14/09/2023
Tristan Tzara, Où boivent les loups
errer errer dans une tête pleine
où j’attends la seule l’absente
la mal choisie d’entre les belles
la pierre au cou
par les profondes ruelles du sourire
tant d’hommes s’égarent près du pont
toujours partie — ni rides ni vents
parmi les rares
vieille l’ombre s’est rompue
de la branche sans amis
et la dernière est morte
qui voulait revivre une jeunesse morte
toute le neige toute
le ciel où demeurent toutes
ancrées désespérément
dans un cri — d’avoir trop compris
Tristan Tzara, Où boivent les loups, dans
Œuvres complètes, 2, 1925-1933, éditions
Henri Béhar, Flammarion, 1977, p. 207.
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13/09/2023
Tristan Tzara, Où boivent les loups
il y a des heures, blanches épreuves
qu’engloutissent les maudites
sur le fente irréductible
d’un espoir trop plein
il y a tant de sens à l’aube qui sombrent
qu’il n’y ait qu’une aube de ce monde
seule et qu’elle ne fut que l’ombre
d’une raison parée de mille méduses
de ses clairs éclats ou des cendres
revivront les souffles oubliés
dans une aube nouvellement débordante
de vérités dures de pierres dures
et les aubes écrasées dans l’invisible sang
en laine au regard du fer jaloux
d’une croissance si pesante si grave
que le jour ne résiste au sourire avançant
dans la chaleur des mortifications où brûle encore
la constance du verre et se rue et se délasse
le tourment hideux de la vague à voir sans repos
Tristan Tzara, Où boivent les loups, dans Œuvres compères, 2,
1925-1933, éditions Henri Béhar, Flammarion, 1977, p. 233.
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12/09/2023
Tristan Tzara, L'homme approximatif
XII
le temps laisse choir de petits poucets derrière lui
il fauche les fines molécules sur les prairies d’eau
il dompte les poches d’air traverse leur jungle
il coupe le verde la vague et de chaque moitié s’illumine un papillon
dans le volcan il se faufile le long d’une note de violon
il boucle le cours filant du verre dans les fines heures de transparence
là où nos sommeils bousculent la chantante nourriture de lumière
Tristan Tzara, L’homme approximatif, dans Œuvres complètes 2, 1925-1933,
édition Henri Béhar, Flammarion, 1977, p. 131.
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10/09/2023
Tristan Tzara, Premiers poèmes
Un beau matin aux dents fermées
je change le train en plume sonore
le pays n’a qu’un seul insecte
la maison aux narines d’or
est remplie de phrases correctes
découpons l’échelle matinale
de l’air et les nerfs de l’air
en différences irisées en cris de mal
pourquoi se regarder dans le blanc de l’air
Tristan Tzara, Premiers poèmes, dans Œuvres Complètes, I
(1912-1924), édition Henri Béhar, Flammarion, 1976, p. 217.
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09/09/2023
Tristan Tzara, Premiers poèmes
La mort de Guillaume Apollinaire
nous ne savons rien
nous ne savions rien de la douleur
la saison amère du froid
creuse de longues traces dans nos muscles
il aurait plutôt aimé la joie de la victoire
sages sous les tristesses calmes en cage
ne pouvoir rien faire
si la neige tombait en haut
si le soleil montait chez nous pendant la nuit
pour nous chauffer
et les arbres pendaient avec leur couronne
-
-
-
-
- unique pleur —
-
-
-
si les oiseaux étaient parmi nous pour se mirer
dans le lac tranquille au-dessus de nos têtes
ON POURRAIT COMPRENDRE
la mort serait un beau voyage
et les vacances illimitées de la chair des structures et des os
Tristan Tzara, Premiers poèmes, dans Œuvres Complètes, I,
(1912-1924), édition Henri Béhar, Flammarion, 1976, p. 209.
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08/09/2023
Tristan Tzara, Premiers poèmes
Incertitudes
J’ai sorti le vieux rêve de la boîte comme tu sors un chapeau
Quand tu mets la robe aux boutons nombreux
Comme tu sors le lièvre par les oreilles
Quand tu retournes de la chasse
Comme tu choisis la fleur parmi les mauvaises herbes
Et l’ami parmi les courtisans
Voici ce qui m’est arrivé
Lorsque vint le soir lentement comme un insecte
Pour beaucoup le remède qu’il leur faut
À l’heure où j’allume en mon âme un feu de branches mortes
Je me suis couché. Le sommeil est un jardin clôturé de doute
On ne sait pas ce qui est vrai, ce qui ne l’est pas
On pense que c’est un voleur et l’on tire au fusil
Ensuite le bruit court que c’était un soldat
Avec moi ce fut tout à fait pareil
C’est pourquoi je t’ai appelée pour me dire — sans faute
Ce qui est vrai — ce qui ne l’est pas.
