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18/07/2022

Henri Thomas, La joie de cette vie

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C’est une occupation de voir les nuages courir au vent, se déformer, diminuer, s’élever, s’étaler, disparaître furtivement, changer de lumière et d’ombres. Les nuages ne s’amassent pas dans le ciel à ma demande, mais presque.

 

La case-départ, — mais c’est souvent le départ qui n’a  pas lieu — on meurt lentement sur la case départ, « on ne part pas » (Rimbaud, Une Saison).

 

C’est tellement étrange d’exister autrement qu’une plante ou un caillou, qu’il faudra peut-être s’excuser de mourir.

 

L’invisible chemin des longues plages, tout de suite effacé, regagne le temps. Marche contre le vent, sans penser, tu reviens un peu sur l’enfance, les compagnons surprenants sont là, par instants, la longue vague, les oiseaux en équilibre sur l’eau qui monte et descend, l’horizon qui après l’horizon, la myriade de débris, les témoins arrêtés des années...

 

Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1991, p. 29, 31, 33, 36.

17/07/2022

Henri Thomas, La joie de cette vie

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Il y a la puissance des machines, des engins de mort accumulés dans un endroit où tout est préparé pour les utiliser ô les moyens de déclenchement et la cible.

 

Nous vivons dans un monde fait d’épaisseurs superposées, terre, mer, brume, nuages, ciel invisible. Tout cela paraît à peine bouger, sinon la légère ligne ou bave d’écume le long des plages qui s’incurvent vers la droite.

 

J’écris, comme si écrire était mon unique moyen de vieillir sans douleur, et sans jouer un rôle dans les rouages, comme Paulhan, où l’on disparaît quand la machine se modifie pour votre mort.

 

Incapable de désespérer —­ en cela pareil aux animaux auxquels nous attribuons l’indifférence devant la mort.

 

Henri Thomas, La joie de cette viee, Gallimard, 1991, p. 12, 17, 21, 25.

14/07/2022

Esther Tellermann, Carnets à bruire

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Dans une de vos

 mains je voyais

l’étendue

reconnaissais

la langue qui illumine

les orages

terre rase ou

terre rassemblée

comme si l’air

modelait

     l’image

débordait

     le plein jour.

 

Esther Tellermann, Carnets à bruire,

La lettre volée, 2014, p. 51.

13/07/2022

Esther Tellermann, Sous votre nom

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C’est vrai

soir fut

     attente

de la fraîcheur

du voile qu’apposa

le nom

     votre

rien       votre

rose       dites-les

lentement

et s’inverse

le deuil.

Peut-être je le garde

     ouvert

devant moi

je garde

la lueur.

 

Esther Tellermann, Sous votre nom,

Poéie/.Flammarion, 2015, p. 148.

12/07/2022

Esther Tellermann, Corps rassemblé

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Vinrent

les nuits qui

refont les courbes

     de dessous

des silhouettes

     emplissent

ce qui reste de jour

des lignes violettes

soulignent

     les deuils

vous m’étiez arrachée

          restiez

avec l’encre

pourpre

     la ligne de lumière

 

Esther Tellermann, Corps rassemblé,

édirions Unes, 2020, p. 48.

11/07/2022

Esther Tellermann, Un versant l'autre

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Partie de toi me

laisse

       l’autre encore

est étincelle

        d’un point

où pousse l’hibiscus

un jour écorché

miettes de paroles

comme neige

halos de lunes

et obsidiennes

en mots simples

voulions

         advenir

 

Esther Tellermann, Un

 versant l’autre, Poésie/

Flammarion, 2019, p. 69.

10/07/2022

Françoise de Laroque, Chambre jaune

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                                 Fruits

 

De quoi s’est protégée l’orange abritée sous une peau épaisse ? D’un froid plus intense sans doute. Colette disait que Sido prévoyait la rigueur de l’hiver à la quantité de robes superposées dont s’enveloppe l’oignon.

