13/01/2021
Peter Altenberg, Esquisses viennoises
[...] La plupart du temps cela donne : « Savez-vous ce que dit le célèbre - - - ? » ». Mais personne au monde ne connaît ce nom-là. Et d’ailleurs personne n’est curieux de savoir ce qu’a dit le célèbre - - - , de toute façon ce serait quelque chose d’irritant, dicté par d’autres points de vue.
La mère considérait ces citations, que le père prenait dans la Revue, comme une mauvaise habitude, comme renifler ou pire encore - - - ». Le fils, lui, pensait : « Derniers mouvements d’ailes d’un vieil oiseau fatigué, laisse donc faire - - - . Serais-tu le comte Mirabeau ?! »
« La soupe est comme elle est - - - » pensait la mère. Elle coûte assez cher et la génération précédente se portait bien. Je ne vois pas le résultat de toutes vos histoires. Maintenant vous êtes obligés d’aller tous les ans chez le dentiste - - - . Une soupe doit être chaude - - - » .
Il y eut ensuite le filet avec différents légumes, masse blanche peu appétissante, du chou-fleur, une sorte de purée glauque, de petites carottes tendres, pointues et rougeâtres, et des pommes de terre râpées à la machine et bien dorées. Le tout ressemblait à un parterre de fleurs.
Peter Altenberg, Esquisses viennoises, traduction Miguel Couffon, Pandora / Textes, 1982, p. 119.
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12/01/2021
Sandra Moussempès, Vestiges de fillette
Reflet 1
Lèvres dévastées, le rouge vif déborde, les yeux sans fin au contour aguicheur, elle s’accroupit (pagne mauve lèvres offertes tee-shirt près du corps), regarde au loin, les traces noires autour des yeux, sourcils maladroitement repeints de la main d’une enfant, la lumière opaque, moue d’une fillette, rayons roses sur le corps, secret de la paille autour de ses cuisses refermées, elle s’imagine de l’autre côté du miroir.
Reflet 2
Les draps noirs sur les seins, dessein caché de l’autre monde. La dentelle d’une bretelle soutient la gorge dorée, dorure éternelle, les cheveux blonds, délavés par temps orageux, embroussaillés, sa bouche enflammée, le rouge dévie, regard docile presque doux (les pleurs ou le discours indicible d’une nuit blanche) elle tient au cœur du corps le drap froissé, elle, blonde à gémir, l’œil glauque et langoureux, désir tiède de l’autre corps, luxure des lumières, l’éclat de sa peau, en plein jour, émaillée.
Sandra Moussempès, Vestiges de fillette, Poésie / Flammarion, 1997, p. 103-104.
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11/01/2021
Marina Tsvétaïéva, Le ciel brûle
Tu m’aimas dans la fausseté
Du vrai — dans le droit au mensonge,
Tu m’aimas — plus loin : c’eût été
Nulle part ! Au-delà ! Hors songe !
Tu m’aimas longtemps et bien plus
Que le temps. — La main haut jetée ! —
Désormais :
-
-
-
-
-
-
- Tu ne m’aimes plus ! —
-
-
-
-
-
C’est en cinq mots la vérité.
12 décembre 1923
Marina Tsvétaïéva, Le ciel brûle, suivi de Tentative
de jalousie, traduction Pierre Léon et Ève Malleret,
Poésie / Gallimard,1999, p.119.
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10/01/2021
Jehan Rictus, Les Soliloques du pauvre : recension
Le lecteur dispose aujourd’hui d’une édition complète des poésies de Jehan Rictus, de son autobiographie et même de son journal pour 1898 et 1899*, mais le 555ème volume de la collection Poésie de Gallimard est bienvenu, il rassemble ses deux principaux livres. Leur contenu donne une idée précise de ce qu’était une partie des textes lus dans les cabarets à la fin du XIXème siècle ; en outre, le rejet total du capitalisme par l’auteur peut rencontrer aujourd’hui bien des échos.
