06/06/2021
Mariella Mehr, Arrivée, mais où ?
Arrivée, mais où ?
Aucun phare ne signale l’endroit.
De loin l’appel des marées rengaine
rythmée, tels des feux de joie
salamandrins dans la nuit.
Un poisson me happe,
écorche ce qui me restait du jour.
Le déchiquète, mâche
et le recrache intact dans le vent,
comme si j’étais le cœur de Prométhée
et lui, l’aigle éternel des Dieux.
Devant la mort je passe,
trop hardiment me semble-t-il,
car la voici qui rit, qui rit
en jouant sur sa flûte
la mélodie de mort.
Et toi, époque démontée,
où me fais-tu échouer ?
Quelques instants
fatals plus tôt,
tu la sais, la vie
m’attend encore et
un lumineux bourgeon soleil.
Mariella Mehr, traduction de l’allemand
Camille Luscher, dans la revue de belles-lettres
2020, 1-2, p. 37.
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05/06/2021
Christine Lavant, « Terre, si tu avais deux lèvres »
« Terre, si tu avais deux lèvres »
Terre, si tu avais deux lèvres
et une langue, et une heure amicale,
voudrais-tu parler avec moi
même quand je piétine avec colère
mon chicot de raison parmi les flocons de n eige ?
Terre, pourrais-tu rire ?
Je me suis vantée des ton amitié,
Racontant que j’aime habiter près des racines,
Que je parle du temps avec les pierres
Et que, ton sang, je peux l’interpeller.
Mentir était comme ces maladies
qu’on attrape souvent avant les grandes pestes,
et mon cœur a toujours tout gobé de moi.
Maintenant le voilà pestiféré
qui ne sait plus rien que crier vers toi,
il ne veut pas mourir, ni dire à personne d’autre
ce qu’il mijote, ce qui le tourmente,
ni qui il voudrait bénir encore à la fin.
Terre, accepte ma langue,
de grâce, terre et mes deux lèvres !
Viens me parler sous les flocons de neige
de la chaleur fidèle de l’amour.
Christine Lavant, traduction de l’allemand
Philippe Jaccottet, dans la revue de belles-lettres, 2020, 1-2, p. 57.
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04/06/2021
Franck Delorieux, Quercus suivi de Le séminaire des nuits
Une ombre rêvant des dieux
Ô jour je soupire il n’est pas assez d’alléluias
De baisers au monde qui éclot blanc
Comme un cyclamen sauvage parlez-moi
Des jonquilles qui annoncent le printemps
La marche dans les prés est fleurie la luzerne
Mauve le crépuscule des coquelicots l’aube
Des pâquerettes et les blés agités de vent
Me font avancer en souriant je pose mes pas
Sur la terre pour louanger Cérès et Flore
Je rêve de leur carnet de bal suis-je le fiancé
D’une danse mes membres seront pétales
Pour les déesses et les dieux je vais pleurer
Des larmes de pollen doré comme la pisse
De Zeus qui féconde Danaé des gouttes
Perlent de mes sourcils l’ombre des chênes
Les parfums des sous-bois animent mes jambes
Mes bras les paroles de l’Olympe piquent le tain
Sombre de mes yeux ô miroirs adorés où se reflètent
L’argent des mots et l’alambic des espoirs raffinés
Je suis une ombre rêvant des dieux
Franck Delorieux, Quercus suivi de Le séminaire des nuits,
Gallimard, 2021, p. 31
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03/06/2021
Daniel Kay, Tombeau de Jorge Luis Borges, suivi de Autres stèles
Georges Perros à Douarnenez
Papiers collés, décollés, rapiécés
avec du scotch, de la colle, papiers
mâchés, rongés, érodés, échancrés,
cousus paresseusement, tout cela finit
par faire un beau livre, Monsieur Perros,
un livre qu’on tient comme un galet
avec une main fraternelle.
Daniel Kay, Tombeau de Jorge Luis Borges,
suivi de Autres stèles, Gallimard, 2021, p. 57.
