15/11/2015
Armand Gatti (né en 1924), La mer du troisième jour
Le chant de la baleine solitaire
multiplie les baleines
Chaque baleine
blanche, bleue ou grise,
est un chant.
Chaque vague est le recommencement
de la mer phosphorescente.
Seul pour sauter de l’un à l’autre
le poisson volant
chant multiplicateur
Fruit jetant sa pulpe et se retrouvant noyau
mais dont le rayon
la falaise
les ammonites
seront désormais la terre nourricière.
Armand Gatti, La mer du troisième jour, illustrations
d’Emmanuelle Amann, Æncrages & Co, 2015, np.
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14/11/2015
Stéphane Korvin, Percolamour
une semaine sur deux
quelques jours
trois semaines
un mois, devant
un soir
quatre jours et puis
perdue, huit mesure s’en va
un jour par feuille, un arbre
trois saisons
une rue deux pièces
une minute
quelques secondes
cinq mots
un temps
un timbre un chien
ton
toi virgule mon moi virgule
un temps à coucher dehors
Stéphane Korvin, percolamour,
isabelle sauvage, 2012, p. 45.
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13/11/2015
Brume du matin dans un chemin
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12/11/2015
Jack Spicer, C'est mon vocabulaire qui m'a fait ça
Les oiseaux
Un penny pour un verre pour le vieil homme
Asmodée, attrapeur de mouches
Ou quoi que ce soit qui nous transporte.
Nous, nous définissons comme des vers invisibles
Des poèmes que vous ne voyez jamais. Une vision
Du sexe dans le lointain.
Contremaître du réel. Les Lears crient avec obscénité
L’un celui de Shakespeare, l’autre l’ami de ces foutus Jumblies.
Une course lointaine
Avec l’eau de mer
Entre eux. Battant
De grands nuages de fumée. Un verre
Dans la totalité du monde visible rendu invisible. Pour qui.
Comme nous les définissons ils dis
Paraissent.
Jack Spicer, C’est mon vocabulaire qui m’a fait ça, traduit de l’anglais par Éric Suchère, préface de Nathalie Quintane, Le bleu du ciel, 2006, p. 173.
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11/11/2015
Ludovic Degroote, Llanover-Blaenavon
Llanover-Blaenavon
Aucun hasard ne conduit de Llanover à Blaenavon, même si la route n’est large que d’une voiture : j’ai de quoi m’y tenir. Les taillis laissent voir, par-dessus eux, la colline qu’il faudra franchir, alors que rien ne le donne à prévoir, sinon ce que j’en sais, parce que nulle route n’est visible d’ici, mais des fermes, des maisons, que je suppose être des fermes pour exister, dans cette espèce de réclusion ou de confinement, c’est difficile à dire lorsqu’on
n’est pas habitué à cette vie-là, c’est-à-dire quand on est habitué à une autre vie, si c’était possible de dire qu’il y a des vies différentes, ou qui devient possible à ce moment que j’en prends conscience, le désir profond de m’enterrer là comme si cela pouvait servir d’éternité dont la vision, pourtant menée même par les landes les plus décharnées et les plus abouties, ne peut être soupçonnée, tant il n’est rien qui ne puisse dire rien. [...]
Ludovic Degroote, Llanover-Blaenavon, le phare du cousseix, décembre 2014, p. 3-4.
Cet appel s’adresse aux membres de RESF mais aussi aux sympathisant-es ainsi qu’aux citoyen-nes soucieux de justice et de démocratie.
Nous attendons aussi des réactions des élu-es et responsables politiques.
Merci de diffuser.
Réservons en priorité absolue la date du
vendredi 18 décembre, à 13h30, au tribunal de Grasse.
Dans le département des Alpes-Maritimes, il est interdit de manifester sa solidarité avec les réfugiés ??!!
En juillet dernier, l’une de nous, Claire Marsol, a accompagné à la gare d’Antibes, 2 jeunes réfugiés (parmi tous ceux que nous essayons d’aider à la frontière italienne).
