Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/03/2024

Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-neuf

                                     Unknown.jpeg

La tradition veut que l’amour ne puisse exister préalablement à sa déclaration. Seuls les mots l’autorisent, seuls ils le déclenchent et seuls ils le consacrent Dans cette perspective, nous étendons les pouvoirs de la langue à tout ce qui la précède, nous divulguons ces pouvoirs  depuis les corps et  les images. Poésie est le nom de ces plongées dans la nuit continuée des commencements. Partie prenante de cette perspective est le paysage. L’amour, et plus encore ce pourquoi il naît, peuvent loger dans un « jeu de langage » gagné par les stridences et la rouerie des échanges.

 

Nicolas Pesquès, La face nord du Juliau, dix-neuf, Flammarion, 2024, p. 51.

29/09/2022

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, onze, douze

              6a00d8345167db69e2026bde9dbd56200c-300wi.png

                        le 18 novembre (2008)

 

Si, sur une page, je regarde le mot colline, je connais, dans des délais variables, un afflux ou non d’images, d’envies, de mémoire. Une boue de pensée, la soupe des sensations. Il est souvent difficile de les distinguer.

 

Si, maintenant, je regarde la colline, je connais, dans des délais également variables un afflux ou non d’images, d’envies, de mémoire ; La même soupe, la même boue.

 

Le corps a vécu deux activités, a accompli deux choses radicalement différentes. Comment les symptômes pourraient-ils être les mêmes ? Ils ne le sont pas. C’est toute la tragédie et toute l’excitation du monde. 

 

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, onze, douze, Flammarion, 2013, p. 104-105.

06/08/2019

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, treize à seize

 

nicolas_pesqus_chez_tschann.jpg

Le 1eraoût

 

Ceux qui peignent, écrivent, sculptent, etc. se présentent côte à côte, devant le monde. Ils sont les constructeurs d’un chassé-croisé, d’un ombrage pluriel. Ils procèdent par trouées et hybridation. Ils dressent des murs jaunes, des phrases. Ça prend forme. Ça meurt. Ça.

 

Ce qui les rapproche : la constance de l’action, la sécession. Les profondes dérivations de chaque geste, de chaque pas. Greffe et marcottage. Bientôt les frondaisons et l’ombre de chacun. Bientôt les disparus qui ne se ressemblent plus. La dissidence des corps, l’intrigue des généalogies.

 

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, treize à seize, Flammarion, 2016, p. 120.

21/04/2016

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, treize à seize : recension

 

nicolas pesquès,la face nord de juliau,treize à seize : recension

   Commençons par un court descriptif. J 13 débute par un bref Prologue (daté de 2009), suivi de deux séquences de dimensions inégales (2010, ‘’Le grand pense-bête », 2011, ‘’Les formules’’(1)) ; l’année 2011 fournit également J 14 et J 15, et le volume se clôt avec J 16 pour l’année 2012. Si l’on ne considère que les datations qui organisent le texte, J 13 et J 14 se présentent sous la forme d’un journal, mais journal parfois abandonné ; rien entre 13 octobre 2010 et le 17 janvier 2011, entre le 28 avril et le 28 mai 2011. S’y mêlent réflexions sur la relation au monde, sur l’écriture, etc., en prose ou en vers, la distinction étant parfois inopportune. J 16, écrit en vers, ne cesse pas, loin de là, d’interroger le rapport au langage. Cette esquisse descriptive vise à souligner que ce nouveau volume est très construit, comme les précédents ; parmi les motifs qui reviennent d’un livre à l’autre, celui de la séparation me semble être privilégié dans la mesure où il est mis en valeur dans J 15, qui ne compte que deux mots :

                              nous

 

                             sommes

   Il y a là, en même temps, affirmation de la présence et constat d’une coupure. Voilà qui évoque le ‘’coup de foudre’’ qui retient par ailleurs l’attention de Pesquès : il aide en effet à comprendre que « l’origine est une fracture ; et qu’avec lui, derrière lui, après lui, l’œuvre relève de la fragmentation. » (175) Écrire la colline de Juliau, ce qu’elle est, ne peut se faire que dans son absence et une part importante des remarques portent sur ce point, la séparation, le « gouffre » entre ce qui est vu, entre les choses, et la langage, les mots. Il s’agit bien de « faire des choses avec des mots » (54), mais la colline, comme le corps, ne sont en rien « ce que les mots en disent » (19). D’une certaine manière, il n’est peut-être pas d’autre sujet d’écriture que celui-là ; le paysage, le corps sont devant moi, et sont pour toujours obscurs en ceci qu’avec les mots je vais les construire, mais pas les donner à voir. Ce que reprend inlassablement Pesquès d’un livre à l’autre. Ici : les phrases sont vouées à « la construction d’un colline » (27), « la construction d’une sensation, c’est tout l’effort d’écrire » (112) ; au hasard, dans un des livres précédents : « Les choses ne sont pas ce que les mots produisent. Elles émergent de ce qu’ils séparent »(2).

