04/04/2022
Jules Renard, Journal, 1887-1910
Les descriptions de femme ressemblent à des vitrines de bijoutier. On y voit des cheveux d’or, des yeux d’émeraude, des dents perle, des lèvres de corail. Qu’est-ce, si l’on va plus loin dans l’intime ! En amour, on pisse de l’or.
Il avait plus de cheveux blancs que de cheveux.
Un ami ressemble à un habit. Il faut le quitter avant qu’il ne soit usé. Sans cela, c’est lui qui nous quitte.
Que de gens ont voulu se suicider, et se sont contentés de déchirer leur photographie.
Jules Renard, Journal, 1887-1910, Pléiade/Gallimard, 1965, p. 11, 13, 15, 17.
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01/11/2019
Jean-Baptiste Chassignet (1571-1635), Le Mespris de la vie et Consolation contre la mort
Nostre vie est semblable à la lampe enfumée,
Aus uns le vent la fait couler soudainement,
Aus autres il l’esteint d’une subit soufflement
Quand elle est seulement à demi allumee,
Aus autres elle luit jusqu’au bout consumée
Mais, en fin, sa clarté cause son bruslement :
Plus longuement elle art, plus se va consumant
Et sa foible lueur ressemble à sa fumee :
Mesme son dernier feu est son dernier cotton
Et sa dernier humeur que le trespas glouton
Par divers intervalle ou tost ou tard consume.
Ainsi naistre et mourir aux hommes ce n’est qu’un
Et le flambeau vital qui tout le monde allume,
Ou plustost ou plus tard, s’eslougne d’un chacun.
Jean-Baptiste Chassignet (1571-1635), Le Mespris
de la vie et Consolation contre la mort, Droz, 1967, p. 61.
31/07/2019
Georges Fourest, La Négresse Blonde
La Négresse Blonde
I
Elle est noire comme cirage
comme un nuage
au ciel d’orage,
et le plumage du corbeau,
et la lettre A, selon Rimbaud,
comme la nuit,
comme l’ennui,
l’encre et la suie !
Mais ses cheveux,
ses doux cheveux,
soyeux et longs
sont plus blonds, plus blonds
que le soleil
et que le miel
doux et vermeil,
que le vermeil,
plus qu’Ève, Hélène et Marguerite,
que le cuivre des lèchefrites,
qu’un épi d’or
de Messidor,
et l’on croyait d’ébène et d’or
la belle Négresse, la Négresse Blonde !
Georges Fourest, La Négresse Blonde,
José Corti, 1937, p. 21-22.
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24/05/2016
Malcolm Lowry, Pour l'amour de mourir
Le passé
Comme une vieille échelle pourrie
Qu’on a jeté d’une scierie désaffectée
Et qui flotte, émergeant seulement par le haut,
Tandis que, tout imprégné d’eau, le reste baigne,
Rongé par les tarets, encroûté de bernacles
Et de moules accrochées en papillotes bleues ;
Puante, alourdie d’algues et de ces curieux êtres
Qui vivent de la mort et de la marée basse,
Route vermiculée, en proie à l’helminthiase :
Telle est ma conscience.
De temps en temps, je la sèche au soleil,
Je l’appuie (contre rien du tout,
Puisqu’elle ne monte nulle part) ;
Mais je la garde, on ne sait jamais, ça peut servir.
Qui sait si elle n’est pas récupérable,
Si on ne pourrait pas la radouber un peu ?
Et chaque nuit sans raison ma cervelle
Monte et descend les barreaux de l’échelle.
Malcolm Lowry, Pour l’amour de mourir, traduction
- M. Lucchioni, La Différence, 1976, p. 97.
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13/04/2011
Max Ernst, Ecritures
Réponse à une enquête de Commune, 1935
Pour Max Ernst, art et poésie ne font qu’un. Il assimile la recherche poétique au travail sous-marin du scaphandrier. L’océan doit être sondé autour de ces pics dont le jaillissement signale un monde englouti. De tout ce qu’il aura amené à la surface, le plongeur retiendra les éléments qui lui semblent « trouvailles ». Il rejettera le reste, sans se soucier des chances d’erreur que comporte une telle sélection :
… Ce n’est pas une Atlantide morte que ce monde submergé, précise Max Ernst. Il est fleuri de volcans qui, pour ne pas atteindre le niveau de la conscience, n’en agissent pas moins sur cette conscience, donc sur toute vie individuelle ou collective. Le surréalisme est né en plein déluge dada, quand l’arche eut buté contre un pic. Les navigateurs n’avaient pas la moindre envie de réparer leur bateau, de s’installer dans l’île. Ils ont préféré piquer une tête. Grâce à l’écriture automatique, aux collages, aux frottages et à tous les procédés qui favorisent l’automatisme et la connaissance irrationnelle, ils ont touché le fond de cet invisible et merveilleux univers, « le subconscient », à décrire dans toute sa réalité.
Avant sa plongée, nul scaphandrier ne sait ce qu’il va rapporter. Ainsi, e peintre n’a pas le choix de son sujet. S’en imposer un, fût-il le plus subversif, le plus exaltant et le traiter d’une manière académique, ce sera contribuer à une œuvre de faible portée révolutionnaire. De même celui qui prétend fixer sur une toile les rêves de ses nuits n’accomplira pas une autre besogne que l’artiste acharné à copier trois pommes, sans se soucier de rien d’autre que de la ressemblance. Le contenu idéologique — manifeste ou latent — ne saurait dépend de de la volonté consciente du peintre. Le devenir de l’auteur et de l’œuvre sont indéniablement, indissolublement liés. Sinon, il y a tricherie.
La psychologie concrète a démontré que le subconscient individuel se trouve englobé dans le subconscient collectif. La question de la propriété artistique s’est donc modifiée. La vanité du créateur apparaît dans tout son ridicule éclat. L’exhibitionnisme même perd de sa valeur documentaire. Justice est faite de tant d’autres notions dont l’ensemble constituait le mythe artistique. Les méthodes d’exploration consciente sont à la portée de tous et l’idolâtrie du talent n’est pas moins risible que les autres.
Max Ernst, Écritures, Gallimard, collection Le Point du Jour, 1970, p. 401-402.
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