21/11/2015
Marie Cosnay, Sanza lettere (road movie)
on avait perdu un mot dans les sous-sols, impossible de traverser, le couloir retient toute une généalogie, les uns piétinent les autres dans un espace qui ne s’élargit pas sous la pression des corps, prenant appui sur les genoux et les fesses on cherche l’air en surface cogne au plafond et de corps en corps va jusqu’à ma mort Elle est venue ma mort je ne dis pas ça à cause d’un printemps mais d’un trop plein de printemps, de saisons, après une impression sordide, un changement de genre et de cap Transformons les corps entassés dans le hall en lettres Évaporons-nous en récits disais-je Passons par le trou de la serrure mais personne n’y arrivait
d’autant que le désir de liberté lui-même mourait ; m’agrippant je cherchais dans le hall une idée pour survivre ; il semblait plus que tout autre chose dégueulasse mon élan de survivre ; je m’agrippais à la dégueulasserie c’est-à-dire que malgré la mort qui me fonçait dessus je tenais les rênes
Marie Cosnay, Sanza lettere (road movie), éditions de l’Attente, 2015, p. 86.
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20/11/2015
Angela Lugrin, En-dehors : recension
Les prisons ne sont plus des lieux où ceux qui ont été mis à l’écart de la société après jugement sont totalement abandonnés à eux-mêmes ; même si le nombre de prisonniers qui souhaitent suivre un enseignement reste faible, il est en progression. Angela Lugrin a enseigné la littérature à la prison de la Santé pour les épreuves de français du baccalauréat, avec au programme Le Cid et Les Liaisons dangereuses, et c’est ce travail d’un an qui est l’objet de En-dehors. On ne lira pourtant pas un compte rendu des difficultés à enseigner en milieu carcéral : elles ne sont pas plus importantes qu’au collège ; on apprendra plus sur sa manière de faire lire des textes ‘’classiques’’ à des détenus qui, dans leur vie présente, sont fort loin des subtilités de la littérature — l’un d’eux écrit d’ailleurs fort justement : « Mon état actuel ne me permet pas d’avoir les idées claires ». La professeure abandonne les schémas scolaires, fondant la lecture des textes sur les réactions de ces lecteurs particuliers, quitte à longuement argumenter pour mettre en cause des propositions pour le moins conventionnelles vis-à-vis des femmes et de la société. Ainsi, quand ils voient en Chimène le modèle négatif de toutes les femmes, elle explique que les mots sont les seules armes de la jeune femme ; sachant cependant que pour les prisonniers Chimène, comme elle l’écrit, « c’est un peu moi et mes papiers ». Cependant, le fait d’insister sur la validité de toute « lecture libre » qui s’appuie sur le texte, de rejeter la lecture d’autorité finit par avoir des effets : au fur et à mesure que l’étude des Liaisons dangereuses progresse, « on avance [...] dans le texte avec une vérité que je ne connais plus dans les écoles au-dehors des murs. » L’année s’achève avec le succès de plusieurs à l’examen, mais le récit d’Angela Lugrin, d’une certaine manière, relate moins ce qu’a été sa pratique d’enseignante que sa vision des prisonniers et ses propres rapports au monde.
Dans En-dehors, le lieu ‘’prison’’ est ambigu ; pour ceux qui y sont enfermés, ce n’est pas un lieu « où la langue interroge sans fin l’aurore et les ruines » — la littérature — mais où seule la question de la libération a un sens. Angela Lugrin, elle, revient régulièrement à cette idée qu’elle abandonne à la porte de la prison « la précipitation de la vie », et qu’elle entre chaque fois « dans un espace à l’abri, une terre de l’enfance, un lac noir de chagrins d’adultes ». On comprend alors qu’elle écrive, quand elle en sort : « la porte qui s’ouvre sur la rue de la Santé, sur Paris [...], on ne peut pas dire que ce soit un retour à la réalité. Ce serait plutôt le retour à nos enfermements respectifs. » L’enfance qu’elle évoque, c’est d’abord la sienne, quand elle rencontrait les malades que soignait son père dans un hôpital psychiatrique, quand elle se souvient aussi d’un « vieux rêve, un rêve de l’enfance, un rêve de prison », quand elle s’imagine à l’écart de toute institution, un peu « brigand ».
