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05/09/2017

John Ashbery (1927-3 septembre 2017), Fragment, Clepsydre, poèmes français

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C’est sûrement sur une des pages intérieures

Que l’histoire de sa timidité sera écrite

Avec toutes les pensées libertines d’un trajet

Grossièrement en forme de cœur autour d’un marais

Qui pour beaucoup de nous sera le voyage ultime

Vu la petite quantité de grâce qu’on nous a accordée.

 

Cette banalité qui est en fin de compte notre

Possession la plus précieuse, parce que permettant de

Nous élever au niveau de nous-mêmes, ce qui serait peu de chose

Sans la présence d’un tas d’amis et d’ennemis, tous

Disposés à nous prêter serment, nous comptant

Peu sur cet anoblissement de dernière heure, restent

Colossaux, leurs chapeaux à larges bords figurant

Toute la honte de la gloire, nous enfermant dans l’idée du nombre :

L’éther divisant nos victoires, anciennes et futures : dents et sang.

 

John Ashbery, Fragment, Clepsydre, poèmes français), traduction Michel Couturier, Seuil, 1973, p. 19.

12/12/2015

John Ashbery, Vague

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Tu l’as dit, petit

 

Comme tu es courageux ! Parfois. Et l’injonction

Demeure, mur blanc tout simple. Encore un affaire en cours.

Mais n’est-ce pas là précisément la nature des affaires, dit

             quelqu’un d’autre, l’air dégagé.

Tu ne peux pas tout laisser en plan au beau milieu, et puis filer.

Et si tu y prêtais incessamment l’oreille, jusqu’à

 

Ce qu’elle s’intègre à ton âme, corps étranger bien à sa place ?

Je te demande si souvent de réfléchir à la rupture que tu es en train

D’accomplir, cette révolution. Le temps se drape encore, pourtant,

Sur tes épaules. Le bulletin météo

N’a pas parlé de pluie, mais tu as le cul qui baigne dedans, alors ?

Trouve-toi d’autres prévisions. Celles-ci sont bonnes à jeter.

Les journaux d’hier, et ceux des semaines précédentes couvrent

Le temps écoulé, de plus en plus lointain, dans un ordre quasi parfait.

                     Ça ne sert

Qu’à te couper la parole. Le passé ne sert à rien d’autre.

 

Jusqu’au moment où, ton auto sortant brutalement d’une route

Pour tomber dans un champ, tu demeures assis à évoquer les heures.

C’était pour cela le baratin, les mensonges

Que nos murmures répétaient jusqu’à leur donner un parfum de vérité ?

Mais maintenant, comme quand on mord une monnaie dévaluée,

                     ils se font possessions

Alors que montent les étoiles. Et la ridicule machine

Continue à égrener ses slogans : « Encore bourré... », « de chez nous

À chez toi... » « On les a portés un certain temps, ils faisaient partie de

                       nous »

 

Chaque jour semble imbu de lui-même, il n’est pourtant

Fait que de quelques haricots colorés et d’un peu de paille sur la terre

                       battue

Dans le rai de lumière où danse la poussière. Il y a eu de la place, c’est vrai ;

Et c’est toi qui l’a ménagée en t’en allant. Quelque part, quelqu’un

Écoute ton rire, l’avale comme un verre d’eau fraîche,

Ni heureux, ni horrifié. Et cette posture, ce poteau fiché là, c’est toi.

 

John Ashbery, Vague, Traduit de l’américain par Marc Chénetier,

Joca Seria, 2015, p. 44-45.

 

10/11/2015

John Ashbery, Le serment du Jeu de Paume

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 Roses blanches

 

Le côté le plus déplaisant de tout ça

La lumière blanche du soleil sur le sol ciré

Mise à contribution

Et puis la fenêtre fermée

Et la nuit s’achève et recommence.

Son visage vire au vert, ses yeux sont verts ;

     Dans la recoin sombre jouant « la bannière étoilée pour toujours ».

             J’essaie de décrire pour toi,

Mais tu refuses d’écouter, tu es comme le cygne.

 

Pas d’étoiles là-bas,

Ni de bannière,

Seule la canne d’un aveugle sondant, non sans maladresse, le coins

         les plus reculés de la maison.

Aucun mal ne peut être fait ! Nuit et jour commencent à nouveau !

Donc oublie le livre,

Les fleurs que tu gardais pour les offrir à quelqu’un :

Seule importe la fabuleuse écume blanche de la rue,

Les nouvelles fleurs blanches qui sortent de terre en ce moment.

 

John Ashbery, Le serment du Jeu de Paume, traduction Olivier Brossard,

Corti, 2015, p. 36.      

 

18/08/2012

John Ashbery, Poèmes français, dans Fragment

John Ashbery, Poèmes français, Fragment

 Simples, les arbres posés sur le paysage

Comme des gerbes de foin qu’on aurait laissé traîner là.

Le crottin des chevaux disparus, les pierres qui l’imitent,

Tout nous parle des cieux, qui ont créé cette scène

Par leur seule position.

 

Or en s’associant trop strictement aux trajets des choses

On perd cette sublime espérance faite de la lumière qui asperge les arbres.

Car chaque progrès est négation, de mouvement et surtout de nombre.

Ce nombre ayant perdu sa finesse indescriptible

Tout doit être perçu comme quantités infinies de choses.

 

Tout est paysage : perspective de rochers

Battues par d’innombrables vagues ;

Champs de blé à ne plus pouvoir en compter ; forêts

Aux sentiers perdus ; tours de pierre

Et enfin et surtout les grands centres urbains, avec

Leurs buildings et leurs populations, au centre desquels

Nous vivons notre vie, faite d’une grande quantité d’instants isolés

Pour être perdue au sein d’une multitude de choses.

 

John Ashbery, Poèmes français, dans Fragment, traduit de l’américain par Michel Aucouturier, Seuil, 1975, p. 18.