19/02/2024
Gérard Cartier, Lz Voyage intérieur
Grotte ornée (Gargas)
Exhumer le carnet noir à moleskine
sonnets hâtifs pour Romane aux oiseaux bribes
confuses l’ivresse du chagrin … détachées
de l’accident qui les avait fait naître
et des citations des dessins à la diable
cherchant le poème griffonné sous l’auvent
en sortant de la grotte mais rien
ainsi de tout ce qui nous importait
jusqu’aux amours les plus troublantes moins
désormais que la main aux phalanges coupées
saignant sur la roche qui vit encore
dans le carbone 14 moins
que l’accenteur mouchet à coups de ciseaux
qui loue la création depuis des millénaires
dans la forêt de mélèzes le voilà
à peu près le sens perdu
qui suintait de la roche hérissée de calcite
goutte à goutte dans le silence
(43°3’21,4N - 0°32’10,5"E)
Gérard Cartier, Le Voyage intérieur, Flammarion, 2023, p. 203
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17/06/2022
Raymond Queneau, Un enfant a dit
Une main
Une main traverse la porte
mince mince à en souffrir
d’autres mains jouent aux cartes
là-bas là-bas dans les airs
d’autres encor désertent
la grand’ ennui du ciel
Raymond Queneau, Un enfant a dit,
Pléiade/Gallimard, 1989, p. 101.
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27/04/2022
Philippe Blanchon, Suites peintes de Martin
les dieux meurent plus facilement que les hommes
venant les uns après les autres parmi les autres ou dans
la plus absolue des solitudes c’est égal
là où ne s’opposent l’air et le geste
matière engendrée du souffle et de la main
mille manières avant cette dernière
connue ce que peut la main en traçant
l’unicité d’un dessin que la couleur habite
ou non (un oui toujours en son agilité)
la poème de la main et du souffle en
gendré ne crée pas autre mystère — outre
Philippe Blanchon, Suites peintes de Martin,
La Lettre volée, 2015, p. 51.
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06/12/2019
Durs Grünbein, Presque un chant
Mantegna, peut-être
Un jour, dans le demi-sommeil... entre recevoir et donner,
J’ai vu mes mains, leur peau rouge, jaunâtre,
Comme celles d’un autre, d’un cadavre à la morgue.
Au repas, elles tenaient couteau et fourchette, ces outils
De cannibale qui faisaient oublier la chasse
Et le vacarme de l’égorgement.
Vide comme l’assiette,
Une paume était devant moi, relief charnu
Du dernier singe à qui tout était devenu accessible
Dans un monde de primates. Mantegna, peut-être,
Aurait pu les peindre dans toute leur cruauté, sans les enjoliver,
Ces callosités crasseuses.
Qu’était l’avenir
Résultant des lignes de la main, bonheur ou malheur,
Comparé à la terreur des pores par lesquels perlait la sueur
Comme la légende de la compréhension silencieuse sur un front.
Durs Grünbein, Presque un chant, traduction de l’allemand Jean-Yves
Massson et Fedora Wesseler, Gallimard, 2019, p. 90.
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08/10/2019
Paul Celan, Grille de parole
Une main
La table, de bois d’heures, avec
le plat de riz et le vin.
On se tait, on mange, on boit.
Une main, que je baisais,
fait la lumière pour les bouches.
Paul Celan, Grille de parol, traduction
Martine Broda, Christian Bourgois,
1991, p. 65.
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14/11/2016
Philippe Beaussant (1930-2016), Le biographe
Billet
Jeudi
Mon amour, je déteste t’écrire… Je n’aime pas les mots écrits. Ils ne sont pas vrais. Il y a cet espace entre mon cœur et ce papier, qui ne se franchit qu’à peine et qui change les sens. Je le sens, je les pense, et lorsqu’ils arrivent jusqu’à la feuille, ce n’est plus eux, je ne les reconnais plus. Comment serais-je sûre que tu les reconnais ? J’aime t’avoir devant moi : je te donne mes mots, tu me donnes les tiens, ce sont des cadeaux que nous nous faisons. Je voois dans tes yeux les mots que tu vas dire, ou bien je ne les vois pas parce qu’il fait nuit et j’aime encore davantage. J’entends ta voix, je sens ta main sur moi qui dit les mots. Je veux ta main, mon amour. Quand viens-tu ?
