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22/02/2023

Jude Stéfan, Povrésies ou 63 poèmes autant d’années

Le dernier numéro de la revue Europe publie un dossier consacré à Jude Stéfan.

Il a été préparé par Gérard Cartier

 

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la mer encore formée

les mérules qui moisissent tes murs

elle vous ouvre son gîte, la femme

         au sourire de victoire

(toasts & médailles sous les arbres fleuris)

le père  repeignait le mur blanc trente

ans près le fils chiait son sang

         né un Mardi pour guerrier

         et de la marche du Sel

         à cinq heures les oiseaux

         en mai Lumière,

         tu me suffis

au jardin tapis s’égoutte

         chemise s’agite

assez de vos voix, vos abois

peine, ombre

autant de titres, autant de tombes

 

Jude Stéfan, Povrésies ou 63 poèmes

 autant d’années, Gallimard, 1997, p. 29.

21/02/2023

Jude Stéfan, Laures

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           et Louise Labé

 

tant nous aurons nos deux purs corps

médité debout et nous congratulant

pis lascivement aux caresses jou-

ant avant de succomber à la courte

gloire de n’être plus nous-mêmes sur

même couche d’amour et de mort

car hors toi ma passion fut l’ennui

qui mine ma vie comme tu l’illumines

si chaude et blanche et profanable

présence sous chairs ô rite nu

tant nous aurons à deux mimé l’amour

perdu — tels vent caressant fustigeant

la mer nos mains et yeux étrange pays

         de lichens et de lianes

 

Jude Stéfan, Laures, Gallimard, 1984, p. 15.

        

19/02/2023

Jude Stéfan, Laures

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laure VIII

 

                  j’ai embrassé ta voix

                  ma rose carnée

envoûté par les larges boucles de fleuves

comme les amants dans leur coma et qui rêvent

                  s’apprendre le gin et le cidre

                  entrecaressés dans la nuit

les plis de ta pitié les râles de ton merci

                  et tes larmes d’abîme

d’absence qui tombe en froid en deuil

                  délivre-moi du vomi

                  tiens-moi de tes rubans

des oiseaux meurent des oiseaux sont tués

                  dans le lilas des murailles

 

Jude Stéfan, Laures, Gallimard, 1984, p. 44.

Photo Chantal Tanet

18/02/2023

Jude Stéfan, Prosopées

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le noir, sa couleur d’élégance

au vert dans le jardin aux merles

le rouge sang des chevillards

                     à favoris

                  le rouge beauté

le jaune des urines et saris

le bleu des rixes et des îles

les gares dans les aubes grises

                  cendres et ardoises

le violet de ton bas, tes perles

le blanc de chair cadavérique

l’orange des soifs et des becs

le rose de la rose et des porcins

 

Jude Stéfan, Prosopées,

Gallimard, 1995, p. 15.

17/02/2023

Jude Stéfan, Que ne suis-je Canule

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Stéfan est mort

et Jude aussi

   pour les Amis épars

avecque lui mourra Emma

         sa jeune ou belle égérie

         (ne furent qu’

         étang gelé

         - un datura ouvert –

phare isolé

en fausses métaphores)

pauvres hères dans  nos campagnes

         qui l’hiver vous pendiez

           à raison

         Vous nous communiez

         vous nous en conjurez

         Ne Plus Écrire

 

Jude Séfan, Que ne suis-je Catulle,

Gallimard, 2010, p. 97.

16/02/2023

Jude Stéfan, Aux chiens du soir

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les yeux d’Emma

 

ocre fougère bistre clairière

amande noisette et verdissants

au soir ou tristes éblouis de

liesse absents vacants il y

a tout dans les yeux de ton nom

dans le nom de tes yeux le non

de ta promesse aime et âme  et elle

aima souverains  offensés bruns

et lus par cœur où sont-ils en-

volés où s’égrène ton rire avec ?

trois fois je suis passé devant

ta maison vide sans leur flamme

 

Jude Stéfan, Aux chiens du soir,

Gallimard, 1979, p. 79.

Photo T. H., 2012

15/02/2023

Jude Stéfan, À la Vieille Parque

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                                                        à h.m. †

 

           dans la nuit, la nuit (qui) remue

les souvenirs les brasse en rêves réveils

                      les meubles bâillent

                      déjà ils veillent

massifs, profonds miroirs, avec leurs bras

                      attendant le gisant

cerné de portraits dans l’ombre qui fixent

                      ses pieds cirés

qui crient au silence et au meurtre

dans les cloisons dégringolent les rats

un Espoir au passé une morne Consolation

                      deux bougies vacillent

au-dessus des tapis sanctifiant les pas

                      perdu le temps du cœur

                      qu’il repose en chose

les chaises vaquent le livre a oublié

Celui qu’il fallait lire en maître zen

 

Jude Stéfan, À la Vieille Parque, Gallimard,

                               1989, p. 30.

                               Photo T. H., 1991

14/02/2023

Jude Stéfan, Laures

                                             Jude Stéfan, 01/07/1930-11/11/2020

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             laure VIII

 

      j’ai embrassé ta voix

      ma rose carnée

envoûté par les larges boucles de fleuves

comme les amants dans leur coma et qui rêvent

      s’apprendre le gin et le cidre

      entrecaressés dans la nuit

les plis de ta pitié les râles de ton merci

      et tes larmes d’abîme

d’absence qui tombe en froid en deuil

      délivre-moi du vomi

       retiens-moi de tes rubans

des oiseaux meurent des oiseaux sont tués

       dans le lilas des murailles

 

Jude Stéfan, Laures, ‘’Le Chemin’’/Gallimard,

1984, p. 44. 

