05/02/2021
Jonathan Swift, Correspondance avec le Scriblerus Club
À Alexander Pope,
Dublin, 20 septembre 1723
(...) J’ai souvent tenté d’établir une amitié entre les hommes de génie, et j’aimerais tellement que cela soit fait. Il y en a rarement plus de trois ou quatre dans une époque, et s’ils pouvaient être unis, ils chasseraient le monde devant eux. Je pense qu’il en était ainsi entre les poètes du temps d’Auguste, mais l’envie, l’esprit de partie et l’orgueil l’ont empêché parmi nous. Je compte pour rien les subalternes, desquels on est rarement sans avoir une vaste tribu, sous les noms de poètes et d’auteurs ; ceux-là même, je suppose, que vous dites vous accommoder de voir quelquefois lorsqu’ils se trouvent être modestes ; ce qui n’était pas fréquent parmi eux quand j’étais dans le monde.
Jonathan Swift, Correspondance avec le Scriblerus Club, traduction David Bosc, Allia, 2005, p. 133.
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04/02/2021
Paul Claudel, Lettres à Ysé
Légation de France au Brésil
Rio de Janeiro, 4 août 1917
(...) Chère R. il est parfaitement vrai que pendant plusieurs mois j’ai été complètement fou, mais je sais aussi qu’aucune femme au monde n’a été /aimée/ par un homme comme vous l’avez été par moi. Ce sentiment ne s’est jamais éteint dans mon cœur, vous êtes la seule femme que j’aie jamais aimée, celle vers qui mes pensées et mes rêves ne cessent de revenir, et il me semble que rien et la mort elle-même ne pourra jamais étouffer le mouvement profond, impétueux, irrésistible, qui entraînait mon être vers le vôtre. Dans mes pires heures de torture, je n’ai jamais eu qu’une seule et véritable souffrance, c’était la pensée que vous aviez cessé de m’aimer. Cette idée me perçait le cœur et elle était à peine soutenable pour moi.
Paul Claudel, Lettres à Ysé, Gallimard, 2017, p. 112-113.
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03/02/2021
Josseph Joubert, Correspondance générale
À Chateaubriand, septembre 1819
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- Maillet-Lacoste, vrai métromane en prose et en vers et qui est l’homme du monde le plus capable de bien écrire s’il ne voulait pas écrire trop bien et s’il pouvait quelquefois s’occuper d’autre chose que de ce qu’il écrit ; M. Maillet-Lacoste, qui sera jeune jusqu’à cent ans et qui est le meilleur, le plus sensé, le plus honnête, le plus incorruptible et le plus naïf de tous les jeunes gens de tout âge, mais qui donne, par ses manières, un air de théâtre à sa candeur même, parce que sa chevelure hérissée, ses attitudes et le son même de sa voix se ressentent des habitudes qu’il a prises sur le trépied où il est sans cesse monté, quand il est seul, et d’où il ne descend guère, quand il ne l’est pas ; M. Maillet, à qui il ne manque que de la paresse, du relâche et de la détente de tête pour travailler admirablement et avec facilité et qui a travaillé avec autant d’éloquence que de courage, il y a vingt ans, contre la tyrannie du temps, comme l’attestent des opuscules que je vous ai remis, il y a dix ans, un exemplaire qui vous aurait fait connaître son mérite moral, politique et littéraire, si vous l’aviez lu, et que vous n’avez pas lu, parce que, occupé comme vous l’êtes, vous ne lisez rien, et je crois que vous faites bien, par une exception et une prérogative qui n’appartiennent qu’à vous ; (...) M. Maillet qui, avec les plus hautes, mais les plus innocentes prétentions, met à ses fonctions absurdes de professeur autant d’importance que s’il n’était qu’un sot et qui en remplit tous les devoirs avec la conscience et le dévouement d’un Rollin ; M. Maillet, qui excelle à tout enseigner, qui enseigne tout ce qu’on veut, depuis le rudiment jusqu’à l’arithmétique, en passant par tous les degrés intermédiaires, humanités, rhétorique et philosophie ; (...)
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Joseph Joubert, Correspondance générale, III, édition Rémi Tessonneau, Art et arts, William Blake and Co, 1996, p. 64-65.
