05/01/2020
Jacques Prévert et André Verdet, Histories
La rivière
Cette nuit-là les yeux étaient une rivière sous les étoiles
Il y avait une barque au fil de l’eau
Vide
L’ombre frissonnante des arbres de la rive
Sur la lumière des flots
Puis l’arche d’un pont de pierre
Où la lune s’était posée
Jacques Prévert et André Verdet, Histoires,
Le Pré aux Clercs, 1948, p. 159.
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25/07/2019
Albane Prouvost, Ne tirez pas camarades
Bien reste immobile
ne bouge pas
ou tu vas te faire tirer dessus
nous partons dans des directions opposées
en poussant des cris dans la plaine
ou en arrivant à toute vitesse
nous nous éloignons
nous sommes lourds
On traverse la rivière
c’est la débâcle
je pense au poète Victor Chklovski
en traversant la rivière
pendant que je traverse la rivière en me frayant
un passage à travers les blocs de glace
Je décide de vous faire confiance
c’est ma décision
je vous vois vous éloigner
sous les branches et le vent léger
nous sommes déjà loin et le vent rougit nos joues
le froid est très vif
(…)
Albane Prouvost, Ne tirez pas camarades, éditions Unes,
2000, p. 19-20.
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10/05/2014
Sarah Kirsch (1935-2013), À la pêche avec Sacha
À la pêche avec Sacha
Ce qui serait bien avait dit Sacha ce serait de faire
Aujourd'hui notre provision de vers de terre et demain
Le bus du canal un petit sac de ravitaillement l'attirail
De pêche des pliants du tabac en veux-tu en voilà moi j'ai dit
Sitôt dit sitôt fait après avoir perdu en route
Un chaudron traversé les roseaux en nous protégeant les yeux
Nous avons mis bas le paquets j'ai poussé un soupir le soleil
Pointait hors de l'eau dans cette contrée
L'eau de la rivière et non de la mer
Viens sous le saule
Toi prends le pliant rouge
À l'ombre des amorces
Enfile les bottes en caoutchouc
Claquements de lignes nombreux des deux côtés sur l'eau boueuse
Un petit chaudron çà et là fume y nagent sans doute
Des paprikas en attendant ceux qui pour l'instant sont encore
Ces poissons voilà déjà le bouchon qui plonge je ferre rien
Fais attention au fil
Un bateau à moteur passe le long du bord
Il a de belles mains
La ligne de vie pas une brisure
C'était à prévoir Sacha a de la veine il prend quelque chose et moi
De ces ridicules petits poissons dont on n'ose même pas
Dire le nom si j'essayais à la cuiller
Pas encore la saison je le sais bien les poissons aussi
Ma seule chance est là à nouveau le bateau à moteur
Qui passe il a son fil cassé au-dessus de l'hameçon viens
Les nœuds les tendres liens c'est à moi de les faire Sacha
Ta main est trop grosse
Serre bien les plombs avec tes dents
Je suis quand même bonne à quelque chose tu vois
Je pose la deuxième ligne
[...]
Sarah Kirsch (1935-2013), À la pêche avec Sacha, traduit de l'allemand par Maurice Regnaut, dans Rehauts, n° 32, septembre 2013, p. 3-4.
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22/02/2013
Pierre Chappuis, Muettes émergences, proses
En aval
Populages et tussilages : longtemps pris l'un pour l'autre, l'étroite parenté des deux noms aidant, quoique, dans la topographie de l'enfance telle qu'elle s'est reconstituée en moi, ils demeurent liés à deux lieux différents, pour ne pas dire opposés. Celui des tussilages (occasionnellement recueillis en compagnie des fils du pharmacien en quête de simples), une boucle des plus banales formée par la route cantonale en amont du village, appartient à une branche morte de la mémoire, de celles utiles (est-ce le mot ?) aux inventaires qu'il nous arrive d'effectuer par désœuvrement.
En aval, à l'autre bout du village — mémoire vive —, la rivière, qui n'est encore qu'un ruisseau, coule parmi les prés, fluette, maigrichonne mais libre au sortir de l'ingrate canalisation souterraine où on l'a malencontreusement emprisonnée. Peu de méandres, et moindres vu la faible pente à cet endroit (moins de vingt-cinq mètres de dénivellation du village au village suivant) : pas ou peu d'accidents, de trous, de racines ou de pierres dressées dans le lit de la rivière venant entraver ou précipiter le courant. Comment toutefois ne pas laisser glisser ses pensées, sans plus, au fil de l'eau et, sans bouger, se laisser emporter par le courant ou prétendre le suivre, gambader à son rythme ? Dans le même temps — insouciance de l'enfance ! — s'attarder joyeusement au détail des choses, tout un monde, une géographie en miniature où le terrain spongieux est toujours prêt de le céder à l'eau, où se créent d'infimes dépôts alluvionnaires et des tourbillons qui tiendraient dans le creux de la main, où de friables mottes de terre, telles des falaises dressées au-dessus du vide, menacent de s'effondrer.
Ces fleurs tout à coup — bonheur, dans pareil environnement somme toute monotone ! —, étroitement regroupées à l'abri d'une petite anse et néanmoins de loin attirant le regard, aussi éclatante que des boutons d'or mais (impossible de confondre) moins collet monté, oui, tout à coup — surprise ! —, ces fleurs épanouies, rieuses, écarquillant de grands yeux d'un jaune nettement plus vif, un peu celui des pissenlits mais lustré, plus soutenu et quant à elles toutes nouvelles pour moi, nullement hirsutes, au contraire élégantes, (comme habillées ou plutôt costumées en vue de quelque cortège ou fête), portant de larges collerettes et de fastueuses épaulettes d'un vert intense.
Pierre Chappuis, Muettes émergences, proses, José Corti, 2011, p. 62-63.
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25/06/2012
Nathalie Riera, Variations d'herbes
Rivière
À Axel
trouble du rythme à secouer le paysage le livre des eaux
je vais librement sur le chemin des mots serrés entre les dents
au vent gelé je vais où je n'ai pas encore écrit une ligne
laver le livre où je vais le plus vert de mon temps vous écrire la
force de vos naissances au plus proche de l'effroi mes défroques de phrase sans uniforme
je suis creusée au taraud pulsée par la beauté
évaporites au cœur je m'évapore de choses très équivoques
En permanence dans l'air, par terre, à contre-jour, les mots, aux pas vifs.
Escapades Escarpement Œil et Terre Corde harmonique Sauter en hauteur
Parce que tant de beautés qui dorment en arrière de soi Parce que toute espérance se trouve dans une poignée de terre, s'accroche à l'arçon de la selle.
À travers champs dans la variation des herbes. Poésie parmi les lampes et les plantes.
Nathalie Riera, Variations d'herbes, Béziers, Les éditions du Petit Pois, 2012, p. 16-17.
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