28/03/2023
Philippe Beck, Ryrkaïpii
Tout ce qui se meut se meut
pour atteindre ce qu’il n’a pas.
Il manque de quelque chose
et n’a pas son être entier.
Il y a dans le travail de l’artiste
la tristesse d’un cheval
qui porte des œillères et piétine
l’ère de l’engrenage.
Morsure du nom versé dans s’oreille
comme le ver entêtant,
l’orgue de Barbarie consentant,
l’automatophone qui déroule
un plan-rouleau ou la Toile de la Terre.
Philippe Beck, Ryïkaïpii, Flammarion,
2023, p. 263.
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26/03/2023
Judith Chavanne, De mémoire et de vent
Un corps navré ; à terre les feuilles ternes.
Jours de défaite ? Ou est-ce
que l’on a simplement désarmé ?
D’autres feuilles dans la dernière lumière
sur le bouleau orange illuminées.
Une rose pâle, comme décolorée.
Faut-il être jusque dans sa chair la tristesse,
le champ piétiné d’insondables batailles ?
Au-dessus, rose et or, le ciel
éblouissant avant l’obscurité.
Judith Chavanne, De mémoire et de vent,
L’herbe qui tremble, 2023, p. 27.
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25/03/2023
Judith Chavanne, De mémoire et de vent
On aurait pu se dire soustraits au temps
dans la cuisine à l’abri des intempéries d’avril :
il avait neigé sur les plateaux, il faisait humide,
et la vapeur du thé ajoutaitp à la brume.
On avait dérobé un jour au calendrier
des jours ouvrables et dûment remplis
par on ne savait quoi au juste
mais ce furent : quelques mots,
comme s’égoutte au long des heures
la pluie depuis les branches,
le verre de vin improvisé,
puis, ayant marché par des chemins trempés,
aux chaussures la boue agglutinée.
Et aussi l’oiseau, gorge rouge et léger
par intermittences,
plus vif peut-être qu’on ne le vit jamais.
Judith Chavanne, De mémoire et de vent,
L’herbe qui tremble, 2023, p. 65.
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24/03/2023
James Sacré, De la matière autant que du sens
Mémoire
Ce qui reste dans la mémoire
N’est-il pas comme un support gravé
Qu’il faut remettre à l’endroit ?
Et pour y voir
On se demande souvent quoi.
James Sacré, De la matière autant que
du sens, Al Manar, 2023, p. 35.
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23/03/2023
Judith Chavanne, De mémoire et de vent
Rêves et projets que l’on forma
à notre insu parfois
sont comme fantômes ou brumes d’automne
quand le soleil est trop incertain,
trop faible pour les dissiper.
Ce sont présences qui nous environnent
marchent à nos côtés ;
on en conçoit de l’inquiétude,
loin de se sentir épaulés.
on sent qu’elles ont part à notre existence,
qu’il faudrait vivre la vie
à leur ressemblance, mais
d’elles à ce qu’aujourd’hui nous sommes,
ce sont promesses perdues.
Judith Chavanne, De mémoire et de vent,
L’herbe qui tremble, 2023, p. 41.
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22/03/2023
Jean Tardieu, Da capo
Litanie du « sans »
Et sans visage
et sans image
et sans entendre
sans rien attendre
Partout en rien
partout ce seuil
et sans recours
Mais la splendeur
jamais perdue
qui la retrouve ?
Sans les merveilles
sans les désastres
plus rien qui vaille
Et sans parler
et sans se taire
et la fureur ?
et les délices ?
Et sans rien d’autre
que le même
et qui s’en va
et qui revient
et qui s’en va
Jean Tardieu, Da capo,
Gallimard, 1995, p. 27.
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21/03/2023
Jean Tardieu, Formeries
Un chemin
Un chemin qui est un chemin
sans être un chemin
porte ce qui passe
et aussi ce qui ne passe pas.
Ce qui passe est déjà passé
au moment où je le dis.
Ce qui passera
je ne l’attends plus je ne l’atteins pas.
Je tremble de nommer les choses
car chacune prend vie
et meurt à l’instant même
où je l’écris.
Moi-même je m’efface
comme les choses que je dis
dans un fort tumulte
de bruits, de cris.
Jean Tardieu, Formeries, Gallimard,
1976, p. 50.
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20/03/2023
Jean Tardieu, Formeries
Les caractères illisibles
Ce que tu assembles, ce que tu divises
se passe au fond de ton sang
hors de ta volonté : tu assistes
et tu te révoltes de n’être qu’un témoin
sans nul pouvoir.
Cette faible vie, tu aurais voulu la dominer
et tu ne parviens
(à force de vigilance)
qu’à percevoir en-deçà et au-delà
des éclairs indéchiffrables
quelques lointains roulements
annonçant que tout se prépare.
Bientôt ce qui est imprévu sera là
et ce que nous attendions s’enfuira.
Nous serons atteints par surprise
sans avoir compris sans savoir lire
les figures de nos propres rêves
pourtant inscrites en lettres géantes
sur la face changeante des nuages.
Jean Tardieu, Formeries, Gallimard,
1976, p. 74.