C’est pourquoi elle ne se demande pas pourquoi ses étudiants ont été jugés et enfermés, et ce n’est pas seulement parce que ce savoir risquerait alors de gêner sa pratique d’enseignante : pour elle, ce qu’elle cherche à retenir des prisonniers, c’est « ce qui leur reste, lorsque même le crime les a désertés » ; voyant par exemple dans un rêve deux jeunes détenus, ce qui la frappe c’est que « leur visage est celui d’enfants ». Cette enfance, elle est constamment présente, dans la « fragilité d’un regard », dans une voix, dans la lecture d’un texte ou quand un détenu tombe de sa chaise : sa chute provoque un rire général et « ils sont comme des enfants et j’ai encore le rôle de la maîtresse ». Parallèlement, dépouillés de leur passé, de leur échec à vivre au dehors, tous lui apparaissent beaux ; son frère, médecin, peut lui reprocher d’en faire des « portraits angéliques », elle les voit cependant « comme des pauvres, ou des seigneurs d’un autre âge » et, devant des initiales tatouées (VMI), elle écrit « je trouve ça beau » quand on lui en donne le sens, ‘’vaincu mais indompté’’.
Si l’on ne retenait que ces passages du livre, on parlerait de fascination pour le monde carcéral. Les choses ne sont pas si simples. Angela Lugrin n’ignore pas du tout la violence qui règne dans la prison, pas plus que celle qui y a conduit ses étudiants ; elle observe aussi que l’enfermement marque les corps jusque dans la démarche et elle a en tête cette remarque d’un détenu, « Vous ne pouvez rien pour nous ». Plus encore, elle a vite compris qu’il lui fallait être « en-dehors », refuser toute ambiguïté dans sa relation avec les uns et les autres, pas au nom d’on ne sait quel principe mais pour conserver le regard particulier qu’elle porte sur les détenus, et il faut bien entendre ce qu’elle définit comme ‘’distance’’ ; « La distance comme une pudeur, une prudence face au réel de la douleur. Si la distance est trahie, la beauté disparaît, l’impensable peut surgir. »
Angela Lugrin, En-dehors, éditions isabelle sauvage, 160 p., 18 €.
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19/11/2015
Jacques Lèbre, Onze propositions pour un vertige
I
Sur le terrain instable de ta mémoire,
suivait-tu des lignes de faille ?
Vérifiais-tu parfois la solidité
de tel ou tel souvenir
avant qu’il ne s’effondre sous tes pas ?
Tu marchais sur des gravats.
Les pas n’y font pas le même bruit.
Mais de cela, quelle image s’en approcherait ?
Poème.
Comme passe
l’ombre d’un nuage sur le sol.
II
À l’heure du rendez-vous
(c’était pour déjeuner)
il fallait te chercher
dans les restaurants du quartier.
« Attends, je note.
Attends, je prends un crayon.
C’est bien le dix-sept à midi ? »
Tu oubliais que tu avais noté.
Tu n’avais plus rendez-vous, avec personne.
Jacques Lèbre, Onze propositions pour un vertige,
le phare du cousseix, 2013, p. 5-6.
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18/11/2015
Yasmina Reza, Dans la luge d'Arthur Schopenhauer
Serge Othon Weil à Ariel Chipman
On vit dans un système compassionnel où il faut du drame partout. Tu peux me dire pourquoi on n’a pas organisé une fête nationale pour la fermeture du dernier puits de mine ? On a du charbon sous nos pieds et on n’a plus besoin d’envoyer des pauvres gars à six cents mètres sous terre pour essayer de l’extraire en chopant la silicose et en loupant le coup de grisou. Au lieu de quoi on a eu droit à un discours larmoyant sur le registre c’est une partie de l’histoire ouvrière qui disparaît. Mais merde, tant mieux ! Tu voudrais toi avoir tes enfants au fond de la mine, c’est extraordinaire de vivre dans un pays qui a du charbon sous ses pieds et qui peut se passer d’aller le chercher, qui n’a plus besoin d’envoyer des gens se glisser comme des rats dans des galeries pour donner des coups de marteau-piqueur dans un truc dégueulasse. Le monde s’améliore, qu’on le veuille ou non.