Tristan Tzara, Premiers poèmes, dans Œuvres Complètes, I
(1912-1924), édition Henri Béhar, Flammarion, 1976, p. 45.
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22/03/2021
Tristan Tzara, Où boivent les loups
I
larmes mères
dans la coupe au givre
sur le bout des chiffres
où il n’y a plus de consolation
filles mères
aux lèvres de soleil
rêves brefs
pareils pareilles
pour s’en souvenir
tel qu’il devint
tant qu’il a fallu
et ce qu’il en garde le loup
Tristan Tzara, Où boivent les loups,
dans Œuvres complètes, 2,
Flammarion, 1977, p. 195.
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05/11/2020
Tristan Tzara, Phases
ce fut un jour sans peur ni haine
ma vie
le cœur ailé
vivant de restes de semaines
au ciel mêlé
vivant — vivions-nous sans nul doute
ni peine —
au gré du vent
c’était le temps où l’on redoute
le mal présent
pourquoi au cours de ces tortures
errantes
lier tes pas
alors que tombe l’ombre mûre
autour de toi
Tristan Tzara, Phases, Poésie 49/Seghers,
1949, p.19.
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28/07/2018
Tristan Tzara, L'Antitête
Sable
Bon, bon, dit le bonbon, de la bouche d’enfant qui était pour lui le bonbon. Le silence de la petite chambre était un cri pour le grand silence. Le silence me dit son manque de confiance. Bon, bon, dit mon silence et s’échappe pour toujours. Tout cela revint sur le bout de ma langue. Avec un peu de charbon. L’accordéon se mit sur la table. Bon, bon, dis-je.
Fable.
Tristan Tzara, L’Antitête, dans Œuvres complètes, 2, Flammarion, 1977, p. 275.
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09/10/2017
Tristan Tzara, De nos oiseaux
Cirque, I
tu fus aussi étoile
l’éléphant sortant de l’affiche
voir un œil énorme d’où les rayons se laissent descendre
en courbes sur terre
qui ne voit que sous la toile
la force musculaire est grave et lente sous la lumière bleuâtre
nous donne la certitude en certains exemples
la précision des gymnastes parfois des clowns
doit attendre ?
la perspective tordant la forme du corps
c’est émouvant dans ces lueurs
loin d’ici
des mains invisibles qui torturent les membres
toutes les taches jaunes aux points d’acier s’approchent
de quelques centimètres du milieu
du cirque
on attend
ce sont des cordes qui pendent en haut
la musique
c’est le directeur du cirque
le directeur du cirque ne veut pas montrer qu’il est content
il est correct
Tristan Tzara, De nos oiseaux, dans Œuvres complètes, I, Flammarion, 1975, p. 183.
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14/02/2015
Tristan Tzara, Où boivent les loups
à l’horizon planent toujours les oraisons
de vie en désordre
le liège est cerf le cerf est feuille
un matin à bijoux une robe de mains
palpitantes qui fuient la terre
un visage qui se hâte à la nuit
les soucis au rivage
une lumière qui erre sans se connaître
une femme qui l’habite à regret
la neige la couvre sur les cimes interdites
une seule ombre la trouve
une seule qui la cherche qui ne doute
de la naissance des ombres
Tristan Tzara, Où boivent les loups, dans Œuvres
complètes, II, édition établie, présentée et annotée par
Henri Béhar, Flammarion, 1977, p. 245.
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24/05/2012
Tristan Tzara, Phases, "Pour Robert Desnos"
Pour Robert Desnos
dans le blanc de ma pensée
hurle un merle l'herbe chante
sur la ville décapitée
siffle l'ai subit du sang
d'où s'ébranle l'arbre mûr
mendiant de lumière
mademoiselle voulez-vous
et la mort montre sa montre
des dents vides au bracelet
et les os de mille témoins
mademoiselle voulez-vous
le bois mort des fortes mâchoires
ferme doucement la marche
à la tête d'un seul espoir
dans la tête une forêt
par le brisement d'étoiles
j'ai connu la mélodie
d'où se lève la mémoire
il n'y a plus de voix sonnante
dans Paris pavé de feuilles
un été manque à l'appel
je suis seul à le savoir
oubliez vos fils vos mères
le jeunesse les printemps
les baisers des amoureuses
l'or du temps
un nom nu voltige encore
dans les nuits autour des lampes
et le poing serré des villes
dresse jusqu'au cœur du jour
cette lumière cette révolte
que l'on offre aux passants
dans la paume de la main
celle du monde
dans les bras que vague emporte
un oiseau rien de plus sauf la colère
un visage à ma fenêtre
une joie flotte
mon secret ma raison d'être
et le monde
Tristan Tzara, Phases, "Poésie 49", éditions Pierre Seghers, 1949, p. 27-28.
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