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02/01/2021

Georges Lambrichs (1917-1992), Les Rapports absolus

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                             C’est le geste qui coûte

 

Une grande froideur fait le jeu de l’histoire, notre destin s’y trouve mêlé et, hâtivement, nous adoptons par mimétisme, un souci logique, vulgaire, bien étranger à notre être qui est composé de fluides et d’humeurs. Je n’en veux, ici, ni à la morale, ni à l’immoralisme tapageur (dont on a pu voir les éclats déjà anciens, divulgués, les réussites esthétiques). Je dis seulement que l’être, notre nature, ne répondent pas à la parole, aux commandements graves, et que l’usage de la parole qui est essentiellement calculateur et médiateur ne véhicule pas la passion, mais qu’il la cogne. Si la vérité est un sens, la passion doit être mise en théorie, et le malheur est donné par surcroît.

(...)

 Georges Lambrichs, Les Rapports absolus, collection Métamorphoses, Gallimard, 1949, p. 53.

01/01/2021

Wislawa Szymborska (1923-2012), De la mort sans exagérer

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                                                               Photo Anna Kaczmarz

              Buffo

 

D’abord notre amour passera,

puis un siècle, un autre siècle,

puis, nous serons réunis :

 

comédienne et comédien,

favoris du grand public,

au théâtre on nous jouera.

 

Petite farce avec couplets :

quelques danses, éclats de rire,

Bien saisies, les mœurs de l’époque,

sous vos applaudissements.

 

Tu seras irrésistible

 sur scène, avec ta cravate

et tes crises de jalousie.

 

Ma tête toute retournée,

ma tête, mon cœur couronnés,

cœur stupide qui se brise,

couronne qui roule par terre.

 

Nous quitterons, nous retrouverons,

toute la salle rire nous ferons,

sept rivières, sept montagnes

entre nous érigerons.

 

Comme si nous n’avions pas assez

de douleurs, et de défaites

— de paroles nous achèverons.

 

À la fin nous saluerons

et la farce sera finie.

Et les gens iront dormir

contents d’avoir bien ri.

 

Eux, vivront comme des images,

dompteront l’amour. Le tigre

dans la main leur mangera.

 

Et nous toujours Dieu sait quoi,

bouffons de clochettes coiffés,

écoutant d’oreille barbare

leur tintamarre.

 

Wislawa Szymborska, De la mort sans exagérer,

Poèmes 1957-2009, traduction du polonais

Piotr Kaminski, Poésie/Gallimard, 2018, p. 13-14.

31/12/2020

Vladimir Pozner, Un pays de barbelés : recension

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La guerre d’Espagne et la défaite de la République espagnole ont suscité une abondante bibliographie : essais, témoignages, œuvres de fiction ; moins de livres portent sur l’exil des républicains (la Retirada) en France qui a suivi la guerre et, surtout, sur leur enfermement dans des camps — d’abord nommés "camp de concentration", puis "d’hébergement", "d’accueil", enfin "camp" — par un gouvernement du Front populaire débordé et qui craignait la diffusion d’idées considérées "dangereuses". Un pays de barbelés est un document sur ces camps ; la préface présente Vladimir Pozner et précise quel a été son rôle avant de donner à lire ses archives.

Il est en effet indispensable de disposer du contexte pour comprendre ce que furent les camps de réfugiés. Vladimir Pozner (1905-1992), né à Paris de parents qui avaient fui la Russie tsariste, était cependant retourné à Moscou et avait connu la Révolution de 1917 ; poète, il a alors fréquenté le milieu littéraire russe et, de retour à Paris dans les années 1920, il a traduit par exemple Victor Chklovski. Devenu journaliste et écrivain, il a publié dans les revues littéraires de l’entre-deux guerres et dans la presse de gauche ; après l’accession de Hitler au pouvoir, il a aidé les réfugiés antifascistes allemands au sein de l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires, proche du Parti communiste fondée en 1932 et dirigée par Paul Vaillant-Couturier ; il est devenu secrétaire de rédaction de Commune, revue de l’association.

C’est en février 1939 qu’un Comité d’accueil aux intellectuels espagnols est formé, présidé par Renaud de Jouvenel ; Aragon, par le biais du journal communiste Ce soir, qu’il dirige avec Jean Richard-Bloch, a lancé un appel international aux dons après avoir constaté l’état de dénuement des réfugiés dans les camps : l’argent était indispensable puisqu’un réfugié ne pouvait sortir d’un camp qu’avec un « permis spécial » payé 2000 francs. Jean Cassou écrivait dans Ce soir le 20 juin 1939, « En aidant les intellectuels espagnols à vivre, c’est nous-mêmes que nous défendons, c’est le meilleur de notre histoire que nous réhabilitons » — allusion transparente au fait que le gouvernement français n’avait rien fait contre l’attaque de la République espagnole par l’armée franquiste et que, selon les mots de Pozner, il n’offrait aux réfugiés qu’ « un morceau de sol français entouré de barbelés français ».