Yasmina Reza, Dans la luge d’Arthur Schopenhauer, Folio Gallimard, 2015 (Albin Michel, 2003), p. 41.
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17/11/2015
Charlotte Delbo, Une connaissance inutile, II
Nous y [le laboratoire] étions bien parce que nous pouvions nous laver, avoir des robes propres, travailler à l’abri. La culture du kok-saghyz* ne donnerait pas de résultat avant 1948, la guerre serait finie. Nous étions loin du camp, nous n’en sentions plus l’odeur. Nous ne voyions que la fumée qui montait des fours crématoires. Quelquefois le feu était si fort que les flammes jaillissaient des cheminées, immenses, jusqu’au ciel. Le soir, cela faisait à l’horizon un rougeoiement de hauts fourneaux. Nous savions que ce n’étaient pas des hauts fourneaux. C’étaient les cheminées des fours crématoires, c’étaient des gens qu’on brûlait. Il était difficile d’être bien et de ne pas penser jour et nuit à tous ces gens qu’on brûlait jour et nuit — par milliers.
Charlotte Delbo, Une connaissance inutile, II, éditions de Minuit, 1970, p. 74-75.
* variété de pissenlit dont la racine pouvait servir à fabriquer du caoutchouc.
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16/11/2015
Jean Tardieu, Margeries
Un oiseau loin de moi
Un oiseau loin de moi
Une fleur sous la neige
Une maison qui brûle
Un noir mourant de soif
Un blanc mourant de faim
Un enfant qui appelle
Le vent dans le désert
La ville abandonnée
L’étoile solitaire
En voilà bien assez
Pour que je vous ignore
Beaux jours de mon été.
Jean Tardieu, Margeries,
Gallimard, 1986, p. 167.
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15/11/2015
Armand Gatti (né en 1924), La mer du troisième jour
Le chant de la baleine solitaire
multiplie les baleines
Chaque baleine
blanche, bleue ou grise,
est un chant.
Chaque vague est le recommencement
de la mer phosphorescente.
Seul pour sauter de l’un à l’autre
le poisson volant
chant multiplicateur
Fruit jetant sa pulpe et se retrouvant noyau
mais dont le rayon
la falaise
les ammonites
seront désormais la terre nourricière.
Armand Gatti, La mer du troisième jour, illustrations
d’Emmanuelle Amann, Æncrages & Co, 2015, np.
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14/11/2015
Stéphane Korvin, Percolamour
une semaine sur deux
quelques jours
trois semaines
un mois, devant
un soir
quatre jours et puis
perdue, huit mesure s’en va
un jour par feuille, un arbre
trois saisons
une rue deux pièces
une minute
quelques secondes
cinq mots
un temps
un timbre un chien
ton
toi virgule mon moi virgule
un temps à coucher dehors
Stéphane Korvin, percolamour,
isabelle sauvage, 2012, p. 45.
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12/11/2015
Jack Spicer, C'est mon vocabulaire qui m'a fait ça
Les oiseaux
Un penny pour un verre pour le vieil homme
Asmodée, attrapeur de mouches
Ou quoi que ce soit qui nous transporte.
Nous, nous définissons comme des vers invisibles
Des poèmes que vous ne voyez jamais. Une vision
Du sexe dans le lointain.
Contremaître du réel. Les Lears crient avec obscénité
L’un celui de Shakespeare, l’autre l’ami de ces foutus Jumblies.
Une course lointaine
Avec l’eau de mer
Entre eux. Battant
De grands nuages de fumée. Un verre
Dans la totalité du monde visible rendu invisible. Pour qui.
Comme nous les définissons ils dis
Paraissent.
Jack Spicer, C’est mon vocabulaire qui m’a fait ça, traduit de l’anglais par Éric Suchère, préface de Nathalie Quintane, Le bleu du ciel, 2006, p. 173.
