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03/05/2017

Élection du 7 mai : Jacques Lèbre, Angoisse

ANGOISSE

 

Certains d’entre nous ne veulent ni de Macron ni de le Pen (et ils ont bien raison !). Ils voteront blanc ou ils s’abstiendront. Il y a juste un gros problème : malgré leur vote blanc ou leur abstention, le soir du 7 mai, ils auront l’une ou l’autre comme président(e) de la République. Si jamais c’est l’une, je les laisserais se regarder dans la glace le 8 mai au matin. Je les laisserais à leur consternation dont ils seront les seuls responsables.

Il y a une position de rejet face aux deux candidats du deuxième tour, elle est légitime sur le fond (politique) et je la partage. Mais il y a aussi une toute autre légitimité : celle de penser aux réfugiés et aux sans papiers, celle de se demander si par notre non-vote nous allons les abandonner au sort peu enviable que leur promet l’extrême-droite. La légitimité, c’est de penser à ceux qui les aident (dans la vallée de la Roya par exemple) et qui, sous un gouvernement soi-disant de gauche, sont déjà traînés devant les tribunaux – il suffit de lire quotidiennement L’Humanité pour en être informé.

Ce qui est légitime, c’est de se demander si syndicalement et politiquement nous aurons longtemps les moyens de nous opposer efficacement à une extrême-droite qui aura tous les pouvoirs de la cinquième République. Ce qui est légitime, c’est de se demander si les journalistes pourront continuer longtemps à enquêter et à nous informer (les aides à la presse existent, elles peuvent être supprimées).

Ce qui est légitime, c’est de se demander ce que deviendront les politiques d’acquisition des bibliothèques et des médiathèques. Déjà, sous le quinquennat de François Hollande, des bibliothèques se sont désabonnées de certaines revues pour cause de "restrictions budgétaires". Ce qui est légitime, c’est de se demander ce que deviendront les aides à la littérature, à la poésie et aux revues par le biais du Centre national du livre.

Ce qui est légitime, c’est de se demander ce que deviendra la situation des femmes à travers le planning familial et la loi Weil sur l’IVG ; c’est de se demander ce que deviendra la situation des homosexuels. La légitimité, c’est de se demander dans quel monde, par notre non-vote, nous allons abandonner les jeunes Français des cités et des banlieues confrontés quotidiennement au racisme, aux tracasseries et aux violences policières ; que cela ait lieu sous un gouvernement soi-disant de gauche nous laisse deviner ce que cela deviendra sous un gouvernement d’extrême-droite. Car c’est bien ce gouvernement encore en place le premier responsable de la situation actuelle. Je n’oublie pas la droite si nous devons nous souvenir du sinistre ministère de l’identité nationale. Droite et soi-disant gauche confondues, par de sombres et d’inavouables calculs, ont compté sur l’extrême-droite afin de gagner chaque élection au deuxième tour. L’une et l’autre viennent de lamentablement échouer.

Ce qui est légitime, c’est de se poser toutes ces questions. Pour ma part, ma réponse est claire. Au premier tour j’ai voté pour Jean-Luc Mélenchon. Je ne me fais donc aucune illusion sur Emmanuel Macron. Je n’attends ni n’espère rien de lui président de la République. Je le considère bien évidemment comme un ennemi de classe. Mais le 7 mai, en réponse aux questions que je viens de me (et peut-être de vous) poser, je mettrai dans l’urne un bulletin Macron contre l’extrême-droite. Ensuite il nous restera les législatives du mois de juin pour essayer de contrecarrer et de limiter le plus possible le pouvoir de nuisance du (ou de la) candidat(e) élu(e). 