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19/03/2023
Jean Tardieu, Margeries
Insomnie
Tard, très tard, je veille les yeux fermés,
je vais dans ma nuit, je vais, je rame
entouré de formes invisibles
douces ou terribles, que je tiens
comme un enchanteur mille démons
et parfois je fais surgir de l’ombre
un visage, un feu ou une fleur
nés pour un instant, nés pour mourir,
car j’ai toujours mon fidèle abîme
où replongeront toutes figures.
La fleur tourne au vent, me dit adieu,
un pâle rayon sur sa corolle,-
et le précipice l’engloutit.
Jean Tardieu, Margeries,
Gallimard, 1986, p. 222.
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18/03/2023
égéries, un oiseau fin de moi
Un oiseau loin de moi
Un oiseau loin de moi
Une fleur sous la neige
Une maison qui brûle
Un noir mourant de soif
Un blanc mourant de faim
Un enfant qui appelle
Le vent dans le désert
La ville abandonnée
L’étoile solitaire
En voilà bien assez
Pour que je vous ignore
Beaux jours de mon été
Jean Tardieu, Margeries,
Gallimard, 1986, p. 167.
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17/03/2023
Jean Tardieu, Comme ci comme ça
Le vivant prolongé
(Avec naturel.
Familièrement, comme ça)
Le mort qui est en moi
s’impatiente
Il tape dans sa caisse
à bras raccourcis
Il voudrait qu’on le montre
une dernière fois
Quant au vivant
ça va pas mal merci
pour le moment.
Jean Tardieu, Comme ci comme ça,
Gallimard,1979, p. 63.
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16/03/2023
Jean Tardieu, Comme ceci comme cela
Insomnie
Ma longue nuit les yeux ouverts
seul délivré je veille
pour ceux qui dorment.
Rendu à l’espace
à l’empire du souffle
bien au-dessus des demeures.
Vertige lucide. J’entends monter
vers moi le hurlement secret des morts
le tonnerre d’un monde éteint
silence assourdissant langage
des énigmes confondues.
Bientôt (toujours trop tôt)
la retombée le masque aveuglant
le piège délice de vivre
Je verserai dans le jour
trésor accumulé des nuits
cette réserve obscure
cette ombre comme la mer
où dansent les feux en péril.
De nouveau les rumeurs à la dérive
paroles déchirées
lointaines
indéchiffrables
Jean Tardieu, Comme ceci comme cela,
Gallimard, 1979, p. 29-30.
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15/03/2023
Oswald Egger, Rien qui soit
Jour et nuit font deux ans
Je ne suis pas un vagabond, n’ai dieu merci rien d’autre
à faire. Maintenant j’ai avancé me suis assis sur l’heure
héliocentré, comme fonte des prés des taches claires, debout (à
ce moment), écoutai épiant des clins d’instants (éventails
de champs). Je veux teindre des tons (ils appellent). Alors j’ai vu
plus belles larves de plis (fleurs de gorges, avec textures
d’incises fusionnaires) émaillées sur quenouilles.
Leur jeu aussi est mimant (remarquable), au jour elles s’ef
feuillent, se scindent roulent leurs roues solaires, et finalement
ne reste qu’une glume membraneuse, une translucide
robe de points (fleurs ?) sur rosettes pressées en nid velu
et les jeunes pousses y folâtrant dominos (calendage avec
aigrettes. Maintenant se tiennent en lignes (inclinent têtes
et commencent un ton plaintif loquetant en lilas trilles leur
pariade chantée. (…)
Oswald Egger, Rien, qui soit, traduction René-René Lassalle, éditions Grèges, 2016, p. 16.
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14/03/2023
Oswald Egger, Rien, qui soit
Au milieu de la vie je me retrouvai comme dans une forêt (sans chemin). Je marchais entre les ronces qui à gauche, à droite, à gauche rougeoyaient. Les arbres gris cendre se dressaient, lisses et droits, flamboyant comme des colonnes écorcées ou des fumées s’élevant sans vent, leurs pousses distantes entre eux de trois quatre pas formaient rempart de bois, aux surfaces bombées ou planes, rocs et sapins, ondulations sans tige ni hampe, pendulations dans une forêt de paille, coupé du sentier, ou étais-je ? étais-je ? encore piétinai monte-pente, ne sachant si le chemin ressurgirait, en raidillon qui toujours s’engendre lui-même, arbre après arbre, quand la forêt elle-aussi se rangea et agrandit le champ de la vision devant elle, vers l’ouvert.
Oswald Egger, Rien, qui soit, traduction Jean René Lassalle, éditions Grèges, 2016, p. 89.
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12/03/2023
Yves di Manno, Lavis
(l’estampe) (exergue)
longtemps j’ai cherché dans
le poème l’ombre
d’une mémoire plus vaste`
que la mienne
aujourd’hui sans oser
écrire j’attends — l’encre l’estampe ?
lz forme vers laquelle
me conduit la strophe
inscrire la — poésie peinte ?
au revers d’une
vie nouvelle — toile mentale
inaugurale ? — augurant d’un
temps sans dessein — abolissant
essence & sens — signes destins ?
Yves di Manno, Lavis, Flammarion,
2023, p.9.
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