Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/11/2022

Cioran, Aveux et anathèmes

 

             Unknown-1.jpeg

 

On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre.

 

Les religions, comme les idéologies qui en ont hérité les vices, se réduisent à des croisades contre l’humour.

 

La ponctualité, variété de la « folie du scrupule ». Pour être à l’heure, je serais capable de commettre un crime.

 

La critique est un contresens : il faut lire, non pour comprendre autrui mais pour se comprendre soi-même.

 

À Saint-Séverin, en écoutant, à l’orgue, L’Art de la fugue, je me disais et redisais : « Voilà la réfutation de tous mes anathèmes »

 

À Saint-Séverin, en écoutant, à l’orgue, L’Art de la fugue, je me disais et redisais : « Voilà la réfutation de tous mes anathèmes »

 

Cioran, Aveux et anathèmes, dans Œuvres, Pléiade /Gallimard, 2011, p. 1031, 1032, 1035, 1037, 1041.

07/11/2022

Cioran, Écartèlement

Unknown.jpeg

                            

 

 

 

 

 

Le suicide, seul acte vraiment normal, par quelle aberration est-il devenu l’apanage des ratés ?

 

Quelle folie d’être attentif à l’histoire ? — Mais que faire lorsqu’on a été par le temps ?

 

Face à la mer je remâchais des hontes anciennes et récentes. Le ridicule de s’occuper de soi quand on a sous les yeux le plus vaste des spectacles ne m’échappa pas. Aussi ai-je vite changé de sujet.

 

Pensent profondément ceux-là seuls qui n’ont pas le malheur d’être affligé du sens du ridicule.

 

L’indolence nous sauve de la prolixité et par là même de l’impudeur inhérente au rendement.

 

Cioran, Écartèlement, dans Œuvres, Pléiade / Gallimard, 2011, p. 978, 979, 982, 984, 985.                                  

06/11/2022

Cioran, De l'inconvénient d'être né

                                     Unknown.jpeg

N’est profond, n’est véritable que ce que l’on cache. D’où le force des sentiments vils.

 

Ce n’est pas la peine de se tuer, puisqu’on se tue toujours trop tard.

 

Plus on est lésé par le temps, plus on veut y échapper. Écrire une page sans défaut, une phrase seulement, vous élève au-dessus du devenir et de ses corruptions. On transcende la mort par la recherche de l’indestructible à travers le verbe, à travers le symbole même de la caducité.

 

Je n’ai pas rencontré un esprit intéressant qui n’ait été largement pourvu en déficiences inavouables.

 

Emily Bronté. Tout ce qui émane d’elle a la propriété de me bouleverser. Haworth est mon lieu de pèlerinage.

 

Cioran, De l’inconvénient d’être né, Pléiade / Gallimard, 2011, p. 754, 756, 768, 758, 761, 762.

05/11/2022

Cioran, Pensées étranglées

                             Unknown-1.jpeg

Une interrogation ruminée indéfiniment vous sape autant qu’une douleur sourde.

 

Le raffinement est signe de vitalité déficiente, en art, en amour et en tout.

 

Premier devoir au lever, rougir de soi.

 

Souhaiter la gloire, c’est aimer mieux mourir méprisé qu’oublié.

 

La  psychanalyse sera un jour complètement discréditée, nul doute là-dessus. Il n’empêche qu’elle aura détruit nos derniers restes de naïveté. Après elle, on ne pourra plus jamais être innocent.

 

Cioran, Pensées étranglées, dans Œuvres, Pléiade / Gallimard, 2011, p. 688, 689, 690, 690, 694.

04/11/2022

Cioran, Syllogismes de l'amertume

                               images.jpeg

Nos tristesses prolongent le mystère qu’ébauche le sourire des momies.

 

Quelqu’un emploie-t-il à tout propos le mot vie ? — sachez que c’est un malade.

 

Tôt ou tard chaque désir doit rencontrer sa lassitude, sa vérité...

 

Entre l’Ennui et l’Extase se déroule toute notre expérience du temps.

 

Cioran, Syllogismes de l’amertume, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2011, p. 194, 195, 196, 199.

02/11/2022

jean Pérol, Libre livre

jean-perol-1338265-330-540.jpg

Entre ce clocher sur la ville et ma main sur la page, le soir des hommes se glisse. Pourpre et calme. A l’intérieur de ce vide où le silence se tisse, rendre l’âme s’apprend. Chaque soir un peu plus, lorsque s’épuise, avec le jour, le goût de vaincre et de poursuivre. C’est ainsi lentement que les épaules plient, que les mots sèchent, que les lèvres se serrent.