J.
Philippe Beaussant, Le biographe, "Le Chemin", Gallimard, 1978, p. 63.
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16/12/2015
Emmanuèle Jawad, Faire le mur
Huit plans
double portrait, positif-négatif, diptyque
onirique, saisie d’un mur, dans le cadre, mains coupées aux poignets, retenues à l’arête du mur, superposées, en repos, dans la montée, se hissant, tête de dos, nuque courte, en plongée, autour, foule en ronde, circulation de couleurs vives, floues, mouvements arrêtés à la lisière de l’angle de vue, l’arête, un mur, point d’appui, d’où repose, s’attache, à considérer l’ancrage éphémère, l’assise des mains, en prise avec, terre crue, la foule dans la danse, un poste d’observation, à hauteur d’homme, un camp
[...]
Emmanuèle Jawad, Faire le mur, Lanskine, 2015, p. 53.
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12/08/2015
Catherine Pozzi, Poèmes
Infusoire, infusoire,
Viens te poser sur ma main.
Tu me diras le chemin
De la gloire.
Sous le soleil illusoire
Du havre laboratoire,
Ha, dirige ta nageoire
Vers mon transparent destin.
Sois mon serin, mon carlin,
Mon béguin enfin bénin
Sois ma dernière victoire
Infusoire !
Catherine Pozzi, Poèmes, édition
Claire Paulhan et Lawrence Joseph,
Poésie/Gallimard, 2002, p. 78.
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12/10/2014
Andrea Zanzotto, Idiome, traduction Philippe Di Meo
Petits métiers
Comment puis-je oser
vous appeler ici, vous faire signe de la main.
Une main qui n'est plus que son ombre
avare et mesquine
et d'ailleurs une serre, mais tendre comme de la mie de pain.
Et pourtant, quelque chose maintenant la soutient,
e ne sais s'il s'agit d'une crampe ou d'une force ;
pour autant qu'elle vaille elle est toute vôtre,
et vous donnez-lui la force de vous appeler.
Donnez-lui une plume qui ne se torde,
faites que sa pointe ne trébuche sur la feuille.
Il me semble n'avoir rien à écrire
pour commencer ce télex
qui doit tout le néant traverser
(la brûlante difficulté qui brule comme soufre,
qui corrode, étourdit. )
Mais j'essaierai de suivre la trace, au moins, d'un amour —
en dehors, là dans l'obscurit&
profonde des prés du passé.
Ainsi
............................................................
[...]
Mistieròi
Come elo che posse 'ver corajo
de ciomarve qua, de farve segno co la man.
No man che no l'é pi de la só ombria
cagnina e caía.
anzhi 'na sgrifa, ma tèndra 'fa molena.
Epuro ades calcossa la tien sú.
no so se 'n sgranf o se 'na forzha ;
par quel che l'é, la é tuta vostra,
e voi dèghe l'polso par ciamarve.
Dèghe 'na pena che no la sa schinche,
fè che la ponta sul sfój no la se inciónpe.
Me par de no 'ver gnent da méter-dó
par scuminzhiar 'sto telex
che tut al gnent bisogna che 'l traverse
(tut al gran seramént
che 'l brusa come solfer
che l'incaróla e l'intrunis).
Ma proarò la trazha, almanco, de 'n amor —
fora par là inte 'l scur
orbo dei pra del passà.
Cussì
..................................................
[...]
Andrea Zanzotto, Idiome, traduit et présenté par Philippe Di Meo, Corti, 2006, p. 145-147 et 144-146.