Avant d’entrer dans Les Soliloques du pauvre, il est bon de lire la préface et la notice biographique de l’éditrice du volume pour situer Jehan Rictus dans son temps. Jehan Rictus (1867-1933), né Gabriel Randon, choisit tardivement son pseudonyme, sans doute lié à un vers de Villon (« Je ris en pleurs ») mais peut-être, selon Patrice Delbourg, anagramme approximative de "Jésus Christ". Élevé par sa mère, battu et humilié, il file à Paris à dix-huit ans, écrit des poèmes, fréquente la bohème et connaît la misère, celle qui sera plus tard au centre de ses écrits ; il est remarqué et encouragé par José de Hérédia, Albert Samain et protégé par Leconte de Lisle. Il fréquente les anarchistes, abandonne le vers parnassien pour une forme bien présente dans les années 1880, celle du monologue en vers à dire dans les cabarets. Les poèmes sont alors en vers (l’octosyllabe domine) comptés et rimés ; ils tentent de restituer un parler paysan, avec des mots en patois, comme chez Gaston Couté (« Bon Guieu ! la sal’ commune ! À c’souère, / Persounne a voulu m’ar’cevouèr / Pou’ que j’me gîte et que j’me cache / Dans la paille, à couté d’ses vaches »). Plus souvent, c’est le parler parisien qui est le modèle à imiter, comme par exemple dans les poèmes d’Aristide Bruant, « Moi, je n’sais pas si j’suis d’Grenelle / De Montmartre ou de la Chapelle, / D’ici, d’ailleurs ou de là-bas / Mais j’sais ben qu’la foule accourue, / Un matin m’a trouvé su’ l’tas / Dans la rue » ("Dans la rue").
Jehan Rictus pratique de façon beaucoup plus systématique l’élision pour mieux traduire une manière de s’exprimer qu’il a bien connue. Le début du Soliloque du pauvre réunit à peu de choses près les transformations opérées. Le e disparaît souvent, y compris à l’intérieur d’un mot (« lanc’ments ») et entraîne aussi celle du r, du l en finale (« mett’, peint’s, muff’ »). Sans entrer dans le détail linguistique des modifications, on peut en énumérer quelques-unes qui indiquent que Jehan Rictus a transcrit fidèlement le parler du milieu ouvrier parisien tel que les études de la dernière partie du XIXème siècle en donnent l’image : ceux devient « ceuss », ou = « ousque », métier = « méquier », tiens = « quien », le monde = « eul monde », manière = « magnièr’ », une = « eune », plus = « pus », les employés = « les empoyés », millions = « meillons », il y a un = gna z’un », je vais = « j’vas » , etc. Le vocabulaire emprunte à ce que l’on désigne toujours par "français populaire", une partie des mots relevés est sortie de l’usage (« purotain » = miséreux, « se faire balader les rognons »), contrairement à la plupart d’entre eux, comme « carapater, gambiller, bath, mendigot, vieux birbe, bouffer, dèche, briffer, plaquer, claquer, foutre », etc. Pour Jehan Rictus, cette restitution d’une langue parlée est en accord avec les contenus quand on se veut, comme l’écrit Patrice Delbourg, « le chantre des vaincus, des trahis, des réprouvés, des sans-espoir » — cela ne l’empêchait pas d’employer des mots étrangers au vocabulaire commun ou d’introduire des allusions à la bible hébraïque.
