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07/10/2021

Philippe Jaccottet, Le bol du pélerin (Morandi)

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(Une récente nuit, je me suis rappelé une halte marocaine, à Ouarzazate : des sables roses et des sables jaunes, des rafales de vent   de sable, au loin, comme des drapeaux, et ces espèces de forteresses qui tremblaient dans l’excès de lumière sans être des mirages, mais à peine distinctes du sol où elles avaient été bâties, brève entrevision, un matin, pourquoi si poignante ? Je me trouvais dans un endroit du monde où je n’avais même pas désiré passionnément me rendre, et sans qu’aucune aventure personnelle n’y fût mêlée (car enfin bien sûr, s’il y avait eu dans un de ces palais ou forteresses entrevus — comme au cinéma ! — une femme captive, ou pas, que je serais allé rejoindre —  délivrer !— mon émotion fût allée de soi et personne ne s’en fût étonné — sinon du fait que c’était moi le héros ! — mais non) ; et ce que j’avais entrevu ainsi à quelque distance n’était même pas un site imprégné par la présence, ou l’absence de dieux, comme l’Égypte ou la Grèce m’en avaient offert en d’autres occasions.

 

Philippe Jaccottet, Le bol du pèlerin (Morandi), La Dogana, 2006, p. 63.

06/10/2021

La revue de belles-lettres : recension

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La revue de belles-lettres avait consacré en 1999 une livraison à l’œuvre de Pierre Chappuis (1930-2020) et publie maintenant un ensemble écrit par des proches, auquel il faut ajouter les souvenirs de Michel Antoine Chappuis ; il évoque l’appartement de son enfance et a choisi avec Marion et Hans-Jorg Graf dix des tableaux d’amis qui s’y trouvent : ils sont superbement reproduits à la suite de la première version d’une prose du poète, La nuit des temps. Pierre Bugart s’attache au dernier livre publié, qui reprend notamment le premier ensemble paru (Ma femme ô mon tombeau), et insiste sur l’unité de l’œuvre. Frédéric Wandelère évoque sa première rencontre et une vie d’amitié, tout comme un autre poète, Pierre Voélin, qui rappelle que Chappuis était toujours devant « le monde et sa réalité de face(...) sans se détourner ». Ariane Luthi insiste sur la présence constante, à côté de l’écriture de poèmes, de la réflexion critique ; elle se souvient aussi des longs échanges au cours de leurs marches. C’est encore un Pierre Chappuis très proche qui apparaît dans les pages de Sylviane Dupuis qui raconte son engagement pour préparer une lecture devant des étudiants et répondre à leurs questions ; elle montre sa proximité à Jaccottet pour la poétique du paysage, « nourrie de l’expérience physique de la marche », cite des extraits de lettres, y compris l’une écrite après le décès de son épouse dans laquelle il a recopié un poème de Jean-Luc Sarré. Amaury Nauroy présente vingt lettres échangées entre les deux poètes qui « se reconnaissaient une même passion pour les images et quelques maîtres communs ». Ils se lisent attentivement : à propos de Dans la foulée, Sarré se dit « très sensible à cette poésie parfois proche de la note » et aux retours « sur un mot ou une phrase pour mieux les affûter, dépecer, prolonger » ; Chappuis apprécie le « ton narquois et tendre » de La Part des Angeset « toutes les petites choses, les petits riens » qui ont « une résonance commune » et « un prolongement au-delà ». C’est un bel ensemble qui incite à relire ces deux poètes discrets, Jean-Luc Sarré (1944-2018) disparu un peu avant Pierre Chappuis.

