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21/03/2017

Bashô Seigneur ermite

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Froide, la couverture ouatée

où vous vous glissez —

Nuit de solitude

 

Dans le vent qui souffle

les poissons sautent —

Ablutions rituelles

 

Curiosité —

un papillon posé

sur une herbe sans parfum

 

Le soleil splendide

entre chien et loup —

Soir de printemps

 

Puces, poux

et un cheval qui pisse

à mon chevet !

 

Bashô Seigneur ermite, édition bilingue

par Makoto Kemmoku et Dominique Chipot,

La Table ronde, 2012, p. 193, 194, 197, 203, 214.

20/03/2017

Oswald Egger, Rien, qui soit : recension

 

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   On ne peut que constater ce fait : la poésie de langue allemande contemporaine, si l’on excepte comme d’habitude Celan, Bachmann, peut-être Enzensberger, est fort peu connue en France, malgré le travail de quelques traducteurs et des éditeurs qui les accueillent. Jean-René Lassalle est un de ces infatigables passeurs qui, entre autres, a permis de lire Paul Wühr (1927-2016 ; Matière à l’autre bout l’esprit, 2016, Grèges), Franz Josef Czernin (né en 1952 ; Le Labyrinthe d’abord emprunte le fil rouge, 2011, Grèges) et a contribué à faire connaître Friederike Mayröcker grâce à une anthologie dès 2003 (Métaux voisins, L’Atelier de l’Agneau). Il présente aujourd’hui une anthologie d’un poète que l’on dit parfois, à tort, "expérimental" : comme si la poésie devait suivre des normes ; Oswald Egger est dans la tradition d’un Oskar Pastior (1927-2006 ; voir Poèmespoèmes, nous, 2013) qui s’en prenait dans sa poésie à toutes les propositions logiques et aux descriptions des choses, comme le faisaient aussi à leur manière Ernst Jandl (1925-2000) et Reinnard Priessnitz (1945-1985).

   À ces brefs rappels, on ajoutera quelques éléments empruntés à la présentation de Jean-René Lassalle, dont une partie est reprise sur le site des éditions Grèges. Oswald Egger, né en 1963, appartient à la minorité germanophone du Tyrol italien ; après avoir vécu à Vienne, il a rejoint un groupe « néo-utopiste » d’artistes à Hombroïch (proche de Dusseldorf). Rien, qui soit, anthologie chronologique, rassemble deux recueils complets, le premier chapitre d’un autre et des extraits de 6 autres ; le traducteur définit l’ensemble de manière elliptique : comme « la construction d’un texte-monde poétique et philosophique visionnaire. » Il est bon de lire d’abord les quelques pages denses de cette postface pour mieux apprécier les poèmes d’Oswald Egger.

Dans les textes retenus, seuls deux recueils et le premier chapitre d’un troisième ont été repris en entier, et des extraits sont donnés des autres ensembles, trop volumineux. Les recueils ont été publiés entre 1999 et 2013 et chacun témoigne de recherches formelles complexes, prose et vers alternent et se mêlent, les poèmes versifiés obéissant souvent à des contraintes fortes. Ainsi, ce que décrit le traducteur, Susjardins compte 12 poèmes (qui correspondent aux 12 mois de l’année) de 12 vers, chacun pouvant être lu comme un poème. Album Nihilum est composé de 3650 quatrains, 10 pour chaque jour de l’année ; etc. La relation au passé littéraire ne s’opère pas seulement par des choix formels mais aussi, peu repérables pour un lecteur non germanophone, par des citations ou des jeux avec les classiques ; mais on reconnaîtra cependant dans une prose de Constance discontinue le début de L’Enfer de Dante : « Au milieu de la vie je me retrouvai comme dans une forêt (sans chemin). »1 Les recherches d’Oswald Egger sont ailleurs et, ce qui est le plus apparent, dans la néologie, plus aisée en allemand qu’en français puisque deux noms peuvent être joints et la création reste interprétable, même si elle n’est pas acceptée dans les dictionnaires ; l’adaptation en français passe par le mot-valise avec par exemple "hazarmonieux", "souchécorce". D’autres formations dérangent plus vivement l’ordre de la langue, comme le changement de genre ("la paysage"), l’association de deux mots de langues différentes ("chiarobscur") ou la création d’une unité qui apparaît vraisemblable (« chapiteaux et copouilles s’entrecollent »). La néologie est très présente dans Rien, qui soit : c’est qu’il y a, affirmée, la nécessité d’inventer et de tout dire, à nouveau, parce que « Les mots dans la glace à dégeler, rassembler les / troupeaux de parole tirés des cavités du cerveau./ »

