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06/07/2021

Jean Paulhan, Les Causes célèbres

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                              Les Passagers

 

  Le mendiant vient chanter vers onze heures et ma mère dit : « Comme sa musique est triste aujourd’hui ». _ Non, la chanson n’était pas triste, mais insaisissable ; ce mendiant, qui s’entêtait à chanter, n’avait pas de voix.

   Un peu plus tard, elle nous dit : « Je plains ceux qui meurent ces jours-ci, ils ne verront pas la fin de la guerre. » Elle ajouta pour nous rassurer : « Oh, ce n’est pas à moi que je pense », et tomba dans cet état de distraction, où le malade ne souffre aucun des soins qu’on est forcé de lui rendre mais demande du linge propre, et prie qu’on lui ôte sa bague du doigt. Elle nous regarda patiemment. Il nous sembla qu’elle ne parlerait plus.

   Elle renonça, quelques instants plus tard, à se parler à elle-même ; sa figure fut agitée d’un tic, puis labourée d’une respiration puissante, qu’avait-elle besoin de tant d’air ? Dans la soirée, je l’embrassais encore, sans que son front ni ses mains prissent sous mes lèvres, ne fût-ce qu’un semblant de chaleur. Puis son nez se pinça, et sa bouche fit une moue un peu rêche. Moi, je tâchais de me la rappeler aux moments de fâcherie. Mais je n’en retrouvai pas.

 

Jean Paulhan, Les Causes célèbres, dans Œuvres Complètes, I, Récits, Gallimard, 2006, p. 313.

05/07/2021

Laurent Fourcaut, Dedans Dehors : recension

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   Quand il ne publie pas des études à propos de poètes (Apollinaire, Dominique Fourcade) et de romanciers (Giono, Simenon), Laurent Fourcaut écrit des sonnets. Cette forme, bien en usage encore depuis le début du XXe siècle (de Valéry à Queneau, Bonnefoy ou Jaccottet), connaît parfois des transformations, par exemple par Robert Marteau (sonnets non comptés non rimés) ou Jacques Roubaud (sonnets en prose). Elle est toujours vivante grâce à sa souplesse, même si l’on joue plus (Valérie Rouzeau) ou moins (Pierre Vinclair) avec les règles classiques de construction. Les sonnets de Laurent Fourcaut, pour la majorité d’entre eux, conservent avec quelques accommodements une forme (ABAB ABAB CCD EED) courante au XVIe siècle et y sont investis des motifs lyriques (la nature, le temps, l’amour), inscrits dans notre époque de manière très personnelle.

   Le premier sonnet est comme un "programme" en bonne partie suivi dans les 158 sonnets du livre. Dans le tableau de Brueghel cité, Chasseurs dans la neige, comme dans un poème, le spectateur, le lecteur peuvent reconstruire un état du monde et y découvrir « le même fouillis que l’intenable vrai », le peintre, l’écrivain ayant eu le même « désir » de donner une forme au « périssable ». C’est de ce périssable que les sonnets se nourrissent, voué à la disparition et cependant se renouvelant sans cesse : l’œuvre exige de parcourir un « labyrinthe » (c’est le titre de ce premier sonnet) et c’est ce parcours qui « comble » l’auteur comme le lecteur. Ce qui, pour tous, se défait et renaît, ce sont les saisons, avec les changements de la lumière, des couleurs du ciel, des mouvements du vent et très nombreux sont les sonnets qui s’ouvrent avec une description d’éléments de la nature :

 

Le jour s’affaiblit vire tout doux dans les gris (sonnet 4)

Un vent fort et très froid le faux été est mort (sonnet 5)

L’air se charge d’une humidité grise et lourde (sonnet 126)

Le temps joue dans l’espace sa partie patiente (sonnet 127)

 

Au fil du livre on lit "Hiver", "Printemps", "De l’été", "Soleil couchant", "Saison" — un titre d’Apollinaire est repris pour le second sonnet, "Automne malade ", un autre de Baudelaire, "Harmonie du soir", et "Les merveilleux nuages" est une reprisse des derniers mots d’un poème en prose ("L’étranger"). En même temps que l’on retrouve au bord de la mer « la perpétuité du même », c’est la nature dans toute sa variété qui est sans cesse louée, la « radieuse fraîcheur dorée » du soir comme « la douceur de cette pluie petite », la rencontre d’une chouette le jour, de hérons « au dos de cendre » ou de marcassins avec la laie. Il n’est pas surprenant qu’apparaisse l’évocation d’une vie frugale, où l’on se contenterait d’olives et de galettes de blé — mais ce n’est pas le choix du narrateur.

