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25/07/2022

Les poèmes d’Edgar Poe traduits par Stéphane Mallarmé,

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Un rêve dans un rêve

 

Tiens ! ce baiser sur ton front ! et, à l’heure où je te quitte, oui, bien haut, que je te l’avoue : tu n’as pas tort, toi qui juges que mes jours ont été un rêve ; et si l’espoir s’est enfui en une nuit ou en un jour — dans une vision ou aucune, n’en est-il pas pour cela pas moins PASSÉ ? Tout ce que nous voyons ou paraissons, n’est qu’un rêve dans un rêve.

 

Je reste en la rumeur d’un rivage par le flot tourmenté et tiens dans la main des grains du sable d’or ! bien peu ! encore comme ils glissent à travers mes doigts à l’abîme, pendant que je pleure ! pendant que je pleure ! Ô Dieu ! ne puis-je les serrer d’une étreinte plus sûre ? Ô Dieu ! ne puis-je pas en sauver un de la vague impitoyable ? Tout ce que nous voyons ou paraissons, n’est-il qu’un rêve dans un rêve.

 

Les poèmes d’Edgar Poe traduits par Stéphane Mallarmé, Gallimard, 1928, p. 55-56.

24/07/2022

Paul Klee, Paroles sans raison

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Enfermé dans une chambre

grand danger

pas d’issue

 

Là : une fenêtre ouverte, vite, plonger :

Libre je vole,

mais la pluie fine,

la pluie fine,

la pluie

tombe,

tombe...

tombe...

 

Paul Klee, Paroles sans raison, choix et traduction

Pierre Alferi, éditions Hourra, 2022, np.

23/07/2022

Paul Klee, Paroles sans raison

paul klee, paroles sans raison, pierre alferi, humour

             Parole sans raison

 

          1.  

Une bonne pêche est un grand réconfort.

 

2.

La bassesse essaie, cette année encore, de me gagner.

 

            1. Je dois être sauvé .

Par la réussite ?

 

4.

L’inspiration a-t-elle des yeux,

ou est-elle somnambule ?

 

5.

 

Mes mainss se plient parfois.

Mais juste au-dessus mon ventre digère,

mon rein filtre la claire urine.

 

6.

Aimer la musique par-dessus tout

veut dire être malheureux.

 

Paul Klee, Paroles sans raison, choix et

traduction Pierre Alferi, éditions Hourra,

2°22, np.

22/07/2022

Denise Levertov, Poèmes

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           Au lecteur

 

Tandis que tu lis un ours blanc à loisir

pisse, en donnant à la neige

une couleur safran ;

 

tandis que tu lis un grand nombre de dieux

se vautrent dans les lianes ; yeux d’obsidienne

qui observent les générations des feuilles ;

 

tandis que tu lis

la mer tourne ses sombres pages,

tourne

ses sombres pages.

 

Denise Levertov, Poèmes, traduction

Alain Bosquet, Actes Sud, 1986, p. 23,

cité dans L’Ours blanc, printemps 2022.

21/07/2022

Victoria Xardel, La Victoire du peuple dans L'Ours blanc, Printemps 2022

Le peuple veut la victoire du peuple,

disait Théophraste Mélanchopoulos,

alias Cépalafolli, diminué par un mal

indéfinissable. Où ça ? dans la neige ?

Il n’avait pas l’intention de se plonger

dans la mentalité des terroristes mo-

dernes. En marge d’une radicalité

plus sévère, il prenait des notes pour

la description des minéraux noirs.

 

Victoria Xardel, Le Zheul suivi de

La victoire du peuple, dans L’Ours blanc,

printemps 2022, p. 26.

20/07/2022

Étienne Faure, Vol en V

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Les livres d’Étienne Faure, de Légèrement frôlée à Vol en V, se caractérisent autant par leur unité formelle que par celle de la thématique. Les poèmes recueillis ici ont été pour l’essentiel publiés dans des revues, réunis en huit ensembles titrés de dimension à peu près égale (de dix à douze vers), sauf le second ("Que ne suis-je", dix-huit) et le dernier ("Jours de repos", dix-sept). En épigraphe avant le premier ensemble, deux citations en relation avec le titre, de Rilke (« Nous nous touchons comment ? Par des coups d’ailes ») et de William Carlos Williams (« Comme à chaque saison c’est le désir qui les fait venir de si loin »), suggèrent aussi des lignes de lecture. D’autres extraits, avant un groupement de poèmes ou précédant un poème situent le recueil dans un horizon poétique (Thomas Bernhard, Hölderlin, Vinci, Gombrowicz, Sylvia Plath, Baudelaire), tout comme les allusions à tel poète (Villon, Louise Labé, Musset, Césaire et Apollinaire — qui est même présent avec un vers de Zone) et l’emploi de mots de diverses langues (anglais, allemand, espagnol, polonais).