   Tout dire ? Qu’en est-il, par exemple, de ce que l’on voit devant un paysage : « La lumière du soir déferle par couloirs rouge et or dans les graminées, [etc.] » ? ce qui importe n’est pas ce qui est immédiatement vu, mais les « perspectives camouflées », non ce qui serait caché mais ce que les mots permettent de rêver : « après les ombres, pourraient-elles aussi s’évanouir les choses qui les conditionnent ? ». On pourra lire, à la suite d’un vers qui engage une représentation, un vers, qui sans déranger l’ordre syntaxique, oriente vers une autre vision des choses :

 

           Chaque jour maintenant le soleil brille et je n’ai plus froid malgré la gelée. (vers 1)

Les saules candi houspillaient des pousses de rave sous les roseaux, consolé. (vers 2)

 

   On parlera d’incompatibilité sémantique si l’on prétend qu’un poème doit "avoir un sens". Il faut d’abord répondre avec Oswald Egger qu’on ne sait pas vraiment ce qu’est un poème ; ensuite, que ce genre d’énoncé permet de « défragmenter la Terre plate (et la palette de ses nuances en parole) » et qu’il n’empêche pas de porter attention à ce qui se passe : le chantier de la Postdamer Platz, à Berlin, après la chute du mur, est le motif d’un long poème, la nature sous toutes ses formes (végétale, minérale, animale) est sans cesse présente dans ses métamorphoses. Mais ce qui apparaît tout autant, ce sont les transformations continues d’un "je" omniprésent et qui questionne sa relation au monde : « Est-ce que la multiplication des voix d’un je qui parle ne l’emportait pas sur un autre qui ne parle pas et lui reste non-dit ? (et ainsi de suite) » La lecture de Rien, qui soit, demande quelque effort (et c’est heureux !), comme celle de Joyce de qui on l’a rapproché, mais elle fait entrer dans ce monde qui est le nôtre, dans ce labyrinthe qu’est la pensée sur le monde.

  

________________________________________________________

   1 Comparer avec la traduction de Jacqueline Risset : « Au milieu du chemin de notre vie / je me retrouvai par une forêt obscure /car la voie droite était perdue. » (GF-Flammarion, 1985, p. 25 [fermer la parenthèse]

Oswald Egger, Rien, qui soit, traduit de l’allemand et présenté par Jean-René Lassalle, Grèges, 2016, 152 p., 14 €. Cette recension a été publiée dans Sitaudis le 22 février 2017.

 

 

 

19/03/2017

Catherine Benhamou, Hors jeu

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Hors jeu

 

1

Normalement on ne me voit pas.

Vous n’êtes pas censés me voir.

Je suis à l’intérieur de la poubelle qui est à l’intérieur de la pièce qui se joue en ce moment même à l’intérieur du théâtre.

La poubelle est censée être ouverte côté mur du fond.

C’est une poubelle confortable avec vue sur le mur du fond.

Noir. Le mur du fond est noir.

Ceux qui jouent là, sur la scène, les deux acteurs visibles, on les appellera par commodité le vieux et le non vieux.

Il y a aussi le père qu’on appellera par commodité le père.

Et il y a la mère qui est morte.

 

Normalement on ne me voit pas.

 

Ni dans le monde ni hors du monde.

Ni ici ni ailleurs.

Ni dans la vie ni dans le théâtre.