   Cette vie proche de la nature, possible en province, avec « les vrais gens » — la vie Dehors —, s’oppose complètement à ce qui est vécu Dedans, avec « l’hystérie urbaine » où les relations humaines sont mises à mal. D’un côté « le parfum de l’aubépine blanche », de l’autre « l’air puant pourri ». Tout est dit. La vie urbaine semble réunir tout ce qui est destruction, le bruit incessant, la pollution, la « fête de la marchandise » et les effets de la mondialisation, tout ce qui contribue aussi à ne plus être dans le réel et dans le temps, chacun « scotché sur son smartphone ». Cependant, pour qui vit en ville, les bistrots peuvent être perçus comme des refuges, où l’on boit une Leffe, un Sancerre, où le narrateur peut « lorgner les filles », admirer une « jolie Black » puisque « le leurre féminin / remplit une vie d’homme ». On peut aussi, dans certains quartiers ou dans les allées du Père Lachaise, retrouver des traces du passé, sortir ainsi d’un espace aux liens humains défaits. Mais l’opposition entre nature et grande ville (Paris) ne doit pas tromper : à propos de la nature, il faut faire « attention à ne pas se prendre les pieds dans l’œuvre » et ne pas revenir à un rousseauisme naïf : ce qui est en cause, c’est le « règne imbécile » de l’argent, l’aveuglement des hommes concernant leurs pratiques.

 

Revenons à ce qui est éloigné de la « bêtise au front d’argent », aux créations humaines. Baudelaire est encore présent dans les titres, cette fois implicitement, avec "L’informe d’une ville" qui renvoie à la seconde strophe du "Cygne", « (la forme d’une ville / Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel) », et l’on pense aussi au titre du livre de Jacques Roubaud qui remplace "mortel" par "humain". Le lecteur rassemblera d’autres allusions dans les titres qui inscrivent Dedans Dehors dans un ensemble littéraire ("La vie sans les plis" pour "La vie dans les plis", Michaux ; "Tempête sous les crânes", pour "Tempête sous un crâne", Hugo ; "Un balcon en ville" pour "Un balcon en forêt", Gracq, etc.).  On repère également des références à des films ("Apocalypse now", Coppola ; implicitement, "Deux ou trois choses que je sais du réel", Godard, "Suzanne de 5 à 6", Varda ; etc.), à des chansons et des chanteurs (Eric Clapton ; "L’important c’est la rose", Bécaud), à des compositeurs et des interprètes, noms présents dans un titre ou dans un sonnet, de Bach à Glenn Gould, Al Jarreau, Erroll Garner et Herbie Hancock, à des peintres (Pissaro, Picasso). La littérature tient une place de choix avec des fragments de citations (« plein d’usage et de raison », l’« aboli bibelot », etc.) et des noms (Proust, Vailland, Verheggen, etc.) Relever noms et allusions n’aboutit pas à construire un catalogue mais à souligner le fait que les poèmes se construisent à partir, entre autres, d’une culture partagée et sans exclusive. On se rend compte, par ailleurs, que Laurent Fourcaut est aussi observateur du monde autour de lui, à Paris et en province — Dehors —, dans les bistrots qu’il fréquente — Dedans.