Vladimir Pozner est arrivé à Perpignan le 23 mars 1939, chargé par le Comité d’accueil de visiter les camps pour tenter d’en faire sortir des intellectuels ; tâche difficile, les autorités n’étant que rarement prêtes à coopérer : Alexis Buffet rapporte dans la préface la diplomatie dont a su faire preuve Pozner. Il analyse également comment « Dans le sillage des Choses vues de Victor Hugo, les notes et descriptions de Pozner construisent une fiction d’instantanéité. Nerveuses, brutes de décoffrage, elles (...) révèlent la réalité des camps ».

Les documents réunis dans le livre sont de plusieurs types : lettre, article de journal, carnet de notes, rapport, photographie. Le premier ensemble est constitué de 16 cartes postales, chacune commentée par Pozner ; ne sont retenus dans les descriptions que quelques détails : bras dans le plâtre fixé avec du fil de fer, un rideau sur les épaules contre le froid, et pour un décor : « Une impasse, une cour, un bout de rue, de toute façon dehors » ; dans un camp sur la plage, des tentes faites de trous dans le sable recouverts de morceaux de bois et l’immense foule des réfugiés espagnols en face des officiers de la garde mobile. Ces brèves notations sont complétées par celles, le plus souvent elles aussi lapidaires, d’un "Carnet de notes" tenu de mars à mai 1939, base des rapports de Pozner sous forme de lettres à Renaud de Jouvenel, de ses articles dans la presse et, plus tard, de Espagne premier amour (1965).

Tout ce qui se rapporte aux réfugiés, observé au cours de ces deux mois, est relevé : de la discussion à propos de la prononciation du latin à la recherche d’un vacher parmi les réfugiés par un éleveur. Pozner voit des réfugiés menottés, il apprend qu’un jeune espagnol est frappé par un policier qui l’accuse d’avoir tué cinquante ( !) prêtres, il recopie les paroles d’une chanson écrite dans le camp de Saint-Cyprien, dont il reproduira dans un article deux strophes qu’il a traduites ; on y lit : « Que je serais heureux / Si je pouvais me reposer /Dans les bras de la France / Et de son Front populaire ». Il décrit ce qui précède le départ pour le Mexique d’un ensemble de réfugiés, l’entassement des femmes et des enfants dans les Haras de Perpignan dans la paille et les parasites, avec

les valises que les gardes mobiles fouilleront une fois de plus, une dernière fois,  ces misérables valises en simili, en toile cirée, en papier mâché, ces nœuds de linge sale, de couvertures déchirées, cette chair à poubelles, articles pour chiffonniers, témoins de trois ans de guerre, de l’exode, des camps de concentration que les mobiles fouilleront une fois de plus — pour laisser aux partants un bon souvenir de la France.

Il rencontre dans un ancien hôpital militaire de Perpignan un réfugié menuisier qui passe son temps à réparer ce qui peut l’être avec pour outil un couteau de poche, il n’oublie pas le petit cahier avec des dessins et de courts textes politiques qui circule au camp de Barcarès, il présente le consul mexicain, Fernando Gamboa, dont l’amical Buen viaje, compañeros accompagne ceux qui rejoignent le navire vers le Mexique.

On retrouve l’essentiel des informations du "Carnet de notes" dans les trois rapports, sous forme de lettres, envoyés à son ami Renaud de Jouvenel. On lit aussi d’autres exemples de la violence manifestée vis-à-vis des réfugiés, un chef de cabinet de préfet assurant qu’ « ils sont bien à Bram [camp dans l’Aude], trop bien même, à mon avis, puisqu’ils ne veulent pas retourner en Espagne ». On comprend que Pozner doit être — et il l’est — fin diplomate pour obtenir ce qu’il veut, des listes d’intellectuels espagnols et la possibilité de les sortir des camps. L’indifférence, au mieux, quant au sort de réfugiés est partagée par une partie de la population, si l’on en juge par un article paru dans la presse locale après le déplacement d’un camp : « Les camps, les réfugiés, la troupe, la police donnaient beaucoup d’animation au Roussillon ». Dans le même texte inédit où il a recopié cet extrait, Pozner relate sa visite du camp de Montolieu et l’on devine sa rage quand il écrit : « [Les réfugiés] dormaient sur la paille, mangeaient des lentilles et, après avoir combattu les avions italiens et les tanks allemands, luttaient contre le plus impitoyable des ennemis, la vermine française. » `