Bruno Pellegrino, dans la rubrique "L’inventaire", sous le titre Marthe, se livre à une enquête passionnante à propos d’une femme "ordinaire", donc oubliée, comme toutes celles qui ne laissent qu’un nom sur une tombe et, parfois, un souvenir pour des proches. Il lit le compte rendu, publié en 1919, qui « liquide en quelques lignes » un livre de poèmes publié par Marthe, Et j’ai noué ma gerbe..., et cherche à reconstituer la vie de son auteure. Il dépouille des journaux, des notices nécrologiques, accumule les éléments et reconstitue quelques éléments de l’existence de cette infirmière active pendant la guerre de 1914-1918, décédée en 1971 ; il retrouve la trace d’une de ses amies, également infirmière avec laquelle elle a vécu, mais pas sa date de sa naissance. Avant cette enquête, Bruno Pellegrino avait classé les archives d’une écrivaine connue pour qu’elles soient conservées — elles seront plus tard étudiées et aboutiront à des thèses. « Marthe (...) n’aura jamais droit à ce traitement, dont d’ailleurs elle n’aurait sans doute pas voulu ». Ce genre d’enquête minutieuse donne à réfléchir sur ces "vies minuscules", aussi riches d’enseignements que la vie de célébrités, elles aussi vouées pour la plupart à l’oubli.

Fabio Pusterla, traducteur en italien de Philippe Jaccottet et préfacier de ses œuvres dans la Pléiade, a été surtout traduit et publié par des éditeurs suisses et il reste encore peu connu en France. C’est à Jaccottet, en citant longuement Notes du ravin, que Pusterla recourt pour répondre, dans une des deux conférences traduites, à la question souvent posée : que peut la poésie dans notre société ? Il conclut qu’on peut « croire encore possible, encore sensé, un dialogue de profondeur entre le texte et ses lecteurs » et, ainsi, de « se reconnaître égaux devant le mystère de la beauté ». Plusieurs longs poèmes, traduits notamment par Mathilde Vischer (qui l’a introduit en français en 2001 avec Me voici là dans le noir) sont construits à partir de la destruction des populations aborigènes de Tasmanie, méditation autour de la relation entre aujourd’hui et un temps hors de l’Histoire ; c’est sous un autre angle que cette méditation se poursuit par sa rencontre avec la grotte Chauvet. Pusterla propose à la lecture quelques poètes quasiment inconnus en français (traduits par M. Vischer et Laurent Cennamo), toujours avec le texte original, Francesco Scarabicchi, Massimo Gezzi et Stefano Simoncelli.

La première partie de la revue est consacrée à la poésie, avec des textes très variés. On lira avec intérêt des extraits d’un Livre de palabres, de Henri-Michel Yéré, qui présente un poème en argot d’Abidjan, le nouchi, avec sa version en français, exemple rare de bilinguisme dans une langue :

                       Un soir on s’en gabassait de plages
                       Orage était dans ciel fatigué

                       C’était un soir où nous tournions le dos aux plages
                       Le ciel était rempli d’orages

Patrick McGuinness a écrit autour du thème de la disparition, du départ dans plusieurs poèmes, dont le premier, le plus étendu, à propos de tours de refroidissement qui, n’ayant plus de fonction, sont abattues ; Gilles Ortlieb avait déjà traduit le poète anglais avec le recueil Guide bleu en 2015. La revue donne aussi des poèmes de Julien Burri et Laurent Cennamo et s’ouvre avec un poète chinois de Taïwan, Wang Wen-hsing, traduit par Camille Loivier : notes à propos de la création, de la vie quotidienne, des choses de la vie, comme cette question qui clôt l’ensemble, « À présent je ne crains plus la mort, mais comment pourrais-je ne pas avoir peur pour la vie ? »  

La revue de belles-lettres, 2021, I, 232 p., 30 € (abonnement, 56 €, La revue de belles-lettres, Case postale 6741, Lausanne, Suisse). Cette recension a paru dans Sitaudis le 6 septembre 2021.                    

 

 

 

05/10/2021

Abbaye de la Sauve Majeure (Gironde), 2

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Photos TH

04/10/2021

L'abbaye de la Sauve Majeure (Gironde)

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Photos T.H.

03/10/2021

Wislawa Szymborska, De la mort sans exagérer

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Éloge de la mauvaise opinion de soi

 

Le busard n’a vraiment rien à se reprocher.

Les scrupules sont étrangers à la panthère.

Les piranhas ne doutent jamais de leurs actions.

Le serpent à sonnette s’approuve sans réserve.

 

Personne n’a jamais vu un chacal repenti.