 

L’écriture des sonnets en vers de douze syllabes, très maîtrisée, entraîne le lecteur dans une histoire de la forme et de la langue. Laurent Fourcaut introduit dans un contexte contemporain le démonstratif médiéval cil (= celui-ci), mêle à un vocabulaire parfois recherché des mots connotés familiers ou argotiques, souvent propres à l’oral, (on est grave frustré, les meufs, en loucedé, c’est pas laid, roubignolles, morfler, etc.). Il utilise des licences classiques (certe, encor, jusques), joue avec les rejets : par exemple, pour une rime avec "réel", il propose "la coupe "él / égante" ; si besoin est, une syllabe est ajoutée après le vers 14 : la rime "creux / "chartreu" laisse "se" en vers 15 supplémentaire. On relèvera aussi quelques assonances ("novembre"/ "vendre", "infirme" / "grime", etc.), des allusions littéraires ("plumage"/"ramage") et des jeux de mots pas du tout innocents, comme "émirats" /"aime rat". Rien de ces détails n’interrompt évidemment la lecture, mais ce sont eux qui donnent à l’ensemble ce ton vif, revigorant propre à ses livres de sonnets.

 

Laurent Fourcaut, Dedans Dehors, Tarabuste, 2021, 178 p., 16 €. Cette recension a été publiée dans Poezibao le 31 mai 2021.

 

 

                 Labyrinthe

 

« Quelle vanité que la peinture » et pourtant

quoi de plus radicalement indispensable !

dans la matière d’une pâte un palpitant

désir de prendre forme au creux du périssable

 

Les Chasseurs dans la neige avec au loin l’étang

gelé marchant pour n’être pas bus par le sable

blanc d’où ces traces rouges d’un sang qui s’étend

capillarité rhizome en l’air insatiable

 

C’est le même fouillis que l’intenable vrai

mais de cette matière ne vous sèvrerait

nulle mère vous conservez l’initiative

 

de la perte ayant façonné ex nihilo

le labyrinthe convoité où tout vous prive

vous comble à l’aide  de la brosse ou du stylo

 

Laurent Fourcaut, Dedans Dehors, p. 7.

 

04/07/2021

Jean Genet, La Galère

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                 La Galère

 

Un forçat délivré dur et féroce lance

Un chiourme dans le pré mais d’une fleur de lance

Le marlou Croix du Sud l’assassin Pôle Nord

Aux oreilles d’un autre ôte ses boucles d’or.

Les plus beaux sont fleuris d’étranges maladies.

Leur croupe de guitare éclate en mélodies.

L’écume de la mer nous mouille de crachats.

 

On parle de me battre et j’écoute vos coups.

Qui me roule Harcamone et dans vos plis me coud ?

 

Harcamone aux bras verts haute reine qui vole

Sur ton odeur nocturne et les bois éveillés

Par l’horreur de son nom ce bagnard endeuillé

Sur ma galère chante et son chant me désole.

 

Jean Genet, La Galère, dans Le condamné à mort, l’Arbalète, 1958, p. 51.

03/07/2021

Jean Genet, Un captif amoureux

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La télévision allemande nous montra cette image de Mitterand aux obsèques de Sadate : ses gardes du corps le protégeaient de si près dans son étui-cotte de mailles, qu’il fut plus porté par ses gardes que protégé si bien qu’il semblait se déplacer sans marcher, soit soutenu par les gardes, soit avançant en glissant les pieds chaussés de deux patins à roulettes ou d’une planche à roues mobiles, un jeu que les enfants ont parfaitement dompté, à quoi jouait peut-être le président de la République des Français, mais d’un jeu supérieur en quelque sorte, la rapidité des gosses, leurs trajectoires soudain différées, leur élégance, car je dois écrire ce mot, avaient été remplacées pour le haut dignitaire de qui je parle par une solennelle et farceuse lenteur.

 

Jean Genet, Un captif amoureux, Gallimard, 1986, p. 343-344.

02/07/2021

Jean Genet, L'Ennemi déclaré

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   Le plus important, ce qui était le plus important pour moi, je l’ai mis dans mes livres. Pas parce que je parle à la première personne ; le ‘’je » » dans ce cas-là n’est pas autre chose qu’un personnage un peu magnifié.

   Je suis plus proche de ce que j’ai écrit parce que vraiment, je l’ai écrit en prison, et j’étais persuadé que je ne sortirai pas de prison.

   Pourquoi j’aimais de retourner en prison, je vais essayer de vous donner une explication, qui vaut ce qu’elle vaut, je ne sais pas. J’ai l’ompression que vers la trentaine, trente trente-cinq ans, j’avais, en quelque sorte, épuisé le charme érotique des prisons, des prisons pour hommes, bien sûr, et si j’ai toujours aimé l’ombre, même gosse, je l’ai aimé peut-être jusqu’à aller en prison. Je ne vais pas dire que j’ai commis les vols pour aller en prison, bien sûr, je les ai commis pour bouffer. Mais enfin, ça me conduisait peut-être intuitivement vers l’ombre, vers la prison.