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02/06/2021
Olivier Domerg, Le Manscrit
Curieusement, repartant de mes notes, que je mets au propre dans l’ordre où elles ont été prises, je revois et revis nos différents séjours ici et aux alentours du Puy. C’est une sensation curieuse, quelques années ou mois après, de se replonger dans le quotidien, les menus faits et gestes, les questionnements, les déplacements, les découvertes, de remettre ses pas dans ses pas ; de voir comment les éléments, presque fortuitement et parfois instinctivement, se mettent en place et se complètent ; d’assister aux avancées et reculs de ce qui prend souvent la forme d’un parcours ou d’une enquête.
Olivier Domerg, Le Manscrit, le corridor bleu, 2021, p. 99.
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01/06/2021
Étienne Faure, Jours de repos
D’une ville arasée naguère, ce qui reste au sol,
toute hauteur perdue, c’est le socle,
fondation arrachée jamais
à la terre, empirique emprise
où la cité embryonnaire, aboutie, détruite
endure à présent la tracé des fleurs rudérales
au lieu des pas qui résonnèrent
sur la place herbue du théâtre — y jouaient
d’antiques tragédiens avançant pour dire
je suis ici ô dieu du temps qui fait tomber les pluies
désormais sur nos bras dressés pour quérir le ciel,
relier cette parole diluvienne à nos gestes
et trouver un terrain d’entente
pour nos vies, nos corps tandis que l’herbe
sous nos pieds repousse, herbe à chats,
vieux acteurs au soleil qui éloignent
tout ce qui ronge, les idées noires
entre les gradins.
rêves de chats dans les gradins
Étienne Faure, Jours de repos, dans Europe, n° 1106-1107-1108, Juin-juillet-août 2021, p. 279.
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31/05/2021
Cole Swensen, Poèmes à pied
Une promenade le 17 mai
C’est une rue tranquille, étroite, une rue où s’alignent les boutiques et peu de monde pour le moment, une nuit où traîne encore une douce lumière et tout est calme.
Je marche vers l’est dans une rue tranquille, 21 h., et un jeune homme extrêmement bien habillé, et même élégant et très beau — à peine 40 ans, souriant, m’arrête, pensé-je, pour me demander son chemin, et me demande un peu d’argent.
La rue est calme. La nuit est encore douce, et il ne fait pas encore noir. 22h15 un homme promène son chat. Improbable je sais. Il le sait aussi. Mais ça semble une routine bien établie. L’homme va d’un côté. Le chat reste au coin ; l’homme revient, chuchote des « ici, ici », le chat va de l’autre côté, l’homme aussi. La rue est calme.
Cole Swensen, Poèmes à pied, traduction Maïtreyi et Nicolas Pesquès, Cofrti, 2021, p. 19.
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30/05/2021
Alexander Dickow, Déblais
Écrire deux versions en deux langues d’un même poème, c’est donner à voir le désir, impossible à assouvir, de se rejoindre — de coïncider avec soi-même. Ou encore celui tout aussi hors de portée de se sentir définitivement à distance.
L’idée que la poésie doit exclure le narratif est aussi absurde que d’exclure l’exposition discursive du roman. Mallarmé rejette le narratif sous prétexte qu’il présente quelque chose comme un simulacre du réel. Mais la virtualité domine autant le narratif que les autres types de discours. La narration est un tissu de lacunes mouvantes ; c’est par ce jeu du vide est du plein qu’elle rejoint à la fois la poésie et le réel et il s’ensuit que la poésie est simulacre au même titre que la narration.
Alexander Dickow, Déblais, louise bottu, 2021, p. 23, 24.
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29/05/2021
Alexan der Dickow, Déblais
À ses débuts l’œuvre se fait aux dépens de la théorie et malgré elle. Avant l’écriture, la théorie n’est qu’une voix généralisante fausse, que l’œuvre a pour tâche (entre autres choses) de démentir. La théorie d’avant l’œuvre, c’est l’idée toute faite et déjà faite : et l’œuvre, si elle se fonde sur des idées constituées et entières, meurt en naissant.
Le sens saisi d’abord correspond généralement à du connu, tandis que le sens neuf dépasse les routines programmées qui constituent la majorité de nos échanges sociaux et de nos réflexions de surface. D’habitude, nous suivons des saynètes déjà écrites, dans la vie comme en lisant. Il faut pourtant lire plus loin et vivre plus haut.