Outre une substantielle bibliographie, plusieurs annexes prolongent les textes de Pozner : les plans de travail des réfugiés — enseignements dispensés, conférences, préparation pour le départ au Mexique —, le rapport de Jean Cassou (juin 39) qui insiste notamment sur le fait qu’ « il s’agit d’accueillir une armée vaincue qui s’est battue pour un idéal semblable à celui qu’a toujours défendu la nation française ». De nombreuses illustrations et fac-similés aident à se représenter des situations trop oubliées aujourd’hui. Tout le livre aide aussi à réfléchir sur le sort des immigrés d’aujourd’hui qui tentent de rejoindre ce qu’ils pensent être un lieu d’accueil.

Voilà un livre politique, c’est-à-dire qui concerne les citoyens, à lire et faire lire.

Vladimir Pozner, Un pays de barbelés, édition établie et préfacée par Alexis Buffet, éditions Claire Paulhan, 2020, 288 p., 33 €. Cette note de lecture a été publiée par Sitaudis le 27 novembre 2020.

30/12/2020

Georges Perros, Poèmes bleus

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    Entre nous

Alors quoi de neuf cher ami ?

Ça va ça va ça va merci.

Et le prochain livre il s’annonce

Bien ? Non ? — Maizoui, maizoui, maizoui.

 

J’ai relu par temps clair, le tome

Premier de l’œuvre de cet homme,

Ah son nom dites-moi son nom

Ma mémoire est comme un poisson

 

Elle saute vole et replonge

Allez-y voir. Mais quand j’y songe

Vous écrivez. C’était fort bien

Votre article, oh pas moins que rien.

 

Vous donnez là votre mesure

On s’entend mieux quand on rassure

L’amour-propre de son prochain

À bientôt cher ami machin

 

Mais les noms vraiment je m’y perds

Bast rien ne sert à rien. J’espère

Que nous reverrons bientôt

Botzaris 22-cigalo...

 

La solitude est éphémère

Comme le coq de ce clocher

Elle s’en va s’en vient. Ma mère

Aurait dû me laisser plié

 

Dans son ventre. J’aurais poussé

Jusqu’à ne plus me reconnaître

Elle non plus. C’en est assez

Pour aujourd’hui. À d’main peut-être.

 

Gorges Perros, Poèmes bleus, Le Chemin /

Gallimard, 1962, p. 100-101.

29/12/2020

Serguei Essenine, Journal d'un poète

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Caravelles-haridelles

 

                I

 

Si le loup hurle à l’étoile, c’est

que les mers ont englouti le ciel.

Haridelles éventrées,

noires voilures des corbeaux.

 

Des hoquets nauséabonds du blizzard

l’azur ne sortira pas ses serres ; il plane

sur un jardin de crânes jonché d’aiguilles d’or,

sous le hennissement des tempêtes.

 

Entendez-vous ? entendez-vous ce cliquetis ?

Ce sont les râteaux de l’aube dans les bosquets.

Avec des rames de mains coupées

vous souquez vers le futur.

 

Voguez, voguez vers les hauteurs !

De l’arc-en-ciel craillez corneilles !

L’heure vient où la feuillée jaune de ma tête

va se muer en arbre blanc.

(...)

 

Serguei Essenine, Journal d’un poète, traduction

Christiane Pighetti, éditions de la Différence,

2014, p. 183.

28/12/2020

Tristan Corbière, Les Amours jaunes

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À UNE ROSE


Rose, rose-d’amour vannée, 
Jamais fanée, 
Le rouge-fin est ta couleur, 
Ô fausse-fleur !

Feuille où pondent les journalistes
Un fait-divers, 
Papier-Joseph, croquis d’artistes :
— Chiffres ou vers —

Cœur de parfum, montant arôme
Qui nous embaume…
Et ferait même avec succès, 
Après décès ;

Grise l’amour de ton haleine, 
Vapeur malsaine, 
Vent de pastille-du-sérail, 
Hanté par l’ail !


Ton épingle, épine-postiche, 
Chaque nuit fiche
Le hanneton-d’or, ton amant…
Sensitive ouverte, arrosée
De fausses-perles de rosée, 
En diamant !

