23/11/2018
Jacques Moulin, Sauvagines
Regard de clairière
Paupières feuillues
Œil de lynx
Oreilles sylvestres
Nez en l’air jusqu’à terre
Nez en flair avec
L’humus l’humeur des vents
L’ardeur des fumées
L’honneur du poil ou de la plume
Mains moussues
Corps tendu vers l’attente l’accueil
Il avance sans appareil photo
— l’appareil ne l’appareille jamais
Il avance toutes antennes offertes
Live sauvagement live
Il ne vient pas faire photo
Gonfler l’album thésauriser le cliché
Jouer la montre la démonstration
Il vient comprendre attendre entendre
Goûter à l’espace apprécier les lieux
Se dissoudre en eux
Garantir sa communion avec le vivant
Il est vivant au sein du vivant
Comme la pierre il est posé là
Dans le mitan du monde
Un coup de sécateur — sa dentition sauvage
Et il attend il observe il écoute il respecte
Il est à l’affût il s’affûte corps et esprit
[…]
Jacques Moulin, Sauvagines, éditions la clé à molette, 2018, p. 27-28.
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22/11/2018
Figures de l'art roman
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21/11/2018
Ana Tot, mottes mottes mottes
l’éternel détour
expulsé s’entend
sans retour
définitif pourtant
qu’est-ce que c’est
le déversé est absorbé
le répandu évaporé
une seule plongée
dans la même eau
pas davantage
mais la rivière l’ignore
au demeurant s’écoule
et s’écoulant demeure
irréversible est vue d’esprit
qu’espoir et désespoir
à parts égales égarent
le ponctionné quand on y pense
si ça nous chante o l’y reverse
dans le cours d’eau ou d’autre chose
ou dans le cours tout court des choses
Ana Tot, mottes mottes mottes, le grand os,
2018, p. 54.
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19/11/2018
Basho, seigneur ermite
Cette eau de source,
est-ce la pluie printanière
s’égouttant des cimes des arbres ?
Séparons-nous maintenant
comme un bois de cerf se ramifie
au premier nœud
Pieds lavés,
je m’endors pour une courte nuit
tout habillé
À l’extrémité de la feuille
au lieu de tomber
la luciole s’envole
Ruines d’un château —
je visite en premier
l’eau limpide de l’ancien puits
Basho, seigneur ermite, l’intégrale des haïkus,
édition bilingue Makoro Kemmoku et
Dominique Chipot, La Table ronde,
2012, p. 168, 172, 175, 177, 180.
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18/11/2018
Jean-Luc Sarré, Bardane
Feuilles mortes
(il en reste)
vieux chiffons
déchets
on fourre on entasse
on bourre
mais pas trop
on brûle en face
au fond d’une cour
dans un bison rouillé
l’hiver dont les volutes s’élèvent
entre la mer et ce balcon
où je disperse les mietets
d’un poème fragile
Jean-Luc Sarré, Bardane, farrago,
2001, p. 23.
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17/11/2018
Jean Tardieu, Da capo
Le procès de la mante religieuse
Mais oui ! Messieurs les juges
J’ai mangé mon mari
Mas oui je l’ai mangé
Elle rabâche elle balance
Ses antennes de télégraphe
Gauche droite elle vacille végétale
Elle tangue bateau sans ses voiles
Triangle cornu
Implacable et nu
Pourquoi me punir
Je n’ai rien fait de mal
J’obéis à ma loi
Qui échappe au tribunal
Mais oui je l’ai aimé
Voilà pourquoi
Je l’ai mangé
Elle se dandine
Longues cuisses vertes
La force la forfaiture
Et la démente nature
Et si vous continuez
Messieurs les juges
Je vais manger vos hermines
Comme di je vous aimais
Je suis la veuve éternelle
Jean Tardieu, Da capo, Gallimard, 1995, p. 48-49.
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16/11/2018
Guillaume Apollinaire, Calligrammes
L’avenir
Soulevons la paille
Regardons la neige
Écrivons des lettres
Attendons des ordres
Fumons la pipe
En songeant à l’amour
Les gabions sont là
Regardons la rose
La fontaine n’a pas tari
Pas plus que l’or de la paille ne
[s’est terni
Regardons l’abeille
Et ne songeons pas à l’avenir
Regardons nos mains
Qui sont la neige
La rose et l’abeille
Ainsi que l’avenir
Guillaume Apollinaire, Calligrammes, avril
1918, Pléiade / Gallimard, 1965, p. 300.
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15/11/2018
Jean Tortel, Du jour et de la nuit
Dure prairie
Table de joie
Le muscle épie
Votre cassure.