Elle a été arrêtée, mise en GAV, perquisition de son domicile, menottée, « conseils » biaisés de la police.
Elle passe au tribunal de Grasse le 18 dec à 13h30.
C'est quand même beaucoup pour une simple retraitée de l’Éducation Nationale qui, comme nous toutes et tous, a agi dans le cadre des activités de nos associations :
manifester sa solidarité envers des réfugiés victimes des guerres, de persécutions et de dictateurs sanguinaires.
La manœuvre d'intimidation est évidente.
Que cherche ce gouvernement ? Tenter, en vain, de museler la solidarité exprimée par de nombreuses associations, citoyens et citoyennes, envers les réfugiés ?
Avec un collectif d’organisations de défense des droits humains,
nous sommes en train d’organiser une grande mobilisation locale mais aussi nationale
en plusieurs temps et lieux.
Tenez-vous prêt-es à réagir rapidement aux appels qui vont vous parvenir.
Et faites le maximum pour diffuser autour de vous et vous libérer pour être à Grasse le 18 décembre.
Toutes et tous avec Claire !
Il n'y a pas que Claire !
Nous aussi, nous avons aidé des réfugié-es : nous les avons renseignés ou nourris ou accompagnés ou soignés ou hébergés…
Evidemment, comme elle, sans contrepartie aucune !!! sinon le respect mutuel et le bonheur de voir le sourire retrouvé des enfants.
Tout cela au nom, selon les cas,
- De la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme,
- De la Convention Internationale des Droits de l'Enfant,
- Du respect de traditions familiales d'hospitalité,
- De la mise en pratique des valeurs de l'Evangile,
- De la conscience de l'égale dignité des êtres humains peuplant cette minuscule planète sans frontières visibles des confins de la galaxie...
Devons-nous nous dénoncer nous-mêmes au Procureur de la République ?
Sinon, il pourrait nous inculper de non assistance à personne en danger !!!
http://www.educationsansfrontieres.org/
Pour vous joindre à nous : Resf06@gmail.com
https://www.facebook.com/groups/239092159470486/
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10/11/2015
John Ashbery, Le serment du Jeu de Paume
Roses blanches
Le côté le plus déplaisant de tout ça
La lumière blanche du soleil sur le sol ciré
Mise à contribution
Et puis la fenêtre fermée
Et la nuit s’achève et recommence.
Son visage vire au vert, ses yeux sont verts ;
Dans la recoin sombre jouant « la bannière étoilée pour toujours ».
J’essaie de décrire pour toi,
Mais tu refuses d’écouter, tu es comme le cygne.
Pas d’étoiles là-bas,
Ni de bannière,
Seule la canne d’un aveugle sondant, non sans maladresse, le coins
les plus reculés de la maison.
Aucun mal ne peut être fait ! Nuit et jour commencent à nouveau !
Donc oublie le livre,
Les fleurs que tu gardais pour les offrir à quelqu’un :
Seule importe la fabuleuse écume blanche de la rue,
Les nouvelles fleurs blanches qui sortent de terre en ce moment.
John Ashbery, Le serment du Jeu de Paume, traduction Olivier Brossard,
Corti, 2015, p. 36.
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09/11/2015
Ana Luisa Amarl, L'art d'être tigre
art premier
Du point le plus reculé
de l’âme
un tigre saute en direction
de la lumière
pour ensuite retenir
son geste,
figeant membre
et son
le vent lui décoche
une flèche d’azur,
un recoin où le temps
se fixe mieux,
à en illuminer toute la
clairière
et inquiéter
le tout
Ana Luisa Amaral, L’art d’être tigre,
traduit du portugais par Catherine
Dumas, le phare du cousseix, 2015, p. 5.