La sauterelle, l’alligator, la trichine et le taon

Vivent bien comme ils vivent, et en sont très contents.

 

Un cœur d’orque pèse bien cent kilogrammes, maIS

Sous tpout autre aspect demeure fort léger.

 

Non, rien de plus bestial

que la conscience tranquille

sur la troisième planète diu Soleil.

 

Wislawa Szymborska, De la mort sans exagérer, traduction Piotr Kaminski, 2018, p. 173.

02/10/2021

Théophile de Viau, Après m'avoir fait tant mourir

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                         Sonnet

 

D’un sommeil plus tranquille à mes amours rêvant,

J’éveille avant le jour mes yeux et ma pensée,

Et cette longue nuit si durement passée,

Je me trouve étonné de quoi je suis vivant.

 

Demi désespéré je jure en me levant

D’arracher cet objet à mon âme insensée,

Et soudain de ses vœux ma raison offensée

Se dédit et me laisse aussi fol que devant.

 

Je sais bien que la mort suit de près ma folie,

Mais je vois tant d’appas en ma mélancolie

Que mon esprit ne peut souffrir sa guérison.

 

Chacun à son plaisir doit gouverner son âme,

Mithridate autrefois a vécu de poison,

Les Lestrigons de sang et moi de je vis de flamme.

 

Théophile de Viau, Après m’avoir fait tant mourir,

Poésie/Gallimard, 2002, p. 119.

01/10/2021

Christian Viguié, Fusain

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Cherche l’ombre

comme une lanterne

ou un papillon.

 

Le vent

autour du puits

 s’étonne qu’aucune parole

n’en sorte.

 

Un oiseau

 s’envole

avant toute parole.

 

C’est à l’intérieur de toi 

que les roses

ferment les yeux.

 

Le brouillard

ne nous demande pas

de voir les choses

mais l’attente des choses.

 

Christian Viguié, Fusain, le cadran ligné,

2021, p. 19, 20, 23, 24, 32.

30/09/2021

Marie de Quatrebarbes, Les vivres

 

Décembre 13

 

Images indistinctes démêlées du fond. Lieux communs mille fois traversés. Idiomes intacts. On voudrait s’assécher, former autour d’elles un pur esprit de mailles. On laisse les portes entrebâillées. Elles ne changent pas d’aspect avec le temps. Autre découverte : si vous êtes le cœur, il faut rêver les membres. La marque d’une fiction change, un rien superficiel. Maintenant avance, charge ta viande. Travaille-la soigneusement, fût-elle avariée. Avec un papier plié dans la     bouche pour dévier ton souffle, tu ne peux pas faire de bruit.

 

Marie de Quatrebarbes, Les vivres, P.O.L, 2021, p. 80.