Vous immobile
Vous retenez
Comme un lutteur
Sa défaillance
Ce qui remonte
Des profondeurs
Et vous disperse.
Jean Tortel, Du jour et de la nuit,
Jean Vigneau, 1944, p. 93.
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14/11/2018
Tristan Corbière, Les Amours jaunes
Paysage mauvais
Sable de vieux os — Le flot râle
Des glas : crevant bruit sur bruit.
— Palud pâle, où la lune avale
De gros vers, pour passer la nuit.
— Calme de peste, où la fièvre
Cuit… Le follet damné languit
— Herbe puante où le lièvre
Est un sorcier poltron qui fuit
— La lavandière blanche étale
Des trépassés le linge sale,
Au soleil des loups… — Les crapauds
Petits chantres mélancoliques
Empoisonnent de leurs coliques
Les champignons, leurs escabeaux.
Tristan Corbière, Les Amours jaunes,
Dans C. Cros, T. C., Œuvres complètes,
Pléiade / Gallimard, 1970, p. 794.
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13/11/2018
Joël Cornuault, Tes prairies tant et plus
L’amour rectifie les paysages
L’amour est la meilleure
des mises au point.
Il y a des amis haut placés
parmi les hirondelles de passage
bas placés chez les fourmis d’ici
partout placés dans le lit des rivières
la lie des marais
la sève des platanes
tes anneaux d’or
ta langue de feuille
ta langue de Brésil
tes légères morsures de daim
sur mes nervures
L’amour dépasse les bornes
Avec lui les maisons se retournent
marchant sur le toit
les pierres gelées rebroussent la pente
le temps reflue
les rues se cabrent
toi tu te cambres
origine et fin
Joël Cornuault, Tes prairies tant et plus,
Pierre Mainard, 2018, p. 57.
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12/11/2018
Victor Hugo, Choses vues
1848
Égalité, traduction en langue politique du mot envie.
Académie française. Quarante exemplaires des armoiries de Bourges.
[Les armoiries de Bourges portaient trois moutons en leur centre]
On m’a dit : « Fermez cette porte ! Vous voyez bien que n’importe qui ou n’importe quoi peut entrer : un coup de vent, une femme… »
Je me suis recueilli un instant. « N’importe qui ou n’importe quoi ? » ai-je pensé. Alors je me suis tourné vers celui qui me donnait ce sonseil et j’ai dit : »Ne fermez pas cette porte. » Et j’ai ajouté : « Entrez ! »
Victor Hugo, Choses vues, Quarto / Gallimard, 2002, p. 488, 490, 493.
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11/11/2018
Quelques oiseaux
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10/11/2018
Olivier Domerg, La méthode Vassivière : recension
Vassivière ? On rapporte volontiers, depuis un siècle, que les Français ne connaissent pas la géographie et, en particulier, celle de leur pays, plus familiers des paysages du Maroc ou du Cambodge que du Limousin. Le grand lac artificiel de Vassivière, en Haute-Vienne, porte une île où est construit le Centre international d’art et du paysage, lieu de résidence qui a accueilli Olivier Domerg. Quant à la "méthode", elle résulte de l’association « de la lecture du paysage » et de la lecture des poésies du poète américain George Oppen (1908-1984), régulièrement cité dans le livre. Il y a bien une proximité de projet entre Oppen et Domerg, qu’un vers de ce dernier résume, « Impossible de douter du monde : il est visible », et la tâche du poète consiste à parcourir cette visibilité inépuisable : « Tout poème débute avec le monde ».
Le livre explore en effet le lieu "Vassivière" — le lac, l’île, la colline, la forêt, les prés —, sous forme de vers brefs, touches minuscules, variations à propos du paysage qui pourraient se poursuivre puisque tout ce qui est vu demeure toujours d’une certaine manière dans l’étrangeté. Certes, « ce que nous voyons est là », mais il faut comprendre que « regarder les choses, c’est ouvrir un abîme ». L’entreprise du regard est difficile ; le fait d’ignorer le nom des plantes ou à quel oiseau attribuer tel chant n’est pas ce qui pourrait gêner : qui regarde les choses du monde chaque jour (arbres, eaux, etc.) éprouve un sentiment d’impuissance analogue à celui de Domerg, ce qui est vu, « comment le dire / dans le langage ordinaire ? ». Le regard peine souvent à distinguer et isoler la variété des formes et des couleurs (l’abondance des verts, par exemple), saisi par la « sensualité » des formes, des « ondulations du relief ». Domerg exclut, comme Oppen, la métaphore, essayant ici et là l’allitération et l’assonance pour restituer le « plénitude saturée » avec, par exemple, « frondeuses frondaisons », « buissons (…) bruissant », « fouillis de fougères et de feuilles ». Le plus souvent, il emploie les mots les plus courants pour "donner à voir", « Troupeaux dispersés / sur les pentes ou // au creux des combes // ou soudain rassemblés / sous l’arbre unique / ou bien à l’orée du bois, / du bosquet, // pour s’abriter / de la pluie. » On suit dans ces vers la lenteur du regard, la tentative de s’imprégner de tout le visible.