Jehan Rictus est résolument du côté des miséreux, des sans-dents (comme disait l’autre énarque), non pour gagner de l’argent comme, par exemple, Victor Hugo (« Nous avons not’ Victor Hugo / Qui a tiré des mendigots / D’quoi caser sa progéniture »), ni pour se faire élire puisque, pour être populaire, « l’moyen l’pus pratique / C’est d’chialer su’la Pauvreté ». Défendre les pauvres, c’était la mission qu’avait, selon Jehan Rictus, le Christ auquel il consacre un long monologue ("Le Revenant"), dit au cabaret du Chat noir et qui le fit sortir de la misère. Le Christ, donc, revient, accomplissant le vœu du narrateur qui le rencontre un soir dans la rue ; image traditionnelle, il est pâle et triste : « T’as tout à fait l’air d’un artiste ! / D’un d’ces poireaux qui font des vers » ; après avoir constaté avec lui qu’il n’intéressait plus personne, le narrateur lui propose un travail, aux Halles, et Jehan Rictus aborde l’une des questions politiques des années 1890, l’antisémitisme : où le Christ peut-il aller ? « N’va pas chez Drumond on t’bouffrait / Après tout tu n’étais qu’un youtre ! » Il rappelle que le Christ promettait le « Royaume des cieux » aux pauvres, mais : « C’est avec ça qu’on nous empaume », et il conclut « L’Homme doit êt’ son Maître et son Dieu ».
Il y a un radicalisme chez Jehan Rictus qui s’exprime notamment dans une lettre à Léon Bloy dans laquelle il dénonce le sort des ouvriers avec le capitalisme : « Tout vaut mieux, même le retour à la barbarie, à la caverne primitive, qu’une pareille organisation sociale ». Il rêve sans illusion d'ouvrir un lieu, une « Maison des Pauvres », « pour les vaincus... les écrasés, / Les sans espoir... les sans baisers ». Le Cœur populaire, écrit « en langue populaire », rassemble les poèmes écrits entre 1900 et 1913 et s’ouvre, significativement, par une "Idylle" : la déclaration d’amour (« Mom’, c’que t’es chouatt’ ! Mom’, c’que t’es belle ! ») est suivie d’un tableau de la vie possible du couple qui exclut que la femme soit poussée à se prostituer, « Jamais je n’te mettrai su’ l’tas ». Ce n’est pas le seul poème qui défend la dignité de la femme pauvre ; "La grande Irma", un des poèmes écrit sans élision, est une adresse d’un homme à sa mère qui s’est prostituée pour qu’il puisse faire ses études et il promet un engagement, « Désormais j’aurai ma chimère / et rêverai d’une Patrie /où la Femme ne sera plus / traquée, vendue, forcée, flétrie, / à l’abri de nos trois couleurs ». Parmi d’autres poèmes, "Conseils" a une valeur particulière puisqu’il s’agit d’inciter les ouvriers à gagner eux aussi leur dignité, d’abord par la propreté, l’hygiène, pour refuser une image répandue, y compris en effet dans les romans de Zola.
La veine de Jehan Rictus s’est tarie après la première Guerre mondiale, cependant ses poèmes rageurs, à l’écart de tout engagement politique — le"ni dieu ni maître" de l’anarchisme — , témoignent d’une époque, les années 1880-1890, où la violence de l’État s’exerçait contre le monde ouvrier bien plus qu’aujourd’hui — faut-il rappeler la fusillade de Fourmies (dix morts) contre ceux qui réclamaient pacifiquement la journée de huit heures ?
La lecture de Jehan Rictus est ici facilitée par un glossaire qui ne laisse rien passer. L’éditrice a ajouté une bibliographie et des poèmes absents de l’édition qu’elle a retenue : un travail rigoureux, complété par la préface toute de sympathie de Patrice Delbourg.
Jehan Rictus, Les Soliloques du pauvre, suivi de Le Cœur populaire, édition Nathalie Vincent-Munnia, préface Patrice Delbourg, Poésie/Gallimard, 2020, 402p., 9, 50 €. Cette recension a été publiée par Sitaudis le 2 décembre 2020.
* Poésies complètes, La Part commune, 2012 ; Fil de fer [autobiographie], La Part commune, 2011 ; Journal quotidien 1898-1899, Claire Paulhan, 2015.
