07/10/2020
Umberto Saba, Du Canzionere
Seul
Je suis seul. Nul n’écoute ou
est vain tout appel aux amis
dispersés.
La haine brille come un glaçon, et je pense
que je te verrai ce soir, toi que j’aime.
Je pense : dans le jour qui révèle,
dans l’ombre qui dérobe, j’ai tant fait,
tant erré, pour me dire en paix quelques
mots.
Umberto Saba, Du Canzoniere, traduction P.
Renard et B. Simeone, Orphée / La Différence,
1992, p. 63.
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06/10/2020
Édith Azam, Bestiole moi Pupille : recension
Le dernier livre d’Édith Azam évoque plus ses récits en prose — Décembre m’a cigüe, par exemple — que ses ensembles de poèmes. On retrouve en effet un univers qui ne peut être plus fermé puisque limité à ce qu’éprouve un personnage féminin, Pupille, sensations et émotions rapportées par un narrateur. L’espace est réduit (« pas le moindre espace / pour déplacer les choses ») — mention est faite d’un mur — et l’on relève une notation de temps, la nuit et des étapes (minuit, trois heures et six heures du matin). Trois autres personnages interviennent dans le récit ; "Bestiole" apparaît comme la métaphore de la peur qui détruit Pupille, à ce titre elle la ronge (« C’est dans la chair que ça s’écrit / et dans la profondeur / du vide ») ; "le Fou" a un rôle limité, ses occupations consistent surtout à se frapper la tête contre le mur (image classique du fou) et à émettre un rire de crécelle, à la fin à se confondre plus ou moins avec le dernier personnage ; "Deuxième Homme" — aucune trace d’un "Premier Homme", mais ce pourrait être le Fou — est donné comme amoureux de Pupille. Le nom même de "Pupille" renvoie à une personne qui ne peut se diriger elle-même (mineure) ou à ce qui joue un rôle essentiel dans la vision. La désignation des personnages a sans doute pour fonction, efficace, d’éloigner le récit de la réalité, tout comme le choix de la poésie. Cependant, à partir du moment où un récit s’engage, ce n’est plus seulement un jeu avec la langue, quelles que soient ses incohérences, nombreuses ici, il s’y passe quelque chose et le lecteur essaie de reconstruire et d’ordonner des événements.
Pupille vit donc dans la peur, d’abord celle de la fin (« Pupille voit la mort »), plus continûment celle de la solitude, de l’absence d’échange verbal, car comment donc peut-on parler au Fou toujours présent ? Les notations à ce sujet sont récurrentes ; ce qui la détruit intérieurement, sous le nom de Bestiole, empêche toute parole, « Il ne reste de sens : que silence », rien, seulement supporter le vide, ce que désigne un oxymore, « les absences béantes ». Pupille est présentée avec les contradictions propres à tout être humain ; à la fois ne sachant « qui elle est dans sa peau » et se refusant à penser son trouble, vivant « l’alternance d’être en soi / d’être en soi de se fuir ». Pour sortir de cette nuit, il faudrait la présence de l’Autre, à qui elle dirait son amour, « qu’elle l’attend depuis mille ans » et « il lui dirait / des mots d’amour ». Le récit, avec des avancées et des retraits, tourne autour de cette absence de l’Autre, et Pupille ne quitte pas « les ornières / où s’acharne Bestiole ».