 

Jean Genet, Entretien avec Antoine Bourseiller, dans L’Ennemi déclaré, Gallimard, 1991, p. 217-218.

01/07/2021

Jean Genet, Le secret de Rembrandt

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Sauf Titus — c’est son fils — souriant, pas un visage qui soit serein. Tous semblent contenir un drame extrêmement lourd, épais. Les personnages, presque toujours, par leurs attitudes ramassées, rassemblées, sont comme une tornade pendant une seconde tenue en respect. Ils contiennent un destin très dense, exactement évalué par eux, et que, d’un moment à l’autre, ils vont « agir » jusqu’au bout. Tandis que le drame de Rembrandt semble n’être que son regard sur le monde. Il veut savoir de quoi il retourne, pour s’en délivrer. Ses figures, toutes, connaissent l’existence d’une blessure, et elles s’y réfugient. Rembrandt sait qu’il est blessé, mais il veut guérir. D’où cette impression de vulnérabilité quand nous regardons ses autoportraits et l’impression de force confiante quand nous sommes en face des autres tableaux.

 

Jean Genet, Le secret de Rembrandt, dans Œuvres complètes, V, Gallimard, 1979, p. 33.

30/06/2021

Jean Genet, Ce qui est resté d'un Rembrandt...

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C’est seulement ces sortes de vérités, celles qui ne sont pas démontrables et même qui sont « fausses », celles que l’on ne peut conduire sans absurdité jusqu’à leur extrémité sans aller à la négation d’elles et de soi, c’est celles-là qui doivent être exaltées par l’œuvre d’art. Elles n’auront jamais la chance ni la malchance d’être un jour appliquées. Qu’elles vivent par le chant qu’elles sont devenues et qu’elles suscitent.

 

Jean Genet, Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et jetés aux chiottes, dans Œuvres, IV, Gallimard, 1968, p. 21.

29/06/2021

Jean Genet, L'étrange mot d'...

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   Où aller ? Vers quelle forme ? Le lieu théâtral, contenant l’espace scénique et la salle.

   Le lieu. À un Italien qui voulait construire un théâtre dont les éléments seraient mobiles et l’architecture changeante, selon la pièce qu’on y jouerait, je répondis avant même qu’il eût achevé sa phrase que l’architecture du théâtre est à découvrir, mais elle doit être fixe, immobilisée, afin qu’on la reconnaisse responsable ; elle sera jugée sur sa forme. Il est trop facile de se confier au mouvant. Qu’on aille, si l’on cveut, au périssable, mais après l’acte irréversible sur lequel nous serons jugé, ou, si l’on veut encore, l’acte fixe qui se juge.

 

Jean Genet, L’étrange mot d’..., dans Œuvres complètes, IV, Gallimard, 1968, p. 11.

28/06/2021

Kafka, Journaux

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Avant de s’endormir. Cela paraît si affreux d’être célibataire, et, vieux monsieur, de quémander un accueil en ayant du mal à conserver sa dignité quand on veut passer une soirée avec des gens, rapporter son repas à la maison dans sa propre main, ne pouvoir attendre personne paresseusement et avec une tranquille confiance, ne pouvoir faire de cadeaux qu’à grand-peine ou en s’énervant, prendre congé devant la porte de la maison, ne jamais pouvoir se précipiter en haut de l’escalier avec sa femme, être malade et n(avoir pour seule consolation que la vue de sa fenêtre quand on peut s’asseoir, n’avoir dans sa chambre que des portes de côté qui donnent sur les appartements d’autrui, avoir à ressentir les membres de sa famille comme des étrangers, avec lesquels on ne peurt rester ami que par le mariage, d’abord le mariage de ses parents, ensuite, quand l’effet en est passé, le sien propre (...)

 

Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn, NOUS, 2020, p. 216-217.