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09/01/2021
Raymond Queneau, Fendre les flots
La moule de l’estuaire
Collée au pilotis sapeur sachant saper
se balançant aux sons de l’orchestre tzigane
la bestiole paisible aime la société
les remous de la mer et le contact des algues
et la caresse des vagues inextinguibles
elle dort bien tranquille étant incomestible
longtemps longtemps longtemps elle pourra bercer
sa placide nature au flonflons des violons
Raymond Queneau, Fendre les flots, Gallimard,
1969, p. 116.
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08/01/2021
Raymond Queneau, Battre la campagne
Le citadin aux champs
Abuser du temps qui passe
soustraire l’air d’une souris
piocher dans le beurre en motte
atteindre l’eau d’un coup de scie
piétiner l’or de la crotte
étreindre le blé sans épis
insulter mouche qui trotte
sermonner les poux des brebis
abuser du temps qui passe
voilà tout ce qu’à la campagne
fait le monsieur de Paris
Raymond Queneau, Battre la campagne,
Gallimard, 1968, p. 67.
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07/01/2021
Raymond Queneau, Courir les rues
Tous les parfums de l’Arabie
Il y avait un passage Waterloo
on l’a démoli
c’est qu’on est patriote à Paris
alors pourquoi une rue Jules César
l‘ennemi juré des Gaulois
ces ancêtres
elle se musse non loin de la gare de Lyon
et quel air banal
soudain cette odeur
plantes aromates épices tropiques
effluves fragrances botaniques
garrigues de Provence jardins d’Ispahan
je fonce et flaire
le CPM fondé en 1901 m’attire
le CPM c’est-à-dire
l’omptoir harmaceutique oderne
mais non ce n’est pas là
je fonce et flaire et découvre
Les Bons Producteurs
vente en gros
herboristeries de toute provenance
Les Bons Producteurs
ont la bonne odeur
mais elle ne va pas plus loin que le boulevard de la Bastille
en face de l’autre côté du canal
s’assirent sur un banc Bouvard et Pécuchet
comme il faisait une chaleur de trente-trois degrés
Raymond Queneau, Courir les rues, Gallimard, 1967, p. 155-156.
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06/01/2021
Bernard Noël, L'été langue morte
L’été langue morte
Chant I
le monde n’est pas fini
et quand le vent se ève
notre visage est différent
l’amour défait l’amour
pour devenir plus que lui-même
qui va mourir
sait que la beauté est inexorable
je regarde ton souffle
tu t’évapores
l’obscur du temps est un ongle
derrière l’œil
il faudrait tenir sa langue
jusqu’au commencement du monde
la lumière est terrible
la mer ressasse
tu cherches un point parmi le jour
le présent est sans but
sans contour
et le sommet des pierres
ne connaît pas leur ombre
(...)
Bernard Noël, L’été langue morte, dans
Les Plumes d’Éros, Œuvres I, P.O.L, 2010, p. 87.
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05/01/2021
Pierre Reverdy, Sable mouvant
Clair mystère
Par-dessus le portique où s’enroule la treille et ou chante l’oiseau — À la fenêtre où se dressent une tête et un buste immobile. Derrière le mur qui penche et l’air qui s’éblouit, un œil à demi clos qui attend le signal.
Pierre Reverdy, Sable mouvant, Poésie / Gallimard, 2003, p. 62.
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04/01/2021
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Prononcer vingt-cinq aphorismes par jour et ajouter à chacun d’eux : « Tout est là ! »
La mélancolie soudaine de celui à qui l’on dit : « Vous savez que je pars en voyage ? »
Les enfants devraient être des apparitions facultatives.
J’aime lire comme une poule boit, en relevant fréquemment la tête pour faire couler.
Si vous pensez du bien de moi il faut le dire le plus vite possible, parce que, vous savez, ça se passera.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 202, 203, 203, 205, 206.
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03/01/2021
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Il a chassé le naturel : le naturel n’est pas revenu.
Soyez tranquilles ! nous qui avons peur de la mort, nus mettrons toute notre coquetterie à bien mourir.
Vivre et juger sa vie : quel est l’homme capable des deux ?