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11/11/2015
Ludovic Degroote, Llanover-Blaenavon
Llanover-Blaenavon
Aucun hasard ne conduit de Llanover à Blaenavon, même si la route n’est large que d’une voiture : j’ai de quoi m’y tenir. Les taillis laissent voir, par-dessus eux, la colline qu’il faudra franchir, alors que rien ne le donne à prévoir, sinon ce que j’en sais, parce que nulle route n’est visible d’ici, mais des fermes, des maisons, que je suppose être des fermes pour exister, dans cette espèce de réclusion ou de confinement, c’est difficile à dire lorsqu’on
n’est pas habitué à cette vie-là, c’est-à-dire quand on est habitué à une autre vie, si c’était possible de dire qu’il y a des vies différentes, ou qui devient possible à ce moment que j’en prends conscience, le désir profond de m’enterrer là comme si cela pouvait servir d’éternité dont la vision, pourtant menée même par les landes les plus décharnées et les plus abouties, ne peut être soupçonnée, tant il n’est rien qui ne puisse dire rien. [...]
Ludovic Degroote, Llanover-Blaenavon, le phare du cousseix, décembre 2014, p. 3-4.
Cet appel s’adresse aux membres de RESF mais aussi aux sympathisant-es ainsi qu’aux citoyen-nes soucieux de justice et de démocratie.
Nous attendons aussi des réactions des élu-es et responsables politiques.
Merci de diffuser.
Réservons en priorité absolue la date du
vendredi 18 décembre, à 13h30, au tribunal de Grasse.
Dans le département des Alpes-Maritimes, il est interdit de manifester sa solidarité avec les réfugiés ??!!
En juillet dernier, l’une de nous, Claire Marsol, a accompagné à la gare d’Antibes, 2 jeunes réfugiés (parmi tous ceux que nous essayons d’aider à la frontière italienne).
Elle a été arrêtée, mise en GAV, perquisition de son domicile, menottée, « conseils » biaisés de la police.
Elle passe au tribunal de Grasse le 18 dec à 13h30.
C'est quand même beaucoup pour une simple retraitée de l’Éducation Nationale qui, comme nous toutes et tous, a agi dans le cadre des activités de nos associations :
manifester sa solidarité envers des réfugiés victimes des guerres, de persécutions et de dictateurs sanguinaires.
La manœuvre d'intimidation est évidente.
Que cherche ce gouvernement ? Tenter, en vain, de museler la solidarité exprimée par de nombreuses associations, citoyens et citoyennes, envers les réfugiés ?
Avec un collectif d’organisations de défense des droits humains,
nous sommes en train d’organiser une grande mobilisation locale mais aussi nationale
en plusieurs temps et lieux.
Tenez-vous prêt-es à réagir rapidement aux appels qui vont vous parvenir.
Et faites le maximum pour diffuser autour de vous et vous libérer pour être à Grasse le 18 décembre.
Toutes et tous avec Claire !
Il n'y a pas que Claire !
Nous aussi, nous avons aidé des réfugié-es : nous les avons renseignés ou nourris ou accompagnés ou soignés ou hébergés…
Evidemment, comme elle, sans contrepartie aucune !!! sinon le respect mutuel et le bonheur de voir le sourire retrouvé des enfants.
Tout cela au nom, selon les cas,
- De la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme,
- De la Convention Internationale des Droits de l'Enfant,
- Du respect de traditions familiales d'hospitalité,
- De la mise en pratique des valeurs de l'Evangile,
- De la conscience de l'égale dignité des êtres humains peuplant cette minuscule planète sans frontières visibles des confins de la galaxie...
Devons-nous nous dénoncer nous-mêmes au Procureur de la République ?
Sinon, il pourrait nous inculper de non assistance à personne en danger !!!
http://www.educationsansfrontieres.org/
Pour vous joindre à nous : Resf06@gmail.com
https://www.facebook.com/groups/239092159470486/
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10/11/2015
John Ashbery, Le serment du Jeu de Paume
Roses blanches
Le côté le plus déplaisant de tout ça
La lumière blanche du soleil sur le sol ciré
Mise à contribution
Et puis la fenêtre fermée
Et la nuit s’achève et recommence.
Son visage vire au vert, ses yeux sont verts ;
Dans la recoin sombre jouant « la bannière étoilée pour toujours ».
J’essaie de décrire pour toi,
Mais tu refuses d’écouter, tu es comme le cygne.
Pas d’étoiles là-bas,
Ni de bannière,
Seule la canne d’un aveugle sondant, non sans maladresse, le coins
les plus reculés de la maison.