27/06/2021

Kafka, Journaux

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Il est certain que le dimanche ne me sera jamais plus utile qu’un jour de semaine, car la disposition particulière des heures renverse et brouille toutes mes habitudes et j’ai besoin de temps libre en excédent pour m’organiser un tant soit peu dans ce jour particulier.

 

Kafka, Journaux, traduction Robert Kahn, NOUS, 2020, p. 257.

26/06/2021

Georges Perros, Une vie ordinaire

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Il faut beaucoup d’indifférence

ou d’amour c’est selon les goûts

pour résister à ce que l’on trouve

aimable un jour un autre non

et que revient comme rengaine

ce même amour mêlé de haine

Mais l’amour a  le dernier mot

pourvu qu’on fasse acte d’absence

quoique présent Ainsi les choses

arbres ciel mer pavés des rues

se foutent de nous comme peu

d’êtres sont capables de faire

et si vous vous mettez dessus

le nez en état touristique

elles font le paon

                            J’aimerais

vivre ici dit la jouvencelle

Quand la retraite aura sonné

aux flambeaux de nos deux pantoufles

lui répond son urbain mari

qui a d’autres chats à fouetter

que ceux qu’on rencontre la nuit

faisant l’amour dans la nature

 

Georges Perros, Une vie ordinaire, dans

Œuvres, édition Thierry Gillybœuf,

Quarto/Gallimard, 2017, p. 758.

25/06/2021

Georges Perros, Huit poèmes, dans Œuvres

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      Huit poèmes, III

 

Si mon discours vous paraît triste

Ou dérisoire ou rien du tout

— On dit que je suis pessimiste

Mais non, cherchez un autre clou —

 

Descendez un peu sur la grève

La mouette y jette son cri

Puis reprend l’envol de son rêve

Immobile. Je suis ainsi.

 

On a beau me faire morsure

Profonde, terrible à subir

Je vais chercher de la sciure

 

Boucher de mon propre soupir,

La sème, afin qu’à nouveau luise

L’aube prochaine, et sa surprise.

 

Georges Perros, Œuvres, édition Thierry

Gillybœuf, Quarto/Gallimard, 2017, p . 1082.

24/06/2021

Cole Swensen, Poèmes à pied

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(Thoreau)

(...)

 

Ainsi les arbres vivent pour toujours

                                                                 un ami de quiconque

est aussi un ami à tes côtés

                                                               un arbre révèle

au long de ses marches quotidiennes

                                                            de plus âpres voyages

                                                                       comme la présence

a toujours été

                        plus intrusive que le sens

et ainsi

               un paysage en sa persévérance

est un déploiement sans mesure, permettant

un assaut de lumière renouvelée

par un après-midi qui mène à un autre

et que celui-ci quelque part achève

 

Cole Swensen, Poèmes à pied, traduction de l’américain

Maïtreyi et Nicolas Pesquès, Corti, 2021, p. 33.

23/06/2021

Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique

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que la ville au soleil s’éveille ou se rendorme

on entend sur les seuils les ombres des défunts

timides murmurer que la beauté des mortes

comme la dentelle est dans la graine du lin

 

nous ne saurons jamais de quels cris étouffés

nous naissons à la mort dans nos rêves de lymphes

ou de quels souvenirs nos lendemains sont faits

ni de quels crimes nos mains nues gardent l’empreinte

 

et saurons-nous jamais quel souffle nous emporte

ou quel trouble désir de futures étreintes

mènent nos jours éteints vers des nuits où les mortes

infidèles sans fin vivent leurs amours feintes

 

                                            (lisant joubert)

 

Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique,

La Table ronde, 2012, p. 773 .

22/06/2021

Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique

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le mal des anges

 

un jour je suis parti

pour ne plus revenir

les gendarmes  m’ont pris

et je suis revenu

 

une autre jour encore

plus tard un vingt octobre

j’ai descendu la Meuse

le vieux fleuve impassible

 

et j’ai quitté ses rives

pour les rives du Rhin

et le bac du passeur

qui n’avait pas de chien

 

car ce n’était pas l’heure

de la dernière obole

mais celle d’un ailleurs

magique et sans école

 

Jean-Claude Pirotte, Le promenoir magique,

La Table ronde, 2012, p. 293.