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08/11/2015
Jerome Rothenberg, Journal Seneca
Serpent
Les goitres n’étaient pas fréquents dans le coin, mais sa fille en avait un. Il gonflait son cou et faisait saillir ses yeux comme ceux d’une grenouille. Un jour, il l’emmena là où il avait vu un serpent noir dans les bois. Assurément, il était là. Il dit à sa fille de ne pas bouger et il demanda au serpent de s’approcher — ce qu’il fit. Sans bouger aucunement, elle le laissa grimper le long de sa jambe et lui entourer la taille au point qu’elle avait du mal à respirer. Alors l’homme s’approcha et toucha la queue du serpent. Il ressentit son pouvoir dans sa main et il lui parla. Il lui dit que si lui, le serpent, voulait les aider, il le laisserait repartir. Après qu’il fut retombé de la taille de la fille, l’homme prit son couteau et fit une entaille circulaire à la base de la tête du serpent. Il décolla la peau, laissa tomber son couteau et tira sur la vieille peau pour la libérer. Ce soir-là, l’homme ordonna à sa fille de porter autour du cou la peau du serpent. Lorsqu’il fit sombre, elle le sentit se serrer comme pour lui broyer la gorge. Cependant, le goitre diminuait. Elle garda la peau sur elle pendant plusieurs semaine et finalement le goitre disparut. Elle ne se départit jamais de sa peur des serpents.
Jerome Rothenberg, Journal Seneca, traduit par Didier Pemerle, Corti, 2015, p. 65.
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07/11/2015
Jean-Luc Sarré, Bardane
Son chien l’ignore
son chat l’a quitté pour la voisine
même sa villa se gausse
lui tire une langue
haute de quinze marches
et de sa glycine qui embaume
il se sent si indigne
qu’il n’ose jouir de son ombre
*
Le voilà titubant dans son rôle de piéton
il l’a tenu cent fois dans cette rue
plus ou moins droit, fringant, nauséeux
enjambant les flaques de chagrin, de vinasse
mais ça, non, jamais — on ne boit pas
au goulot sous les arbres en fleur.
*
Crotté de boue mais désarmé
en jaune adorable se tient
le monstre sous le clocher.
L’air du dimanche l’enrobe de tulle,
c’est le repos de ce guerrier
qui en semaine culbute les roches.
Jean-Luc Sarré, Bardane Divertimento, farrago,
2001, p. 45-47.
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06/11/2015
Luc Bénazet et Benoît Casas, Annonce
Si nous pouvons une généralité.
Chacun reçoit de l’autre la possibilité de ne pas dire le soi individuel. Ainsi, improprement. Ainsi, chacun va avec les bandes d’un autre, car elles lui sont données vides,— à l’instant d’aller. De dire. Est également certain le moment opportun, — le point d’arrêt. Si chacun peut ne pas être substitué. Si chacun peut ne pas être à la place d’un autre.
Chacun reçoit la possibilité de dire une phrase de l’écoute anticipée qu’il peut,— de l’écoute d’une phrase d’un autre. Certain que telle phrase, autre, aura son déroulement. Au moment opportun. À la fin de la phrase que chacun dit.
Luc Bénazet et Benoît Casas, Annonce, Héros-Limite, 2015, p. 28.
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05/11/2015
Jean-Luc Sarré, Les journées immobiles
c’est ailleurs on dirait
loin du ciel
loin du bleu tumulte qui interdit
il y a de la terre dans les masses bruissantes
dans les cernes
les volumes
dans les ombres devenues fragiles
il y a du mauve dans ces ombres
c’est l’été
dans une autre lumière
l’odeur est celle des pierres avant la pluie
*
on ne sait rien de l’été
rien de ces quelques mots qu’il dénoue
trop lourds souvent
pareils à ces branches basses
vautrées dans la poussière
au milieu de l’allée
ou à ces fleurs encore
écloses parmi les pierres
isolées rouges
fragiles au cœur du ruissellement
Jean-Luc Sarré, Les journées immobiles, 1990 ;
Flammarion, p. 72 et 84.