Chaque jour palpite à la colle
De la corolle
Un papillon-coquelicot, 
Pur calicot.

Rose-thé !… — Dans le grog, peut-être ! —
Tu dois renaître
Jaune, sous le fard du tampon, 
Rose-pompon !

Vénus-Coton, née en pelote, 
Un soir-matin, 
Parmi l’écume… que culotte
Le clan rapin !

Rose-mousseuse, sur toi pousse
Souvent la mousse

De l’Aï..... Du BOCK plus souvent
— À 30 Cent.

— Un coup-de-soleil de la rampe !
Qui te retrempe ;
Un coup de pouce à ton grand air
Sur fil-de-fer !…

Va, gommeuse et gommée, ô rose
De couperose, 
Fleurir les faux-cols et les cœurs, 
Gilets vainqueurs !

Tristan Corbière, Les Amours jaunes,

Gladys frères, 1873, p. 47-49.

 

 

27/12/2020

Tristan Corbière, Les Amours jaunes

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            À MON CHIEN POPE

 

— GENTLEMAN-DOG FROM NEW-LAND —

 

                        mort d’une balle.


Toi : ne pas suivre en domestique, 
Ni lécher en fille publique !
— Maître-philosophe cynique :
N’être pas traité comme un chien, 
Chien ! tu le veux — et tu fais bien.

— Toi : rester toi ; ne pas connaître
Ton écuelle ni ton maître.
Ne jamais marcher sur les mains, 
Chien ! — c’est bon pour les humains.

… Pour l’amour — qu’à cela ne tienne :
Viole des chiens — Gare la Chienne !

Mords — Chien — et nul ne te mordra.
Emporte le morceau — Hurrah ! —


Mais après, ne fais pas la bête ;
S’il faut payer — paye — Et fais tête
Aux fouets qu’on te montrera.

— Pur ton sang ! pur ton chic sauvage !
— Hurler, nager —
Et, si l’on te fait enrager…
Enrage !

                                Île de Batz. — Octobre.

Tristan Corbière, Les Amours jaunes, Gladys frères,

1873, p. 147.

 

 

 

26/12/2020

Tristan Corbière, Les Amours jaunes

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       MIRLITON

 Dors d’amour, méchant ferreur de cigales !
Dans le chiendent qui te couvrira
La cigale aussi pour toi chantera, 
Joyeuse, avec ses petites cymbales.

La rosée aura des pleurs matinales ;
Et le muguet blanc fait un joli drap…
Dors d’amour, méchant ferreur de cigales.

Pleureuses en troupeau passeront les rafales…

La Muse camarde ici posera, 
Sur ta bouche noire encore elle aura
Ces rimes qui vont aux moelles des pâles…
Dors d’amour, méchant ferreur de cigales.

Tristan Corbière, Les Amours jaunes,

Gladys frères, 1873, p. 336.

25/12/2020

Tristan Corbière, Les Amours jaunes

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             FÉMININ SINGULIER

 Éternel Féminin de l’éternel Jocrisse !
Fais-nous sauter, pantins nous payons les décors !
Nous éclairons la rampe… Et toi, dans la coulisse, 
Tu peux faire au pompier le pur don de ton corps.

Fais claquer sur nos dos le fouet de ton caprice, 
Couronne tes genoux !… et nos têtes dix-cors ;
Ris ! montre tes dents ! mais… nous avons la police, 
Et quelque chose en nous d’eunuque et de recors.

… Ah tu ne comprends pas ?… — Moi non plus — Fais la belle
Tourne : nous sommes soûls ! Et plats : Fais la cruelle !
Cravache ton pacha, ton humble serviteur !…

Après, sache tomber ! — mais tomber avec grâce —
Sur notre sable fin ne laisse pas de trace ! …
— C’est le métier de femme et de gladiateur. —

 

Tristan Corbière, Les Amours jaunes, Gladys frères,

1873, p. 23.

24/12/2020

Sylvia Majerska, Matin sur le soleil

 

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                                Écume

 

Tu veux quitter les hommes pour toujours. La vague aussi fuit sur la mer, mais   elle y revient à chaque fois. Puis il est des jours où elle n’essaie même plus.

 

Et la mer, elle, paraît si seule que tu as envie d’appeler tous ceux que tu connais et rire avec eux ne serait-ce que de tes étranges comparaisons.

 

Si seulement leurs sourires n’étaient pas blancs comme l’écume comme si la mer montrait les dents à quelqu’un.

 

Sylvia Majerska, Matin sur le soleil, Le Cadran ligné, 2020, p. 27.