Il n’y a pas d’amis : il y a des moments d’amitié.
À sa pièce, on lui serra la main comme pour l’enterrement d’un être cher.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 195, 196, 196, 197,198.
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02/01/2021
Georges Lambrichs (1917-1992), Les Rapports absolus
C’est le geste qui coûte
Une grande froideur fait le jeu de l’histoire, notre destin s’y trouve mêlé et, hâtivement, nous adoptons par mimétisme, un souci logique, vulgaire, bien étranger à notre être qui est composé de fluides et d’humeurs. Je n’en veux, ici, ni à la morale, ni à l’immoralisme tapageur (dont on a pu voir les éclats déjà anciens, divulgués, les réussites esthétiques). Je dis seulement que l’être, notre nature, ne répondent pas à la parole, aux commandements graves, et que l’usage de la parole qui est essentiellement calculateur et médiateur ne véhicule pas la passion, mais qu’il la cogne. Si la vérité est un sens, la passion doit être mise en théorie, et le malheur est donné par surcroît.
(...)
Georges Lambrichs, Les Rapports absolus, collection Métamorphoses, Gallimard, 1949, p. 53.
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01/01/2021
Wislawa Szymborska (1923-2012), De la mort sans exagérer
Photo Anna Kaczmarz
Buffo
D’abord notre amour passera,
puis un siècle, un autre siècle,
puis, nous serons réunis :
comédienne et comédien,
favoris du grand public,
au théâtre on nous jouera.
Petite farce avec couplets :
quelques danses, éclats de rire,
Bien saisies, les mœurs de l’époque,
sous vos applaudissements.
Tu seras irrésistible
sur scène, avec ta cravate
et tes crises de jalousie.
Ma tête toute retournée,
ma tête, mon cœur couronnés,
cœur stupide qui se brise,
couronne qui roule par terre.
Nous quitterons, nous retrouverons,
toute la salle rire nous ferons,
sept rivières, sept montagnes
entre nous érigerons.
Comme si nous n’avions pas assez
de douleurs, et de défaites
— de paroles nous achèverons.
À la fin nous saluerons
et la farce sera finie.
Et les gens iront dormir
contents d’avoir bien ri.
Eux, vivront comme des images,
dompteront l’amour. Le tigre
dans la main leur mangera.
Et nous toujours Dieu sait quoi,
bouffons de clochettes coiffés,
écoutant d’oreille barbare
leur tintamarre.
Wislawa Szymborska, De la mort sans exagérer,
Poèmes 1957-2009, traduction du polonais
Piotr Kaminski, Poésie/Gallimard, 2018, p. 13-14.
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31/12/2020
Vladimir Pozner, Un pays de barbelés : recension
La guerre d’Espagne et la défaite de la République espagnole ont suscité une abondante bibliographie : essais, témoignages, œuvres de fiction ; moins de livres portent sur l’exil des républicains (la Retirada) en France qui a suivi la guerre et, surtout, sur leur enfermement dans des camps — d’abord nommés "camp de concentration", puis "d’hébergement", "d’accueil", enfin "camp" — par un gouvernement du Front populaire débordé et qui craignait la diffusion d’idées considérées "dangereuses". Un pays de barbelés est un document sur ces camps ; la préface présente Vladimir Pozner et précise quel a été son rôle avant de donner à lire ses archives.
Il est en effet indispensable de disposer du contexte pour comprendre ce que furent les camps de réfugiés. Vladimir Pozner (1905-1992), né à Paris de parents qui avaient fui la Russie tsariste, était cependant retourné à Moscou et avait connu la Révolution de 1917 ; poète, il a alors fréquenté le milieu littéraire russe et, de retour à Paris dans les années 1920, il a traduit par exemple Victor Chklovski. Devenu journaliste et écrivain, il a publié dans les revues littéraires de l’entre-deux guerres et dans la presse de gauche ; après l’accession de Hitler au pouvoir, il a aidé les réfugiés antifascistes allemands au sein de l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires, proche du Parti communiste fondée en 1932 et dirigée par Paul Vaillant-Couturier ; il est devenu secrétaire de rédaction de Commune, revue de l’association.