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02/02/2021
Madame du Deffand, Correspondance avec Voltaire
Voltaire, 9 mai 1764
(...) Quant à la mort, raisonnons un peu, je vous prie : il est très certain qu’on ,ne la sent point, ce n’est point un moment douloureux, elle ressemble au sommeil comme deux gouttes d’eau, ce n’est que l’idée qu’on ne se réveillera plus qui fait de la peine, c’est l’appareil de la mort qui est horrible, c’est la barbarie de l’extrême-onction, c’est la cruauté qu’on a de nous avertir que tout est fini pour nous. À quoi bon venir nous prononcer notre sentence ? Elle s’exécutera bien sans que le notaire et les prêtres s’en mêlent. Il faut avoir fait ses dispositions de bonne heure, et ensuite n’y plus penser du tout. On dit quelquefois d’un homme, il est mort comme un chien, mais vraiment un chien est très heureux de mourir sans tout cet abominable attirail dont on persécute le dernier moment de notre vie. Si on avait un peu de charité pour nous on nous laisserait mourir sans nous en rien dire.
Madame du Deffand, Correspondance avec Voltaire, des femmes, 1987, p. 140.
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01/02/2021
Károly Bari, Incendies oubliés
Soir d’hiver
Les chiens du vent hurlent,
les dents du gel, affolées,
mordent l’échine des prés blancs,
une branche morte gît sous la neige ;
sa poitrine est parcourue
par les soupirs froids des montagnes,
aussi lourds que des coups de massue.
Oh ! une barbe de givre
a aussi poussé aux pins verts !
Nuit crissant de fleurs de glace
immergée dans la blancheur éclatante,
cernés par les forêts les cerfs pleurent,
entre leurs bois frissonne la lune.
Károly Bari, Incendies oubliés, traduction du hongrois Cécile A. Holdban, dans la revue de belles-lettres, 2020, 1-2, p. 75.
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31/01/2021
Étienne Faure, Et puis prendre l'air : recension
"Prendre l’air", c’est sortir de chez soi, de ses habitudes, comme l’écrivait Flaubert dans sa correspondance, « Je comptais cet été sur un peu d'argent pour prendre l'air ». C’est ce que les dix ensembles du livre explorent, avec en ouverture le sous-titre Sortir et en clôture Prendre l’air ; entre ces deux bornes, l’idée de mouvement peut être explicite ("Changement de saison", "Dix postures pour cueillir les mûres", "Aux coins du globe") ou sembler être contredite dans l’énoncé ("Voyage à la cave") : dans ce cas, le texte de Khlebnikov cité en exergue, « O cave de la mémoire », oriente vers une autre forme de sortie ; plusieurs sous-titres valorisent plutôt l’immobilité, comme "Claustrales", mais le premier poème de cet ensemble s’achève par « Abstraites errances », noté en italique. Et puis prendre l’air, outre son unité thématique, s’inscrit dans une tradition, celle du poème en prose depuis Baudelaire, privilégiant surtout la description des choses de la vie et, souvent, la méditation à leur propos.
Le narrateur marche beaucoup, observe sans cesse les personnes autour de lui, les oiseaux dans les jardins parisiens et à la campagne, les changements du ciel. Il écoute des étrangers qui tentent de se comprendre, il songe à la campagne en voyant des jeunes femmes qui, assises en amazone sur un banc, évoquent des cavalières et, toujours dans un square, il prend le temps de regarder des acteurs improvisés. Ce qui est recueilli, ce sont tous ces gestes, ces bruits, ces mots qui forment l’essentiel des jours, c’est-à-dire tout ce qui s’oublie, comme a été oublié le trot des charrettes qui naguère livraient le lait dans les grandes villes. Il y a quelque chose proche du spleen baudelairien dans la tentative de rassembler ce qui s’échappera toujours, ce que figure ce qui est vu lors d’un voyage en train, « on aperçoit les arbres qui fuient, les buissons, les lapins, tout un monde qui détale ». On peut croire voler des moments en passant dans la rue et parfois penser faire sienne la ville, on comprend cependant « qu’on ne s’approprie rien, que tout n’est qu’emprunt, mimétisme, camouflage ». Peut-on commencer, parce qu’on se trouve à son aise dans une ville, à « s’en faire une patrie » ? Étienne Faure cite ici Mme de Staël et a sans doute en tête la suite du texte de Corinne ou de l’Italie : « voir des visages humains sans relation avec votre passé ni avec votre avenir, c’est de la solitude et de l’isolement sans repos et sans dignité ».