29/09/2021

Philippe Beck, sur la notion de bifurcation

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L'une des notions contemporaines les plus intéressantes et passionnantes, et pour ainsi dire apéritives, est la notion de la bifurcation. Imaginons la vie contemporaine sous sa forme réelle, comme dans l'étang de Leibniz : il s'agit d'un ensemble de rencontres plus ou moins fortes, où chacun approche d'autres êtres et s'en éloigne, où tous représentent un ensemble de forces variables avec leurs ondes croisées. Quelqu'un est une force; ce qui signifie qu'il est une promesse. Quelle promesse? L'être que je rencontre est la silhouette d'un bonheur (d'une augmentation de la beauté ou de la puissance de vivre) ou d'un malheur (d'une diminution ou d'un affaiblissement). Chacun suscite les ondulations d'une rêverie, et cette flottante excitation qu'on appelle une rêverie, fantastique entre deux moments d'existence, est à la fois intense et aléatoire. En ce rêve intermédiaire où s'anticipent les mouvements, l'imagination réelle, qui accorde à l'autre une force particulière (elle se contracte dans une image, une idée sensible faite de jugements, d'impressions etc.), bifurque régulièrement comme un poisson aérien : l'ordinaire de la vie, c'est l'orientation de la silhouette dans telle direction, près ou loin des rencontrés, selon les besoins de la persistance. La plasticité de l'espace est la ressource du rêve. Chacun est un chemin qui mène quelque part, de demi-jour en demi-jour. Le fait de savoir qu'à tout moment le chemin peut devenir autre ne rassure en rien, mais il atteste le champ de forces où sourires, écoutes, contacts voluptueux, poignées de mains, etc., sont chaque fois la promesse ou le rejet d'un mieux. Le rythme d'élaboration de ce mieux est tissé d'apparitions et de disparitions. Des décisions se prennent en chacun pour aller ici ou là, sous la loi de l'espace un et multiple. Sans doute, le réel contemporain est-il déterminé par le règne du tremblement de terre : le sol peut à tout instant se dérober sous nos pas, compromettant la possibilité d'un chemin. Sans doute, une vie tremble désormais sur ses bases, ou bien encore : les bases ne se maintiennent que sous la forme du tremblement. Pourtant, rien n'est plus beau et suscitant qu'une bifurcation, puisqu'elle signifie qu'un monde possible a failli ne pas exister. Elle veut dire aussi qu'un monde ancien, en chaque vie, vient de s'enfoncer dans les ténèbres où disparaît ce qui n'a pas interdit la transformation de la balade terrestre. Et cette balade particulière, émouvante, se trame auprès des rencontrés, des estompés, des éloignés. Elle constitue l'extraordinaire vie générale divisée et commune, mobile et immobile comme une hilarotragédie.

(Publié le 27 septembre dans Sitaudis)

                  ce soir, à  19h
à la librairie Gallimard,15 Bd Raspail,Lecture-
                                  rencontre à deux voix :
                   Stéphane Bouquet & Etienne Faure
                         liront
Le fait de vivre (Champ Vallon) & Et puis prendre l'air (Gallimard)
 
                       
                             

 

28/09/2021

Étienne Faure, Légèrement frôlée

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Le cœur serré sans préavis

entre les murs du bâtiment gris public

d’où les cris fusent, on croirait une enfance

à cause des barreaux qui restreignent

la vue du ciel

les origines restituées

comme on s’en trouve à même les livres

enracinés dans la mémoire

avec l’ennui et les récitations

— craie, encrier, cire d’abeille —

la cour d’école au gravier jaune  où crisse

une espèce de véracité française,

racines, à force d’être lues, plausibles

et crues finalement, oui, avec effet rétroactif

tant le désir de croître est commun aux souvenirs

d’une enfance implantée au hasard des sols,

l’autre en papier relue, comme apprise.

Papier relu 

Étienne Faure, Légèrement frôlée, Champ Vallon, 2007, p. 88.

Photo Chantal Tanet

 

   Lecture-rencontre à deux voix :
                   Stéphane Bouquet & Etienne Faure
                         liront
Le fait de vivre (Champ Vallon) & Et puis prendre l'air (Gallimard)
 
                        à la librairie Gallimard,15 Bd Raspail,
                               mercredi 29 septembre19h

27/09/2021

Étienne Faure, Ciné-plage

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Sous d’apatrides vêtements aux couleurs

perdues dans la bataille

ils arrivaient par l’Europe en neige,

alors champ équivoque où germaient les victoires défaites,

puis repartaient pour cause de guerre en sens inverse,

pour les beaux yeux d’une patrie disant des mots d’adieu

dans une langue occasionnelle,

n’importe quoi qui comblât l’écart

en train de se creuser depuis l’arrière

jusqu’à l’amovible première ligne

approchée la nuit dans l’éclat d’armes blanches,

la lutte acharnée des chairs pour quelques mètres,

ici ressortissants drapés dans la boue

des gisants d’avant-hier autre époque,

en d’identiques raideurs nationales.

 quelques mètres

 

Étienne Faure, Ciné-plage, Champ Vallon, 2015, p. 126.

