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20/10/2022

Ambrose Bierce, Épigrammes

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Un auteur populaire est quelqu’un qui écrit ce que pense le peuple. Le génie les invite à penser autre chose.

 

Chrétiens et chameaux accueillent leurs fardeaux à genoux.

 

La seule distinction que récompense la démocratie est un haut degré de conformité.

 

L’amour est une attention détournée : de la contemplation d’un pêtre on en vient à considérer son rêve.

 

La Jeunesse regarde en avant, car il n’y a rien derrière ; la Vieillesse regarde en arrière, car il n’y a rien devant.

 

On peut se savoir laid, mais il n’existe pas de miroir pour le comprendre.

 

 

Ambrose Bierce, Épigrammes, traduction Thierry Gillybœuf, éditions Allia, 2014, p. 26, 27, 29, 31, 43, 43.

19/10/2022

Ambrose Bierce, Épigrammes

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Le premier homme que vous croiserez est un imbécile. Si vous pensez le contraire, interrogez-le et il vous le prouvera.

 

Des deux types de folie passagère, l’une s’achève dans le suicide, l’autre dans le mariage.

 

Faute d’yeux derrière la tête, nous nous voyons au seuil de l’horizon. Seul celui qui accomplit cet acte remarquable consistant à se retourner sait qu’il est le personnage central de l’univers.

 

L’amour est une charmante balade d’un jour. À la toute fin, embrassez votre compagnon et prenez congé de lui.

 

Si vous voulez lire un livre parfait, écrivez-le.

 

Ambrose Bierce, Épigrammes, traduction Thierry Gillybœuf, éditions Allia, 2014, p. 13, 15, 19, 20, 21.

17/10/2022

Julia Lepère, Par elle se blesse

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Elle dit

J’ai connu des hommes pour diviser les heures

J’ai connu des hommes jouissant sans demander en laissant le soleil m’aveugler j’ai connu des hommes qui s’étranglaient pour jouer qui me giflaient pour jouer j’ai connu des hommes qui n’aimaient pas me faire l’amour des hommes ensommeillés avec l’ambition  des choses à faire et des pulsions de mort dans leurs masques de perles les défauts de leurs veines les faisaient se gonfler qui chantaient fort leur crime et appelaient leur mère des hommes emprisonnés et ils traçaient chaque jour de leur bâton un trait après la femme tuée j’ai connu des hommes alcooliques et drogués des hommes partant dans le désert d’Espagne pour y halluciner pour composer des vers des symphonies cherchant tous les dérèglements [...]

 

Julia Lepère, Par elle se blesse, Poésie/Flammarion, 2022, p. 107.

16/10/2022

Julia Lepère, Par elle se blesse

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Elle sur le ponton moi dans la mer

Évitant les méduses

Sans territoire

Ses bleus virant au virage de mes cernes

Ayant bu les écumes les planches

Des demi-dieux leurs longs cheveux de sable souviens-toi

Presque pour morte

Il te laissa

Et hors de moi

J’ai joui tant de fois pour oublier que quelque part

J’attends encore de me réveiller

 

Julia Lepère, Par elle se blesse, Poésie/Flammarion, 2022, p. 101.

14/10/2022

Jules Renard, Journal, 1887-1910

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Le meilleur interviewer est celui qui dit que j’ai un œil d’aigle et une crinière de lion.

 

La liberté d’une presse qui fonctionne plutôt comme un pressoir.

 

Ne dites pas que ce que j’écris n’est pas vrai : dites que j’écris ma   l, car tout est vrai.

 

Dans l’admiration qu’on a pour Verlaine, je sens une trop grande part de pitié pour le pilier d’hôpital.

 

Il a un style à lui dont les autres ne voudraient pas.

 

J’appelle « classiques » les gens qui ne faisaient pas encore de la littérature un métier.

 

Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 236, 238, 238, 241, 245, 245.

13/10/2022

Jules Renard, Journal, 1887-1910

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Ma littérature, c’est comme des lettres à moi-même que je vous permettrais de lire.

 

Si vous saviez comme je me sens bon quand je suis tout seul, comme j’ai toujours de bonnes relations avec moi.

 

Le Français crible d’épigrammes surtout ce qu’il voudrait être : le député, et ce qu’il voudrait avoir : le ruban rouge. 

 

Comment, n’est-ce pas ? le tonnerre tomberait-il sur ma maison, quand il peut tomber sur celle du voisin ?

 

Oui, dit-il : je l’ai échappé laide.

 

Il lui conseillait de lire chaque jour les faits divers pour se rendre compte de son bonheur.

 

Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 224, 226, 227, 230, 231, 235.

11/10/2022

Jules Renard, Journal, 1887-1910

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Il y a le bavardage insignifiant et le bavardage pompeux qui signifie moins encore.

 

Pour que le chef-d’œuvre vienne à vous, au moins faites-lui signe.

 

Nul n’aura de talent, hors nous, moins mes amis.

 

Je serais anarchiste si j’étais malheureux, mais je n’ai pas à me plaindre. Comment pourrais-je à la fois être anarchiste et satisfait ?

 

Comme toute comparaison originale doit forcément, à la longue, se banaliser, n’en jamais faire.

 

Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 208, 209, 209, 209, 210.

10/10/2022

Jules Renard, Journal, 1887-1910

 

Je ne lis rien, de peur de trouver des choses bien.