« Ne cours pas », écrit Domerg, et si l’on prend le temps de regarder, on sera autour de Vassivière surpris par la présence partout de la lumière ; les notations à ce sujet sont si abondantes qu’elles contribuent à donner au texte son unité. La lumière est étroitement liée à l’air (« l’air / est la lumière nue / du soleil » ; « Dans la clarté/ lumineuse de l’air »), également à la couleur verte visible partout (« la lumière semble sourdre du vert », « le vert est le fruit de la lumière »). Lumière du lac, lumière qui « soude les choses entre elles » — ce qui ne signifie pas une transparence du monde. Il y a une « merveille de l’évidence », dont le regard s’emplit, mais bien que l’on devine la présence animale, on ne voit rien autre que les familiers — le héron, l’écureuil ; pour les autres, « ils sont là, quelque part ! ». Rien de transparent non plus dans la pourriture des troncs ; pas de lumière alors, mais le sombre que l’on évite de mettre en relation avec notre vie pour ne pas y voir une image de ce qu’elle deviendra.
Dans La méthode Vassivière comme dans d’autres livres d’Olivier Domerg, le lecteur reconnaît le « désir / de saisir / (…) / Ce qu’il y a ». La poésie aurait d’abord pour tâche de trouver une forme « pour dire qu’il y a quelque chose / à nommer », et en même temps le monde est « impénétrable » ; c’est cette difficulté qui est sans cesse affrontée avec la volonté d’épuiser le « besoin de voir », d’aller au-delà de l’apparence, sachant bien qu’il faudra sans cesse recommencer à ouvrir les yeux.
Olivier Domerg, La méthode Vassivière, Dernier Télégramme, 2018, 208 p., 15 €.Cette note a été publiée sur Sitaudisle 17 octobre 2018.
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09/11/2018
Marcel Cohen, Sur la scène intérieure, Faits
David Salem, convoi du 30 mai 1944
Arrêté en même temps que sa femme Perla à Béziers où ils avaient créé une petite fabrique de textile, ils sont déportés par le même convoi alors que le débarquement allié en Normandie est imminent. Sélectionnés tous deux pour le travail on sépare David de Perla sur la rampe de Birkenau David ne supporte pas d’être sans nouvelles de sa femme, détenue, peut-être ; à quelques centaines de mètres seulement. À peine s’est-il fait une idée des lieux qu’il tente de s’évader pour la rejoindre. Il meurt sur les barbelés électrifiés sous les yeux des détenus qui tentaient de le retenir. Pour que sa mort serve de leçon aux nouveaux arrivants, les SS pendent son cadavre au milieu de l’allée qu’empruntent matin et soir les déportés allant au travail et en revenant. Son corps reste suspendu là plusieurs jours, peut-être davantage. C’est moins en pensant à sa sa mort qu’aux illusions qu’il n’avait pas eu le temps de perdre que les détenus l’ont surnommé le « pauvre petit David ».Aucun de ceux qui ont survécu à l’évacuation du camp, en janvier 1945, peu avant la libération par l’Armée rouge, n’a oublié le corps du « pauvre petit David » se balançant au-dessus des têtes. David avait trente-six ans.
Marcel Cohen, Sur la scène intérieure, Faits, Folio / Gallimard, 2015, p. 135-136.
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08/11/2018
Rolando Alberti, Magique, extrêmement
Érection
De petits flocons de neige
descendent du ciel gris
fondant à terre comme de petits désirs.
Tu es mon petit flocon de neige
une pente sans terre
un regard sans rencontre.
Être qui vécut dans ma petite éternité
voyageant dans les méandres comme la prière d’un dieu,
pensée qui devient chair
comme l’acte fécondateur
déesse ensorceleuse qui te montra dans l’autre
à l’homme en marche noyé dans les océans du temps.
Rolando Alberti, Magique, extrêmement, traduit de l’italien
par François Bordes, dans L’étrangère, n° 47-48, automne 2018, p. 167.
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