 

En accord avec le titre, les oiseaux apparaissent à différents moments du texte, sous ce terme général, parfois qualifié (« oiseaux garancés »), plus souvent désignés par un mot précis. On trouve l’hirondelle et, rencontrés au cours d’un voyage, les oiseaux des îles, mais plus souvent les oiseaux de la ville, ceux notamment du cimetière du Père Lachaise fréquenté par le "je" narrateur (pies, corbeaux et corneilles). Les oiseaux ont une fonction précise liée à la poésie d’Étienne Faure : pour une partie d’entre eux, les poèmes sont construits à partir de ce qui est regardé, écouté, senti, touché.  Corbeaux et corneilles sont les « fruits noirs de l’hiver », à voir le linge suspendu aux fenêtres on imagine une vie, « des désirs à distance » ; l’on entend les « parlements des corbeaux », le « boucan des oiseaux », le bruit des voix, « le fond de l’air embaumait l’orage », on se souvient du « parfum de résine » et de divers matériaux « pressentis par les doigts ». Cette "poésie du corps" implique la marche, pour « voir le plus de choses » et éprouver le « raffut du monde », aussi pour « continuer d’écrire comme d’être ébloui / à regarder le monde ».

Les peintres et leurs tableaux sont, justement, un élément de cette poésie du regard.  Peintres d’oiseaux — Breughel a peint La Pie sur le gibet, Johannes Larsen les oies bernaches qui partent plein sud — mais pas seulement, aussi Kirchner, Van Gogh, Paul Schaan, Soulages, etc. Par ailleurs, mettant en scène le portrait ancien d’une femme qui regarde avec passion celui qui la photographie, le narrateur devient « lui aussi le photographe » regardé. Il n’est pas surprenant qu’il se demande « comment peindre les sons » puisque la musique est « dans l’air, en vol ». L’homme, depuis Icare, a une relation particulière à l’oiseau ; ici, les aigles et ceux qui font de la voltige en parapente, en même temps « déploient / maintenant leur pleine envergure / plume ou rémige de polyester ». Une autre relation est établie entre l’oiseau, son vol et les humains, précisément avec l’écriture, longtemps « écrire et voler étaient le sort des plumes ».

Les migrateurs empruntent « la route en V » et, quelques mois plus tard, eux « qu’on avait cru défunts » sont « réapparus en V ». Ces migrateurs en évoquent d’autres : la grand-mère du narrateur « sans patrie / sans amis », une vie aux espoirs déçus. Étienne Faure, ici comme dans tous ses livres, est attentif à l’Histoire, en particulier à celle des gens ordinaires, à tous ces oubliés sans nom. Le narrateur s’arrête devant une petite plaque sur un mur, seule trace d’un homme abattu à cet endroit pendant la dernière guerre — que dire ? « nous allons mourir et personne n’en saura rien » — et il rappelle qu’il vit dans un quartier de Paris qui fut « raflé en Quarante-deux ». Il entend le « bruissement du temps » (on pense à Mandelstam), découvre « la place herbue du théâtre » d’une cité disparue, et la forme de nuages dans le ciel lui rappelle les montgolfières de 1870, la Commune contre les Prussiens.

L’écriture d’Étienne Faure est reconnaissable par certains caractères récurrents de livre en livre. La plupart des poèmes sont construits en une seule phrase qui, d’un bout à l’autre, explore le thème retenu — en cela peu proustienne. Cela ne signifie pas que des poèmes en deux (le premier, entre autres) ou trois phrases soient exclus, loin de là. Les vers ne sont pas rimés mais les consonances et les paronomases abondent ; on accumulerait les exemples : « en pleine / flexion, extension, affliction, action », « les fleurs bisannuelles, bigarrées, bizarres », « le minéral brouhaha des mots, fracas d’une langue insistante » et, en jouant avec les langues, « un songe — a song —/vieux regain — again — refrain » ; etc.. Les vers non comptés ne sont pas pour autant de la prose qui va à la ligne ; prenons un poème au hasard, pour constater qu’Étienne Faure se soucie du rythme, ainsi pour le premier poème : 14/11/11/124/13/13/12/16/11/11/13/13/11/11/11/8.