02/05/2017

vote du 7 mai

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André Frénaud, HÆRES

                               André Frénaud, HÆRES, expressions de la physionomie, unité, dispersion

Les expressions de la physionomie

 

Celui qui sans raison prétend au sacrifice,

celui dont les dons ne valent plus,

celui qui s’entête, celui qui écourte,

celui qui fait la roue — qui fait semblant —

celui qui s’est détourné, qui est là encore

quand il sourit sans plus récriminer,

celui qui s’encourage par des billevesées

à défaut de mieux,

celui qui hurle parce qu’il ne sait plus dire,

celui dont le cri s’est étranglé,

celui qui s’entrouvrait à la rumeur

qu’il n’entend plus,

celui-ci, le même,

sous différents jeux de physionomie,

dans la bonne direction décidément,

et qui atermoie, qui atermoie,

conserve-t-il de la bonté, je le voudrais.

 

André Frénaud, HÆRES, Gallimard, 1982, p. 253.

 

 

 

01/05/2017

Edwy Plenel : le 1er mai

Dire non au désastre

PAR EDWY PLENEL

Contre Le Pen, nous voterons Macron le 7 mai. Ce ne sera pas pour approuver son programme mais pour défendre la démocratie comme espace de libre contestation, y compris face aux politiques du candidat d’En Marche!. Tandis qu’avec l’extrême droite identitaire et autoritaire, la remise en cause de ce droit fondamental est assurée.

Fernando Pessoa, Le violon enchanté, écrits anglais

                                    Pessoa.JPG

               Le Pont

 

Répands sur moi comme rosée

   Des baisers, et ce sera le matin

À travers mon esprit émergeant du sommeil.

   Mon chef courbé, grisonnant, orne-le

De laurier, que je puisse apercevoir

   Mon ombre couronnée et sourire même l’âme endeuillée.

 

Bien que mon chef soit incliné,

   Tes pieds, chaussés d’espoir,

Passent et son éloquents

   En ce sens qu’ils n’ont pas de cesse.

Quelque part dans l’herbe ils se mêlent

   À cette part de moi qui est en quête de vérité.

 

Soyons amants, oh oui !

   Par-delà toute concorde charnelle,

Amants dans un style nouveau

   Qui n’a besoin de mots ni de regards.

Ainsi abstrait, notre amour peut

   N’étant pas nôtre, n’être qu’une vague brise d’Être Pur.

 

Fernando Pessoa, Le violon enchanté, écrits anglais, Christian Bourgois, 1992, p. 197.

30/04/2017

Jacques Prévert, Paroles

                      Prévert.PNG

       Le droit chemin

 

À chaque kilomètre

chaque année

des vieillards au front borné

indiquent aux enfants la route

d’un geste de ciment armé.

 

     Le grand homme

 

Chez un tailleur de pierre

où je l’ai rencontré

il faisait prendre ses mesures

pour la postérité.

 

La bouette ou les grandes inventions

 

Le paon fait la roue

le hasard fait le reste

Dieu s’assoit dedans

et l’homme la pousse.

 

           La cène

 

         Ils sont à table

       Ils ne mangent pas

Ils ne sont pas dans leur assiette

Et leur assiette se tient toute droite

Verticalement derrière leur tête

 

Jacques Prévert, Paroles, Gallimard,

1949, p. 189-192.

29/04/2017

Peter Gizzi, Chansons du seuil

                                             Peter Gizzi.JPG

Micro explosion

 

Juste une petite chanson avec un soupçon de méchanceté.

Un micro chardon sous la ceinture.

 

C’est ça, tu vois,

ce pincement au sein du céruléen fabuleux.

 

Ne t’enfuis pas. Tourne-toi vers l’intérieur

à l’aide de ta maigre force.

 

C’est le plus constant qui gagne l’aventure.

Ce crieur de loto. Ce pont des soupirs.

 

Et maintenant que tu es là sois brave.

Vis tous azimuts.

 

Peter Gizzi, Chansons du seuil, traduit par

Stéphane Bouquet, Corti, 2017, p. 44.

28/04/2017

Victor Martinez, Carnets du muet

 

Le poème, c’est une émeute.

 

Il faut arracher à la langue son bien, plus grand que la signification.

 

Le contact est toujours nouveau, à tel point que répétition accroît l’état de la fraicheur.