23/12/2020

Danielle Collobert, Dire II

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la seule chose – recommencer encore – si possible – encore une fois des mots – l’quivalent d’une mort – ou le contraire même – ou peut-être rien

 

être ici – le calme – épuisant de tension – le monde autour qui ne s’arrête pas – mais pourrait s’arrêter – le souffle qui pourrait s’arrêter maintenant – un instant après l’autre – même égalité plane –même  dureté froide – même goût fade et doux – supporter encore d’aller vers d’autres moments pareils – continuer seulement le souffle – la respiration – prolonger le regard – simplement

 

sans doute – une certaine confusion –auparavant – chaque événement détruit par lui-même – passant d’une chose à l’autre – revenant en arrière – avançant – imprévisible – dans un avenir imaginé  – s’acccrochant autour de lui à toutes les rugosités – à tous les angles

 

Danielle Collobert, Dire II, dans Œuvres I, P. O. L., 2004, p. 211.

 

22/12/2020

Danielle Collobert, Dire II

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Corps là

noué

noué aux mots

l’étranglement du souffle

perte du sol

pendu

balancement à l’intérieur des mots – trouées –

vide

approche de la folie

peur continuelle de la fuite verticale

les mots en spirale fuyante – aspirée

sans prise

sans arrêt

tremblement

un cri

peur continuelle – absence de mots – gouffre

ouvert – descente – descente

mains accrochées au visage

toucher

corps là

résistance –

entendre encore le souffle – quelquepart

à l’instant savoir – souffle là

à l’écoute du bruit

affolement

tendu pour entendre

tendu pour résister

jusqu’à la limite – l’immobilité

sursaut

cassure

encore sombrer – descendre – ou aspiré au loin

– ou fatigue – désespoir

Danielle Collobert, Dire II, dans Œuvres I, P. O. L., 2004, p. 256-257.

21/12/2020

Virginia Woolf, Journal d'adolescence, 1897-1909

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Samedi 13 mai [1905]

 

Un silence aussi inquiétant signifie— comme je l’ai reconnu précédemment — que ce Journal se dirige vers une mort prématurée. C’est une entreprise impossible : noircir tous les jours une page supplémentaire, alors que j’ai écrit tellement par nécessité, me casse les pieds & ce que je raconte est sans intérêt.

 

Mercredi 31 mai

 

Nous allons solennellement renoncer à ce Journal à présent que nous arrivons à la fin du mois & que, par bonheur, ce cahier n’a plus de pages — car elles seraient restées vierges.

Un exercice comme celui-ci n’est concevable que s’il émane d’une volonté & que les mots viennent spontanément. L’écriture directe est un travail — pourquoi, se demande-t-on, s’ infliger pareil châtiment ? Les bienfaits s’annulent. Mais ce genre de réflexion n’a point lieu d’être. Ces quelques 6 mois trouvent ici une espèce de miroir d’eux-mêmes ; de l’image reflétée, on tire un enseignement ou un plaisir.

 

Virginia Woolf, Journal d’adolescence, 1897-1909, traduction Marie-Ange Dutartre, Stock, 1993, p. 426.

20/12/2020

André Frénaud, La Sainte Face

André Frénaud, La Sainte Face, la femme de ma vie

   La femme de ma vie

 

Mon épouse, ma loyale étoffe,

ma salamandre, mon doux pépin,

mon hermine, mon gros gras jardin,

mes fesses, mes vesses, mes paroles,

mon chat où j’enfouis mes besoins,

ma gorge de bergeronnette.

 

Ma veuve, mon essaim d’helminthes,

mes boules de  pain pour mes mains,

pour ma tripe sur tous mes chemins,

mon feu bleu où je cuis ma haine,

ma bouteille, mon cordial de nuit,

le torchon pour essuyer ma vie,

l’eau qui me lave sans me tacher.

 

Ma brune ou blanche, ma moitié,

nous n’aurions fait qu’une couleur,

un soleil-lune à tout casser,

à tous les deux par tous les temps,

 

si un jour je t’avais reconnue.

 

André Frénaud, La Sainte Face, Poésie /

Gallimard, 1985, p. 61.

19/12/2020

André Frénaud, Haeres

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                   Ce si peu

 

Ce si peu. La tendresse qui me consolait parfois,

et pour toujours la vie traversière,

les échos précoces et les équipées,

les vains obstacles à la mort et la mort même.

 

André Frénaud, Haeres, dans Nul ne s’égare,

précédé de H, Poéssie/Gallimard, 2006, p. 177.