Alexander Dickow, Déblais, louise bottu, 2021, p. 9, 13.
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28/05/2021
Gabrielle Althen, La fête invisible
Un souffle a déplacé la limite du foyer Rimbaud
La tentation n’est guère ordinaire pour beaucoup de savoir que le monde est une chance. Je reconnais à notre décharge commune que les couleurs alentour rentaient plutôt leurs griffes. Elles s’étaient assoupies et, sans être mièvres pour autant, tiraient sur une sorte de gris malléable. J’avais déjà couché l’attelage du vent et décidai de suivre mon désir. Il faut savoir aussi que les grandes pentes décisives commencent à nos pieds. De fait, par-dessus ce précipice, une grande boule de joie ébouriffante se présentait. C’était une offre. C’était l’offre. « Montez vite, je vous prie, montez vite », ai-je eu le temps de crier à ceux qui préféraient l’ennui, mais ils aimaient mieux demeurer des badauds. La joie laissait s’échapper l’absolu de ses flammèches et le ciel pendre ses mains languides. Bientôt fut passé ce char de lumière et de vent. On ne vit plus qu’un fût de bois, crayon ou pilier de cathédrale, dressé tout seul, juste à côté. Il semblait toutefois fiable comme un ange et je compris qu’il avait servi de tuteur à mon désir. L’océan de la création soulevait ses montagnes, elles aussi malléables, et la vie, à tous, faisait signe d’entrer.
Gabrielle Althen, La fête invisible, Gallimard, 2021, p. 86.
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27/05/2021
Gabrielle Althen, La fête invisible
Dans le jardin qui enlaidit
La chose déjà fanée se pose et se repose
Chaleur avec amour
En qui jamais nous n’avons cru assez
Te dévisagent
L’été a dévasté les couleurs
La moelle en est blessée
Aller suffit
Office de vie
Boire avive la flèche de la soif !
Gabrielle Althen, La fête invisible,
Gallimard, 2021, p. 27.
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26/05/2021
Abbaye d'Ardenne : Institut Mémoires de l'édition contemporaine
Photos Chantal Tanet
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25/05/2021
Le jardin des iris, Champigny-sur-Veude
Photos Chantal Tanet
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24/05/2021
Gustave Roud, Pour un moissonneur
Appel d’hiver
Où es-tu ?
Que de fois crié, cet appel vers un être, du fond de l’abîme intemporel où ma maison a glissé doucement comme un navire perdu ! L’absolu triomphe dans cette chambre, fomenté par le feu blanc des neiges. Les portraits parlent, les poèmes chantent. Toute une vie immobile s’illumine au miroir profond de la mémoire. Tout éclate et se fige en un inexorable présent. Le cœur sous la pointe du doigt s’exténue et s’arrête. J’appelle, à travers des lieues, des années, et sans songer même à la dérision de ma voix close, un cœur qui bat.
Gustave Roud, Pour un moissonneur, Zoé, 2021, p. 110.
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23/05/2021
Gustave Roud, Essai pour un paradis
Nuit
Parler de soi… Un nuage pourrait-il le faire, commencer par un « je suis » à l’instant même où, penché sur le brasier du soleil moribond, de mouvante vapeur il se mue en flamme, puis flotte en nappe de cendre sur la terre endormie ? Son être est à la merci d’un rayon, d’un frisson de la mer aérienne ; toutes ses métamorphoses, et même les plus secrètes, jusqu’à la subite glace en son sein, toute forme lui est donnée… En vérité, s’il tente, lui, le seul léger parmi tout ce qui pèse, de dire non l’impossible « je suis », mais au moins un « j’étais » — ce lien entre ses successives apparences — oserait-on lui reprocher son orgueil ? Quand le monde entier maintient sans une seconde d’oubli entre vous et lui l’infranchissable, comment parler des autres ? Là serait l’orgueil, et le pire, — tandis que les paroles sur soi-même à voix basse de l’homme oublié, tout de suite reprises par le silence, forment peut-être un acte de véritable humilité.
Gustave Roud, Essai pour un paradis, Zoé, 2021, p. 17-18.
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