Il semble que le manque vienne d’abord des choix, ou de l’impossibilité de choisir, de Pupille, qui « coupe tous les liens », pour qui la jouissance « C’est d’abord c’est toujours / une histoire de chute » et, surtout, qui est toujours incapable de parole. Quand Deuxième Homme pourrait se déclarer, il n’y parvient pas : « Il voudrait dire / mais impossible les mots : ça fait crever », et c’est à peu près avec les mêmes mots que Pupille exprime le rapport impossible à l’Autre. Le seul rapport possible entre Deuxième Homme et Pupille ne peut passer par les mots, ils font l’amour, sans commentaire, « la chair les sexes / ça langage », comme si les mots de la langue de tous ne pouvaient servir de lien entre les personnes. On peut alors comprendre pourquoi Édith Azam se plaît à la création lexicale, sans d’ailleurs inventer un vocabulaire (comme Michaux ou Vian) ; pour citer quelques-uns des verbes formés à partir de noms, « spiraliser », « bestioler », « s’écriturer », « léprosité », « s’énigmer ». On reconnaît par ailleurs une ponctuation propre de livre en livre à l’auteure, les « : », souvent mais pas seulement, pour mettre en vedette un élément, par exemple dans : « L’espace à nouveau : rétréci ».
Ce qui occupait une partie du récit, l’action de Bestiole, disparaît, en effet Bestiole s’endort et l’on pourrait penser que le lien ainsi formé entre les deux personnages le ferait sortir de leur solitude, il n’en est rien. La joie naît bien des souffles partagés sans pour autant que la peur disparaisse et, après ce temps de partage, Bestiole « saccage au point de / non retour », parce que, quoi que fasse Pupille, « il n’y a pas de mot »., et de son côté Deuxième Homme ne sait que pleurer. Alors que le narrateur écrivait « La fiction est ouverte », il annonce maintenant « La fiction se resserre » : le Fou et Deuxième Homme se confondent et la voix de Pupille n’est pas pour l’échange : « Pupille hurle / hurle / hurle / jusqu’à ne plus s’entendre » et, un peu plus tard, oublie le Fou et Deuxième Homme.
Ce récit de l’extrême difficulté de se construire, de vivre une relation (de parole d’abord) avec l’Autre, s’achève sur une autre fiction possible, de deux manières. D’abord,
Pupille cherche
comment aimer comment
aimer mourir d’aimer...
Ensuite, cette fiction à venir est clairement annoncée dans les deux derniers vers, « Elle sait : écrire reste inachevé ». C’est une des constantes des récits d’Édith Azam, il lui est nécessaire, chaque fois, de recommencer à les écrire — autrement. Édith Azam, Bestiole moi Pupille, la tête à l’envers, 2020, 16 €. Cette note de lecture a été publiée par Sitaudis le 28 septembre 2020.
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05/10/2020
Jacques Roubaud, Les animaux de tout le monde
Le lézard
Le lézard est sur son mur
comme sur une grande plaine
il regarde le mur d’azur
où le soleil rouge peine
C’est drôle, dit le lézard,
comme le soleil s’obstine
à se chauffer l’hémoglobine
moi je suis froid et j’en suis fier.
Lézards gris et lézards verts
n’ayons donc pas d’inquiétude
mais pour ne pas mourir de faim
Guettons la mouche ingénue
de notre œil oblique et malin l
lézards gris et lézards verts !
Jacques Roubaud, Les animaux de tout
le monde, Seghers, 1990, p. 13.
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04/10/2020
Jacques Roubaud, Les animaux de personne
Le Coati Sociable
Dans la cordillère des Andes
Au fond des grandes forêts
Vont les Coatis en bandes
En grognant dans les fourrés
Ils grognent ils grognent ils grognent
Sans jamais se séparer
Ils grognent ils grognent ils grognent
Pleins de sociabilité.
On entend jusqu’en Islande
On entend jusqu’en Corée,
Zélande, Nouvelle-Zélande,
Hollande, Courlande, Irlande,
Ostende, Mende, Marmande,
Tende, Villesséquelande,
Samarkand, Chamarande,
Jutland, Betchouanaland,
Jusqu’au département des Landes,
Du fond des grandes forêts
De la cordillère des Andes
Les grands Coatis grogner.
Ils grognent ils grognent ils grognent
Sans jamais se séparer
Ils grognent ils grognent ils grognent
Pleins de sociabilité.
