06/07/2024
Paul de Roux, Entrevoir
Sueur d’agonie, sueur de l’étreinte
une cloison les sépare
ou une année dans la vie d’un homme
à un autre étage de la maison
la moiteur d’un enfant qui dort
avec un souffle égal contre l’oreiller
et voilà trois états physiologiques
analysables et bien répertoriés
et trois fragments du « réel »
qui m’étonnent toujours.
Paul de Roux, Entrevoir, Poésie/Gallimard,
2014, p. 63.
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27/04/2022
Philippe Blanchon, Suites peintes de Martin
les dieux meurent plus facilement que les hommes
venant les uns après les autres parmi les autres ou dans
la plus absolue des solitudes c’est égal
là où ne s’opposent l’air et le geste
matière engendrée du souffle et de la main
mille manières avant cette dernière
connue ce que peut la main en traçant
l’unicité d’un dessin que la couleur habite
ou non (un oui toujours en son agilité)
la poème de la main et du souffle en
gendré ne crée pas autre mystère — outre
Philippe Blanchon, Suites peintes de Martin,
La Lettre volée, 2015, p. 51.
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17/11/2021
Shakespeare, Sonnets
81
Soit je vivrai pour composer ton épitaphe,
Soit tu me survivras, moi pourrissant en terre,
La mort ne peut d’ici dérober ta mémoire,
Même quand je serai tout entier oublié
Ton nom grâce à mes vers aura vie immortelle,
Si je dois (disparu) mourir au monde entier,
La terre m’offrira une tombe ordinaire
Quand tu reposeras au fond des yeux des hommes.
Tu auras pour tombeau mes doux et nobles vers
Que reliront sans fin des yeux encore à naître
Et des langues à venir rediront ton être,
Quand tout ce qui respire au monde expireras ;
Toi tu vivras toujours (ma plume a cette force)
Où le souffle prend souffle, dans la bouche des hommes.
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes, traduction Jean-Michel Déprats, Pléiade/Gallimard, 2021, p. 409.
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22/12/2020
Danielle Collobert, Dire II
Corps là
noué
noué aux mots
l’étranglement du souffle
perte du sol
pendu
balancement à l’intérieur des mots – trouées –
vide
approche de la folie
peur continuelle de la fuite verticale
les mots en spirale fuyante – aspirée
sans prise
sans arrêt
tremblement
un cri
peur continuelle – absence de mots – gouffre
ouvert – descente – descente
mains accrochées au visage
toucher
corps là
résistance –
entendre encore le souffle – quelquepart
à l’instant savoir – souffle là
à l’écoute du bruit
affolement
tendu pour entendre
tendu pour résister
jusqu’à la limite – l’immobilité
sursaut
cassure
encore sombrer – descendre – ou aspiré au loin
– ou fatigue – désespoir
Danielle Collobert, Dire II, dans Œuvres I, P. O. L., 2004, p. 256-257.
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28/07/2020
Laurent Albarracin, L'herbier lunatique
Retirant la pierre de l’eau
elle luit vivante et morte
On aurait donc arraché
un cœur à ses battements.
Mouille un caillou
assombris-le
et son éclat sèche aussitôt
comme un peu de brume lui venant
Souffle sur la pierre
pour attendrir
ton souffle
En soupesant une pierre
sentir la pierre faire bloc avec son poids
faire pierre avec la pierre
On ne sépare pas le chacun
du tout
Tout l’opaque de la pierre
est le durcissement d’une clarté
tout le dur de la pierre
l’éclat de sa durée
Laurent Albarracin, L’herbier lunatique
Rougerie, 2020, p. 8, 9, 10, 11.
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19/09/2019
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu'île
Le vent
Du vent sur le village ! Stères des maisons qui branlent, et les flaques gelées des vitres craquent sous ses pas puissants. Tout est ébauche de fable, et moi de rares poèmes. Sous les yeux dessertis tourne le documentaire.
Comment être à ce nouveau monde
Arbre et tête de sang et vent et trous et vides et murmures, l’oreille bat sous le vent du sang.