La marche reste indispensable pour « ne plus voir contraires réel et imaginaire, passé et futur, haut et bas », et sur ce point le lecteur est renvoyé à André Breton, mais il est nécessaire de s’arrêter pour (se) construire. Sur le banc naît le questionnement, « où suis-je, où en suis-je, qui suis-je, quel jour est-on ? », et le banc lui-même suscite le départ dans l’imaginaire : il se souvient qu’il a été arbre, il vit son usure, l’inscription des amours. Bien des éléments du quotidien renvoient à autre chose qu’eux-mêmes, notamment au passé ; ce journal qui emballait un objet engage un voyage dans le temps de sa publication, les vêtements d’automne ressortis on y découvre les traces de la saison passée (châtaigne, gland, faîne) et « Telle une lecture interrompue (...) on reprend la tournure d’esprit de la saison où on l’avait laissée : mélancolique ». Des photographies retrouvées de parents ramènent à l’entre-deux guerres ; l’Histoire, celle des conflits du XXe siècle, s’impose aalors comme dans les précédents livres, et les enfants passent du statut de « titis du peuple à enfants de la patrie, prêts à leur tour pour la prochaine guerre ». Analogues aux animaux faisandés accrochés autrefois aux crocs des boucheries, les souvenirs connaissent « un temps de faisandage » et, en même temps, ce qui a été vécu par les uns se reproduit autrement ; dans un hôtel en 1919, mort de Jacques Vaché, retrouvailles de Gide et Maria Van Rysselberghe, écriture d’un livre par Breton et Soupault, « cent ans après, 2019, les séjours à l’hôtel étaient toujours au rendez-vous : écrire, aimer, mourir ».
Les sentiments du narrateur ne sont donc pas absents du texte, cependant est marqué l’effort dans l’écriture pour éviter toute confidence, « on reprise dix fois le texte, le rature, laissant passer trop de clarté de soi ». C’est plutôt la pratique de l’écriture qui est décrite à différents moments du texte, comme l’usage d’un carnet employé tête-bêche où sont notés prose et vers ou le parallélisme entre l’ortie et l’écrit, entre l’écureuil et l’écrivain : l’animal « amasse des idées, les oublie, n’en finit pas d’aller de branche en branche ainsi qu’un écrivain — nouveaux chapitres, paragraphes, à la ligne ne sachant s’arrêter ». Chaque ensemble est précédé d’un exergue, et des écrivains du passé sont cités dans les poèmes (outre les noms relevés ci-dessus, La Fontaine, Desnos, Crevel, Conrad, Wilde, Jean-Jacques [Rousseau], Jules Renard, Laforgue), mais aussi leurs textes, notamment Baudelaire, Rimbaud, Aragon, textes rarement attribués mais aisément reconnaissables même quand ils sont intégrés dans celui d’Étienne Faure : mots repris à Apollinaire, à Baudelaire (« Ni luxe ni calme ni volupté ») ou fragment de Rimbaud augmenté d’une parenthèse (« Jeunesse (hardie aventure) à tout asservie »). Relevons encore une allusion transparente à la Commune de Paris avec l’idée d’un roman titré Le temps des merises, la mention du mur des Fédérés (où est la tombe de Jean-Baptiste Clément, auteur du "Temps des cerises") et de paroles de la chanson. Le titre du précédent livre d’Étienne Faure, Tête en bas, est aussi présent mais au pluriel, présence qui suggère de repérer d’éventuels liens formels entre poèmes en prose et poèmes en vers.
On retrouve en effet le plaisir des échos, avec par exemple « oiseaux oisifs », « champ de courses, chevauchées, courses aux Champs », « requin /requiem », jusqu’au jeu anagrammatique : « Offusqué » ouvre un poème que ferme « Suffoqué », figure de la construction du livre. On lira parfois à la fin d’une prose un ou deux mots séparés qui font une sorte de titre, « Perdre sa place », « Raccords », etc., pratique constante dans la poésie en vers, et l’on reconnaîtra aussi le goût pour un vocabulaire donné comme "familier" ou "populaire" (« ça caille », « à la revoyure », « piaule », « pas un carat », etc.). Mais la construction de chaque prose est bien différente de celle des poèmes en vers souvent construits en une seule longue phrase ; ici, la syntaxe est variée, de la phrase réduite à un mot jusqu’à la longue énumération : on pense à celle du mobilier d’un déménagement réuni sur le trottoir.