Entre les deux.

Entre les deux je suis.

L’auteur m’a jetée à la poubelle.

Invisible.

Cachée en pleine lumière.

Sourde aux appels des autres personnages.

Morte pour le public.

Hors jeu. Seule.

[…]

 

Catherine Benhamou, Hors jeu, dans Rehauts, n°38, hiver 2016, p. 56-57.

18/03/2017

Fabienne Raphoz, Blanche baleine

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De la remise

 

dans les caisses rouges

- à petits bois

une couleuvre a mué

 

 

 

mon père

             ses caisses rouges

             - à pommes

             devant le Môle

 

 

Idared

             Mutsu

                         Melrose

 

classées

 

 

dans sa chambre

           il ne sait plus

           que           pommier

 

 

refrain : une couleuvre

             - aveugle

             a mué

 

Fabienne Raphoz, Blanche baleine,

Héros-Limite, 2017, p. 69.

 

17/03/2017

Henri Thomas, La monde absent

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Je ne suis pas vraiment enclos

dans la vie aux barrières vagues,

souvent je tombe, parfois, héros

de l’immobile, sur une vague

je reste, toute une seconde.

 

Faut-il éviter cette tombe

à chaque instant rouverte ?

Ces stratagèmes pour ma perte,

ces ruses brutales, racontent

un ennemi toujours alerte

qui vole par le monde.

 

Sur le poème commencé

une lumière tombe

et les mots à peine tracés

se perdent comme l’ombre

des feuilles bougeant en été.

Le ciel enfle sa forme ronde,

immense absurdité.

 

Henri Thomas, Le monde absent, dans

Poésies, Poésie / Gallimard, 1970, p. 136.

 

16/03/2017

Orson Welles, Lettre à l'Observer

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(…) dénoncer l’incompétence des gouvernants, et déclarer ensuite que la direction du monde devrait être laissée exclusivement entre ces mains incompétentes, c’est manifester un bien extraordinaire désespoir.

   Dans les circonstances actuelles, l’incitation à abandonner le bateau qui coule n’est pas seulement quelque chose de futile ; c’est aussi un cri de panique.

 

Orson Welles, Lettre à l’Observer, dans Ionesco, Notes et contrenotes, Idées/Gallimard, 1979, p. 155.

15/03/2017

Cécile A. Holdban, Mobiles

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                           Photographie Frédéric Tison (blog Les Lettres Blanches)

 

Les feuilles pendues aux arbres rappellent les oiseaux morts

 

une petite fille marche le soleil est mûr

le chemin bien droit

les pas légers dans la poussière

elle déjoue d’une tresse qui saute la pesanteur

sous les arbres

elle si petite l’ombre l’avalera

l’araignée approche

 

les cœurs seront jetés

les fragments rassemblés

dans la nuit d’une toile

 

Cécile A. Holdban, Mobiles, dans Europe,

janvier-février 2016, p. 265-266.

 

 

 

14/03/2017

Vladimir Maïakovski, Lettres à Lili Brik

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J’appelle

 

Le soulevant comme un athlète,

je le portais en acrobate,

et, comme on appelle les électeurs au meeting,

comme les villages

au feu

sont appelés par le tocsin,

j’appelai :

« Le voilà !

le voilà !

Prenez-le ! »

Quand

un tel monument se mettait à hurler,

ces dames,

s’écartant de moi,

par la poussière,

par la boue,

par la neige,

filaient comme un feu d’artifice :

« Nous, c’est plutôt la petite taille,

nous, c’est plutôt le genre tango… »

Je ne puis porter,

et je porte mon fardeau.

Je veux le jeter,

et je sais,

je ne vais pas le jeter.

Les arcs des côtes vont lâcher.

Sous la pression a grincé la cage thoracique.

 

Vladimir Maïakovski, Lettres à Lili Brik (1917-1930),

traduction Andrée Robel, Gallimard, 1969, p. 95-96.