Tête à tête bruissant, deux arbres hagards aux ocelles de vide, grands ossuaires aux mille orbites. Un souffle fait bruire les rets de dendrites.
Un souffle... il attise une parole.
Le vent, là-bas !
Un vent qui tente la racine, inventant à l’aveugle l’espace !
Passant le souffle érige les oreilles
Il plante au sol l’arbre de ma stupeur et va se ruer sous l’essieu de la nuit.
Michel Deguy, Poèmes de la Presqu’île, Gallimard, 1961, p. 18.
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08/06/2019
Bernard Noël, La Chute des temps
Sur un pli du temps
toujours le plus
aura manqué
la langue a touché
trop d’ombre
trop compté les lettres du nom
une fois
cent fois
mille fois
les mains
ont rebâti
la statue
des larmes
mot
tombé
d’un mot
l’être
a roussi
dans le souffle
quelle fin
la bouche
troue
un visage
l’ombre
gouverne
sous les yeux
une pierre
pousse
entre nous
(…)
Bernard Noël, dans
La Chute des temps,
Poésie/Gallimard,
1993, p. 225-226.
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26/01/2019
Bernard Vargaftig, Le monde le monde
L’horizon touche les herbes
À nouveau pas un nuage
Et tant de souffle qu’espère
L’écho dans l’emportement
Tout ressemblait à la suite
Amandiers hâte calanque
Après l’avoir oubliée
L’inclinaison et l’été
Comme étonné sous ton cri
Et pitié inavouable
Et parfum embrasé où
Aucun mot n’est épargné
L’éblouissement sans ombre
Ne se referme jamais
Bernard Vargaftig, Le monde le monde,
André Dimanche, 1994, p. 65.
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20/10/2018
Cécile A. Holdban, Toucher terre
Autour d’elle
Des images se retournent dans l’ombre
Si simple la nuit assise au fond du corps
d’être pur langage, vérité d’une origine
inscrite.
Sortilège du son
on achève l’orage dans le creux d’une oreille
des chevaux mortellement blessés se brisent
entraînent dans les tranchées l’infini galop des mots
la lumière creuse plus profond dans ce rêve
en perles sur la peau d’une rosée nocturne
le temps chaviré du poème parmi
les interstices de la foudre.
Mais balbutiant il faudra tout reprendre
de la gorge au souffle, resserrer le jour et sa robe trop courte
comme un vêtement d’amour
sur les restes en pièces de la nuit.
Quelque chose tombait dans le silence. Un son de mon corps. Mon dernier mot fut je mais je parlais de l’aube lumineuse.(Alejandra Pizarnik)
Cécile A. Holdban, Toucher terre, Arfuyen, 2018, p. 44.
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20/07/2018
Emmanuel Godo, Je n'ai jamais voyagé
Les fables de nourrice racontaient votre amour
Quand il n’existait déjà plus
Tu ne sais pas si tu peux marcher encore
Mais tu veux vivre
Les écluses de la nuit sont rouvertes
Ton ventre se soulève doucement
La tristesse est là qui bat la mesure du temps
Le cœur déraciné de son feu
Lève sa dernière lumière à la face de la mort
Tu n’es pas comme l’animal au bord de la vie
Tu es l’animal au bord de la vie
Un souffle te fait regarder de tous tes yeux
Des yeux à la surface des mots
Est-ce le même souffle qui te fera disparaître
Qui t’emportera dans la calme immobilité des choses ?
Le nombre de fois où un paysage
Sans te prévenir t’a pris par la main
Mais quel visage a ta joie ?
Emmanuel Godo, Je n’ai jamais voyagé, Gallimard,
2018, p. 70.
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06/07/2018
Raluca Maria Hanea, Retirements
Sous la pluie les hommes continuèrent à grimper,puis se figèrent.
Leurs dos de pierre ont fini d’achever la montagne.
Leur apparition restera notre plus longue étreinte.
paroi osseuse plantée devant le vide
l’obturateur en marge
extrémités prises
la pellicule s’est refermée
le souffle en couronne
sans excès d’espace
nervures cordes rentrées
les doigts rêches, le matin les yeux encore un peu salés
pour que toute la poussière leur revienne, toute la cendre
Raluca Maria Hanea, Retirements, éditions Unes, 2018, p. 63.
