26/05/2023
Marie de Quatrebarbes, Vanités
Un monde vit sous ce monde, dedans, dessus, invisible& dans l’air, mêlé à nos liquides, circule en nous, inaperçu
Tout existe à l’état mélangé & caché, dispersé en mille particules, sous la terre, peu importe dans quelle région de l’univers où tu te situes
Coquillage, génération dorée des paons, insecte géant qu’on appelle cerf-volant, parfum de myrrhe, saveur de vanille, débris blancs, coques, antennes, proues, nymphes, expression d’une multitude imbriquée
Choses nombreuses & qui errent, rebondissant sans fond à travers le vide, agitées d’accords & de désaccords, changent de route, en tous sens.
Marie de Quatrebarbes, Vanités, Éric Pesty éditeur, 2023, np.
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25/05/2023
Lorand Gaspar, Gisements
Et plus insoutenable encore le bonheur
Et le reproche cinglant du visage qui sait
Indubitablement ce seul indubitable
Celui qui nu
Détaché comme une poutre d’un incendie
Continue ce déplacement insensé et joyeux
Sans ornements d’espoir
Sans la moindre explication cohérente
Ayant mis tout son calme
Sa précision dans la folie.
Lorand Gaspar, Gisements, Poésie/Flammarion,
1968, p. 62.
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24/05/2023
Lorand Gaspar, Gisements
Les mots nous gardent. Et nous perdent.
C’est l’heure d’automne d’un lent dimanche
Un peuple gris tombe lourd et loin
(Est-ce toujours la même distance qui nous écarte ?)
Comme si tout le gris et tout le noir
Était quelque part
Déjà compris.
Des bancs de poissons souples et prestes
Traversent la peau et riant d’écailles
Se tournent sur le dos
Dans les chambres où se fait noir le sang
Il y a ces rapides éclairs de mots blancs.
Et je voudrais tout dire, tout,
Voici des sons du fil et des aiguilles
Voici un piano et des instruments à vent ;
On joue le plus doucement possible
Et déjà on n’entend plus rien.
Lorand Gaspar, Gisements, Poésie/Flammarion,
1968, p. 52.
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23/05/2023
Lorand Gaspar, Sol absolu
Impatients à briser l'horizon pour un autre
le même plus loin, plus loin le pays
où plus rien n’est secourable.
Et votre chute sans fin de même couleur que l’air
en ce vide médian de l’attente de l’arbre
l’oiseau s’est posé quelque part dans l’espace :
regarde comme il congédie la proue des hauteurs !
A l’endroit des mots
ce ravin de la danse qui chaque jour
défait les rayons de la roue.
Lorand Gaspar, Sol absolu, Gallimard, 1972 , p. 50.
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22/05/2023
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux
Tous les blés flambent
et la brève alouette est un fragment ascendant de ce feu.
Elle ne gravit tous les paliers de l’air
que parce que le sol est trop brûlant.
Il est une beauté que les yeux et les mains touchent
et qui fait faire au cœur un premier degré dans le chant.
Mais l’autre se dérobe et il faut s’élever plus haut
jusqu’à ce que nous autres ne voyions plus rien,
la belle cible et le chasseur tenace
confondus dans la jubilation de la lumière.
Philippe Jaccottet, Le dernier livre de Madrigaux,
Gallimard, 2021, p. 30.
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21/05/2023
Jean Follain, Appareil de la terre
Solitaires
Toujours leur porte s’ouvre mal
derrière eux s’endort la bête
couleur de feu
au seul pas d’homme ou de femme
ils reconnaissent qui passe
sur la route tournante
regardent un instant
pendant du plafond noir
la lampe ornée
une plante verte ocellée meurt pleure un enfant perdu
sous le vaste ciel bas
puis il neige enfin.
Jean Follain, Appareil de la terre, Gallimard, 1964, p. 79.
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20/05/2023
Jean Follain, Appareil de la terre
Une fille penchée
Une fille à traits purs
se penche sur des chaudrons.
Le paisible entre ddans la cour
près du seuil lavé
à grandes eaux
tousse pour avertir
des lueurs voguent
autour des pieds féminins
restés nus.
Les volailles à peine s’effarent
sans besoin de consolation
dans le soleil levant.
Jean Follain, Appareil de la terre,
Gallimard, 1964, p . 56.
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19/05/2023
Jean Follain, Usage du temps
Fouilles d’’enfance
Les enfants qui vont fouiller dans les greniers où sont les mannequins noirs les oignons, les issues le sac de papier brun où reste de l’anis étoilé connaîtront un jour les tracas et sauront ce qu’il en coûte de rechercher les voluptés et d’épouser la courbe délicieuse.
Jean Follain, Usage du temps, Poésie/Gallimard, 1984, p. 91.
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18/05/2023
Jean Follain, Usage du temps
Pain de nuit
Au fond de certains songes est un gros pain de chair bise volé un jour de neige mais là, cette nuit de la femme était totale sans étoiles avec un pain étroit émietté de minute en minute et porté jusqu’à sa bouche mauve et tout un chacun disait d’elle : il faut lui tenir la dragée haute.