Jacques Roubaud, Les animaux de
personne, Seghers, 1991, p. 52.
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03/10/2020
Jacques Roubaud, C
1994
Il n’y a pas de ciel
pas d’yeux
pas de voix
rien qu’une lampe
une lampe dont la lumière
s’écoule
et ne reviendra pas
même si elle semble
posée
en permanence
sur la photographie au mur
sur les livres
en l’absence de ciel
d’yeux
et de voix
Jacques Roubaud, C, NOUS,
2015, p. 308.
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02/10/2020
Jacques Roubaud, Octogone
Les objets
Les objets appartiennent à plusieurs espaces
À la géométrie différente
À la métrique différente
Plusieurs espaces qui se chevauchent
S’interpénètrent
Se recouvrent, se contredisent, se combattent
D’où cet air provisoire qu’a le monde
Comme s’excusant
Jacques Roubaud, Octogone, Gallimard, 2014, p. 283.
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01/10/2020
Jacques Roubaud, La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains
Rue Jonas
La rue Jonas
« Personnage biblique »
Croisse la rue Samson
Au sein de laquelle un jardinet cultive
Des dahlias
(d’après Dahl, botaniste danois)
« Dahli-as, dahli-as
Que Dalila li-a »
(Max
Jacob)
Me dis-je
Passant par là
(Il y a une rue Max-Jacob près de la Poterne-de-Peupliers
Mais de la rue Dahl nulle
part)
Jacques Roubaud, La forme d’une ville change plus vite,
hélas, que le cœur des humains, Poésie/Gallimard,
1999, p. 74.
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30/09/2020
Philippe Jaccottet, Cahier de verdure
Orvet vif comme un filet d’eau,
plus vite dérobé qu’œillade,
orvet des lèvres fraîches.
Toutes ces bêtes
ou esprits invisibles
parce qu’on se rapproche de l’obscur.
Philippe Jaccottet, Cahier de verdure, dans
Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,
2014, p. 764.
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29/09/2020
Philippe Jaccottet, Airs
Monde
Poids des pierres, des pensées.
Songes et montagnes
n’ont pas même balance
Nous habitons encore un autre monde
Peut-être l’intervalle
Fleurs couleur bleue
bouches endormies
sommeil des profondeurs
Vous pervenches en foule
parlant d’absence au passant
Sérénité
L’ombre qui est dans la lumière
pareille à une fumée bleue
Philippe Jaccottet, Airs, dans Œuvres,
Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,
2014, p. 438.
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28/09/2020
Laurent Albarracin, l'herbier lunatique : recension
Quoi de plus naturel, de plus proche de la nature qu’un herbier, même quand il est lunatique et que, fantasque, il n’obéit pas tout à fait aux règles de confection classiques ? Celui de Laurent Albarracin réunit peu de plantes et fait la part belle à la pierre, à l’eau, à l’oiseau, au vent, au feu mais l’on y trouve aussi, entre autres choses, une clef, une chaise — et la lune. Les poèmes de L. A. visent toujours à écrire à propos des choses qui nous entourent, ce qui, trop évident, échappe au regard, mais aussi selon l’idée que cette « quête » de connaissance n’a pas « D’autre conclusion que celle qui consiste / À recommencer. »1 Ce recommencement n’est en rien répétition ; selon la manière dont une chose est regardée elle apparaîtra autre, d’où les variations autour de la pierre, par exemple quand elle est en contact avec l’eau. Quand Ponge écrit : « Sorti du liquide, il (le caillou) sèche aussitôt. C’est-à-dire que malgré les monstrueux efforts auxquels il a été soumis, la trace liquide ne peut demeurer à sa surface : il la dissipe sans aucun effort », L. A. ramasse l’observation :
Mouille un caillou
assombris-le
et son éclat sèche aussitôt
comme un peu de brume lui venant