13/02/2023

Cavafy, Poèmes

                                   

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                                    Lustre

 

Dans une chambre vide et petite — seuls quatre murs

couverts d’étoffes toutes vertes —

un lustre superbe brûle et flambe ;

et dans chacune de ses flammes s’embrase

une lascive passion, un lascif élan.

 

Dans la petite chambre qui étincelle,

éclairée du feu violent du lustre,

point familière est cette lumière qui en sort ;

ni faite pour des corps timides

la volupté de cette chaleur.

 

Cavafy, Poèmes, traduction Georges Papoutsakis, Les Belles Lettres, 1977, p. 82.

12/02/2023

Paul Claudel, Connaissance de l’Est, suivi de L’Oiseau noir dans le soleil levant

paul claudel,connaissance de l’est,suivi de l’oiseau noir dans le soleil levant,haïkaï

                           HAÏ-KAÏ

La nuit du 1er septembre 1923 entre Tokyo et Yokohama

 

À ma droite et à ma gauche il y a une ville qui brûle mais la Lune entre les nuages est comme sept femmes blanches.

La tête nue sur un rail mon corps est mêlé au corps de la terre qui frémit. J’écoute la dernière cigale.

Sur la mer sept syllabes de lumière une seule goutte de lait.

 

Paul Claudel, Connaissance de l’Est, suivi de L’Oiseau noir dans le soleil levant, Poésie/Gallimard, 1974, p. 198.

11/02/2023

Paul Claudel, Connaissance de l’Est, suivi de L’Oiseau noir dans le soleil levant

          paul claudel,connaissance de l’est,la maison suspendue

                                    La maison suspendue

 

Par un escalier souterrain je descends dans la maison suspendue
 de même que l’hirondelle, entre l’ais et le chevron maçonne l’abri de sa patience et que la mouette colle au roc son nid comme un panier, par un système de crampons et de tirants et de poutres enfoncées dans la pierre, la caisse de bois que j’habite est solidement attachée à la voûte d’un porche énorme creusé à même la montagne. Une trappe ménagée dans le plancher de la pièce inférieure m’offre des commodités ; par là, tous les deux jours, laissant filer mon corbillon au bout d’une corde, je le ramène pourvu d’un peu de riz, de pistaches grillées et de légumes confits dans la saumure.

 

Paul Claudel, Connaissance de l’Est, suivi de L’Oiseau noir dans le soleil levant, Poésie/Gallimard, 1974, p. 123-124.

10/02/2023

Armand Robin, Lemonde d'une voix

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Premier amour

 

Moi

Je ne vous prendrai même pas la main. J’ai besoin seulement de vous faire une déclaration d’amour… non pas d’amour dans le ciel ni sur terre… d’amour dans le néant qui suivra mon cœur arrêté, d’un amour que trente ans je ne sentirai même pas, d’un amour que seul un peu de cœur éphémère imagera d’éternité.

 

Elle

Je ne suis qu’une pauvre fille. Je ne fus jamais que cruelle envers vous et je sais que jamais je ne pourrais être que cruelle envers vous.

Je suis une créature comme toutes les autres.

 

Moi

Mais votre voix muettement est douce.

 

Elle

Je ne veux pas de l’apparence que l’imagination me donne.

 

Armand Robin, Le monde d’une voix, Gallimard 1968, p. 86.

09/02/2023

Armand Robin, Le monde d'une voix

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                  Solitaire

 

Je n’ai pas de jour selon vos bonjours ;

Mais jours se veulent bonjours

Que dans l’aube authentique du règne du travail.

 

Mes bonjours ne salueront

Que l’aube authentique du monde du travail.

 

Armand Robin, Le monde d’une voix, Gallimard,

1958, p. 163.

08/02/2023

Jean Grosjean, Une voix, un regard, Textes retrouvés 1947-2004

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Senteurs

 

Le grenier sent la poussière

de nos journées inutiles

visitées par la lumière

qui se glisse entre les tuiles.

 

Tout ce que l’âme a coupé

dans les enclos du dimanche

a l’odeur de foin séché

qu’on hume aux portes des granges.

 

Un parfum de bois qu’on brûle

 circule à travers les chambres

puisque notre feu posthume

n’est pas éteint sous nos cendres.

 

Jean Grosjean, Une voix, un regard, Textes

retrouvés 1947-2004, Gallimard, 2012, p. 107.

07/02/2023

Jean Grosjean, Une voix, un regard

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Nos jours

 

Il a fallu différer les départs

dont nous rêvons

et recevoir tout à tour

les jours inconnus

lourds de soleil ou de pluie.

 

Les uns donnaient des pépites,

de l’encens ou du pavot,

mais d’autres d’un air candide

lançaient des questions

qui n’ont jamais de réponse.

 

L’un posait des chrysanthèmes

sur le lit de nos parents,

l’autre offrait aux fronts d’enfants

pour leur faire ombrage

les lauriers des fortsen thème.

 

Comment vouliez-vous qu’on parte

quand tant de futurs arrivent

et qu’aucun d’eux ne retire

son rire ou son deuil

sans qu’un autre lui succède ?

 

Mais dès que les nouveaux jours

seront moins nombreux aux portes

nous irons sur l’autre berge

voir quels anciens jours

sont près à nous recevoir.

(Cahiers de l’ENS, Meknès, n° 4, 1983)

Jean Grosjean, Une voix, un regard, textes

retrouvés 1947-2004, Gallimard, 2012, p. 96-97.