10/09/2024
David Bosc, L'incendie de l'Alcazar
les rangs de pommiers, la route et la haie noire
dans l’étau inhumain
du crépuscule
jusqu’à ce que s’ouvre
à travers la poitrine
un appétit inquiet d’animal nocturne
l’oreille parvient à museler
l’aboi misérable des chiens
la narine insensiblement
déplace vers le fond
les remugles criards de poubelles qui débordent
et tout entier tu t’ouvres à de menus miracles
de feuilles émues de fruits tombés
de remuements d'amour
au ventre d’un cyprès
David Bosc, L’incendie de l’Alcazar,
Héros-Limite, 2024, p. 50.
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28/02/2021
Alexis Bardini, Une épiphanie
Il y a peu de l’aube à toi
Comme un fruit qui gravite
Autour de son noyau
La chair épaisse des souvenirs
Nous est une distance
Pureté de l’écoute
Où tous les signes retentissent
Corps vacarme qu’une image submerge
Coup de théâtre aux mille sources
La mémoire est le siège de l’émoi
D’un coup tu tranches le fruit
Offres la pulpe à ton palais
Pour que chaque matin l’horizon se dilate
Quelques gouttes au bord des lèvres
Devant les jours qui peuvent
Alexis Bardini, Une épiphanie, Gallimard,
2021, p. 13.
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07/09/2019
Virgile, Le souci de la terre
La terre ouverte par le croc de la bêche donne assez d’humidité, et par le soc, des fruits lourds
Nourrir ainsi l’olive grasse, si chère à la paix
Les arbres fruitiers aussi, ils sentent s’affirmer la vigueur d e leur tronc puissant, ils se tendent vigoureusement vers les étoiles, sans besoin de notre aide
Et c’est toujours la forêt qui se charge de fruits
Les bois sauvages qui rougissent de baies de sang
Les troupeaux dévorent les cytises
Les hautes forêts fournissent des torches et alimentent les feux de la nuit pour répandre la lumière
Oh les hommes hésitent à planter des arbres et à en prendre soin
Virgile, Le souci de la terre, traduction du latin Frédéric Boyer, Gallimard, 2019, p. 138.
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15/11/2015
Armand Gatti (né en 1924), La mer du troisième jour
Le chant de la baleine solitaire
multiplie les baleines
Chaque baleine
blanche, bleue ou grise,
est un chant.
Chaque vague est le recommencement
de la mer phosphorescente.
Seul pour sauter de l’un à l’autre
le poisson volant
chant multiplicateur
Fruit jetant sa pulpe et se retrouvant noyau
mais dont le rayon
la falaise
les ammonites
seront désormais la terre nourricière.
Armand Gatti, La mer du troisième jour, illustrations
d’Emmanuelle Amann, Æncrages & Co, 2015, np.
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17/11/2013
Gertrude Stein, Lève bas-ventre
Gertrude Stein par Francis Picabia
II.
Baise mes lèvres. Elle les a baisées.
Baise mes lèvres à nouveau. Elle les a baisées à nouveau.
Baise mes lèvres encore et encore et encore à nouveau et elle les a [baisées encore et encore et en corps à nous vaut.
J'ai des plumes.
De grands poissons.
Penses-tu à des abricots. Nous les trouvons très beaux. Ce n'est pas [seulement leur couleur c'est leur noyau qui nous charme. Nous y [trouvons une différence.
Lève bas-ventre est si étrange.
Je suis venue pour en parler.
Un choix de raisins secs bon leurs raisins les raisins sont bons.
Différence ton nom.
Questionne et jardine.
Il pleut. N'en parle pas.
Mon bébé est chou tout rose. Je veux lui dire une chose.
Chandelles de cire. Nous avons acheté beau cou beaucoup de [chandelles de cire. Certaines sont décorée. Personne ne les a [allumées.
Je ne fais pas mention des roses.
Exactement.
Questionne et beurre.
Je trouve le beurre très bon.
L'Éve bas-ventre est si douce.
Lève bas-ventre grassement.
N'est-ce pas que cela t'étonne.
Tu me désirais intensément.
Dis-le à nouveau.
Fraise.
Lève transporte bas-ventre.
Lève douceur bas-ventre.
Chante jusqu'à moi dis-je.
Certaines sont des épouses pas des héros.
Lève bas-ventre simplement.
Chante jusqu'à moi dis-je.
Lève bas-ventre. Un réfléchi.
[...]
Gertrude Stein, Lève bas-ventre, traduction de Christophe
Lamiot Enos, éditions Corti, 2013, p. 28-29.
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27/10/2013
Paul Claudel, Connaissance de l'Est
Octobre
C'est en vain que je vois les arbres toujours verts.
Qu'une funèbre brume l'ensevelisse, ou que la longue sérénité du ciel l'efface, l'an n'est pas d'un jour moins près du fatal solstice. Ni ce soleil ne me déçoit, ni l'opulence au loin de la contrée ; voici je ne sais quoi de trop calme, un repos tel que le réveil est exclu. Le grillon à peine a commencé son cri qu'il s'arrête ; de peur d'excéder parmi la plénitude qui est seul manque du droit de parler, et l'on dirait que seulement dans la solennelle sécurité de ces campagnes d'or il soit licite de pénétrer d'un pied nu. Non, ceci qui est derrière moi sur l'immense moisson ne jette plus la même lumière, et selon que le chemin m'emmène par la paille, soit qu'ici je tourne le coin d'une mare, soit que je découvre un village, m'éloignant du soleil, je tourne mon visage vers cette lune large et pâle qu'on voit pendant le jour.
Ce fut au moment de sortir des graves oliviers, où je vis s'ouvrir devant moi la plaine radieuse jusqu'aux barrières de la montagne, que le mot d'introduction me fut communiqué. Ô derniers fruits d'une saison condamnée ! dans cet achèvement du jour, maturité suprême de l'année irrévocable. C'en est fait.
Les mains impatientes de l'hiver ne viendront point dépouiller la terre avec barbarie. Point de vents qui arrachent, point de coupantes gelées, point d'eaux qui noient. Mais plus tendrement qu'en mai, ou lorsque l'insatiable juin adhère à la source de la vie dans la possession de la douzième heure, le Ciel sourit à la Terre avec un ineffable amour. Voici, comme le cœur qui cède à un conseil continuel, le consentement ; le grain se sépare de l'épi, le fruit quitte l'arbre, la Terre fait petit à petit délaissement à l'invisible solliciteur de tout, la mort desserre une main trop pleine ! Cette parole qu'elle entend maintenant est plus sainte que celle du jour de ses noces, plus profonde, plus tendre, plus riche : C'en est fait ! l'oiseau dort, l'arbre s'endort dans l'ombre qui l'atteint, le soleil au niveau du sol le couvre d'un rayon égal, le jour est fini, l'année est consommée? À la céleste interrogation cette réponse amoureusement C'en est fait est répondue.
[octobre 1896]
Paul Claudel, Connaissance de l'Est [1900], suivi de L'oiseau noir dans le soleil levant [1929], préface de Jacques Petit, Poésie / Gallimard, 1974, p. 66-67.
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