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02/12/2021

Marie-Laure Zoss, D'ici qu'à sa perte

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   hors du crâne avant peu, la sciure des chiffres, tel au plancher le bois moulu, taraudeurs, capricornes bouffeurs d’aubier, et on n’y peut pas grand-chose, on le sait bien, dans la pelle de fer on a beau en ramasser de cette farine, poignée d’or pâle à peine mesurable dans la poussière de charbon, la balayer sur les ardoises, échancrée la raison laisse filer pêle-mêle des syllabes clouées sans ordre ; coques vides et nom des chemins ;

   nous les rafistolés, les trébuchants, on épelle nos morts devant la cave — lequel le premier, un mort pour un autre, on les distribue tous azimuts — à pleurer ce cafouillis sans queue ni tête, et s’enchevêtre l’alphabet des heures, de la sorte on les enfile dans le courant d’un matin de mai.

 

Marie-Laure Zoss, D’ici qu’à sa perte, Faï fioc, 2021, p. 37.

10/04/2018

Marie-Laure Zoss, Où va se terrer la lumière

 

Où va se terrer  la lumière.

 I.

 au petit jour, la lumière ; pitié pour vous d'une assemblée debout, presque morte, de vos faces de graine noire, elles se détournent, un peu de notre vie s'en va, on essuie la salive des dernières phrases, à s'approcher de vos os — sèches ficelles encore un peu se tendent — on entend le sol qui verse ; un pan de forêt, la lumière l'a jauni plus haut, dans la laine des cimes ; vos yeux raturent la géométrie des parquets, sous la fripe de vos mains, inutile d'attendre un geste qui referait l'espace, celle qui écrit, en suspens sur la page, s'endort devant la flamme ; dire ces visages, ils n'aspirent plus qu'au terrier d'un vieux soleil où disparaître ; dans le piano mécanique frappe le feutre des âmes en bois, et vous, même corps tenu debout sur le fond de la terre, la pluie a fait noircir encore vos silhouettes

IX.

 apprendre à revenir à la ligne, mais qui pour nous y contraindre ? montrez-nous où va se greffer la lumière sous la peau de la nuit, par où l'allée rèche des phrases à travers la campagne enneigée, dans les vieilles artères la germination des flocons, des réverbères, points crus dans la craie du brouillard avant le jour ; on vous regarde, sous la sangle du givre, tombés, et la housse sur soi qui s'affale du visage, haillon vers les genoux pendu, la honte à jamais refermée, qui s'y penche touche le sang des bêtes à la mâchoire, bêtes gisant sur la prise dure d'un sillon, on vous regarde, portrait malgré soi tenu, comme une taie devant l'œil, et s'imposant sans répit le pêle-mêle de vos mouvements

 

Marie-Laure Zoss, "Où va se terre la lumière", dans Conférence, n° 28, printemps 2009, p. 55 et 63.

 

15/11/2017

Marie-Laure Zoss, hécates (la Revue de belles-lettres)

 

                                                    marie-laure zoss,hécates,voix,saut

                                          Photo C. Bally

 

   S'arc-boute et force la cohue, finira bien par sauter, le couvercle, pas vrai, du brasier de cailloux, tandis que mors à l'échine vient serrer ; colère à sa tordre roulée sur elle-même, accroche grenaille au passage de syllabes, et ça s'arrête bouclé au seuil ; au fer rouge ou même forgeant à froid, celui-là essaie, n'y arrive pas, à travers la croûte terrestre pas de coup possible porté de l'intérieur ; ça ne dégage rien ; jusqu'en lisière de la voix, verbe corseté au point mort ;

   à ce jour nulle autre issue que le bond ; pieds dans les ronces fraîches ou la fleur d'acacia, celui-là ne souffre pas de s'entendre, ponts sabrés derrière soi ;

   et qu'il réprime ainsi qu'âcre ballot l'empêchement d'articuler, sous folle avoine, orge des murs ; l'espace entrouvert dans le cri qu'affile la suie du martinet, un souffle d'herbe froissant le talus.

 

Marie-Laure Zoss, hécates (extraits), dans La revue de belles-lettres,

Société de Belles-Lettres de Lausanne, 2011-2, p. 127.

20/10/2012

Marie-Laure Zoss, Une syllabe, battant de bois

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I.

     pars, érafle de tes jours le dedans, tes jours à mesure sous tes gestes déboîtés ; ton visage de plusieurs feuillets : tu n'en connais plus aucun, tu empaquètes l'ordinaire ; dans un no man's land faire mine d'être là, sur un filet de souffle déjà rétracté ; agrégé dans sa propre farine — ne la tourne plus dans celle du monde, quelque chose te réfrène vers l'intérieur, toi si singulier soudain — l'intérieur, s'il en est encore un ; plie bagages ; s'infliger telles désertions, dites, qui le voudrait ?

     à travers la nuit l'esprit ficelle dans les vallées l'aboiement des chiens errants, déballe des rouleaux d'ombre sur la caillasse ; comme si on avait changé d'espèce : une chair recroquevillée, à la merci du vaste, où s'engouffrent froid bouillon d'urine, vent himalayen et suif ; et ce vert, l'étincelant mercure des saules

 

2.

     ni la tasse d'eau à boire d'un trait, ni l'assiette — jamais ne l'entameras, posée sous le ciel ; moins qu'une miette sur un toit d'argile, pas de pays — qu'un puits d'azur entre autre solives ; toi à la traîne des vivants, soigneusement balaie dans un seul angle tes navrantes forces ; par ce châssis de peuplier fondra le soleil d'hiver jusqu'aux rigoles, et le compte des jours qui restent, un par un s'étouffant dans la vallée qui fatigue ses poussières carrossables, le cœur devenu dur battant d'une cloche de bois — tu aurais mieux fait de ne jamais ; une plaine soulève, à rebours de soi, le pas, sans relâche pique ses meutes de terre pelée

 

Marie-Laure Zoss, Une syllabe, battant de bois, dans fario, 11, printemps-été 2012, p. 167-168.

L'ensemble des poèmes composant Une syllabe, battant de bois a été publié en 2012 aux éditions Cheyne.

28/07/2012

Marie-Laure Zoss, hécates

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   S'arc-boute et force la cohue, finira bien par sauter, le couvercle, pas vrai, du brasier de cailloux, tandis que mors à l'échine vient serrer ; colère à sa tordre roulée sur elle-même, accroche grenaille au passage de syllabes, et ça s'arrête bouclé au seuil ; au fer rouge ou même forgeant à froid, celui-là essaie, n'y arrive pas, à travers la croûte terrestre pas de coup possible porté de l'intérieur ; ça ne dégage rien ; jusqu'en lisière de la voix, verbe corseté au point mort ;

   à ce jour nulle autre issue que le bond ; pieds dans les ronces fraîches ou la fleur d'acacia, celui-là ne souffre pas de s'entendre, ponts sabrés derrière soi ;

   et qu'il réprime ainsi qu'âcre ballot l'empêchement d'articuler, sous folle avoine, orge des murs ; l'espace entrouvert dans le cri qu'affile la suie du martinet, un souffle d'herbe froissant le talus.

 

Marie-Laure Zoss, hécates (extraits), dans La revue de belles-lettres,

Société de Belles-Lettres de Lausanne, 2011-2, p. 127.