 

Contrains tes yeux à ne pas savoir ce qu’ils voient.

 

Si un mot ne sert pas à mettre à distance les choses, il ne sertà rien.

 

Victor Martinez, Carnets du muet, fissile, 2016, np.

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                                      Le 7 mai de la patrie et du patron ?

 

   Non, la littérature n’est pas au centre de mes préoccupations jusqu’au 7 mai. Je lis des prises de position d’écrivains qui laissent perplexes ; résumons : les espoirs nés pour eux avec la candidature de Mélenchon ont été déçus, donc ils n’ont pas à choisir entre les deux candidats à l’élection présidentielle. Je ne discuterai pas, c’est maintenant inutile, le programme nationaliste de Mélenchon, mais ceux/celles qui refusent de voter pour Macron le 7 mai ont-ils lu le programme de Le Pen ? l’ont-ils comparé à celui de Macron ? J’en doute, puisqu’ils s’obstinent à prétendre que l’un et l’autre sont des ennemis, d’une nature différente mais des ennemis. J’ai l’impression désagréable d’un retour en arrière et j’entends encore le communiste Duclos en 1969 appeler à l’abstention sur le thème « c’est bonnet blanc et blanc bonnet », à propos de Pompidou et Poher qui s’opposaient alors au second tour de la présidentielle.

   Où sommes-nous donc ? Je n’ai pas connu une telle confusion en 2002 (y compris de la part de Mélenchon), Chirac était-il alors moins « le candidat des patrons » que Macron ? L’abstention ne fera peut-être pas de Le Pen une élue — mais rien n’est gagné d’avance —, mais elle obtiendra alors un pourcentage beaucoup plus élevé qu’elle ne le devrait, c’est-à-dire que l’élection sera pour les nationalistes de droite un tremplin pour les élections législatives. Réduire le plus possible le pourcentage des voix, c’est commencer à lutter efficacement contre un parti xénophobe, obscurantiste, tourné vers le passé. Il faut bien commencer et cela, ce n’est pas approuver le programme de Macron, c’est de manière positive commencer à lutter pour qu’un cadre, la république telle qu’elle est, continue à exister : cadre qui permet les luttes, politiques et syndicales.

   Je suis gêné d’avoir à écrire de telles évidences.

 

Publié sur Sitaudis le 27 mai 2017.

 

 

27/04/2017

Lisa Robertson, Le temps : recension (éditons NOUS)

 

 

   Deux ensembles alternent dans le livre, l’un formé de proses sur les jours de la semaine (dimanche, lundi, etc.), chacun caractérisé par une météo particulière. L’autre, constitué de vers libres, est plutôt lié aux faits et gestes du "je" présent ; chaque pièce est titrée "Résidence à C [Cambridge]", sauf la dernière, "Porchevers" (après "samedi"), et le livre s’achève par une "Introduction au Temps". En exergue, une citation de Walter Benjamin oriente la lecture : le temps, la mode et l’architecture « se tiennent dans le cycle du même éternellement, jusqu’à ce que le collectif s’en saisisse dans la vie politique et que l’histoire émerge. » Parler du temps qu’il fait est en effet souvent un moyen d’engager la conversation avec quelqu’un que l’on ne connaît pas, et les conversations entre familiers débutent régulièrement par des considérations sur la couleur du ciel, le froid, etc. Ce caractère social du temps est abordé de manière complexe par Robertson.

   Est d’abord défini un lieu, « ici », qui peut être n’importe où, « Ici il y a des dermes et des manoirs et des mines et des bois et des forêts et des maisons et des rues [etc.] », et s’y installe un "je". Il faut entendre que les ciels et leurs transformations (vocabulaire abondant et précis concernant les nuages), point de départ du discours de la météorologie, sont aussi figure du temps comme durée, support des fictions. Donc, quoi qui puisse être dit la variabilité du ciel (weather) s’appliquera autant à la succession des jours (time), « Les jours s’amoncellent sur nous » : la phrase est reprise plusieurs fois. Le caractère à peu près imprévisible de l’état du ciel et de ce qui se produira au cours des mois accompagne les mouvements du sujet parlant. La description du ciel en tant que telle n’est pas ce qui importe, mais la relation entre les changements observés par celle qui regarde et ce qu’elle vit, ressent.

