Quignard Pascal | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pascal guignard, la barque silencieuse, suicide | Facebook |
23/02/2023
Jude Stéfan, Pandectes (ou le neveu de Bayle)
Autocritique
Forme moderne de l’Inquisition (Sciascia). C’est toujours le Père, la peur.
Bavards
Massacreurs du silence et de la parole vraie.
« Loquaces, muti sunt » (Confessions, I, 4) : ils ont beau parler, ils ne disent rien.
Célibat
Honneur de l'individu.
L’art est incompatible avec le mariage. Mozart prouve le malentendu. Gauguin, l’obligation de rompre. Schubert l’heureuse exception. Blake l’humble vérité.
Critique
La moindre œuvre mineure est plus estimable que la meilleure critique usuelle — celle des noteurs parasites.
Jude Stéfan, Pandectes (ou le neveu de Bayle), Gallimard, 2008, p. 35, 40, 53, 76.
Publié dans ANTHOLOGIE SANS FRONTIÈRES, Stéfan, Jude | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jude stéfan, pandectes (ou le neveu de bayle), critique, célibat, bavard | Facebook |