09/07/2023
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes
154
Le petit dieu de l’Amour s’était endormi,
Posant près de lui le tison qui enflamme les cœurs,
Tandis que des nymphes toutes vouées à la chasteté
Étaient accourues ; mais dans ces mains virginales
La plus belle vestale s’empara de ce feu
Qui avaient échauffé des milliers de cœurs purs ;
Et c’est ainsi que le chef de l’ardent désir
Fut dérangé par une main pure dans son sommeil.
Ce tison fut plongé dans l’eau froide d’un puits,
Lequel fut échauffé par le feu de l’Amour,
Se transformant en bain et en précieux remède
Pour les malades ; mais moi, victime de ma maîtresse,
J’y vins pour m’y soigner, et constatai ce fait :
L’amour échauffe l’eau, l’eau n’éteint pas l’amour.
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes (Œuvres complètes, VIII), Pléiade / Gallimard, 2021, p.555.
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01/09/2022
Shakespeare, Sonnets
Sonnet 147
My love is a fever, longing still
For that which longer nursed the disease,
Feeding on that which doth preserve the ill,
Th’uncertain sickly appetite to please.
My reason, the physician to my love,
Angry that his prescriptions are not kept,
Hath left me, and I desperate now approve
Desire is death, which physic did except.
Past cure I am, now Reason is past care,
And, frantic-mad with evermore unrest,
My thoughts and my discourse as madmen’s are,
As random from the truth vainly express’d.
For I have sworn thee fair, and thought thee bright
Who art as black as hell, as dark as night.
p. 540.
Las ! mon amour traîne toujours après
ce qui ne fait qu’aigrir sa maladie,
se nourrissant d’un obstiné progrès
vers une illusoire et morbide envie.
Et ma raison mandée pour me guérie
et fâchée qu’on ignore son remède
me quitte : à présent je dois convenir
qu’un désir mortifère me possède.
Et me voilà malade comme un chien
ici et là bavant d’ineptes choses
et ne pouvant plus retrouver un bien
qui me sauverait de cette névrose.
T’ai-je comparée au soleil qui luit ?
Toi, enfer plus noir que la nuit.
William Cliff, cité p. 341.
Mon amour est comme une fièvre qui n’a de cesse
De raviver la flamme de son mal
En se nourrissant de ce qui attise
L’incertain et pervers appétit de plaire.
Au chevet de l’Amour, ma Raison, furieuse
De voir ses ordonnances non suivies,
M’a quitté et je comprends enfin, au désespoir,
Que privé de remèdes le Désir est la Mort.
Insoucieux, n’ayant plus souci de ma raison
Sans cesse agité, fou, accablé par les sorts
Mes pensées, mes discours sont ceux d’un insensé
Proférés au hasard, n’ayant cure de vérité ;
Car je t’ai juré blonde au teint de lait, toi qui
Noire comme l’enfer et brune comme la nuit.
Patrick Reumeaux, cité p. 718-719.
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes, édition Jean-Michel
Déprats et Gisèle Venet, Pléiade/Gallimard, 2021.
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17/11/2021
Shakespeare, Sonnets
81
Soit je vivrai pour composer ton épitaphe,
Soit tu me survivras, moi pourrissant en terre,
La mort ne peut d’ici dérober ta mémoire,
Même quand je serai tout entier oublié
Ton nom grâce à mes vers aura vie immortelle,
Si je dois (disparu) mourir au monde entier,
La terre m’offrira une tombe ordinaire
Quand tu reposeras au fond des yeux des hommes.
Tu auras pour tombeau mes doux et nobles vers
Que reliront sans fin des yeux encore à naître
Et des langues à venir rediront ton être,
Quand tout ce qui respire au monde expireras ;
Toi tu vivras toujours (ma plume a cette force)
Où le souffle prend souffle, dans la bouche des hommes.
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes, traduction Jean-Michel Déprats, Pléiade/Gallimard, 2021, p. 409.
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16/11/2021
Shakespeare, Sonnets
5
Ces heures, dont l’œuvre raffinée a créé
Ce regard merveilleux où tous les yeux s’attachent,
Seront plus tyranniques envers leur propre ouvrage,
Détruisant tout ce qui excellait en beauté.
Car, jamais en repos, le temps mène l’été
Jusqu’au hideux hiver et l’anéantit,
Sève toute glacée, feuilles vertes en allées,
Beauté vêtue de neige et partout nudité,
Alors s’il ne restait de l’été un parfum,
Liquide emprisonné entre des murs de verre,
La beauté et sa puissance d’engendrer mourraient
Sans même laisser un souvenir de ce qu’elles furent.
Mais les fleurs distillées, confrontées à l’hiver,
Perdent leur apparence, leur essence survit.
Shakespeare, Sonnets et autres poèmes, traduction Jean-Michel Déprats, Pléiade/Gallimard, 2021, p. 257.
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