   L’intrication du temps météorologique et du temps compté est restituée dans la dynamique, fort complexe, du livre. À la succession des deux ensembles en alternance fait écho constamment la construction, à plusieurs niveaux, d’oppositions de forme A vs B, ou A incompatible avec B ; ainsi, deux noms, ou deux adjectifs : « frais et brillants », « crêté et trouble », etc. Aussi souvent, deux domaines hétérogènes sont en même temps liés et séparés : « Un vent vif ; nous sommes du papier projeté contre la barrière » ; il s’agit le plus souvent de formulations renvoyant à la nature et à la culture, associées et opposées, comme weather et time. La répétition (A puis B) est également fréquente, tout comme l’accumulation ou la syntaxe brisée, manières également d’exprimer à la fois la diversité du temps météorologique et la complexité du vécu, le réel et l’imaginé. Le choix de la semaine signifie elle-même la possibilité de la répétition, de la reproduction indéfinie — parallèlement, le compte rendu d’une résidence se termine par une virgule : l’inachèvement et l’inachevable.

L’ensemble des séquences titrées « Résidence à C. », construit autour du "je", n’est pas seulement parallèle aux développements autour du temps, ciel et jour. Outre la présence de la narratrice dans les deux ensembles, d’autres éléments les lient. Quand est relatée la lecture de La bâtarde (de Violette Leduc), lui sont associés des termes relatifs à la météorologie (vent, air) ; par ailleurs la bâtardise, c’est-à-dire l’image d’un temps sans origine, peut être rapprochée d’un passage du premier ensemble constitué d’une interrogation sur des femmes absentes suivie d’une série de prénoms féminins (sans patronyme).

   Il faut louer le travail du traducteur qui restitue la vigueur du texte de Lisa Robertson : c’est le poète Éric Suchère qui est ici à l’œuvre, avec le même bonheur que dans sa traduction de Jack Spicer.

 

Lisa Robertson, Le temps, traduction de l’anglais (Canada) par Éric Suchère, NOUS, 2016, 80 p., 14 €.

Cette recension a été publiée dans Libre-critique en mars 2017.

 

  

 

26/04/2017

Franz Kafka, Lettres à Felice

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20/08/1913 [à Felice]

 

(…) Je répugne absolument à parler. Du reste ce que je dis est faux à mon sens. À mes yeux la parole ôte à tout ce que je dis importance et sérieux. Il me semble qu’il ne peut en être autrement, étant donné que mille choses et mille pressions extérieures ne cessent d’influencer le discours. Je suis donc taciturne non seulement par nécessité, mais aussi par conviction. L’écriture est la seule forme d’expression qui me convienne, et elle le restera même quand nous serons ensemble.

 

Franz Kafka, Lettres à Felice, II, traduction Marthe Robert, Gallimard, 1972, p. 511.

25/04/2017

Étienne Faure, Poèmes d'appartement

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De ses nuits à deux corps dans un lit il garde

le réflexe de dormir sur le bord, non pas au centre,

en souvenir de l’autre qui pourrait resurgir,

se lover contre lui, demander asile

un soir de neige à pas feutré traverser la chambre

où le rêve et sa ligne de flottaison persistent

au plus rêche de l’entrée en matière — y a quelqu’un ?

Revient l’épais silence, voix tranchante il répète.

Y a personne.

Comme aux frontières de l’Europe hier

— quelque chose, rien, tout à déclarer —

il écrit, se relève la nuit pour écrire

ce qui pourrait devenir une lettre

sur du papier, juste avant la

Dématérialisation des amours

Et des déclarations qui vont avec

(âmes et hameaux où vivaient les amants qui traversent

à découvert la nuit).