 

Alors, au fond de soi, faut-il l’entendre ou le nier ce quelque chose qui supplie ? Hein mes petits maudits, comme il est dur d’arriver à minuit ! Du matin au soir, aucun signe, une fois de plus, pas la plus petite sonnerie. Où tu es, où tu es, devine d’où je t’appelle ? Rien. Le soir et l’indifférence vont finir de s’épaissir avant que cet infini labyrinthe de cloisons qui, au fond d’un autre déjà insinuait sa peur.

 

Nul n’appelle, nul n’écoute, et dans l’air et les livres, les feuilles mortes des illusions, elles aussi se ramassent à la pelle. Encre invisible sur le papier blanc des songes, au fur et à mesure que l’écriture s’avance, ne serait-elle aussittôt derrière elle-même qu’en train de disparaître ? Clocher gris, dure vanités, silence où le soir encore tout à coup plonge, sous lequel à vif tout élan se ronge.

 

                                                              Tout élan se ronge

 

Jean Pérol, Libre livre, Gallimard, 2012, p. 128.

01/11/2022

Jean Pérol, Libre livre

jean péril,libre livre,rejet

On pourrait croire, au moins un jour, les dieux noirs apaisés. Mais non, quand ça frappe ça frappe, et ça doit continuer. C’est le long sort des pas-de-chance. S’acharner, voyez-vous, ne sait jamais que continuer. Bouche pour crier, sang sur la route, et puis dos brisé : logique des mauvais sorts. Qui montre sa faille forge les clous pour le clouer. Les gentils l’oublient trop) vite. Trop de tendresse, de bonhomie, pas assez de carapace hérissée, de griffes cruelles au bout des pattes. Tu n’auras jamais droit au miel des victoires, aux jours de soleil, aux gens qui saluent. Et d’où tu viens tu reviendras sans fin. Jours et nuits les gardiens de cet ordre, dans la cité, savent barrer les routes. C’est leur emploi, c’est leur passion. Tu pourras toujours derrière les barrières aux parades, elles ne sont jamais pour toi. Décision obscure, d’un au-delà des étoiles. Tu devines dans leur scintillation planétaire, froide et diamantée, un doigt, sans savoir pourquoi, sans relâche pointé sur toi.

                                                                               Pointé sur toi

 

Jean Pérol, Libre livre, Gallimard, 2012, p. 141.

31/10/2022

Dominique Quélen, Une quantité discrète

                                 dominique quélen,une quantité discrète

On n’a rien ces mors seuls en français de langue arrivée là si c’est bien elle. Et se casser la gueule aussi sous la férule un plancher déformé qui traîne. Un étui qui se déverse et n’a pour être séparé de peau ni la surface ou prairie dans laquelle il a plu très violemment.. Pénétrant dans l’habitacle immergé les orties qu’on finit par entrer dans ce vase une cachette ou quoi d’autre laissé par inertie tremblant sous l’aspect de papiers minuscules un endroit jusqu’ici qu’un puisard une autre leçon garde un feu des allumettes.

 

Dominique Quélen, Une quantité discrète, Rehauts, 2022, p. 31.

29/10/2022

Jacques Lèbre, À bientôt

                          IMG_0917.JPG

Qui n’a jamais erré longtemps dans une ville inconnue à la recherhce d’un café à son goût dans lequel il puisse enfin entrer ne peut pas vraiment savoir ce qu’est l’exil.

 

Une enfance sera toujours vécue de plein fouet.

 

Bouffées de larmes, parfois proches des yeux ; parfois plus enfouies, dans l’âme.

 

Le soir, une fois couché, le réveil posé sur le parquet, l’aiguille des secondes cavalcade sans aucune possibilité de retour en arrière. Si l’on y pense, c’est à la fois la catastrophe la plus naturelle et la plus absolue.

 

Jacques Lèbre, À bientôt, Isolato, 2022, p. 50, 55, 56, 70.

28/10/2022

Jacques Lèbre, À bientôt

                    IMG_0923.jpeg

Un jour on ne sera plus là. Ce fait pour me retenir à chaque instant et qui, le moment venu, n’en fera rien.

 

Oiseaux, plus visibles l’hiver. Eux aussi à découvert.

 

Quand on est dans son propre appartement comme dans la salle d’attente d’une gare.

 

J’aimerais mourir la fenêtre ouverte, au début d’un printemps doux et nuageux, après qu’il a plu un peu, juste pour sentir encore l’odeur de la terre avant de partir.

 

Jacques Lèbre, À bientôt, Isolato, 2022, p. 28, 33, 44, 46.