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22/07/2014
Eugène Savitzkaya, Sang de chien
J’aimerais tant mais je ne peux pas. Ma valise est prête, mes pieds chaussés. J’ai baissé les stores, mais je ne peux pas partir. Il faudrait qu’on me pousse. Si le chien jaune que j’entends hurler me mordait les talons peut-être ferais-je le premier pas et me précipiterais-je vers la sortie, et dehors je me sentirais mieux, plus vaillant. On m’a dit qu’il fallait toujours s’asseoir pendant quelques minutes avant un grand départ. Aussi me suis-je assis. À présent, je ne peux plus me lever. Des objets me retiennent et le monde m’effraie. J’ai mal au foie, j’ai mal à la tête, mes pieds ne supportent aucun soulier, je saigne du nez, j’ai l’impression que je pue, mes cheveux blessent mes yeux, j’ai sommeil mais je ne parviens pas à dormir, le soleil me fait peur lorsqu’il me touche, le feuillage dissimule des visages, des nez, des yeux, des doigts et des tireurs, il y a des animaux morts dans le jardin, des grives et des rats, un chat a démonté un pigeon, en a dispersé les plumes et déroulé les viscères, la cervelle est bleue et les os plus que blancs, quelle est la couleur du sang ? où est ma fiancée ? où aller ? quoi faire ? J’ai tué, j’ai blessé, j’ai chassé, j’ai balayé, j’ai mordu, tordu, limé, et je n’ai plus soif.
Pas besoin de lumière pour me raser. Dans l’obscurité, je me frotte au rasoir électrique qui bourdonne. Un petit rasoir suffit à ma barbe claire. Les vibrations du moteur plaisent à ma peau. Les objets lourds qui tombent sur le plancher ne résonnent pas dans ma poitrine. Pourrais-je encore escalader le frêne et me baigner dans le lac froid Enol ? Il n’y a que le vent qui me fasse encore du bien, ce même vent qui fronce la surface de l’eau et me dégoûte de la pêche au flotteur dans ce bras mort du fleuve.
Quand je regarde celui qui écrit, je me demande pourquoi sa tête est enfoncée dans la niche de son bureau. La main gauche de celui qui écrit est posée à plat sur sa cuisse gauche qu’elle lisse avec application. C’est la main la moins habile qui répète ce geste, la main qui a reçu le coup de tisonnier ou trop de baisers. Ce geste me rend nerveux : je suis obligé d’avaler ma salive et de changer plusieurs fois la position de mes jambes, de me mordre les doigts et de dissimuler mes larmes.
Quand ai-je pleuré pour la dernière fois en plein air ou enfermé, dans quelle maison dans quelle prairie, sur quel toit, nu ou en chemise, fatigué par le soleil ou à peine éveillé, seul ou en compagnie, sur la montagne pointue ou sur la mer plate ? Et l’avant-dernière fois ? Juste un spasme, une contraction du menton et pas de larmes, à peine comme une brève transpiration. Et avant ? Je devais être saoul, ça ne compte pas. Et avant ? Enragé, devant la mer. Et avant ? Encore de rage, sang de chien, ça ne compte pas. Et avant ? En regardant mon jardin sous le soleil, les hautes tiges des asperges, les plumes, le feuillage épuisé, la glycine en bout de course. Et avant, avant ? À peine un désir, mais les larmes ne se commandent pas. Et le dernier bonheur, où, avec qui, à l’aide de quels outils ? [...]
Eugène Savitzkaya, Sang de chien, éditions de Minuit, 1988, p. 8-10.
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10/01/2014
Paul Celan, Voix /Stimmen, traduction Martine Broda
En hommage à Jean Bollack : une semaine avec Paul Celan
Voix venues du chemin d'orties :
Viens à nous sur les mains.
Qui est seul avec la lampe,
pour y lire, n'a que sa main.
Stimmen vom Nesselweg her :
Komm auf den Händen zu uns.
Wer mit der Lampe allein ist,
hat nur die Hand, draus zu lessen.
Paul Celan, Voix /Stimmen, traduction
Martine Broda, Lettres de Casse,
1984, n. p.
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