Prose ou vers, le même regard attentif vers le monde, des retours analogues vers le passé, le même amour de la littérature : pour qui ne connaîtrait pas encore la poésie d’Étienne Faure, Et puis prendre l’air est une belle entrée.
Étienne Faure, Et puis prendre l’air, Gallimard, 2020, 136 p., 14,50 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 16 décembre 2020
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30/01/2021
Rose Ausländer, Pays maternel
Dépassé I
Temps
Magicien
Je fus autre jadis
Dis-tu au miroir
Il ne te croit pas
Toi aux allures d’escargot
Toi aux allures de lièvre
Dépassé
Par le pas du sablier
Rose Ausländer, Pays maternel,
Traduction Edmond Verroul,
Héros-Limite, p. 64.
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29/01/2021
Rose Ausländer, Été aveugle
Temps sans Ève
Dans la substance lunaire
lumière empruntée
habite le visage érodé
d’Adam
Les joues pendent
sacs de glace
la bouche jaunit
dans le cercle vide
L’œil gémeau
noire division
fixe le
temps sans Ève
Rose Ausländer, Été aveugle,
traduction Michel Vallois,
Héros-Limite, 2015, p. 57.
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28/01/2021
Rainer Maria Rilke, Chant éloigné
[Pour Madame Agnes Renold]
Nous ne sommes que bouche. Qui chantera le cœur lointain
que rien n’atteint, qui règne au plus profond de toutes choses ?
Sa grande pulsation se partage entre nous
en pulsations moindres. Et sa grande douleur,
comme sa grande exultation, sont trop fortes pour nous.
Ainsi, nous ne cessons de faire effort pour nous en détacher
et n’en être ainsi que la bouche.
Mais soudain fait irruption
secrètement la grande pulsation au plus profond de nous,
qui nous arrache un cri.
Et dès lors nous sommes aussi être, changement et visage.
Rainer Maria Rilke, Chant éloigné, traduction Jean-Yves Masson, 1990, p. 19.
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27/01/2021
Franz Kafka, Journal
« La fraîcheur avec laquelle aujourd’hui, après une répartition
de l’emploi du temps de la journée un peu modifiée, je suis sorti
dans la rue. Observation ridicule, quand vais-je éliminer cela. »
Kafka, Journal, traduction Robert Kahn, NOUS, 2020, p. 532.
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26/01/2021
Mariella Mehr, L’Échelle du mendiant ou les poètes volés
L’Échelle du mendiant ou les poètes volés
[...] La faim lancinante après deux ou trois heures faisait partie de ma vie comme le sentiment de n’être chez moi nulle part ni auprès de personne.
Pourtant j’ai volé comme un mendiant. Pas du pain ni du lait mais du savoir qui m’était caché. Que ce savoir ne se trouve que dans les livres ne faisait pour moi aucun doute. Il me fallait donc les livres. Où en trouver, sinon en volant ?
Je me souviens du sentiment palpitant, presque inquiétant, après mon premier vol de livres. Je me sentais comme le conquérant d’un trésor longtemps désiré et recherché, qu’on ne me prendrait jamais plus. Que je sois tombée précisément sur L’Échelle du mendiant, le recueil de poèmes de Christine Lavant paru en 1956, je le dois au hasard. Le livre se trouvait près de la porte d’entrée de la librairie et avait attiré mon attention par la grossière gravure au bois de sa jaquette. Je n’avais encore jamais vue d’image de la souffrance aussi nue et aussi vive.
Mariella Mehr, L’Échelle du mendiant ou les poètes volés, traduction de l’allemand par Nathalie Garbely, dans la revue de belles-lettres, 2020, 1-2, p. 39.