27/10/2022

Jacques Lèbre, À bientôt

                        Jacques-Lebre.jpg

À partir de l’écluse de Fleury, un jeune chat a participé un moment à la promenade sur le chemin de halage, tantôt nous suivant tantôt nous précédant. Nous ne nous étions nullement concertés, c’était visiblement un accord tacite.

 

Comme si vous mouriez toujours, au beau milieu d’un carrefour. Des vêtements sont peut-être restés en désordre sur une chaise, un bol sur une table.

 

Les rendez-vous notés dans les agendas d’une personne disparue ? Tels ces piquets qui indiquent le tracé d’un chemin pris sous une épaisse couche de neige.

 

Je peux sans doute lire deux recueils d’un même poète dans une journée, mais passser d’un poète à un autre, non, je ne peux pas. Il faut un certain laps de temps, comme de traverser un tunnel pour passer d’un paysage à un autre.

 

Jacques Lèbre, À bientôt, Isolato, 2022, p. 19, 20, 22, 29.

25/10/2022

Gustave Roud, Journal 1916-1976

                                              proxy.php.jpeg

C’est vers la fin de juillet, le temps où les moissons finissent de mûrir, les champs d’avoine ont la couleur bleuâtre d’une eau épaisse et trouble, ceux de froment et de seigle sont encore verts ou déjà devenus jaunes  — mais que veulent dire ces phrases ? Ce n’est pas une fin de mois que je veux peindre, ni une journée, mais un seul instant où (tous ces champs, éparpillez-les maladroitement parmi les arbres, les haies ourlées de lumière, qu’ils montent aux collines, se recourbent et plongent aux ruisseaux, déjà purs de toute brume sous la haute lumière) debout dans l’odeur étrange des pavots en fleurs je considère comme on écoute un chant, la double couleur de cet espace de corolles presque transparentes dans le soleil, d’un bleu délicat dans l’ombre qui choit d’un chêne solitaire.

 

Gustave Roud, Journal, 1916-1976, Zoé, 2022, p. 81.

24/10/2022

Gustave Roud, Journal 1916-1976

                     Gustave Roud.jpg

Je pense parfois : c’est ma solitude qui a altéré si profondément ma joie au spectacle du monde. Si jadis (sans que je voulusse l’analyser) elle naissait d’une correspondance que j’établissais entre une passion dominante, un sentiment que l’heure exaltait et tout ce qui entourait ma présence centrale, de plus en plus maintenant elle nécessite pour s’épanouir un calme désespéré, une tristesse sans sursauts où je me sens peu à peu descendre. C’est alors que naît pour ainsi parler mon regard véritable. Posé sur chaque chose, il l’épuise lentement, et je savoure tout objet pour lui-même et pour l’accord qu’il forme avec d’autres sans rien sentir d’autre en moi lui répondre et lui donner un sens ; c’est dire que je ne peux plus traduire, et moins encore interpréter le monde visible, mais seulement transcrire ce qui transparaît sous l’incessante variation de l’heure, de ses éléments éternels, par le sens des mots, leur musique, et le rythme de la phrase, l’âme aussi dépouillée qu’un peintre.

 

Gustave Roud, Journal, 1916-1976, Zoé, 2022, p. 91-92.

23/10/2022

Esther Tellermann, Poèmes inédits, dans L'étrangère, 2022

arton12509.jpg

   Vous disiez

qu’un  corps

s’interpose entre

     le silence

que demeure

     l’écho

quand la brume

     estompe

les matins.  Vous

vouliez   les

     fables

et les paroles

     poudreuses

des mers qui se

     rompent

     sur le bleu

 

Esther Tellermann, Poèmes inédits,

dans L’étrangère, n° 56, 2022, p. 175.

 

 

21/10/2022

George Trakl, Les étapes de la démence...

CD2236E6-7323-4DB7-934B-9E1511DA1814.jpeg

Les étapes de la démence aux chambres noires,

Les ombres des vieillards sur le seuil de la porte ouverte,

Quand l’âme d’Hélian se mire au miroir rose

Et que choient la lèpre et la neige de son front...

 

Les étoiles au mur se sont éteintes

Et les blanches figures de la  lumière.

 

Voici que montent du tapis les ossements des sépulcres,

Le silence des croix écroulées sur la colline,

La douceur de l’encens dans le vent pourpre de la nuit.

 

Ô prunelles broyées aux bouches noires !

Quand solitaire et doucement vaincu par les ténèbres

Le petit-fils rêve à sa fin obscure,

Le Dieu de paix sur lui penche l’azur de ses paupières.

 

Georg Trakl, traduction dans Gustave Roud Œuvres complètes, 2,

éditions Zoé, 2022, p. 851