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15/09/2018

Esther Tellermann, Première version du monde

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C’était un temps philosophique, je suis je ne suis pas, un époque fascinée, un peu grasse, avec le souvenir des armes, canons contre la tempe, fosses enfin pleines, uniformes, chants d’oiseaux,

   il y a des flaques qui coagulent la haine, et pourquoi ça se serait cicatrisé, non, dissocié dans les moindres parcelles, suis les sillons, la terre n’est pas oublieuse, il ait trop chaud désormais, ça dilate notre faiblesse en une légère déviation de la peur…

 

  Certains ont encore les mains sur les pioches, ils creusent comme à la surface d’un liquide, certainement ils veulent enterrer leur  ombre, la lèvre halète un gémissement, la soirée est trop chaude, les mots engloutis dans la fissure originelle.

 

Nous étions sans existence, sans dehors. C’était une répétition nostalgique de l’Europe, de sa dimension de néant, la durée suffocante de notre propre humiliation.

 

  Vieux youpins, youpinasses, y’a pas qu’eux pour bouffer du salpêtre, vas-y prends ta ration, j’vais voir en bataillons humanitaires toutes les enflures du programme : échauffement des ongles, bûchers funéraires, camions de rustines pour réparer ça, t’as compris ? Visages fiévreux, tous les affranchis faut voir ça, ils s’affermissent dans les désastres, balance-leur le savon, les cigarettes, ça va passer leurs convictions, toute une vie près du fleuve, dans le bourdonnement des mouches…

 

Esther Tellermann, Première version du monde, éditions Unes, 2018, p. 17.

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