Ce n’est évidemment pas simple observation ; s’il s’agissait simplement de noter ce qui est vu — ce qui est une voie suivie par des poètes aujourd’hui —, y aurait-il ajout au monde ? le poème peut donner à voir ce que seule une relation établie entre réel et imaginaire peut saisir, ainsi l’image de la pierre retirée de l’eau, « luit vivante et morte. / On aurait donc arraché / un cœur à ses battements ? »
La chose la plus commune peut devenir source d’évocations variées, très éloignées de la chose, c’est pourquoi la relation de la pierre et de l’eau peut être inattendue et prendre un caractère inquiétant, « Jette une pierre dans le lac / pour éveiller son gouffre ». À côté d’une notation qui rappelle qu’ajouter de l’eau au ruisseau ne change pas son cours — on se souvient d’Apollinaire —l’image de la goutte d’eau qui tombe en accélérant son mouvement entraîne deux comparaisons ; la première où le verbe s’entend à la fois pour "devenir mûr" et "méditer", « comme un fruit mûrit / longuement sa chute » ; la seconde s’éloigne de l’image de départ (le passage de la lenteur à la vitesse) avec un propos sur la vie, « et comme la vie prépare / l’impromptu », impromptu alors s’opposant à longuement.
Ce jeu dans la langue est constant dans cet Herbier lunatique ; ce qui est donné à voir n’est pas que dans le réel, certes la pierre brisée ne change pas, elle reste pierre, et la bouteille qui se vide peut évoquer le bruit d’un poisson qui respire, mais les éléments d’une réalité observable sont parfois inversés et sortent alors le lecteur de toute réalité ; ainsi, au fait que le vent agite les feuilles des arbres est substituée l’image de feuilles qui déchirent le vent — et qui aurait soupçonné que la chaise devant le paysage « attend », tout comme
La fenêtre pose
devant le paysage
qu’il reste encore
à l’ouvrir
Ces deux exemples, parmi d’autres, indiquent clairement que Laurent Albarracin est loin d’être dans le sillage d’un "parti pris des choses" — on pense dans ces exemples à certaines chaises de Magritte et à des fenêtres de Bonnard. On lira donc de courts poèmes dont la simplicité apparente ouvre sur l’imaginaire, « L’herbe qui pousse / entre ce qui n’existe pas / le démolit » ou, pour rester avec l’herbe, « La touffe d’herbe / oriente l’univers / dans le sens / de la touffe d’herbe ». Ou les mâts en mouvement dans le port inventent le bruit du lointain qui veut repartir...
Ce sont ces multiples jeux dans la langue qui construisent le monde de L’herbier lunatique et, constamment, le rythme des poèmes. Ici, dans la relation de la pierre et de l’eau s’établit l’opposition entre « opaque » et « clarté », ce dernier mot proche par anagramme partielle de « éclat » ; dans le même poème on lit le passage de « durcissement » à « dur », puis « durée ». Là, « exact » entraîne « exsude » et « prune », avec une lettre de plus, « pruine ». Si la teinte de l’eau est proche de celle du fer, le passage de « teinte » à « tintement » — le tintement d’une épée — s’impose, tout comme le vol des corneilles ne peut que « corner » le ciel qui devient une page. Un dernier exemple, qui a la concision d’un haïku2, où à l’allitération (/p/) s’ajoute la double signification des mots (quartiers, quartiers d’été) :
Pomme pourrie
prend ses quartiers
d’avoir été
Il y a comme une impossibilité de fixer un sens ; aucune chose, même quand elle paraît de prime abord "simple" à regarder, ne peut être une fois pour toutes mise en mots. On compte dans le livre plusieurs poèmes autour de la pierre, de l’eau, mais la pierre, l’eau restent cependant opaques ; le « secret enfoui tout au fond des choses », « Plus nous nous en approchons et plus il se met / À ressembler à son approche tremblante »1. Tout est toujours à recommencer, c’est là peut-être qu’est la poésie.