On relève fort peu de rejets hors de la norme (« go-/élands », « haut-/de-forme », mais un emploi important de tournures et mots familiers, qui répondent à leur manière au souci de dire la vie quotidienne ; on lira donc grollesgodassesnippésgrimper sectu parles ; tomber des cordesdes curésdes bobards, etc. On notera que huit poèmes débutent par « Que ne suis-je », titre de l’ensemble, renvoi à Jude Stéfan (Que ne suis-je Catulle, 2010) qui lui-même connaissait "Que ne suis-je la fougère" de Charles-Henri Ribouté (1708-1740). Ce qui est nouveau formellement dans ce recueil, à côté de poèmes très courts, ce sont deux poèmes qui débordent largement le format habituel, et un essai de calligramme (autre allusion à Apollinaire), un autre de haïku.

 

Les oiseaux reviennent dans la dernière partie du livre, notamment « un wróbel » (mot polonais pour "moineau"), dont le bruit du vol, de la fuite, est traduit par « frrrrt », mot qui termine le livre. La poésie d’Étienne Faure travaille les « horizons multiples » de la langue pour faire passer quelque chose de ce qui est , devant chacun qui prête attention à ce qu’il rencontre ; pour cela, il faut sans doute apprendre à regarder, écouter, et « noter la phrase avant qu’elle ne s’envole / froissement perpétuel des mot

Étienne Faure, Vol en V, Gallimard, 2022, 144 p., 16 €; Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 17 juin 2022.

 

 

 

 

 Le commentaire de sitaudis.fr

Gallimard, 2022
144 p.
16 €

 

19/07/2022

Henri Thomas, La joie de cette vie

 

Le bonheur d’être assis ou m’agitant un peu, dans une pièce chauffée et silencieuse, avec livres et carnets.

 

Une bonne part des ennuis de la vieillesse vient des autres, jeunes ou vieux : ils vous retirent, par prudence ou par indulgence ou par mépris, les outils de la vie, les armes, les fonctions.

 

Il ne faut pas guetter, il faut attendre.

 

Si l’existence des pauvres (qui seront toujours nombreux, même si le nombre des riches et demi-riches augmente) est fatalement basse, inculte, sans esprit, alors la beauté de la nature est empoisonnée (puisqu’elle n’est que pour les favoris de la fortune), et ce monde est un lieu sinistre. Essayez des systèmes sociaux différents, aucun n’y remédiera.

 

Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1991, p. 51, 53, 56, 57.

18/07/2022

Henri Thomas, La joie de cette vie

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C’est une occupation de voir les nuages courir au vent, se déformer, diminuer, s’élever, s’étaler, disparaître furtivement, changer de lumière et d’ombres. Les nuages ne s’amassent pas dans le ciel à ma demande, mais presque.

 

La case-départ, — mais c’est souvent le départ qui n’a  pas lieu — on meurt lentement sur la case départ, « on ne part pas » (Rimbaud, Une Saison).

 

C’est tellement étrange d’exister autrement qu’une plante ou un caillou, qu’il faudra peut-être s’excuser de mourir.

 

L’invisible chemin des longues plages, tout de suite effacé, regagne le temps. Marche contre le vent, sans penser, tu reviens un peu sur l’enfance, les compagnons surprenants sont là, par instants, la longue vague, les oiseaux en équilibre sur l’eau qui monte et descend, l’horizon qui après l’horizon, la myriade de débris, les témoins arrêtés des années...

 

Henri Thomas, La joie de cette vie, Gallimard, 1991, p. 29, 31, 33, 36.

17/07/2022

Henri Thomas, La joie de cette vie

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Il y a la puissance des machines, des engins de mort accumulés dans un endroit où tout est préparé pour les utiliser ô les moyens de déclenchement et la cible.

 

Nous vivons dans un monde fait d’épaisseurs superposées, terre, mer, brume, nuages, ciel invisible. Tout cela paraît à peine bouger, sinon la légère ligne ou bave d’écume le long des plages qui s’incurvent vers la droite.

 

J’écris, comme si écrire était mon unique moyen de vieillir sans douleur, et sans jouer un rôle dans les rouages, comme Paulhan, où l’on disparaît quand la machine se modifie pour votre mort.