Aucun mal ne peut être fait ! Nuit et jour commencent à nouveau !
Donc oublie le livre,
Les fleurs que tu gardais pour les offrir à quelqu’un :
Seule importe la fabuleuse écume blanche de la rue,
Les nouvelles fleurs blanches qui sortent de terre en ce moment.
John Ashbery, Le serment du Jeu de Paume, traduction Olivier Brossard,
Corti, 2015, p. 36.
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09/11/2015
Ana Luisa Amarl, L'art d'être tigre
art premier
Du point le plus reculé
de l’âme
un tigre saute en direction
de la lumière
pour ensuite retenir
son geste,
figeant membre
et son
le vent lui décoche
une flèche d’azur,
un recoin où le temps
se fixe mieux,
à en illuminer toute la
clairière
et inquiéter
le tout
Ana Luisa Amaral, L’art d’être tigre,
traduit du portugais par Catherine
Dumas, le phare du cousseix, 2015, p. 5.
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08/11/2015
Jerome Rothenberg, Journal Seneca
Serpent
Les goitres n’étaient pas fréquents dans le coin, mais sa fille en avait un. Il gonflait son cou et faisait saillir ses yeux comme ceux d’une grenouille. Un jour, il l’emmena là où il avait vu un serpent noir dans les bois. Assurément, il était là. Il dit à sa fille de ne pas bouger et il demanda au serpent de s’approcher — ce qu’il fit. Sans bouger aucunement, elle le laissa grimper le long de sa jambe et lui entourer la taille au point qu’elle avait du mal à respirer. Alors l’homme s’approcha et toucha la queue du serpent. Il ressentit son pouvoir dans sa main et il lui parla. Il lui dit que si lui, le serpent, voulait les aider, il le laisserait repartir. Après qu’il fut retombé de la taille de la fille, l’homme prit son couteau et fit une entaille circulaire à la base de la tête du serpent. Il décolla la peau, laissa tomber son couteau et tira sur la vieille peau pour la libérer. Ce soir-là, l’homme ordonna à sa fille de porter autour du cou la peau du serpent. Lorsqu’il fit sombre, elle le sentit se serrer comme pour lui broyer la gorge. Cependant, le goitre diminuait. Elle garda la peau sur elle pendant plusieurs semaine et finalement le goitre disparut. Elle ne se départit jamais de sa peur des serpents.
Jerome Rothenberg, Journal Seneca, traduit par Didier Pemerle, Corti, 2015, p. 65.
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07/11/2015
Jean-Luc Sarré, Bardane
Son chien l’ignore
son chat l’a quitté pour la voisine
même sa villa se gausse
lui tire une langue
haute de quinze marches
et de sa glycine qui embaume
il se sent si indigne
qu’il n’ose jouir de son ombre
*
Le voilà titubant dans son rôle de piéton
il l’a tenu cent fois dans cette rue
plus ou moins droit, fringant, nauséeux
enjambant les flaques de chagrin, de vinasse
mais ça, non, jamais — on ne boit pas
au goulot sous les arbres en fleur.
*
Crotté de boue mais désarmé
en jaune adorable se tient
le monstre sous le clocher.
L’air du dimanche l’enrobe de tulle,
c’est le repos de ce guerrier
qui en semaine culbute les roches.
Jean-Luc Sarré, Bardane Divertimento, farrago,
2001, p. 45-47.
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06/11/2015
Luc Bénazet et Benoît Casas, Annonce
Si nous pouvons une généralité.
Chacun reçoit de l’autre la possibilité de ne pas dire le soi individuel. Ainsi, improprement. Ainsi, chacun va avec les bandes d’un autre, car elles lui sont données vides,— à l’instant d’aller. De dire. Est également certain le moment opportun, — le point d’arrêt. Si chacun peut ne pas être substitué. Si chacun peut ne pas être à la place d’un autre.
Chacun reçoit la possibilité de dire une phrase de l’écoute anticipée qu’il peut,— de l’écoute d’une phrase d’un autre. Certain que telle phrase, autre, aura son déroulement. Au moment opportun. À la fin de la phrase que chacun dit.
Luc Bénazet et Benoît Casas, Annonce, Héros-Limite, 2015, p. 28.
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