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04/11/2015
Édouard Levé (1965-2007), Suicide
Un samedi au mois d’août tu sors de chez toi en tenue de tennis accompagné de ta femme. Au milieu du jardin tu lui fais remarque que tu as oublié ta raquette à la maison. Tu retournes la chercher, mais au lieu de te diriger vers le placard de l’entrée où tu la ranges d’habitude, tu descends à la cave. Ta femme ne s’en aperçoit pas, elle est restée dehors, il fait beau, elle profite du soleil. Quelques instants plus tard, elle entend la décharge d’une arme à feu. Elle accourt à l’intérieur de la maison, elle crie ton nom, remarque que la porte de l’escalier qui conduit vers la cave est ouverte, y descend et t’y trouve. Tu t’es tiré une balle dans la tête avec le fusil que tu avais soigneusement préparé. Tu as laissé sur la table une bande dessinée ouverte sur une double page. Dans l’émotion, ta femme s’appuie sur la table, le livre bascule en se refermant sur lui-même avant qu’elle ne comprenne que c’était ton dernier message.
Je ne suis jamais allé dans cette maison. J’en connais pourtant le jardin, le rez-de-chaussée et la cave. J’ai revu la scène des centaines de fois, toujours dans les mêmes décors, ceux que j’ai imaginés la première fois que l’on me fit le récit de ton suicide. Cette maison était dans une rue, elle avait un toit et ne façade arrière. Mais rien de tout cela n’existe. Il y a le jardin où tu sors une dernière fois dans le soleil et où ta femme t’attend. Il ya la façade vers laquelle elle court lorsqu’elle entend la décharge. Il y a l’entrée, où la raquette se trouve, la porte de la cave et l’escalier. Enfin il y a la cave où gît ton corps. Il est intact. Ton crâne n’a pas explosé comme on me l’a dit. Tu es comme un jeune joueur de tennis qui se repose après un match sur le gazon. Tu en sais maintenant plus que moi sur la mort.
Édouard Levé, Suicide, Folio Gallimard, 2015 [P.O.L, 2008], p. 9-10.
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03/11/2015
Claude Chambard, Le chemin vers la cabane & Tout dort en paix, sauf l'amour
le matin les tourterelles
la pluie goutte dans la cheminée
il faudrait ne pas quitter la chaleur
du lit
cet été-là
le lit n’a jamais été défait
aucun oiseau n’a chanté
un jour j’ai marché
le long d’une voie ferrée
aucun train n’est passé
rien ne voulait de mes guenilles
(ritournelle)
Claude Chambard, Le chemin vers la cabane,
Le bleu du ciel, 2008, p. 21.
Maintenant, l’argile absorbe la mer et le pays, les nuages s’amoncellent au bord du ciel. La paix insonore isole la forêt de l’autre côté des barrières fermées à clef & la mer en vagues claires se repose. Le jour prochain est un luxe. Maintenant, est le plus petit feuillage, la plus petite cabane de la forêt. Maintenant, est un son, le plus calme, un son qui repose, qui a le pouvoir de lier les rêves, qui entraîne au retour, vers l’enfant dans la montée blanche.
Claude Chambard, Tout dort en paix, sauf l’amour, Le bleu du ciel, 2013, p. 65.
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02/11/2015
Jacques Roubaud, Les animaux de tout le monde
La vache : description
La
Vache
Est
Un
Animal
Qui
A
Environ
Quatre
Pattes
Qui
Descendent
Jusqu’
À terre
Jacques Roubaud, Les animaux de
tout le monde, Seghers, 1990, p. 74.
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01/11/2015
Esther Tellemann, Sous votre nom
[...]
Par les peuples
qu'on oublie
la part coupable
du monde
les murs qui
enferment
par l'ortie et la
myrtille
je me lie à toi
comme sœurs
à la racine.
Nous naviguions
très loin
confondions
les drapeaux
grandissions
derrière les grilles.
* * *
Ne finissions
d'enfermer les silences
dans nos mains
dans nos yeux
les voix.
Toutes les morts
que nous avions
écrites furent
ouvertes.
Esther Tellermann, Sous votre nom,
Flammarion, 2015, p. 52-53.
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