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06/10/2022

Jean Gente, Le voleur

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                Le voleur

 

Vous êtes hypocrite immortelle écuyère

En robe d’organdi sur un cheval blond !

En pétales perdus vos beaux doigts s’effeuillèrent

Adieu mon grand jardin par le ciel terrassé !

                               ***

Ainsi je reste seul oublié de lui qui dort dans mes

bras. La mer est calme. Je n’ose bouger. Sa pré-

sence serait plus terrible que son voyage hors

de moi. Peut-être viendrait-il sur ma poitrine.

 

Et qu’y pourrais-je faire ? Trier ses vomissures ?

Y chercher parmi le vomi, la viande, la bile, ces

violettes et ces roses qu’y délaient et délient

les filets de  sang ?

(...)

 

Jean Genet, Le pêcheur du Suquet, dans Le condamné à mort, L’arbalète, 1958, p. 104-105.

04/10/2022

Pierre Voélin, D'eau et de sang

                   

                       Ligatures

 

Toi —tendrement liée — sous le lien de mes bras

ici — sans bruit — sauf les forts battements

du cœur — à ton cou le collier

les perles — les cris

du petit jour `

 

Tu le sais — ta beauté me déchire

 

Plus souples les feuillages contre la vitre

le vent amoureux — d’un souffle —

les secoue

 

Je dirai le nu du désir — avec ou sans honte

tu annonceras — toi — les nuits de perce-neige

 

Pierre Voélin, D’eau et de sang, dans L’étrangère,

N° 56, 2022, p. 20.

29/09/2022

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, onze, douze

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                        le 18 novembre (2008)

 

Si, sur une page, je regarde le mot colline, je connais, dans des délais variables, un afflux ou non d’images, d’envies, de mémoire. Une boue de pensée, la soupe des sensations. Il est souvent difficile de les distinguer.

 

Si, maintenant, je regarde la colline, je connais, dans des délais également variables un afflux ou non d’images, d’envies, de mémoire ; La même soupe, la même boue.

 

Le corps a vécu deux activités, a accompli deux choses radicalement différentes. Comment les symptômes pourraient-ils être les mêmes ? Ils ne le sont pas. C’est toute la tragédie et toute l’excitation du monde. 

 

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, onze, douze, Flammarion, 2013, p. 104-105.

28/09/2022

Umberto Saba, Il Canzoniere

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Quand se levait le rideau

 

Quand se levait le rideau sur le monde

de mon enfance, j’accourus comme

à une fête  promise. Une à une

sont tombées les merveilles.

Des espérances conçues, nulle

qui vaille à m’en souvenir, même une larme

et même un seul soupir. Mais il me reste

ton baiser, jeune amie, qu’absences

et respect de nous-mêmes font plus rares.

 

C’était cela la vie, une gorgée amère.

 

Umberto Saba, Il Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 461.

27/09/2022

Umberto Saba, Il Canzoniere

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             Seul

 

Je suis seul. Nul n’écoute là

où tout appel aux amis dispersés

est vain.

La haine brille comme un glaçon, et je pense

que je te verrai ce soir, toi que j’aime.

 

Je pense à tous mes efforts,

tandis que j’allais au hasard

au soleil qui découvre, dans l’ombre qui protège,

pour me dire en paix quelques

mots.

 

Umberto Saba, Il Canzionere, L’âge d’homme, 1988, p. 460.

26/09/2022

Umberto Saba, Il Canzoniere

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              L’adieu

 

Sans adieu tu m’as laissé et sans pleurs ;

            dois-je m’en affliger .

Tu ne pleurais pas parce que tu avais tant,

            tant de baisers à me donner.

 

Certaines ententes amoureuses durent assurément

             autant qu’une vie et davantage.

Je connais un amour qui a duré un mois

             et qui fut un amour véritable.

 

Umbero Saba, l Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 198.

25/09/2022

Umberto Saba, Il Canzoniere

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                   La solitude

 

Saison changeante, ombre et soleil

font le monde varié, qui dans son aspect riant

nous console, et de ses nuages nous peine.

 

Et moi, qui à tant de nos apparences et à mes

yeux portait une infinie gratitude

je ne sais  aujourd’hui si je dois m’affliger

 

ou m’en aller joyeux comme quand on sort d’une épreuve :

je suis triste et pourtant la journée est si belle ;

dans mon cœur seulement il fait pluie et soleil.

 

D’un long hiver je sais faire un printemps ;

quand la route au soleil est une traînée d’or,

le bonsoir, je le dis à moi-même.

 

J’ai mes brouillards et mes beaux temps en moi tout seul

comme en moi seul est ce parfait amour

pour que l’on souffre tant, moi je ne pleure plus :

 

en mes yeux en mon cœur je trouve suffisance.

 

Umberto Saba, Il Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 146.

24/09/2022

Camille Loivier, les lignes indéfiniment se poursuivent

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(...) on a vagabondé dans le lieu, jardin et maison, sans souhaiter rencontrer personne, on a cherché à s’approprier quelque chose que l’on nous a refusé. On a écouté des bribes d’histoires, des fragments sans lien apparent et on n’a pas compris que l’on était ce lien, cette pâte à fixe, ce joint. On est venue à la rencontre d’une enfance meurtrie, on est allée plus loin encore vers l’enfance passée de celles qui n’étaient plus enfants, on se mettait là parce que l’on s’y sentait bien : on était à sa place, retournée à l’autorité de soi-même.

 

Camille Loivier, les lignes indéfiniment se poursuivent, dans La revue de belles-lettres, 2022-1, p. 83.