 

Incapable de désespérer —­ en cela pareil aux animaux auxquels nous attribuons l’indifférence devant la mort.

 

Henri Thomas, La joie de cette viee, Gallimard, 1991, p. 12, 17, 21, 25.

14/07/2022

Esther Tellermann, Carnets à bruire

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Dans une de vos

 mains je voyais

l’étendue

reconnaissais

la langue qui illumine

les orages

terre rase ou

terre rassemblée

comme si l’air

modelait

     l’image

débordait

     le plein jour.

 

Esther Tellermann, Carnets à bruire,

La lettre volée, 2014, p. 51.

13/07/2022

Esther Tellermann, Sous votre nom

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C’est vrai

soir fut

     attente

de la fraîcheur

du voile qu’apposa

le nom

     votre

rien       votre

rose       dites-les

lentement

et s’inverse

le deuil.

Peut-être je le garde

     ouvert

devant moi

je garde

la lueur.

 

Esther Tellermann, Sous votre nom,

Poéie/.Flammarion, 2015, p. 148.

12/07/2022

Esther Tellermann, Corps rassemblé

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Vinrent

les nuits qui

refont les courbes

     de dessous

des silhouettes

     emplissent

ce qui reste de jour

des lignes violettes

soulignent

     les deuils

vous m’étiez arrachée

          restiez

avec l’encre

pourpre

     la ligne de lumière

 

Esther Tellermann, Corps rassemblé,

édirions Unes, 2020, p. 48.

11/07/2022

Esther Tellermann, Un versant l'autre

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Partie de toi me

laisse

       l’autre encore

est étincelle

        d’un point

où pousse l’hibiscus

un jour écorché

miettes de paroles

comme neige

halos de lunes

et obsidiennes

en mots simples

voulions

         advenir

 

Esther Tellermann, Un

 versant l’autre, Poésie/

Flammarion, 2019, p. 69.

10/07/2022

Françoise de Laroque, Chambre jaune

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                                 Fruits

 

De quoi s’est protégée l’orange abritée sous une peau épaisse ? D’un froid plus intense sans doute. Colette disait que Sido prévoyait la rigueur de l’hiver à la quantité de robes superposées dont s’enveloppe l’oignon.

 

Le couteau, le matin, incise soit cette écroce grumeleuse un petit peu ouatée à l’intérieur, soit une peau mince et lustrée. Odorante toujours. Il hésite, après l’orange, sur le choix de la poire. Ne pas manquer le moment de délicieuse plénitude, le fondant qui remplace le raide prématuré et précède le blet. Le choix de la pomme dépend de l’humeur. Chair acidulée ou plus onctueuse. Éviter la farineuse. Banane plus ou moins tigrée. Kiwi tranché, centre blanc, rayonnement vert, cils très noirs.

 

Un rituel établi depuis peu. Salade de fruits saupoudrée d’éclats de graines et fruits concassés. Pour commencer la journée. Le conserver.

( ...)

Françoise de Laroque, Chambre jaune, Éric Pesty éditeur, 2022, 20 p., 10 €.

 

 

08/07/2022

Camille Loivier, les lignes indéfiniment se poursuivent

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             les lignes indéfiniment se poursuivent

 

mais les lignes transversales — les branches des arbres qui passent au-dessus des murs, les rivières qui courent au-dessous des ponts, les ronces qui vont partout comme les bêtes à quatre pattes, les oiseaux qui sillonnent le ciel bas tout à leur aise, les nuages, les éclaboussures, les brises — ne nous ont pas encore traversée, elles continuent prises dans leur élan de s’éloigner, vers l’ubac et vers l’adret

 

si l’image de l’éléphant, si les sonorités du piano nous ont éloignée transversalement de notre route bordée de murs longs et étroits, au moins aurons-nous écrit, au moins cette durée vaine de vie aura été comblée par cette écriture qui n’a  pas plus de sens que les tracés des vers de bois sous l’écorce desquamée, qui nous semblaient  une écriture des temps reculés, quand les humains n’étaient pas encore des humains, et qu’ensuite nous n’avons fait que penser à cette écriture des vers sur le bois, nous nous sommes résignée à l’écouter, à la retranscrire, à refuser son silence et son insignifiance, à espérer qu’elle retienne notre mémoire

[...]

 

Camille Loivier, les lignes indéfiniment se poursuivent, dans la revue de belles-lettres, 2022, I, p.77.