C’est en février 1939 qu’un Comité d’accueil aux intellectuels espagnols est formé, présidé par Renaud de Jouvenel ; Aragon, par le biais du journal communiste Ce soir, qu’il dirige avec Jean Richard-Bloch, a lancé un appel international aux dons après avoir constaté l’état de dénuement des réfugiés dans les camps : l’argent était indispensable puisqu’un réfugié ne pouvait sortir d’un camp qu’avec un « permis spécial » payé 2000 francs. Jean Cassou écrivait dans Ce soir le 20 juin 1939, « En aidant les intellectuels espagnols à vivre, c’est nous-mêmes que nous défendons, c’est le meilleur de notre histoire que nous réhabilitons » — allusion transparente au fait que le gouvernement français n’avait rien fait contre l’attaque de la République espagnole par l’armée franquiste et que, selon les mots de Pozner, il n’offrait aux réfugiés qu’ « un morceau de sol français entouré de barbelés français ».
Vladimir Pozner est arrivé à Perpignan le 23 mars 1939, chargé par le Comité d’accueil de visiter les camps pour tenter d’en faire sortir des intellectuels ; tâche difficile, les autorités n’étant que rarement prêtes à coopérer : Alexis Buffet rapporte dans la préface la diplomatie dont a su faire preuve Pozner. Il analyse également comment « Dans le sillage des Choses vues de Victor Hugo, les notes et descriptions de Pozner construisent une fiction d’instantanéité. Nerveuses, brutes de décoffrage, elles (...) révèlent la réalité des camps ».
Les documents réunis dans le livre sont de plusieurs types : lettre, article de journal, carnet de notes, rapport, photographie. Le premier ensemble est constitué de 16 cartes postales, chacune commentée par Pozner ; ne sont retenus dans les descriptions que quelques détails : bras dans le plâtre fixé avec du fil de fer, un rideau sur les épaules contre le froid, et pour un décor : « Une impasse, une cour, un bout de rue, de toute façon dehors » ; dans un camp sur la plage, des tentes faites de trous dans le sable recouverts de morceaux de bois et l’immense foule des réfugiés espagnols en face des officiers de la garde mobile. Ces brèves notations sont complétées par celles, le plus souvent elles aussi lapidaires, d’un "Carnet de notes" tenu de mars à mai 1939, base des rapports de Pozner sous forme de lettres à Renaud de Jouvenel, de ses articles dans la presse et, plus tard, de Espagne premier amour (1965).
Tout ce qui se rapporte aux réfugiés, observé au cours de ces deux mois, est relevé : de la discussion à propos de la prononciation du latin à la recherche d’un vacher parmi les réfugiés par un éleveur. Pozner voit des réfugiés menottés, il apprend qu’un jeune espagnol est frappé par un policier qui l’accuse d’avoir tué cinquante ( !) prêtres, il recopie les paroles d’une chanson écrite dans le camp de Saint-Cyprien, dont il reproduira dans un article deux strophes qu’il a traduites ; on y lit : « Que je serais heureux / Si je pouvais me reposer /Dans les bras de la France / Et de son Front populaire ». Il décrit ce qui précède le départ pour le Mexique d’un ensemble de réfugiés, l’entassement des femmes et des enfants dans les Haras de Perpignan dans la paille et les parasites, avec
les valises que les gardes mobiles fouilleront une fois de plus, une dernière fois, ces misérables valises en simili, en toile cirée, en papier mâché, ces nœuds de linge sale, de couvertures déchirées, cette chair à poubelles, articles pour chiffonniers, témoins de trois ans de guerre, de l’exode, des camps de concentration que les mobiles fouilleront une fois de plus — pour laisser aux partants un bon souvenir de la France.