 

à deux corps

 

Étienne Faure, Poèmes d’appartement, dans

Rehauts, n° 39, mars 2017, p. 48.

24/04/2017

Giorgio de Chirico, Poèmes

Chirico.JPG

                   Épode

 

— Reviens toi ô ma première félicité

la joie habite d’étranges cités

de nouvelles magies sont tombées sur la terre.

 

Ville des rêves non rêvés

que des démons bâtirent avec une sainte patience

c’est toi que, fidèle, je chanterai.

 

Un jour je serai aussi un homme-statue

époux veuf sur le sarcophage étrusque

ce jour-là en ta grande étreinte de pierre

ô ville, serre-moi, maternelle.

 

Giorgio de Chirico, Poèmes, traduits par

Jean-Charles Vegliante, Solin, 1981, p. 41.

23/04/2017

Jack Kerouac, Livre des esquisses, 1952-954

Kerouac.JPG

Des bruits dans les bois

 

Caragou Caragine

criastouche, gobu,

bois-crache, trou-ou

boisvert, boisverts

Bzzbeille eskiliagou

arrang-câssez

craké-vieu

vert-oyant bzz

   herbzza beille

       Fruinionie

       Fruiniôme

           Démâchetefer

  • — Griiazzh

Griayonj —

 

Ou — une mouche

mutine malmène

un brin d’herbe —

Ou — La fourmi vite

file sur une feuille —

Ou — Village abandonné

           ma place dans l’éclaircie

           Ou — Je suis mort

               Ou — Je suis mort

               parce que tout

               est déjà arrivé

Je dois aller au-delà

dépasser cette mort

avancer

vers —

             le sol

 

vers —

             l’immensité

vers —

             la mousse sur les

             souches de Babylone

(…)

 

Jack Kerouac, Livre des esquisses, 1952-1954,

traduction Lucien Suel, La Table ronde, 2010,

  1. 100-102.

22/04/2017

Dino Campana, Chants orphiques

                Dino Campana.JPG

La petite promenade du poète

 

J’erre dans les rues

Sombres étroites et mystérieuses :

Je vois derrière les fenêtres

Se montrer les Jeannes et Roses.

Sur les marches mystérieuses

Quelqu’un descend en titubant :

Derrière les carreaux luisants

Les commères font leurs commentaires.

…………………………………………

…………………………………………

La ruelle est solitaire :

Pas un chien : quelques étoiles

Dans la nuit au-dessus des toits :

Et la nuit me semble belle.

Et je chemine moi pauvret

Dans la nuit qui me fait rêver,

Mais la salive dans ma bouche

A un goût répugnant. Loin de la puanteur

Loin de la puanteur et le long des rues

Je chemine je chemine,

Déjà les maisons se font rares.

Voici l’herbe : je m’y couche

Et m’y roule comme un chien :

De très loin un ivrogne

Chante son amour aux volets.

 

Dino Campana, Chants orphiques, traduction

de Michel Sager, Seghers, 1971, p. 57.

21/04/2017

Giacomo Leopardi, Poèmes et fragments

 Leopardi.JPG

À soi-même

 

Or à jamais tu dormiras,

cœur harassé. Or est le dernier mirage,

que je crus éternel. Mort. Et je sens bien

qu’en nous des chères illusions

non seul l’espoir, le désir est éteint.

Dors à jamais Tu as

assez battu. Nulle chose ne vaut

que tu palpites, et de soupirs est indigne

la terre. Amertume et ennui,

non, rien d’autre, la vie ; le monde n’est que bosse.

Or calme-toi. Désespère

un dernier coup. À notre genre le Sort

n’a donné que le mourir. Méprise désormais

toi-même, la nature, et la puissance

brute inconnue qui commande au mal commun,

et l’infinie vanité du Tout.

 

Giacomo Leopardi, Poèmes et fragments, traduction

de Michel Orcel, La Dogana, 1987, p. 123.