   Cette séparation acceptée justifie le caractère inachevable de l’écriture de Juliau, et certaines ‘’formules’’ écrites au cours des années « demandent à être revisitées, repensées, débattues » (9) : ce qui est avancé dans le prologue annonce que l’objet du livre ne peut être nouveau. Donner le nom de ce qui est devant soi est possible « trajectoire du renard, histoire de la limace, chevreuil dans les vignes » (125), et l’on pourra lire les mots grillon, sauterelle, huppe, mulot, blaireau, pie, ou « Chevreuil à dix pas. Perdrix mixte » (123), on ne sera pas pour autant dans la représentation. Il ne s’agit pas de ‘’découvrir » » que les mots ne sont pas les choses ! Ce qui importe, ce sont les approches de ce qu’est la séparation entre le langage et les choses. Quand Pesquès écrit « Il n’y a séparation que parce qu’il y a quelque chose qui veut être retrouvé, je veux dire inventé à nouveau pour avoir été tranché » (87), la proposition est proche du lien établi à différents moments entre « séparation » et « origine ». Proximité encore avec les vers cités d’Alain Veinstein (153) :

Je ne fais rien d’autre, au fond,

Que m’enfouir le visage dans ces phrases

   Pour y retrouver l’odeur de ma mère

   La tentative, toujours à recommencer, de dire ce qui est vu — ce qui est vu est mis en cause dès que les mots sont écrits — divise le sujet, alors partie avec les choses, partie avec les mots. Il n’est guère concevable de passer outre, ou plutôt le silence ne peut être compris que « désir interdit, inhumain, transgressif », il n’est que dans « la jouissance et la mort » (163) ; le tragique, dans la relation à la langue, est justement que son usage implique « l’éloignement, la séparation » (55), les choses étant « toujours en excès sous la phrase » (152)

   Donc : il faut s’obstiner à écrire, pour accepter ce qui est dessaisissement, condition pour « le pluriel vécu de l’identité » (130), le désir. Si le jaune est omniprésent dans les volumes de La face nord de Juliau, c’est qu’il est la couleur de la sexualité (« pas du jaune, du sperme »,150), et qu’il porte la pluralité, écrit par anagramme nauje, aujen (117) ou « Jaune, JAUNE, jaune » (107). Ce corps en désir, pluriel, est plus présent dans J 16, dans la mesure où la colline s’éloigne, où s’imposent alors « 2 nus/sans le moindre mot » (231), une approche du silence étant possible. D’ailleurs les mots et des connotations liées traditionnellement au corps amoureux imprègnent le long poème pour exprimer « une sorte d’amour réel » : nu (nue, nus), nudité, jouir, ventre, chair, excitée, anfractuosité, écoulement, tendu, « l’épanouie imprenable » — et envahissent le discours, jusqu’aux « cuisses de la phrase ». Ce n’est donc pas hasard si dans la dernière section du livre Pesquès entend « écrire sans accessoires ni chuchotement » (212) — on reconnaît là une citation de Mallarmé dans Crise de vers —, et ainsi (tenter de) trouver une « langue brisée d’amour » (227).

   Il faudrait, il faudra, relire tous les volumes de La face nord de Juliau, suivre le lent cheminement et comprendre, dans ce qui peut n’être qu’inachevable, que la poésie bute « sur le fin fond du dicible » (92). Suivre aussi la relation complexe entretenue avec la peinture — les essais de Pesquès dans ce domaine sont à lire avec sa poésie ; ici, est évoqué le peintre de Lascaux, qui « parle dans la nuit » et « en arrache une image » (124). Alors relire l’ensemble comme « une sorte de ready made du gouffre de toute vie, l’évidence du désir incluant son accomplissement écarté. À la fois le « parti pris des choses » et ce qu’elles sont : insaisissables. » (126).

 ——————————————————————————————

  1. Certains éléments laissent penser à des ajouts postérieurs : Pesquès introduit des citations dans J 13, II et III (2011) — une liste des auteurs sollicités est donnée page 155 —, mais les vers repris d’Alain Veinstein sont extraits de Scène tournante publié en 2012.
  2. Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, cinq, André Dimanche, 2008, p. 57.

 

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, treize à seize, Poésie / Flammarion, 2016, 252 p., 18 €. Cette recension a été publiée sur Sitaudis le 7 avril 2016.

 

05/04/2016

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, treize à seize

                          nicolas-pesques.jpg

Aborder la terra incognita.
Celle de voir l’écriture nous quitter — qui est celle de la destruction du désir en relation avec un corps qui cesse lui aussi d’avoir envie, comment cette souffrance peut-elle traverser une forme pour dire son effondrement ?
Défi qui serait spécifiquement un combat de poésie : inventer l’expression de la disparition du désir de dire. Situation à la fois simple et extrême, dont la limite est peut-être la banalité même de cette cessation comparable à l’inconnu de la mort.

 

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, treize à seize, Poésie / Flammarion, 2016, p. 41.