1 Laurent Albarracin, Res Rerum, (Arfuyen, 2018).
2 Laurent Albarracin a publié un recueil de haïkus, Plein vent (Mainard, 2017).
Laurent Albarracin, L’herbier lunatique, Rougerie, 2020, 64 p., 12 €. Cette note de lecture a été publiée par Sitaudis le 25 août 2020.
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27/09/2020
Julien Bosc, Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa
La mer
Immense large d’huile âtre
À l’infini scintillante d’adamantines constellations déchues
Ainsi la découvrit-elle au réveil
Ramenant sur elle le plaid sable dont la marée l’avait dévêtue à son insu
Mais
Sans affecter ses fleurs ni leur tige
(Ainsi
Si n’eût été son effroi
Non le vent mais la marée bel et bien)
Julien Bosc, Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa,
La tête à l’envers, 2018, p. 40.
Photo Tristan Hordé, novembre 2017
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26/09/2020
Julien Bosc, Le verso des miroirs
je sortis à l’heure des chouettes et cortèges
où une lune orange tout à portée de main
à moi sans lieu un chien mourant ouvrit un chemin vers des rives
et s’étende à mes côtés sur des racines émergées
témoins savants des cécités et des noyades
à l’aube
contre la dépouille du chien
un jeune cheval couvert de gui
or sur le tain étoilé deux nénuphars éclos
l’un blanc l’autre diaphane
Julien Bosc, Le verso des miroirs, Atelier de
Villemonge, 2018, p. 5.
Photo Chantal Tanet, août 2017
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25/09/2020
Julien Bosc, Je n'ai pas le droit d'en parler
Les mascarets crevèrent les brise-lames et les digues. Le vent laissa les bois chablis jusque par-delà la brande des contreforts.
Mais les champs où faucher le seigle et le blé ? Mais la retraite où fraser le doute et la douleur ?
Des entrelacs de ronces et de genêts ; un amas de lauzes et de pierres.
Et la route ?
Un puits.
Et le chemin ?
Une rigole.
Et la sente qui n’allait nulle part, n’en finissait jamais de revenir au même point ?
Une faille désormais.
Julien Bosc, Je n’ai pas le droit d’en parler, Atelier La Feugraie, 2008, p. 31.
Photo Tristan Hordé, août 2017
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24/09/2020
Julien Bosc, Le coucou chante contre mon cœur
En hommage à Julien Bosc, disparu le 23 septembre 2018
Tout fut oublié
Tout fut à réapprendre
S’endormir se réveiller
Se lever marcher
Boire mâcher
Semer récolter engranger
Lutter contre le froid
Inventer l’ombre
Recréer une langue
L’apprendre l’écrire
S’y perdre et en revenir
Les silhouettes rescapées s’extirpèrent du brouillard
Parler épousa l’innommable
Tout fut tenté pour dire
Rien ou peu fut entendu
Puis tout fut tu
Tué une seconde fois
Les années passèrent
Des voix se levèrent
Il fallait témoigner
Outre les chiens les mots avaient enfin trouvé leur voie
Julien Bosc, Le coucou chante contre mon cœur,
Le Réalgar, 2020, p. 15.
Photo Tristan Hordé, novembre 2017
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23/09/2020
Jacques Réda, Retour au calme
La boulangerie
Souvent assez tard en hiver cette boulangerie
En face reste ouverte, et l’on peut voir le pain
Nimber d’or les cheveux frisés de la boulangère
Qui, bien qu’à tant d’égards ordinaire, nourrit
Des desseins obliques de femme et s’ennuie. Et parfois
La boutique à cette heure est vide ; elle ne brille
Qu’à la gloire exclusive du pain.
Il suffit bien je crois de sa lumière au coin
De la rue assez tard en hiver pour que l’on remercie.
Jacques Réda, Retour au calme, Gallimard, 1989, p. 92.
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