 

Chez Rodin, il m’a semblé que mes yeux tout d’un coup éclataient. Jusqu’ici la sculpture m’avait intéressé comme un travail dans du navet.

 

Balzac est peut-être le seul qui ait eu le droit de mal écrire.

 

Un homme tellement beau que lui-même se trouve ridicule.

 

Acquiers le talent de dire sans bâiller : « C’est intéressant. »

 

Chaque matin songer aux gens qu’on va cultiver, aux pots qu’on va arroser.

 

Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p.83, 85, 88, 89, 92. 95.

09/10/2022

Jacques Moulin, Corbeline

Corbeau

Encore haut

Pousse au noir

Son cri fort

Chaque soir

Proie du noir

Sous le ciel

Toujours haut

Du corbeau

Qui repasse

Tu rebrasses

Un corps lourd

 

Jacques Moulin, Corbeline,

L’Atelier contemporain,

2022, p. 53.

08/10/2022

Jacques Moulin, Corbeline

Corbeaux en fragments

 

Le cri du corbeau

De quoi est-il le bruit

Le bruit du bois

Le bruit du toit

qui se dérobe

charpente incluse

Le bruit qui croît

au-delà de sa voix

Le bruit du groin

qui court aux lointains

Le bruit du cri

dans la nuit du gravier

Le bruit d’évier

quand la bonde est lâchée

Le bruit déchiré

de la bâche sous tempête

Le bruit de trompette

rouillée mal embouchée

Le bruit qui verrouille

Le bruit de moraine

dans l’absence des glaciers

Le bruit de la grêle

qui cogne sur les rails

Le cri qui déraille

Le bruit du moulin à chanvre

quand le lien freine la meule

 

Un corbeau

Fait un bruit de corbeau

Vrocalise

 

Jacques Moulin, Corbeline, L’Atelier

contemporain, 2022, p. 39.

06/10/2022

Francis Ponge, La fabrique du pré

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31 mars 1970

I

 

Il ne fait, pour mon expérience, aucun doute que l’amour des mots (c.a.d la référence (révérencieuse) à une vision traditionnellement humaine et (osons le dire) nationale des choses (il faut expliquer cela) (que l’amour des mots soit cela) soit le chemin à la création (je veux dire, par l’expression sans tricherie d’une sensibilité individuelle, sans seulement la fabrication d’objets de satisfaction, de jouissance pour le goût commun des usagers de la langue, mais l’auto création de l’individu lui-même dans sa ressemblance et sa différence à ceux que l »’on appelle ses semblables.

 

Francis Ponge,  La fabrique du pré, Gallimard, 2021, p. 16.

Jean Gente, Le voleur

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                Le voleur

 

Vous êtes hypocrite immortelle écuyère

En robe d’organdi sur un cheval blond !

En pétales perdus vos beaux doigts s’effeuillèrent

Adieu mon grand jardin par le ciel terrassé !

                               ***

Ainsi je reste seul oublié de lui qui dort dans mes

bras. La mer est calme. Je n’ose bouger. Sa pré-

sence serait plus terrible que son voyage hors

de moi. Peut-être viendrait-il sur ma poitrine.

 

Et qu’y pourrais-je faire ? Trier ses vomissures ?

Y chercher parmi le vomi, la viande, la bile, ces

violettes et ces roses qu’y délaient et délient

les filets de  sang ?

(...)

 

Jean Genet, Le pêcheur du Suquet, dans Le condamné à mort, L’arbalète, 1958, p. 104-105.

04/10/2022

Pierre Voélin, D'eau et de sang

                   

                       Ligatures

 

Toi —tendrement liée — sous le lien de mes bras

ici — sans bruit — sauf les forts battements

du cœur — à ton cou le collier

les perles — les cris

du petit jour `

 

Tu le sais — ta beauté me déchire

 

Plus souples les feuillages contre la vitre

le vent amoureux — d’un souffle —

les secoue

 

Je dirai le nu du désir — avec ou sans honte

tu annonceras — toi — les nuits de perce-neige

 

Pierre Voélin, D’eau et de sang, dans L’étrangère,

N° 56, 2022, p. 20.

29/09/2022

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, onze, douze

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                        le 18 novembre (2008)

 

Si, sur une page, je regarde le mot colline, je connais, dans des délais variables, un afflux ou non d’images, d’envies, de mémoire. Une boue de pensée, la soupe des sensations. Il est souvent difficile de les distinguer.

 

Si, maintenant, je regarde la colline, je connais, dans des délais également variables un afflux ou non d’images, d’envies, de mémoire ; La même soupe, la même boue.

 

Le corps a vécu deux activités, a accompli deux choses radicalement différentes. Comment les symptômes pourraient-ils être les mêmes ? Ils ne le sont pas. C’est toute la tragédie et toute l’excitation du monde. 

 

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, onze, douze, Flammarion, 2013, p. 104-105.

28/09/2022

Umberto Saba, Il Canzoniere

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Quand se levait le rideau

 

Quand se levait le rideau sur le monde

de mon enfance, j’accourus comme

à une fête  promise. Une à une

sont tombées les merveilles.

Des espérances conçues, nulle

qui vaille à m’en souvenir, même une larme

et même un seul soupir. Mais il me reste

ton baiser, jeune amie, qu’absences

et respect de nous-mêmes font plus rares.

 

C’était cela la vie, une gorgée amère.

 

Umberto Saba, Il Canzoniere, L’âge d’homme, 1988, p. 461.