Il rencontre dans un ancien hôpital militaire de Perpignan un réfugié menuisier qui passe son temps à réparer ce qui peut l’être avec pour outil un couteau de poche, il n’oublie pas le petit cahier avec des dessins et de courts textes politiques qui circule au camp de Barcarès, il présente le consul mexicain, Fernando Gamboa, dont l’amical Buen viaje, compañeros accompagne ceux qui rejoignent le navire vers le Mexique.
On retrouve l’essentiel des informations du "Carnet de notes" dans les trois rapports, sous forme de lettres, envoyés à son ami Renaud de Jouvenel. On lit aussi d’autres exemples de la violence manifestée vis-à-vis des réfugiés, un chef de cabinet de préfet assurant qu’ « ils sont bien à Bram [camp dans l’Aude], trop bien même, à mon avis, puisqu’ils ne veulent pas retourner en Espagne ». On comprend que Pozner doit être — et il l’est — fin diplomate pour obtenir ce qu’il veut, des listes d’intellectuels espagnols et la possibilité de les sortir des camps. L’indifférence, au mieux, quant au sort de réfugiés est partagée par une partie de la population, si l’on en juge par un article paru dans la presse locale après le déplacement d’un camp : « Les camps, les réfugiés, la troupe, la police donnaient beaucoup d’animation au Roussillon ». Dans le même texte inédit où il a recopié cet extrait, Pozner relate sa visite du camp de Montolieu et l’on devine sa rage quand il écrit : « [Les réfugiés] dormaient sur la paille, mangeaient des lentilles et, après avoir combattu les avions italiens et les tanks allemands, luttaient contre le plus impitoyable des ennemis, la vermine française. » `
Outre une substantielle bibliographie, plusieurs annexes prolongent les textes de Pozner : les plans de travail des réfugiés — enseignements dispensés, conférences, préparation pour le départ au Mexique —, le rapport de Jean Cassou (juin 39) qui insiste notamment sur le fait qu’ « il s’agit d’accueillir une armée vaincue qui s’est battue pour un idéal semblable à celui qu’a toujours défendu la nation française ». De nombreuses illustrations et fac-similés aident à se représenter des situations trop oubliées aujourd’hui. Tout le livre aide aussi à réfléchir sur le sort des immigrés d’aujourd’hui qui tentent de rejoindre ce qu’ils pensent être un lieu d’accueil.
Voilà un livre politique, c’est-à-dire qui concerne les citoyens, à lire et faire lire.
Vladimir Pozner, Un pays de barbelés, édition établie et préfacée par Alexis Buffet, éditions Claire Paulhan, 2020, 288 p., 33 €. Cette note de lecture a été publiée par Sitaudis le 27 novembre 2020.
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30/12/2020
Georges Perros, Poèmes bleus
Entre nous
Alors quoi de neuf cher ami ?
Ça va ça va ça va merci.
Et le prochain livre il s’annonce
Bien ? Non ? — Maizoui, maizoui, maizoui.
J’ai relu par temps clair, le tome
Premier de l’œuvre de cet homme,
Ah son nom dites-moi son nom
Ma mémoire est comme un poisson
Elle saute vole et replonge
Allez-y voir. Mais quand j’y songe
Vous écrivez. C’était fort bien
Votre article, oh pas moins que rien.
Vous donnez là votre mesure
On s’entend mieux quand on rassure
L’amour-propre de son prochain
À bientôt cher ami machin
Mais les noms vraiment je m’y perds
Bast rien ne sert à rien. J’espère
Que nous reverrons bientôt
Botzaris 22-cigalo...
La solitude est éphémère
Comme le coq de ce clocher
Elle s’en va s’en vient. Ma mère
Aurait dû me laisser plié
Dans son ventre. J’aurais poussé
Jusqu’à ne plus me reconnaître
Elle non plus. C’en est assez
Pour aujourd’hui. À d’main peut-être.
Gorges Perros, Poèmes bleus, Le Chemin /
Gallimard, 1962, p. 100-101.
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