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25/01/2021
Hans Magnus Enzensberger, Le bref été de l'anarchie
[La guerre d’Espagne]
Les premiers volontaires arrivèrent de France début août ; c’était des anarchistes français et italiens. Ils avaient gagné Barcelone par les Pyrénées pour prendre part à la lutte ouvrière contre le fascisme international. Ils s’enrôlèrent dans des unités espagnoles et allèrent se battre sur le front aragonais. Bientôt suivirent de plus grandes bandes d’antifascistes italiens de toutes tendances : anarchistes, socialistes, syndicalistes et libéraux. Les volontaires italiens formèrent la brigade Garibaldi. Elle se distingua particulièrement dans les combats d’Huesca. D’innombrables anarchistes, socialiste, libéraux perdirent la vie dans ces batailles. Septembre 1936 vit la fondation de la colonne « Sacco et Vanzetti », composée de combattants internationaux. Elle se joignit aux unités commandées par Durruti. Le nombre total de ces miliciens internationaux n’a pas dû dépasser trois mille. On savait peu de choses d’eux à ‘étranger. Ils ne relevaient pas des brigades internationales organisées par les communistes.
Hans Magnus Enzensberger, Le bref été de l’anarchie, traduction Lily Jumel, Gallimard, 1975, p. 234.
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24/01/2021
Erich Fried, Les enfants et les fous
Saint Georges et son dragon
On raconte que saint Georges vint de Cappadoce et qu’il tua un dragon qui voulait dévorer une jolie fille. La légende aime les données simples et les héros compréhensibles. On ne rapporte nulle part que saint Georges a aimé le dragon.
Il connaissait son dragon depuis son enfance, à un âge où les vires et les vltes du tournoi, sous les arbres à l’écorce rugueuse et tapissée de mousse, étaient plus importantes pour lui que toutes les méditations sur la beauté ou la disgrâce, sur l’excellence ou la médiocrité de son compagnon de jeuPlus tard également, lorsque le petit Georges, qui portait sa première armure légère, commença à comprendre que son ami était différent de lui, il repoussa aussitôt de telles pensées. Il les oublia, comme il oubliait les tristes rangées de chiffres alignées par son sévère maître en calcul. Non, il ne voulait tenir compte d’aucune différence. Il s’en tenait plutôt à ce que lui et son camarade de jeu avaient pensé en commun.
Erich Fried, Les enfants et les fous, traduction Jean-Claude Schneider, Gallimard, 1968, p. 90.
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23/01/2021
Unica Zürn, L'Homme-Jasmin
L’Homme-Jasmin
Une nuit, au cours de sa sixième année, un rêve l’emmène derrière un haut miroir, pendu dans un cadre d’acajou au mur de sa chambre. Ce miroir devient une porte ouverte qu’elle franchit pour parvenir à une longue allée de peupliers menant tout droit à une petite maison. La porte en est ouverte. Elle entre et se trouve devant un escalier qu’elle monte. Elle ne rencontre personne ; La voilà devant une table sur laquelle il y a une petite carte blanche. Quand elle la prend pour y lire le nom, elle s’éveille. Ce rêve lui fait une si forte impression qu’elle se lève pour pousser le miroir sur le côté Elle trouve bien le mur mais pas de porte.
Prise d’un inexplicable sentiment de solitude elle se rend, le matin même, dans la chambre de sa mère — comme s’il était possible de retourner dans ce lit, là d’où elle est venue — pour ne plus rien voir.
Une montagne de chair tiède où l’esprit impur de cette femme est enfermé s’abat sur l’enfant épouvantée. Elle s’enfuit, abandonnant à tout jamais la mère, la femme, l’araignée !
Unica Zürn, L’Homme-Jasmin, traduction Ruth Henry et Robert Valançay, préface André Pieyre de Mandiargues, Gallimard, 1971, p. 13.
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22/01/2021
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes
Les petits préjugés d’un sou (vertus) (vérités).
Il a décrit cela dans 6 in-octavo bien gras.
Il comprenait toutes les nuances de déclinaison et d’inclinaison du chapeau.
L’art, si bien cultivé aujourd’hui, de rendre les gens mécontents de leur sort.
Les saints sculptés ont eu beaucoup plus d’influence dans le monde que les saints vivants.
Georg Christoph Lichtenberg, Aphorismes, traduction Marthe Robert, Denoël, 1985, p. 31, 35, 35, 43, 46.
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