21/09/2022

Sandra Moussempès, Vestiges de fillette

 

                       (Point of view)

 

Devant la rambarde bleue rouillée de la plage de galets, ils observent les cars de touristes. Un groupe de vieilles dames entre dans un snack éclairé au néon jaune vif. Sur les tables de formica bleu canard sont posés ketchup rouge sang et moutarde kaki. Face aux vagues, cette assemblée argentée boit sagement son thé.

 

Ils arrivent à deux heures chez leurs amis. La maison est silencieuse. Baby Phoche dort. Ils s’assoient devant le feu de cheminée. La jeune fille saigne du nez plusieurs fois.

 

Comme la pluie sur l’autoroute ce fluide imprévisible ramène le garçon à son impuissance devant les phénomènes naturels.

 

Les corons pourpres stagnent dans l’évier.

Elle a taché le sol de la salle de bains.

 

Sandra Moussempès, Vestiges de fillette, Poésie/Flammarion, 1997, p. 83.

20/09/2022

Sandra Moussempès, Cassandre à bout portant

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Aujourd’hui je suis contente de moi

Buvant une tasse de thé vert

Lisant des poèmes coréens bien traduits

Contrariée par d’autres choses réduites en cendres

 

La contrariété fait partie du réel m’avait-on dit

J’ai vu pire que la contrariété

Les os d’un revenant dans un bol de nouilles

 

Le tr(ou noir qui traîne sur le sol

M’envahit comme une tristesse passagère

La liste des arbres est déjà devenue un défilé de mode

« You are so great ! » au milieu de la forêt la mondanité

                prend le pas sur la pulsation

 

La mariée finale en robe de dentelle

Est une nonne qui entre en scène et cache le trou dans sa traîne

 

Sandra Moussempès, Cassandre à bout portant, Flamarion/poésie, 2021,

19/09/2022

Cédric Demangeot, Promenade et guerre

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d’un retournement du mauvais sort

occidental une peau

de vache écrite

endormie depuis trois millénaires

est aujourd’hui

prise d’un spasme organique qui la

déchire

 

Cédric Demangeot, Promenade et guerre,

Poésie/Flammarion, 2021, p. 51.

17/09/2022

Jude Stéfan, Épodes

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                  d c d

comme eut écrit M. Crozatier †

dans son poème 1 2 3 4 5 6

au Refuge 2 rue de la Charité

comme à l’hôpital d’Arthur (la

               Conception !)

Ils sont morts à toutes dates

                un 14/4/30

le « possesseur du mondez » se tue d’une balle

                donc par début de printemps

                 comme un 14/4/40

naissait l’épouse perdue et comme

                  par glaciale nuit

le vingt-six janvier dix-huit cent cinquante-cinq

                   se pendit Gérard 

le vingt-sept janvier dix-huit cent trente-sept

dans la neige gisait le duelliste moscovite

mortels mannequins nous sommes moins durables    

                    que Noms et Dates

 

Jude Stéfan, Épodes, Gallimard, 1999, p. 16. 

Stéfan à Cerisy, 2012, photo T. H.

16/09/2022

Jude Stéfan, Libères

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ma lente ma digne ma parfaite

toi partie pour guérir de toi

puisque femme de la femme guérit

courons voir au large une voile

rouge sur l’écume brève avec la

nymphe au trop de gestes et demain

la vénitienne aux baisers doulou-

reuse mais aux doigts si blancs sur sa

touffe puis le soir même la vieille

aux dents d’or qui vous abîme en l(oubli ;

où es-tu où je ne suis ici je

crie haï de moi d’aimer reviens

ma chaste unique entre tes mains

calmer ma face de tes feux mon cœur.

                          

                                              (Absence)

 

Jude Stéfan Libères, Gallimard, 1970, p. 47.

Stéfan, 1991, photo T. H.

15/09/2022

Pierre Reverdy, Cravates de chanvre

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                  Adieu

 

    La lueur plus loin que la tête

                               Le saut du cœur

 

Sur la pente où l’air roule sa voix

                  les rayons de la roue

                  le soleil dans l’ornière

 

                  Au carrefour

près du talus

                 une prière

Quelques mots que l’on n’entend pas

                  Plus près du ciel

     Et sur ses pas

        le dernier carré de lumière

 

Pierre Reverdy, Cravates de chanvre, dans Œuvres

complètes, I, Flammarion, 2010, p. 342.

14/09/2022

John Keats, La poésie de la terre ne meurt jamais

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Quand j’ai peur à l’idée que je pourrais cesser d’être...

 

Quand j’ai peur à l’idée que je pourrais cesser d’être

Avant que ma plume ait glané mon cerveau fourmillant,

Avant qu’une pile de livres, en caractères d’imprimerie,

Engrange le blé bien mûr comme de riches greniers ;

Quand je contemple, sur le visage étoilé de la nuit,

Les immenses symboles nuageux d’une noble idylle,

Et je me dis que je ne pourrai jamais vivre pour suivre

Leurs ombres, avec la main magique de la chance ;

Que je ne poserai jamais plus les yeux sur toi,

Ne connaîtrai jamais de plaisir dans le pouvoir féérique

De l’amour insouciant ! — puis sur la rive

Du vaste monde je me tiens seul, et je réfléchis

Jusqu’à ce qu’Amour et Renom sombrent dans le néant.

 

John Keats, La poésie de la terre ne meurt jamais, traduction

Cécile A. Holdban, Poesis, 2021, p. 91.