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07/02/2018
Leslie Harrison, Pantoum pour une marche dans les bois
PANTOUM POUR UNE MARCHE DANS LES BOIS
La rime désigne toute répétition accompagnée de différence :
auditive, grammaticale, rhétorique…
Allen Grossman
Tout rime. Prenez une forêt peuplée d’arbres –
des milliers (tous différents, et pourtant confondus
en une foule), des rochers innombrables, une multitude d’abeilles
dans le chicot d’un arbre mort. Je marche, je passe devant eux
par milliers. Toutes les différences sont confondues :
si nombreuses, si semblables. Elles riment, et pourtant
tiennent ensemble, chicot planté dans le sens, le laissant
se répéter, sans fin. Les différences, si minimes,
sont semblables. Le rythme de la marche
suit les contours de la montée, et le cœur
répète – sans fin. Timide, son petit
bégaiement se fixe sur un rythme calme. Ce motif
suit la cadence de la montée. Le cœur
s’accorde avec le souffle. Les yeux refusent toute différence,
se fixent, en rythme avec le calme bégaiement
des pierres sous le pied. Et les kilomètres défilent,
s’accordent avec le corps pour refuser toutes les distances.
Je me souviens de la foule innombrable et désordonnée
des pierres sous le pied. Et les kilomètres défilent
comme des géants – autoréférentiels, dénués de sens.
Je me souviens de la foule désordonnée des bois,
De la lourde grâce de cet autre mystérieux,
Comme de géants, autoréférentiels, tout leur sens
Caché dans la différence. Nous traversons la vie
dans la foule, innombrables, un millier d’abeilles
se cachant, cachées. Dans nos vies,
rien ne rime. Et nous confondons les arbres
entre eux, avec du bois, avec des bancs.
Leslie Harrison, “Pantoum for a Walk in the Woods”,
in Poetry, juin 2002, traduit de l’anglais (USA) par
Guillaume Condello, dans Catastrophes, n° 2, novembre 2017.
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07/09/2017
Esther Tellermann, Carnets à bruire
Ne m’effleurait
votre
incise théâtre
de pierres linges
recouvraient
les paumes
j’induisais votre
souffle
à l’intérieur
de mes sillons
je
respire
vos aurores de
papier comme si
l’ombre
prenait
feu
Esthet Tellermann, Carnets
à bruire, La lettre volée, 2014, p. 74.
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07/04/2017
David Constantine, Gare d'Oxford, 15 février 1997
Gare d’Oxford, 15 février 1997
Et puis tout s’arrêta, tout devint très calme.
Je regardais plein nord un petit nuage dans le ciel bleu
Un ciel bleu vers lequel s’éloignaient les rails.
Un bleu, si sereinement bleu, qu’il me troubla
Comme quelque chose d’inimaginable que je pouvais voir
Et pour lequel je n’avais pas de mot, je regardai le nuage
Un seul nuage blanc dans ce ciel sereinement vide
Léger comme une plume au bord des lèvres
Pour tester le souffle, ultime preuve de la vie.
David Constantine, dans Rehauts, n° 39, mars 2017, p. 9.
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09/08/2016
Fabienne Courtade, Papiers retrouvés
Papiers retrouvés
j’en mets dans les poches
dans une enveloppe
je garde les mots
recopiés
sur un carnet
des morceaux
Été 2013
*
cette année est faite d’eau
et de feu
le trottoir est rouge sang
dehors
on entend le bruit des papiers
les bouteilles roulent sous les pieds
ici
les objets
sont précipités
en continu
sur le mur
c’est un film que l’on passe
et repasse
car il manque toujours le début
*
Pendant que nous allions
d’une chambre à l’autre
une goutte de pluie au bout des doigts
c’est le même pays que nous pleurons
Il n’entend pas leur respiration
le souffle
la sueur
les « jouets d’enfant »
Racle le sol
de ses doigts
dès le début
premier jour
âcre
Fabienne Courtade, Papiers retrouvés,
le phare du cousseix, 2016, p. 4-6.
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