 

Le couteau, le matin, incise soit cette écroce grumeleuse un petit peu ouatée à l’intérieur, soit une peau mince et lustrée. Odorante toujours. Il hésite, après l’orange, sur le choix de la poire. Ne pas manquer le moment de délicieuse plénitude, le fondant qui remplace le raide prématuré et précède le blet. Le choix de la pomme dépend de l’humeur. Chair acidulée ou plus onctueuse. Éviter la farineuse. Banane plus ou moins tigrée. Kiwi tranché, centre blanc, rayonnement vert, cils très noirs.

 

Un rituel établi depuis peu. Salade de fruits saupoudrée d’éclats de graines et fruits concassés. Pour commencer la journée. Le conserver.

( ...)

Françoise de Laroque, Chambre jaune, Éric Pesty éditeur, 2022, 20 p., 10 €.

 

 

08/07/2022

Camille Loivier, les lignes indéfiniment se poursuivent

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             les lignes indéfiniment se poursuivent

 

mais les lignes transversales — les branches des arbres qui passent au-dessus des murs, les rivières qui courent au-dessous des ponts, les ronces qui vont partout comme les bêtes à quatre pattes, les oiseaux qui sillonnent le ciel bas tout à leur aise, les nuages, les éclaboussures, les brises — ne nous ont pas encore traversée, elles continuent prises dans leur élan de s’éloigner, vers l’ubac et vers l’adret

 

si l’image de l’éléphant, si les sonorités du piano nous ont éloignée transversalement de notre route bordée de murs longs et étroits, au moins aurons-nous écrit, au moins cette durée vaine de vie aura été comblée par cette écriture qui n’a  pas plus de sens que les tracés des vers de bois sous l’écorce desquamée, qui nous semblaient  une écriture des temps reculés, quand les humains n’étaient pas encore des humains, et qu’ensuite nous n’avons fait que penser à cette écriture des vers sur le bois, nous nous sommes résignée à l’écouter, à la retranscrire, à refuser son silence et son insignifiance, à espérer qu’elle retienne notre mémoire

[...]

 

Camille Loivier, les lignes indéfiniment se poursuivent, dans la revue de belles-lettres, 2022, I, p.77.

07/07/2022

Wolfgang Hilbig (1941-2007), Six poèmes

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                        Le seuil

 

La lune blanc vase de nuit se déversait

et j’ai sans lutter abandonné toutes mes couleurs 

là où des âmes épuisées se reposent près des bords

à la sortie du faubourg

                                     des dames blanches

qui se reposent près des eaux qui ne sont pas terrestres

qui errent dans des brouillards sans cesse variant leur densité

près d’accotements où l’on n’échappe guère à une peste

de taillis sournois et d’aulnes buissonnants pâles comme cadavres et où tombent des rires — de ventres tailladés de la terre —

rires de trolls et de lémures poussés dans du sable froid.

 

Cette pente de la route était déjà le bord des mondes

où je cherchais le large et ne l’ai pas gagné —

pas avant d’être vidé de mon sang debout sur mon seuil.

 

Wolfgang Hilbig, Six poèmes, traduit de l’allemand par Bernard Banoun, dans La revue de belles-lettres, 1022, 1, p. 119.

06/07/2022

Elke Erb, Sonance

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Ça, on ne le sait pas.

On ne sait pas. Ça se pourrait bien.

Laisser tranquille.

 

Les oiseaux aussi de manière préexistante.

Le grand piano. Le grand piano ouvert

à tout. Pianogrosso. Lui,

 

le grand piano ouvert à tout et

omniscient. Grand. Lui. Grosso

piano.

 

Il est dans le coin. Front.

Les touches jaunes et bleu de Stockholm.

Ère glaciaire. On ne sait pas.

 

Ou ère glaciaire intermédiaire.

Régnant aussi de loin. Le merle retentit.

Les petits chats miaulent encore à peine.

