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07/09/2018

Anne Malaprade, notre corps qui êtes en mots

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Blonde. Il y a le miel et la confiture, l’acacia et les mûres, les mirabelles et les framboises, le théâtre et le cinéma, l’ordre de l’esprit et celui du cœur, géométries et finesses conjointes. Les pépins frottent et grattent : cachés, semés, recouverts, les noyaux déclinant renaissance. Je dors encore contre toi, mère-sœur, comme les premiers jours dans ce berceau transparent. L’une coule, l’autre pique. Je donne ma main, tu la retires. Mon père est ce héros lointain avec lequel se joue une première séduction. Voitures, ballons, coiffures, vernis. Tout ce qui entoure, cache, aimante. Je pense aux morts de la Méditerranée. Je pleure avec les enfants qui jouent sur les ordures. Celui qui a le bras cassé parle déjà de vengeance armée.

 

Anne Malaprade, notre corps qui êtes en mots, isabelle sauvage, 2016, p. 51.

11/12/2014

Georg Trakl, Grodek : deux traductions

                             Georg Trakl, Grodek : deux traductions, guerre, cadavre, douleur, automne, sœur

On peut lire dans le numéro de printemps de la revue de belles-lettres treize traductions d'un poème de Georg Trakl (dont une en tchèque, une en slovène et une en grec). En voici deux :

 

Grodek

 

Vers le soir les forêts de l'automne retentissent

D'armes tueuses, les plaines d'or

Et les lacs bleus où s'abîme un soleil

Plus lugubre ; la nuit cerne

Des guerriers mourants, la farouche plainte

De leurs bouches brisées.

Mais sans bruit, dans le creux des pâturages,

Rouge nue où trône un dieu courroucé,

S'amasse le sang répandu, fraîcheur de lune ;

Tous les chemins débouchent dans une noire pourriture.

Sous les ramures d'or de la nuit et des étoiles

L'ombre de la sœur s'en vient par le bois muet, chancelante,

Saluer les âmes des héros,

les têtes ensanglantées,

Et doucement sonnent aux roseaux les sombres flûtes de l'automne.

O deuil où la fierté s'exalte ! O vous autels d'airain !

Une vaste douleur nourrit en ce jour la flamme ardente de l'esprit,

Les descendants non nés encore.

 

Georg Trakl, Vingt-quatre poèmes, préface et traduction de

Gustave Roud, La Délirante, 1978, dans la revue de belles-lettres, p. 179.

 

Grodek

 

Le soir résonnent les fêtes automnales

D'armes et de mort, les plaines dorées,

Les lacs bleus, plus sinistre le soleil

Roule au-dessus d'eaux ; la nuit entoure

Des guerriers mourants, la plainte sauvage

De leurs bouches cassées.

Cependant se rassemble sans bruit dans les pâtures du vallon

De la nuée rouge où habite un Dieu furieux,

Le sang versé, du froid lunaire ;

Toutes les routes débouchent sur la pourriture noire.

Sous les ramures dorées de la nuit et des étoiles

L'ombre de la sœur chancelle à travers le bois silencieux,

Pour saluer les esprits des héros, les têtes ensanglantées ;

Et doucement résonnent dans les roseaux les sombres flûtes de

                                                                            [l'automne.

O deuil plus fier, vous autels d'airain !

Une douleur puissante nourrit aujourd'hui la chaude flamme de

                                                                                [l'esprit,

Les descendants qui ne sont pas nés.

 

Georg Trakl, Poèmes, traduits et présentés par Guillevic, Obsidiane, 1989, dans la revue de belles-lettres, p. 182..

 

 

Grodek

 

Am Abend tönen die herbstlichen Wälder

Von tödlichen Waffen, die goldnen Ebenen

Und blauen Seen, darüber die Sonne

Düstrer hinrollt; umfängt die Nacht

Sterbende Krieger, die wilde Klage

Ihrer zerbrochenen Münder.

Doch stille sammelt im Weidengrund

Rotes Gewolk; darin ein zürnender Gott wohnt

Das vergoßne Blut sich, mondne Kühle,

Alle Straßen münden in schwarze Verwesung.

Unter goldnem Gezweig der Nacht und Sternen

Es schwankt des Schwester Schatten durch den schweigenden Hain.

Zu grüßen die Geister der Helden, die blutenden Häupter;

Und leiser tönen im Rohr die dunklen Flöten des Herbstes.

O stolzere Trauer! ihr ehernen Altäre,

Die heiße Flamme des Geistes nährt heute ein gewaltiger Schmerz,

Die ungebornen Enkel.

 

la revue de belles-lettres, 2014, I, Lausanne, p. 176.