13/03/2017

David Lespiau, Carabine souple

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Déplacement des nuages sous un ciel sombre

la pluie en suspens, petite ville balayée par le souffle

accéléré de la nuit, pleine lune, hurlements de coyotes

sur des tombes ouvertes, fermées, dans l’ombre de ce qui se passe

sur l’avenue principale. Rangées de commerces, drugstores, saloon, prison

la terre foulée au centre, sable et boue. Montée de la poussière

en boucle, du matin au soir.

 

1

Les portes du saloon firent viyou viyou et l’Angleux fut dans la place

Le comptoir était désert, Martha en profitait pour faire du rangement

en haut. Les mouchoirs de John constamment enrhumé

jonchaient le sol, dépliés, souillés, comme des remords tardifs

Un frisson parcourut l’échine de Martha, penchée par-dessus la balustrade

— Pierre ! Montez donc

Ses seins tombaient sous son tablier, désignant lAngleux comme cible idéale

— Je monte, Martha, je monte

Les marches de l’escalier défilèrent sous ses bottes, la rampe glissa sous son gant

avant la fin de la phrase, il était à l’étage

— Je suis ravie de vous voir, dit Martha

ramassant un mouchoir aperçu au pied de la commode

et ne sachant plus qu’en faire, le plongeant dans la poche avant de son tablier

— Vous êtes enrhumée ? demanda Pierre

— Non c’est Johnny

— Je vois, vous faites paroi nasale commune, poursuit-il finement

— Oui non

 

2

— Je ne suis pas celle que vous pensez

— Moi non plus, répondit Pierre Vivante, qui faisait le malin

dans un excellent français

— Vous vous êtes fait un torticolis au cou, non ?

— Hum

— Ça va mieux ?

— I have mal au neck

— C’est le canapé ?

C’était le canapé

[…]

 

David Lespiau, Carabine souple, L’Ours Blanc, 2016, p. 5-6.

12/03/2017

Cécile Mainardi, L'histoire très véridique et émouvante de ma voix de ma naissance...

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                                        20

 

À 6 ans, mon pèe ramène à la maison un magnétophone, nous jouons pendant des heures à nous enregistrer à tour de rôle. Ma mère dit je ne sais pas trop quoi avec sa voix qui, sans être forte, semble celle d’une géante quad on la réécoute. Elle-même dit qu’elle ne se reconnaît pas, qu’elle n’en revient pas d’avoir cette voix. Je m’amuse à la lui faire réentendre. Elle me dit maintenant qu’il lui semble entendre la voix de sa sœur aînée. Je lui dis : « Si, c’est toi, écoute ! » Nous sommes en haut des escaliers qui mènent au premier, assis sur les dernières marches. Jamais aucun objet ne nous a fait tenir si près du sol. Nous sommes près de nos voix ; nos voix près de nos bouches ; nos bouches près de nos cœurs.

 

Cécile Mainardi, L’histoire très véridique et très émouvante de ma voix, de ma naissance à ma dernière chose prononcée, Contre-Pied, 2016, p.20. © Photo Brigitte Palaggi.

11/03/2017

Étienne Faure, Vues prenables

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Puis les crues avaient délogé les morts

et les cadavres d’animaux qi dormaient sous l’eau

en un boueux désordre.

Une table flottait dans la Seine,

à quel repas en aval conviée, emportée sans hâte

— ce fut à Rouen qu’elle s’arrêta

à l’auberge où Flaubert l’attendait

avec d’autres ; toute la littérature

était là, à boire, à dévorer,

à ne vouloir jamais sortir de l’auberge

que la pluie ne coupât leur vin.

La vie,

sous la besogne outrancière des mots,

ils l’attrapaient comme idée,

pouce, index et majeur ramassés en grappe,

à s’aider de ces mains veinées

où coule en transparence une vieille vendange,

puis pour ne pas finir dans le vin aigre d’un tonneau

juraient, raturaient, buvaient

et contre Accoutumance, chien commun

tirant sa renommée de grammairien

d’une langue asséchée dans le jardin des maîtres,

aux jours de pluie rêvaient la canicule, en crevaient,

belle outre de vin noir — c’était du vent.