Photo Chantal Tanet

 

        Lecture-rencontre à deux voix :
                      Stéphane Bouquet & Etienne Faure
                         liront
Le fait de vivre (Champ Vallon) & Et puis prendre l'air (Gallimard)
 
                        à la librairie Gallimard,15 Bd Raspail,
                                mercredi 29 septembre19h

 

 

26/09/2021

Étienne Faure, Tête en bas,

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Sur les tombeaux d’Europe autrefois de l’Est

éclairés d’une mèche en flamme

les morts réclamaient la mémoire

alerte et vacillante

de ceux demeurés en surface, et des pensées profondes

gravées au burin dans la pierre

qui rappelleraient l’objet perdu de leur combat,

explicitant leur vie au fond du marbre

en quelques mots, numéros, ceux qu’on marque

ordinairement sur la peau pour ne pas

oublier ce qu’on devait faire

ce jour-là de sa vie, de son temps

— passer la frontière, défendre un pays —

sous la répétition des oies dans le ciel

avant l’énième migration en V

ou WW selon la langue. 

vacille la mèche

 

Étienne Faure, Tête en bas, Gallimard, 2018, p. 132.

Photo Chantal Tanet.

 

      Lecture-rencontre à deux voix :
                      Stéphane Bouquet & Etienne Faure
                         liront
Le fait de vivre (Champ Vallon)
                      &
 Et puis prendre l'air (Gallimard)
 
 à la librairie Gallimard -15 Bd Raspail
le mercredi 29 septembre à 19h

 

 

25/09/2021

Étienne Faure, Et puis prendre l'air

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L’ennui léger à la fenêtre enduré dès l’enfance, à regarder passer dans le ciel quelque chose, attendre un événement venu des nues, infime : un nuage effilé par le vent, la vitesse de l’avion disparu par l’embrasure des arbres, un V d’oiseaux très haut en solitude rebroussant leur chemin et lançant des signaux aux autres animaux restés au sol, cet ennui lentement scruté derrière la vitre avait changé progressivement de sens, glissé par la force des ans — nouveaux cirrus, autre altitude — parmi les  nuages qui commençaient à s’amonceler, non plus singuliers mais pluriels — les ennuis. Et de loin le rire clair qui tout balaie au ciel de mars, à nouveau en mouvement.

 

Étienne Faure, Et puis prendre l’air, Gallimard, 2020, p. 103.

 

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Le fait de vivre (Champ Vallon)
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 Et puis prendre l'air (Gallimard)
 
 à la librairie Gallimard -15 Bd Raspail- 
    le mercredi 29 septembre à 19h

24/09/2021

Cioran, Aveux et anathèmes

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Il m’est impossible de savoir si je me prends ou non au sérieux. Le drame du détachement, c’est qu’on ne peut en mesurer le progrès. On avance dans un désert et on ne sait jamais où on en est.

La profondeur d’une passion se mesure aux sentiments bas qu’elle enferme et qui en garantissent l’intensité et la durée.

De tout ce qui nous fait souffrir, rien, autant que la déception, ne nous donne la sensation de toucher enfin au Vrai.

Un rien de pitié entre dans toute forme d’attachement, dans l’amour et même dans l’amitié, sauf toutefois dans l’admiration.

J’espérais de mon vivant assister à la disparition de notre espèce. Mais les dieux m’ont été contraires.

 

Cioran, Aveux et anathèmes, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, 1961, p. 1068, 1070, 1071, 1072, 1073.

23/09/2021

Cioran, Aveux et anathèmes

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Chaque fois que je vois un clochard ivre, sale, halluciné, puant, affalé avec sa bouteille sur le bord du trottoir, je songe à l’homme de demain s’essayant à sa fin et y parvenant.

C’est sous l’effet d’une humeur suicidaire qu’on s’entiche généralement d’un être ou d’une idée. Quelle lumière sur l’essence de l’amour et du fanatisme !

Ce qui date le plus, c’est la révolte, c’est-à-dire la plus vivante de nos réactions.

J’aimerais mieux offrir ma vie en sacrifice que d’être nécessaire à qui que ce soit.

Les nuits où l’on se persuade que tous ont évacué cet univers, même les morts, et qu’on y est le dernier vivant, le dernier fantôme.

 

Cioran, Aveux et anathèmes, dans Œuvres, Pléiade/Gallimard, 2011, p. 1060, 1062, 1063, 1063, 1064.