 

Elke Erb, Sonance, traduction de l’allemand

Vincent Barras, dans L’Ours blanc, n°33, 2022.

05/07/2022

Louis Aragon, Blanche ou l'oubli

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Le bruit court qu’on nous ménage une surprise littéraire...murmurait vers cette époque-là, et ma parole : avec courtoisie (je n’y puis rien, c’est le texte), le bibliothécaire quaker d’Ulysses, vous savez Ulysses ? Joyce, oui. La mode n’en vint qu’un peu plus tard, de Joyce, j’entends. En 1922, tout le monde ne lisait pas ce Fantômas-là en feuilleton dans Little Review, à Paris. Et, bordel or not bordel, personne ne vous demandait sue un ton un peu méprisant des jeunes filles qui ont eu des relations : alors vous n’êtes même pas judoka ? Non. Il y avait un restaurant rue des Moulins : il me fallait économiser un mois pour y offrir à la personne concernée, avec collier de perles ou pas, des rognons au madère, sans la moindre allusion de ma part.

 

Louis Aragon,  Blanche ou l’oubli, dans Œuvres romanesques complètes, V, Pléiade/Gallimard, 2012, p. 435.

 

03/07/2022

Jacques Dupin, Rien encore, tout déjà, dans L'Esclandre

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oubli obligé d’un vocable dissipé dans l’air

ni mouche ni femme ne l’ayant piqué

il s’allonge il dort de a belle mort

et la lune au-dessus de la phrase noire

se détache de la feuille comme l’impossible

de son écart — ou de ton sourire

j’ai vu de très petits papillons blancs sur tes lèvres

réticentes, ils empêchaient les mots

d’accourir, et la foudre, et l’épervier, de fondre

— ayant cessé de croire au cendrier de l’enfance

le poème ne se lève qu’en s’arrachant

de votre emmêlement tenace, motte de chiendent

tresse et détresse de la lumière

 

Jacques Dupin, Rien encore, tout déjà, dans L’Esclandre,

introduction Dominique Viart, P.O.L, 2022, p. 123.

02/07/2022

Jacques Dupin, Chansons troglodytes, dans L'Esclandre

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le fracas des volets qui s’ouvrent

le premier rayon de soleil

une aube de mai sans nuages

 

mais le plafond craquelé

la fluidité de la langue

la rosée qui s’évapore

et les violettes que je sais

 

Jacques Dupin, Chansons troglodytes,

introduction Dominique Viart,

P.O.L ; 2022, p. 73.

 

01/07/2022

Jacques Dupin, De nul lieu et du Japon, dans L'Esclandre

jacques dupin,de nul lieu et du japon,espace,théâtre

Tendre est la sonorité

de la flèche décochée dans l’eau

 

concentration de la folie

parmi l’espace froissé

 

une ombre voyelle se loge

sous la corde qui se tned

 

une théâtre d’ exactitude

écarte les plis de l’eau

 

Jacques Dupin, De nul lieu et du

Japon, dans L’Esclandre, introduction

Dominique Viart, P.O.L, 2022,

p.197

30/06/2022

Jacques Dupin, L'Esclandre

 

d’une ombre qui chavire dans la douceur

le temps n’est plus où je me souvenais du temps

des lieux mal-dits, des trahisons, des couleurs

devant le soleil nous comparaissions sans chemise

un soleil chargé de fruits, entre le dénuement

de l’idiot de l’arrière-pays et ce qui surgit

d’un œil vide — un volcan toujours,

une apostasie, loin dehors, près dedans

un printemps sans hannetons, sans fils de la Vierge

le pré jaune de la folie, la langue fendue

dans le neutre, un massacre, un sacrifice

l’homme ouvert que j’affectionne et que je dis

ses traces et lui sans fin disparaissent

 

Jacques Dupin, Rien encore, tout déjà, dans L’Esclandre,

introduction Dominique Viart, P.O.L, 2022, p. 112.