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29/10/2022

Jacques Lèbre, À bientôt

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Qui n’a jamais erré longtemps dans une ville inconnue à la recherhce d’un café à son goût dans lequel il puisse enfin entrer ne peut pas vraiment savoir ce qu’est l’exil.

 

Une enfance sera toujours vécue de plein fouet.

 

Bouffées de larmes, parfois proches des yeux ; parfois plus enfouies, dans l’âme.

 

Le soir, une fois couché, le réveil posé sur le parquet, l’aiguille des secondes cavalcade sans aucune possibilité de retour en arrière. Si l’on y pense, c’est à la fois la catastrophe la plus naturelle et la plus absolue.

 

Jacques Lèbre, À bientôt, Isolato, 2022, p. 50, 55, 56, 70.

10/12/2021

Louise Labé, Sonnets

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                 Sonnet XIV

 

Tant que mes yeux pourront larmes espandre,

   À l’heur passé avec toy regretter :

   Et qu’aux sanglots et soupirs resister

   Pourra ma voix, et un peu faire entendre ;

Tant que ma main pourra les cordes tendre

   Du mignart Lut, pour ses graces chanter ;

   Tant que l’esprit se voudra contenter

   De ne vouloir rien fors que toy comprendre ;

Je ne souhaite encore point mourir.

   Mais quand mes yeux je sentirai tarir

   Ma voix cassée, et ma main impuissante,

Et mon esprit en ce mortel sejour

   Ne pouvant plus montrer signe d’amante :

   Prirey la mort noircir mon plus cler jour.

 

Louise Labé, Sonnets, dans Œuvres complètes,

Pléiade/Gallimard, 2021, p. 100.

22/03/2021

Tristan Tzara, Où boivent les loups

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         I

 

larmes mères

dans la coupe au givre

sur le bout des chiffres

où il n’y a plus de consolation

 

filles mères

aux lèvres de soleil

rêves brefs

pareils pareilles

 

pour s’en souvenir

tel qu’il devint

tant qu’il a fallu

et ce qu’il en garde le loup

 

Tristan Tzara, Où boivent les loups,

dans Œuvres complètes, 2,

Flammarion, 1977, p. 195.

24/06/2020

Jean Ristat, La Mort de l'aimé

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             La Mort de l’aimé, VI

 

Sur les bords de la loire j’ai perdu mon cœur

Et les flots paresseux ne m’ont rien rendu

L’oiseau ne m’a pas entendu qui s’endort au

Couchant mais qui donc possède sinon le vent

 

Je me suis enivré sur les bords de la loire

Le vin noir ne m’a rien donné que des larmes

Le sommeil et la froidure comme on voit aux

Gisants dans les églises où brûle l’encens

 

Sur les bords de la loire pas de pitié

On est vieux sans amour et comme un chien qui traîne

À la recherche d’une âme qui vive et tremble

Ici ou ailleurs que m’importe le désert

 

Jean Ristat, La Mort de l’aimé (1998) dans Ode pour hâter la venue du printemps, Poésie / Gallimard, 2008, p. 134-135.

05/06/2020

Jacques Réda, L'incorrigible

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                           Ha’ Penny Bridge

 

Tandis que le soleil descend, gros comme un gazomètre,

Rose comme un charbon qui s’embrase, mais sans chaleur,

Je me tiens sur la passerelle et je dois bien admettre

Que je le contemple à travers des larmes. La douleur

 

Aussi passera. Mais comment oublier la pâleur

De la fille un peu trop frisée et son regard, peut-être

(Elle renonce même à vendre une dernière fleur)

Le plus démuni de tous ceux où j’ai cru reconnaître

 

Un reflet sans espoir de ma propre misère. Et nous

Tous dans ces yeux incapables de larmes ; tous

Avec cette rose à la main, déjà presque flétrie,

 

Sidérés devant l’astre indifférent qui s’étouffe et

Sombre avec volupté dans le brouillard — ah, vacherie,

J’ai jeté la mienne dans l’eau morte de la Liffey.

 

Jacques Réda, L’incorrigible, Gallimard, 1995, p. 74.

 

21/07/2019

Philippe Jaccottet, Après beaucoup d'années

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À la brève rose du ciel d’hiver

on offre ce feu de braises

qui viendrait presque dans la main.

 

(« Cela ne veut rien dire », diront-ils,

« cela ne guérit rien,

ne sècherait même pas une larme… »)

 

Pourtant, voyant cela, pensant cela,

le temps d’à peine le saisir,

d’à peine être saisi,

n’avons-nous pas, sans bouger, fait un pas

au-delà des dernières larmes ?

 

Philippe Jaccottet, Après beaucoup d’années,

dans Œuvres, La Pléiade / Gallimard, 2014,

p. 856.

10/03/2018

Marina Tsevetaeva, La diable et autres récits

 

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                                      Ma mère et la musique

 

     Lorsqu'au lieu d'Alexandre, le fils désiré, réclamé, presque commandé au destin, vint au monde une fille, moi, rien que moi, ma mère avala un soupir avec dignité et dit : « Du moins, elle sera musicienne ». Et lorsque le premier mot manifestement absurde mais tout à fait distinct que je prononçais avant d'avoir un an fut "gamme", ma mère se contenta de réaffirmer : « je le savais bien » et entreprit aussitôt de m'apprendre la musique, me clamant sans cesse cette gamme : « Do, Moussia, et ça c'est ré, do-ré... ». Ce do-ré se transforma bientôt pour moi en un livre énorme, la moitié de ma propre taille, un "rivre" comme je disais alors, son "rivre" à elle, avec un couvercle sous le mauve duquel l'or perçait avec une force si effroyable, que jusqu'à présent j'en ressens en un coin secret, le coin d'ondine de mon cœur, la chaleur et l'effroi, comme si, ayant fondu, cet or sombre se fut déposé tout au fond de mon cœur et que de là, il s'élevât au moindre contact pour m'inonder tout entière jusqu'au bord des paupières et m'arracher des larmes brûlantes.