Dérision, ô dragées jetées aux enfants assistés et dont l’amande éclate sous leurs dents par le triomphal matin d’un printemps qui ne revient pas !
Jean Follain, Usage du temps, Poésie/Gallimard, 1983, p. 171.
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17/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
Un moment interne troue l’onde d’urgence que raye d’ortie le néant d’attente sans trace
La mémoire, la mort, la main maudit, mélange, montre,
L’instant, l’infini, l’image, irréel, insu, incroyable
Où le terre, où la terre, où la terre, ternit, trafique, tord,
Où le sens, où le non, où la syntaxe siffle, sèche, s’émiette,
D’obole, d’orbite, d’ordre opaque, ozone, organique
Ruisseau, râteau, règle renonce !, racle, rumine !
Oublie, ossifie, oscille, ombre, ongle, onde
Du nuage, du néant, du nombre nié, non-dit, nourris
Que l’arbre, que l’âme, que l’art accorde, annihile, affirme
À la trace, au terreau, à la tombe, sa trace, sa tourmente, son triomphe.
Jacques Roubaud, C et autre poésie, NOUS, 2015, p. 270.
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15/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
État du monde
N’est pas joyeux l’état du monde, formidable
n’est pas, n’est pas, du tout, en tout, il va venir
le temps en temps, mais peu joyeux, rien réussir
en nul revoir, démontre ta construction, table.
Mais s’il se révélait, nous qu’en indéchiffrable
complicité avec le dispositif (etc), fuir
n’est pas non plus possible. Alors quoi ? au plaisir
de te mâcher, terre, avec tes cailloux en sables ?
Les oiseaux nivelés, les arbres compresseurs
entament la nature à l’horizon factice
recyclés de longs bois déportant nos couleurs
du rouge vers le brun et les verts s’évanouissent
Que nous reconnaissions comme clefs : autre temps
Où du contrôle il sembla qu’un jour il serait temps.
Jacques Roubaud, C et autre poésie, NOUS, 2015, p. 320.
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14/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
Un moment interne troue l’onde d’urgence que raye d’ortie le néant d’attente sans trace
La mémoire, la mort, la main maudit, mélange, montre,
L’instant, l’infini, l’image, irréel, insu, incroyable
Où le terre, où la terre, où la terre, ternit, trafique, tord,
Où le sens, où le non, où la syntaxe siffle, sèche, s’émiette,
D’obole, d’orbite, d’ordre opaque, ozone, organique
Ruisseau, râteau, règle renonce !, racle, rumine !
Oublie, ossifie, oscille, ombre, ongle, onde
Du nuage, du néant, du nombre nié, non-dit, nourris
Que l’arbre, que l’âme, que l’art accorde, annihile, affirme
À la trace, au terreau, à la tombe, sa trace, sa tourmente, son triomphe.
Jacques Roubaud, C et autre poésie, NOUS, 2015, p. 270.
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13/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
Nuit puis jour à Paris
val urbain cousu d’oisons
brun noir noircir fut doux plus
tard un air froid par l’afflux
sourd du matin aux maisons
tordit son azur prison
sous un pont pour chalands (glu
d’un tourbillon) l’or inclus
dans l’ourcq parut sans raison
alors dut d’un blanc gris d’ail
couvrant carton soupirail
loup fuir puis au bois vacant
un chat donna coloris
qui sut avant tout passant
qu’un jour abordait Paris
Jacques Roubaud, C et autre poésie,
NOUS, 2015, p. 109.
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12/05/2023
Jacques Roubaud, C et autre poésie
Présent
On n’écrit plus au passé. Il paraîtrait
Le temps des dominateurs du monde devoir être
Le présent. L’imparfait est solipsiste
Nominatif. Qu’un langue dérive en autre
N’étonne pas. La langue du bel aujourd’hui
Est statistique spasmodique : téléphones
Portables dans vos mains déportables du bord
Inférieur des jours aux soirs du peu de constat
La terre que tu lus n’était pas confortable
Les mots dits l’’avenir flottaient dans un bouillon
De sang épais où baignait beau le bleu factice.
Cela ne veut pas dire qu’il faudrait abso-
Lument que cette morasse* te satisfasse
*dernière épreuve faite généralement
à la Bourse quand la mise en forme du jour
est terminée
Jacques Roubaud, C et autre poésie (1962-2012),
NOUS, 2015, p. 321.
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11/05/2023
Franco Fortini, Feuille de route
À une ouvrière milanaise
Toute détruite, née toute nouvelle ;
Pierres déchirées sans pitié,
Ressurgie pour toi, devenue
Toute à nous, cette ville.
Ensevelie et rien qu’esprit est la mère tremblante
Qui nous angoissa asservis de baisers.
Et douloureusement en doigts de flamme l’amante
Efface ces signes tenaces.
Mais ici où entre être et non-être hésite
Prisonnière en elle-même notre figure,
Libérée tu apportes la justice certaine
Qui connaît les vivants et les morts.
Et te regardant s’humilie en nous un triste
Esclave tyran et l’espérance est entière :
Dans les matins mon peuple debout
Attend la grande sirène.
Franco Fortini, Feuille de toute, traduction Giulia
Camin et Benoît Casas, NOUS, 2023, . p. 17.
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