 

Littérature

 

Étienne Faure, Vues prenables, Champ Vallon, 2009.

10/03/2017

Pierre Silvain, Les chiens du vent, encres de Jean-Claude Pirotte

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Sous la poussière il retrouve

L’ardoise d’enfance fêlée

Avec les griffures intactes

Proclamant sa détresse d’être

Celui qui toujours demeure

Au seuil du monde déchiffrable

Dans l’attente d’une aveuglante

Révélation ou d’un anéantissement

Rien n’a changé

Tout continue de se refuser

Là derrière

 

Pierre Silvain, Les chiens du vent, encres

de Jean-Claude Pirotte, Cadex, 2002, p. 62.

09/03/2017

Michel Leiris, Le ruban au cou d'Olympia

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   Qu’est-ce que, pratiquement, je poursuis ?

— La combinaison de mots, phrases, séquences, etc., que je suis seul à pouvoir bricoler et qui — dans ma vie pareille, comme toute autre, à une île où les conditions d’existence ne cessent d’empirer — serait mon vade mecum de naufrage, me tenant lieu de tout ce qui permet à Robinson de subsister : caisse d’outils, Bible, voire Vendredi (si je dois finir dans une solitude à laquelle je n’aurai pas le cœur d’apporter le catégorique remède).

— Ou plutôt ce qui me fascine, c’est moins le résultat, et le secours qu’en principe j’en attends, que ce bricolage même dont le but affiché n’est tout compte fait qu’un prétexte. Au point exact où les choses en sont au-dedans comme au-dehors de moi, quoi d’autre que ce hobby pourrait m’empêcher de devenir un Robinson qui, travaux nourriciers expédiés, ne ferait plus que se laisser glisser vers le sommeil, sans même regarder la mer ?

 

Michel Leiris, Le ruban au cou d’Olympia, Gallimard, 1981, p. 195.

08/03/2017

Pierre Michon, Le Roi du bois

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Tôt un matin, j’allais me couper des sifflets sous un taillis, dans un de ces fonds humides où viennent des essences tremblantes que le moindre souffle agite, saules et trembles, et qui recueillent à leur pied de pauvres espèces, les couleuvres, les grenouilles : on fait dans ces écorces les meilleurs sifflets, on en tire une plainte ténue mais exagérée comme le chant des crapauds. Oui, Dieu sait que je n’allai chercher là que de bons sifflets. L’odeur des feuilles pourries montait et penché là-dedans j’avançais avec précaution, très occupé, le regard à hauteur de terre. Le jour de juin me trouva dans ce sous-bois. À un détour par une trouée je vis au loin le front d’un palais dans le soleil levant en haut de la colline : rien n’y bougeait, nul n’était levé, c’était clair et inhabité comme un rocher ; ici les brumes de la nuit persistaient, les feuillages retombaient, tout était noir. J’étais bien.

 

Pierre Michon, Le Roi du bois, éditions infernales, 1992, p. 23.

07/03/2017

Apollinaire, Le Guetteur mélancolique

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La nudité des fleurs c’est leur odeur charnelle

Qui palpite et s’émeut comme un sexe femelle

Et les fleurs sans parfum sont vêtues par pudeur

Elles prévoient qu’on veut violer leur odeur

 

La nudité du ciel est voilée par des ailes

D’oiseaux planant d’attente émue d’amour et d’heur

La nudité des lacs frissonne aux demoiselles

Baisant d’élytres bleus leur écumeuse ardeur

 

La nudité des mers je l’attire de voiles

Q’elles déchireront en gestes de rafale

Pour dévoiler au stupre aimé d’elles leurs corps

 

Au stupre des noyés raidis d’amour encore

Pour violer la mer vierge douce et surprise

De la rumeur des flots et des lèvres éprises

 

Apollinaire, Le Guetteur mélancolique, dans Œuvres

poétiques, Pléiade :Gallimard, 1965, p. 574.