 

Marina Tsvétaeva, Le diable et autres récits, traduction et postface de Véronique Lossky, L'âge d'homme, 1979, p. 65.

23/11/2015

Emily Jane Brontë, Poèmes, traduction Pierre Leyris —— Écrire après ?

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Il devrait n’être point de désespoir pour toi

 

Il devrait n’être point de désespoir pour toi

Tant que brûlent la nuit les étoiles,

Tant que le soir répand sa rosée silencieuse,

Que le soleil dore le matin.

 

Il devrait n’être point de désespoir, même si les larmes

Ruissellent comme une rivière :

Les plus chère de tes années ne sont-elles pas

Autour de ton cœur à jamais ?

 

Ceux-ci pleures, tu pleures, il doit en être ainsi ;

Les vents soupirent comme tu soupires,

Et l’Hiver en flocons déverse son chagrin

Là où gisent les feuilles d’automne

 

Pourtant elles revivent, et de leur sort ton sort

Ne saurait être séparé :

Poursuis donc ton voyage, sinon ravi de joie,

Du moins jamais le cœur brisé.

 

                                                         [Novembre 1839]

 

Emily Jane Brontë, Poèmes, traduction de Pierre Leyris,

Poésie / Gallimard, 1983, p. 87.

 

Écrire après ?

 

Face à des innocents lâchement assassinés par d'infâmes fanatiques, la poésie peut peu, pour le dire à la façon de Christian Prigent. Ça, le moderne ? Quoi, la modernité ? Cois, les Modernes… Face à l'innommable, seul le silence fait le poids ; comme à chaque hic de la contemporaine mécanique hystérique, ironie de l'histoire, l'écrivain devient de facto celui qui n'a rien à dire. Réduit au silence, anéanti par son impuissance, son illégitimité. Son être-là devient illico être-avec les victimes et leurs familles.Nous tous qui écrivons ne pouvons ainsi qu'être révoltés par l'injustifiable et nous joindre humblement à tous ceux qui condamnent les attentats du 13 novembre. Et tous de nous poser beaucoup de questions.

Surtout à l'écoute des discours extrémistes, qu'ils soient bellicistes, sécuritaires, islamophobes ou antisémites sous des apparences antisionistes.  C'est ici que ceux dont l'activité – et non pas la vocation – est de mettre en crise la langue comme la pensée, de passer les préjugés et les idéologies au crible de la raison critique, se ressaisissent : le peu poétique ne vaut-il pas d’être entendu autant que le popolitique ? Plutôt que de subir le bruit médiatico-politique, le spectacle pseudo-démocratique, les mises en scène scandaculaires – si l'on peut dire -, ne faut-il pas approfondir la brèche qu'a ouverte dans le Réel cet innommable, ne faut-il pas appréhender dans le symbolique cette atteinte à l'entendement, ce chaos qui nous laisse KO ? Allons-nous nous en laisser conter, en rester aux réactions immédiates, aux faux-semblants ?
Une seule chose est sûre, nous CONTINUERONS tous à faire ce que nous croyons devoir faire. Sans cesser de nous poser des questions.

 

Ce communiqué, signé de Pierre Le Pillouër et Fabrice Thumerel, est publié simultanément sur les sites :

Libr-critique

Littérature de partout

Sitaudis

 

 

 

 

 

 

 

 

27/06/2014

Paul-Jean Toulet, Les contrerimes

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            Contrerimes

 

LXX

 

La vie est plus vaine une image

     Que l'ombre sur le mur

Pourtant l'hiéroglyphe obscur

     Qu'y trace ton passage

 

M'enchante, et ton rire pareil

     Au vif éclat des armes ;

Et jusqu'à ces menteuses larmes

     Qui miraient le soleil.

 

Mourir non plus n'est ombre vaine

     La nuit, quand tu as peur,

N'écoute pas battre ton cœur :

     C'est une étrange peine.

 

Paul-Jean Toulet,  Les contrerimes, dans Œuvres

complètes, édition présentée et annotée par

Bernard Delvaille, "Bouquins", Robert Laffont,

1986, p. 27.

 

14/03/2014

Philippe Jaccottet, L'Ignorant, dans Œuvres

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            Chanson

 

  Qui n'a vu monter ce rire

comme du fond du jardin

la lune encore peu sûre ?

Qui n'a vu s'ouvrir la porte

au bout de l'allée de pluie ?

 

(Ah ! qui entre dans cette ombre

ne l'oublie pas de sitôt !)

 

  Les bras merveilleux de l'herbe

et ses ruisselants cheveux,

la flamme du bois mouillé

tirant rougeur et soupirs...

 

(Qui s'enfonce dans cette ombre

ne l'oubliera de sa vie !)

 

  Qui n'a vu monter ce rire...

Mais toujours vers nous tourné,

on ne peut qu'appréhender

sa face d'ombre et de larmes.

 

Philippe Jaccottet, L'Ignorant, dans Œuvres, préface de Fabio Pusterla, édition établie par José-Flore Rappy, Pléiade /Gallimard, 2014, p. 147.